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Assassinat de Thomas Sankara : « Le 15 octobre 1987 est un véritable gâchis », regrette Bassirou Sanogo, anicien ambassadeur du Burkina en Algérie

Bassirou Sanogo, ce nom ne vous dit certainement pas grand-chose. Et pourtant, comme Mousbila Sankara, Basile Guissou, Valère Somé, Firmin Diallo et bien d’autres collaborateurs du président Thomas Sankara, il a été embastillé par le Front populaire de Blaise Compaoré. Ambassadeur en poste en Alger sous la révolution, il se rappelle encore comme si c’était hier, le jour fatidique du jeudi 15 octobre 1987. 33 ans après, le septuagénaire nous parle de Thomas Sankara, de sa traversée du désert après la révolution, des 27 ans de règne de Blaise Compaoré… et des élections du 22 novembre 2020.

L’assassinat de Thomas Sankara ? Bassirou Sanogo ne s’y attendait pas malgré le malaise qui régnait au sein du Conseil national de la révolution ; malaise dont il a eu vent depuis l’Algérie où il était Ambassadeur. C’est dans l’avion prêt pour le décollage pour Ouagadougou, que la nouvelle tombe comme un couperet, un soir de 15 octobre 1987. 33 ans après, la déception se lit toujours sur le visage du septuagénaire. « C’est un véritable gâchis », lâche-t-il dès l’entame de l’entretien, samedi 10 octobre 2020. « Ce qui se passait au Burkina sous la révolution était quelque chose d’inédit, d’osé, de constructif et d’exemplaire pour toute l’Afrique, voire le monde », ajoute-t-il avant de détailler.

Triplement un gâchis

« Ce fut un gâchis sur le plan politique car ce pouvoir (Conseil national de la révolution, ndlr) se distinguait par la forme de participation populaire au développement que Sankara a imprimé. Ce fut également un gâchis, car c’était une expérience de développement endogène qui intéressait même les Occidentaux qui nous aidaient. Ils se disaient que c’était peut-être la voie à suivre car l’impôt des contribuables qu’ils affectaient à la coopération aurait un sens et une portée véritable. Ce fut enfin un gâchis sur le plan culturel car les Africains se sont retrouvés dans ce qui se passait au Burkina Faso ».

« L’action a pris le pas sur le discours »

Pour Bassirou Sanogo, ce n’est pas le fait d’un « hasard ou d’un forcing » si l’on parlait de Thomas Sankara partout dans le monde. « Cela se fonde, explique-t-il, sur des réalisations inédites qui ont permis au monde entier d’avoir de l’espoir quant au devenir des peuples pauvres. La révolution burkinabè se fondait sur le sacrifice, le travail et la bonne gouvernance. Cette révolution était bien différente de celle des autres pays comme celle de Modibo Keita, de Sékou Touré, de Modibo Keita, d’Ahmed Ben Bella, de Marien Ngouabi ; même si ces révolutions ont eu un dénominateur commun : l’hostilité contre l’impérialisme. Au Burkina Faso, l’action a pris le pas sur le discours »

Loin du culte de la personnalité

Quid du culte de la personnalité ? Selon M. Sanogo, Sankara n’en voulait pas. Et cette anecdote en dit long sur le sujet. « Un jour en avril 84, un des ministres, ouvrant un séminaire à l’Assemblée nationale, a dit ceci dans son discours ‘’Au nom du grand camarade de lutte Thomas Sankara’’. C’était dans la matinée. Le soir, Sankara l’a appelé dans son bureau et lui a dit que ce soit la dernière fois, car il ne voulait pas du culte de la personnalité ».

Sankara s’il avait survécu…

« Je suis convaincu que même en dix ans, la révolution démocratique et populaire pouvait toujours faire mieux que les 27 ans de Blaise Compaoré car au pouvoir, il y avait de l’audace et de l’imagination. Il y avait une volonté d’oser inventer l’avenir. Sous Blaise, on n’a pas adopté un projet de développement qui soit endogène. On a dit aux Burkinabè, ‘’Faites ce que vous voulez, enrichissez-vous !’’ », regrette Bassirou Sanogo. A l’en croire, nul doute que le président Sankara serait ni ange ni démon s’il avait survécu à la date du 15 octobre 1987. « Quand on donnait des millions à Sankara, il les reversait dans la Caisse de solidarité. Mais quand on donnait des diamants à Valéry Giscard d’Estaing en Centrafrique, il les empochait. Sankara est un personnage charismatique. S’il était en vie, je pense que l’élément bâtisseur du président Sankara aurait prévalu. Même dans ce contexte de mondialisation, il allait se fonder sur nos valeurs pour oser inventer l’avenir ».

Un poste difficile

« L’avenir est une porte, le passé en est la clé », disait Victor Hugo. Parlons à présent de Bassirou Sanogo et de sa traversée du désert. Tout commence en mars 1984 lorsque le président Thomas Sankara fait appel à ses services pour diriger la diplomatie en Algérie. Il était en poste, depuis cinq ans au centre interafricain d’études en radio rurale de Ouagadougou comme directeur des études. Rappelons au passage que Bassirou Sanogo a étudié le journalisme à Paris puis à Strasbourg avant de décrocher un doctorat en 1980. Il a même passé deux ans à la radiotélévision voltaïque.

L’Algérie n’était pas une promenade de santé. « Ce pays était considérée par de nombreux diplomates comme la plateforme la plus difficile. Certains pays occidentaux, au lieu d’un mois de congé, donnaient deux mois à leur ambassadeur parce que c’était difficile », explique Bassirou Sanogo.

Avec au départ un personnel de quatre fonctionnaires, l’ambassade se retrouve avec deux personnes (l’ambassadeur y compris) au bout d’une année. « Pendant les deux premières années, il fallait travailler 7 jours sur 7. En Algérie, les jeudi et vendredi correspondaient au week-end et les samedi et dimanche étaient des jours ouvrables ». A l’en croire, il a fallu attendre septembre 85 pour voir l’arrivée d’un troisième membre de personnel. Un ouf de soulagement pour l’équipe au regard du dynamisme des relations entre les deux pays.

Mise au point à Ouagadougou

Après l’assassinat du leader de la révolution, Bassirou Sanou est convoqué en novembre 1987 avec une vingtaine d’ambassadeurs et de consuls à Ouagadougou. Jean Marc Palm (actuellement président du Haut conseil du dialogue social, ndlr) est le ministre des relations extérieures de l’époque. « J’ai senti un sentiment de soulagement au sein des ambassadeurs. Ce qui m’a réellement tonné. Comme la plupart étaient des diplomates de carrière, je pense qu’ils se sont dit ‘’C’est passé et ce n’est plus notre problème’’. J’ai posé des questions qui ont mis en courroux le ministre. Ce dernier m’a dit de passer le voir avant de partir », se souvient Bassirou Sanogo. Notons que bien avant le 15 octobre, il avait en accord avec Thomas Sankara de quitter Alger. « Avec la manière et de façon polie », il a réitéré sa position devant le ministre Palm.

Détention de près de sept mois

Revenu une deuxième fois à Ouagadougou, croyant que son ministère de tutelle lui annoncerait son départ d’Alger, comme il l’avait souhaité, Bassirou Sanogo est mis aux arrêts et détenu, avec d’autres camarades, pendant près de sept mois. A l’époque, Djibrill Bassolé était le Commandant de la Gendarmerie. « Pendant cette détention, on a envoyé une mission à Alger conduite par le ministre des relations extérieurs Jean Marc Palm et dans laquelle figurait le lieutenant Omar Traoré, celui qui a lu la déclaration du coup d’Etat. D’après les renseignements que j’ai eus, on aurait forcé la porte de mes bureaux. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait des documents », raconte Bassirou Sanogo, le regard grave.

« A deux reprises, Djibrill Bassolé nous a appelé pour nous interroger et nous demander si nous intégrons le Front populaire. J’ai répondu que je souhaitais simplement me reposer. De façon indirecte, ça voudrait dire que ça ne m’intéressait pas de continuer », se souvient Bassirou Sanogo. Libéré fin mai 1988, il loue une villa à la cité an II grâce au soutien d’une connaissance familiale. Il retourne dans son ministère d’origine, celui de l’information. Ne voulant pas rester cloitré dans un bureau, il demande à enseigner au centre de formation des journalistes. Parallèlement, il s’engage dans la vie associative et fonde l’Association burkinabè pour la sauvegarde de l’environnement (ABUSE), une façon pour lui de rendre hommage à l’un des principaux volets de la politique de Sankara qui est la préservation de l’environnement. Il sera également président de l’Observatoire national de la presse et président de l’Alliance contre la faim et la malnutrition du Burkina Faso de 2003 à février 2020.

Invite à témoigner, à écrire

Depuis 2004, Bassirou Sanogo vit une retraite paisible dans sa villa qu’il a commencée à construire en décembre 1986 sur un terrain acheté en 1980. Dans son coin, il suit de près l’actualité. A propos du mémorial Thomas Sankara, il estime que le projet est louable dans la mesure où c’est un acte qui matérialise un symbole, l’histoire du pays à un moment donné.

Sur la tenue des élections, son souhait est qu’elles ne constituent pas un cadre de division, mais se tiennent « dans la paix, la transparence et aient un sous bassement, la sécurité pour tous ».

S’adressant aux acteurs de la révolution, Bassirou Sanogo les a invités à écrire, car, même si des ouvrages existent sur la révolution « le gros du travail reste à faire ». « Tous ceux qui ont vécu cette révolution, qui l’on défendue dans leur chair par le sacrifice et qui peuvent être objectifs et honnêtes doivent s’exprimer. C’est de cette façon que nous allons offrir des corpus d’analyse aux Historiens qui vont faire l’Histoire », pense Bassirou Sanogo qui confie avoir entamé la rédaction d’un livre sur ce pan de l’Histoire du Burkina Faso.

Herman Frédéric Bassolé

Lefaso.net

Source : lefaso.net

Faso24

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