Les mutilations génitales féminines demeurent une atteinte de violations des droits des femmes. Le Sud-ouest, comme d’autres régions du Burkina Faso, n’échappe pas à cette pratique. Ce, malgré les efforts de sensibilisations des structures qui font de cette lutte leur cheval de bataille. Pour changer la donne, les leaders religieux et les coutumiers s’investissent auprès des structures étatiques avec pour objectif majeure ‘’tolérance zéro aux MGF d’ici 2030 ‘’
Le Burkina Faso a célébré le 30 juin dernier, en différé, la journée nationale de lutte contre la pratique de l’excision et la journée internationale de la tolérance zéro aux MGF, respectivement instituées par le Burkina Faso pour chaque 18 mai, et par l’ONU pour chaque 6 févier. Cette commémoration conjointe a été placée sous le thème « 30 ans de lutte contre les MGF au Burkina Faso, quelles perspectives avec la nouvelle génération ? ».
L’excision est une pratique ancestrale pratiquée par plusieurs sociétés africaines. La région du Sud-ouest au Burkina n’échappe pas à cette réalité au regard du nombre de cas enregistrés ces dernières années. « Les chiffres sont ahurissants. De janvier 2019 à juillet 2019, nos services ont enregistré plus de 150 cas d’excision, atteste le directeur régional en charge de la femme, de la solidarité nationale et de l’action humanitaire du Sud-ouest, Jules Zongo.
- Femme mariée venue de la Côte d’Ivoire pour se faire exciser
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Les fondements explicatifs de cette pratique se trouvent à plusieurs niveaux : les fondements culturels et l’ignorance des méfaits de cette pratique « rétrograde », explique Jules Zongo. En outre, les poches de résistances sont toujours constatées du fait de la complicité des familles des victimes qui sont les instigatrices avec l’aide de personnes externes. Aussi, l’humilité familiale qui consiste pour les familles à cacher toutes les fautes commises par une famille. « Pour le cas du Sud-ouest, la porosité des frontières est un facteur important parce qu’elle partage ses frontières avec le Ghana et la Côte D’Ivoire » ajoute le directeur régional Jules Zongo.
30 années de lutte
Le Burkina Faso, depuis 30 ans, s’investit dans la lutte contre l’abandon des mutilations génitales féminines avec à son actifs plusieurs acquis engrangés. On note entre autres, la création depuis 1990 d’un organe multi-acteurs d’orientation et de décision, l’introduction de modules sur les MGF dans les curricula de formation au primaire, au post-primaire, au secondaire ainsi que dans les établissements de formation professionnelle ; la formation de plus de 2500 agents de santé sur les MGF et en technique de réparation de complication et séquelles de l’excision dans les 45 provinces ; l’adoption de la loi numéro 025-2018/AN du 31 mai 2018 portant code pénal qui renforce la répression de la pratique à travers des dispositions spécifiques.
- Elève de l’école de Kuèkuera commune de Perigban, excisée
Selon la ministre en charge de la Femme, Laurence Ilboudo-Marchal, lors de la 20e journée nationale de lutte contre la pratique de l’excision, le 30 juin 2020, « toutes ces mesures ont eu pour effet d’induire des déclarations solennelles d’abandon de l’excision par plus de 3090 villages, ce qui a entrainé une baisse significative du taux de prévalence qui est passé de 78% pour les femmes de 15 à 49 ans et de 13,3% pour la tranche de 0 à 14 ans, respectivement à 67% et 11,% selon l’enquête multisectorielle continue de 2015. »
Le cas Yéri
Mais qu’à cela ne tienne l’arbre ne doit pas cacher la forêt. La pratique de l’excision continue et fait des victimes avec des séquelles physiques et psychologiques. Aborder le sujet avec certaines n’est pas chose aisée. Dans des localités comme Hello-Bondo et Kaldera respectivement située à 25 et 45 km de Gaoua, nous nous sommes rendus sur rendez-vous. Mais sur place, les victimes se sont rétractées. Sous l’effet d’une quelconque pression ?
Passena est localité située à environ 80 km de Gaoua, chef-lieu de la région du Sud-ouest dans la commune rurale de Kampti. Nous y avons rencontré Yéri (nom d’emprunt) âgée de la vingtaine. Elle est excisée. Yéri a accepté nous raconté la souffrance qu’elle endure. « Mes parents et moi étions en Côte d’Ivoire quand j’étais petite. Un jour, la petite sœur (tante paternelle) de mon père m’a informée qu’elle allait nous ramener au village (ma petite sœur et moi) pour nous inscrire à l’école.
- Audience foraine de Nako, des parents complices
Quelques jours après notre arrivée au village, elle nous a demandé de l’accompagner en brousse pour chercher du bois mort. Quand on s’est éloignées de notre maison, elle nous a conduites dans une autre famille chez une vieille dame que nous ne connaissions pas. On n’a remarqué la présence d’autres petites filles de même âge que nous. D’autres pleuraient déjà. Ma tante à amener ma sœur dans un endroit aménagé avec des herbes tissées. A son retour elle marchait difficilement. On m’a tirée vers le même coin. Je tentais en vain de m’enfuir parce que les pleurs me faisaient peur. J’ai subi la même chose que ma sœur et c’était douloureux. Les vieilles femmes nous ont lavées avec un liquide mélangé à des plantes ».
Quelques années après, Yéri se marie. Ainsi commence son calvaire. Elle vit des difficultés dans sa vie sexuelle. « Quand je vais avec mon homme, j’ai des douleurs et surtout il a du mal à me pénétrer. Il se dispute chaque fois avec moi. Sa famille m’accuse de ne pas avoir un bon comportement. Mais au fond de moi je savais que le problème c’était au lit. Depuis quatre ans de mariage je n’ai pas eu d’enfant. On me remarque bizarrement dans ma belle-famille et au village. Je me suis confiée à l’accoucheuse du dispensaire qui m’a consultée et m’a dit que j’ai été excisée. Mon mari a pris une deuxième femme avec qui il a déjà deux enfants… ».
Un bébé de 6 jours excisée
Le 1er juillet 2020 dans la commune de Oronkua dans la province du Ioba, un fait incroyable. Les services de l’action sociale ont été saisis de l’excision d’une fillette de 6 jours par sa propre mère à l’insu de son mari. « L’acte a été découvert par une sage-femme qui a reçu la mère fautive qui est revenue pour son contrôle. Après l’alerte donnée, tous les services concernés se sont mis en branle. La procédure judiciaire a été enclenchée, et a connu son dénouement au tribunal de grande instance de Diébougou » nous relate le directeur provincial en charge de l’action sociale du Ioba, Joseph Toé.
- Audiences foraine de Nako en présence d’une délégation sénégalaise
Paroles de sages
Atteindre l’objectif de zéro mutilation génitale féminine d’ici 2030 passe par une prise en compte de toutes les sensibilités de la société, telles les leaders religieux et coutumiers. Dans cette optique, nous avons approché l’évêque du diocèse de Gaoua, Mgr Ollo Modeste Kambou. Il reconnait que « la pratique est ancestrale et certains dépositaires des us et coutumes sont convaincus qu’elle doit être poursuivi ».
Sans porter de jugement sur le point de vue de ces derniers, l’évêque pense qu’au regard des « risques sanitaires » liés à la pratique « il faut éclairer les gens, aider les mentalités à évoluer ». Puis d’insister : « notre milieu est difficile, donc il faut expliquer avec le langage qui sied, les méfaits de la pratique. Nos femmes sont capables de changements, il suffit de bien leur expliquer. Mais le milieu ici, il ne faut jamais forcer mais amener à comprendre le bien fondé et la personne elle-même adopte et entre dedans… ».
Dans la même lancée, le président des églises protestantes évangéliques du Burkina, le pasteur Enoch Sib, rappelle que dès les premiers moments de l’installation des églises protestantes dans la région du Sud-ouest, les fidèles ont été sensibilisés sur les dangers de cette pratique. « Ce n’est pas une prescription biblique, et en plus elle porte atteinte à l’intégrité de la jeune fille. Il nous appartient de protéger nos filles en les épargnant de cette pratique », dit-il.
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Pour la communauté musulmane, l’iman du CERFI, Ismaël Tiendrébéogo est formel sur la question des mutilations génitales féminines. « Ni le Coran, ni les hadiths ne recommandent la pratique de l’excision dans la religion musulmane. Et les biographies du prophète Mohamed rappellent qu’aucune de ses filles n’a été excisée. Sur cette base on ne peut pas dire que l’Islam prône la pratique de l’excision, mais elle a des versets et des hadith clairs sur la circoncision ». Il va plus loin en ajoutant :« Il ne faut pas faire d’amalgame entre les Arabes et la religion musulmane. Et d’ailleurs l’excision n’est pas pratiquée en Arabie Saoudite et très peu de pays arabes le font ».
- Des élèves de Kuèkuera excisées embarquées par les services de l’Action sociale
De l’analyse du sociologue, et enseignant de sociologie à l’Institut national de Formation en travail Social de Gaoua, Pertiou Yaya Coulibaly, l’excision est une pratique séculaire. Le Sud-ouest est une « société très conservatrice », les pratiques coutumières sont toujours d’actualité en témoigne l’initiation (le djoro). « On ne vous dira pas les raisons fondamentales, mais on vous dira : on est né trouver » explique M. Coulibaly.
Pour un changement de mentalités, il faut faire attention au discours, le revoir au besoin parce que quand une pratique est liée à des données culturelles, l’abandon de cette pratique prend du temps, précise le sociologue, Pertiou Yaya Coulibaly. Il appelle à une réflexion sur les mobiles des réticences des populations à abandonner l’excision. Il ajoute : « Il y a aussi un autre aspect qui n’est pas pris en compte. Le Sud-ouest est une zone où l’orpailleur est beaucoup développé. Il y a des pratiques occultes (vente du clitoris, utilisation du sang de vierge) liées à la recherche de l’or.
Traumatismes psychologiques
Au regard des traumatismes psychotiques inhérentes à la pratique, l’enseignant de psychologie à l’Institut national de Formation en travail social de Gaoua, Abdramane Tien rappelle que les enfants perçoivent les parents comme des protecteurs, des figures identificatoires de premier choix pour l’enfant. Si l’enfant venait à subir cette pratique, cela met en balance ou crée une rupture de cette perception originelle que l’enfant a de ses parents qui doivent être des protecteurs. « La pratique de l’excision est une situation traumatique et constitue le lit du stress post traumatique. Et à partir de cet évènement, l’enfant peux, durant toute sa vie, ressentir cet acte comme de l’agression, une angoisse qui sera un frein à son épanouissement », confie l’enseignant de psychologie à l’Institut national de Formation en travail social de Gaoua, Abdramane Tien.
- Audiences foraine de Kampti
A cela la victime peut ressentir des sentiments de blessures narcissiques, ajoute-t-il. De façon ultérieure, les adultes victimes vivent difficilement leur vie sexuelle parce qu’elles ont des difficultés pour entrer en interaction avec le sexe opposé sans oublier tout les complications sanitaires qui peuvent en découler. « Les victimes ressentent d’innombrables sentiments d’inutilité, de dévalorisation dans leur milieu de vie »regrette M. Tien.
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La pratique est coutumière, séculaire et les garants des us et coutumes prônent une sensibilisation sans mettre la pression sur les populations, indique le chef de terre de Gaoua, Kerleté Fréderic Hien, fonctionnaire retraité. « Continuez la sensibilisation, elle va porter des fruits. Nous échangeons avec les populations sur le sujet quand l’occasion se présente. Cette année coïncide avec l’initiation en pays lobi, les organisateurs nous ont confié qu’elle n’est nullement conditionnée par l’excision. C’est du mal qu’on fait à ses jeunes filles…. » affirme le chef de terre de Gaoua.
Les coutumiers sont incontournables dans cette lutte. Et c’est dans cette dynamique qu’à la faveur de la célébration de la 20e journée nationale de lutte contre la pratique de l’excision célébrée en différée le mardi 30 juin dernier, Naaba Kiiba, roi du Yatenga et l’Emir du Liptako ont été faits ambassadeurs pour la promotion de l’abandon des mutilations génitales féminines.
Boubacar TARNAGUIDA
Lefaso.net
Source : lefaso.net
Faso24
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