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Burkina : « J’ai l’impression que ceux qui nous dirigent font tout pour nous entretenir dans la pauvreté », s’avise Toussaint Ouédraogo, jeune entrepreneur

Président du parti « La Marche pour la patrie (LMP) », créé en décembre 2019, Toussaint Ouédraogo est avant tout, entrepreneur dans l’âme, basé à Koudougou, chef-lieu de la région du Centre-Ouest. Sur cette autre facette du jeune leader, qui fait parler en bien de lui dans son entourage, nous avons voulu en savoir davantage. Entretien avec Toussaint Ouédraogo, fondateur de AM Fitness et du groupe Afrique Métal.

Lefaso.net : Même si vous vous êtes révélé à l’opinion à travers votre parti politique, la LMP, vous êtes à la base un entrepreneur. Comment êtes-vous arrivé à l’entreprenariat ?

Toussaint Ouédraogo : L’entrepreneuriat et moi, c’est une vielle histoire, on s’est rencontré depuis mon bas-âge, il y a une dizaine d’années maintenant. Depuis la classe de CE2 au CM2 à Ouagadougou, chaque vacance, je quittais le quartier Larlé où résidait ma famille pour aller dans les quartiers Kologh-Naaba, Ouidi, Gounghin, Nonsin… avec mon moustiquo, que je vendais à 25 francs (je payais le paquet à 225 francs). Donc, sur chaque paquet, j’avais 25 francs de bénéfice. Il y avait également le pétrole que je vendais, en plus du moustiquo.

Une fois au lycée, pendant les vacances (les parents étaient affectés à Koudougou), je faisais sortir une petite table que j’avais fait confectionner, pour vendre des bonbons, du moustiquo et autres petits articles. Je l’ai fait de la 6e à la 3e. J’étais à chaque fois impatient de retrouver ma table. Si fait qu’à chaque rentrée, je pouvais m’acheter deux pantalons, une chaussure, etc. C’est une situation qui me rendait déjà fier de savoir que je pouvais m’acheter de petits trucs et même faire de petits cadeaux à mes frères et sœurs. C’est tout cela qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui dans le monde des affaires.

Sur les bancs, rêviez-vous d’un domaine de métier spécifique ?

Non, je rêvais d’être homme d’affaires, un entrepreneur. Ce qui me plaisait, c’était d’acheter quelque à 100 francs pour le revendre à 125 francs ; le bonheur que me procuraient les 25 francs, Dieu seul le sait. Donc, très tôt, j’ai voulu vraiment me lancer dans les affaires. Mais les parents ne comprenaient pas. C’est pourquoi, je ne pouvais le faire que pendant les vacances. Mais, j’ai commencé réellement à prendre la mesure de la chose, que je pouvais vraiment être entrepreneur, à partir de la Terminale. Après mon BEPC obtenu à Koudougou, je suis allé à Ouaga où j’ai continué la seconde au Lycée mixte Montaigne.

Je n’ai pas terminé l’année. En réalité, j’habitais dans un quartier qu’on appelle Laarlé, et qui connaît ce quartier sait bien que c’est une zone commerciale. Vous voyez qu’il y a par exemple plusieurs points de vente de fer ; le jour qu’on n’avait pas cour, on partait auprès des acheteurs qui nous donnaient un petit travail ou, à défaut, on partait ramasser le fer pour venir vendre pour avoir 100 ou 200 francs. Avec ça, je trouvais que l’école était une perte de temps.

Mais après, je suis allé dans un lycée technique où j’ai fait le BEP, puis la Terminale à l’ESTIF. J’ai passé le Bac, que je n’ai pas eu. Je me suis dit voilà, c’est une bonne raison que je ne suis pas fait pour l’école. Donc, je décide de me lancer dans les affaires. Et ces affaires pour moi consistaient à aller m’asseoir devant les magasins de ceux qui vendent le fer et quand un client vient payer, on aide à charger dans le camion et en retour, on nous donne quelque chose. Ou bien le client vient payer, mais demande qu’on transporte le fer jusqu’à sa zone.

On prenait donc la charrette (il n’y avait pas de taxis-motos), on chargeait et on tirait jusqu’à destination. C’est dans ça j’ai grandi et jusqu’en 2004 où mon père m’a fait un don d’une moto (qu’on appelle P50 Junior). J’avais la moto, mais ce n’était pas rentable pour moi (c’était budgétivore pour moi ; parce que le papa m’a donné la moto, mais il ne me donnait pas le carburant). Donc, sincèrement, je ne voyais pas l’importance de la moto, ce que je voulais, c’est la rentabilité. Ne pouvant pas aller voir le papa pour prendre encore l’argent, j’ai essayé avec des oncles, mais c’était compliqué. Finalement, je décide, en 2005, de prendre la moto pour garantir à 200 mille pour commencer le commerce.


Vous avez commencé par le commerce de quoi ?

J’ai démarré par le commerce des tôles. Quand j’ai garanti la moto, je quittais Ouaga et je venais à Koudougou (mais sans passer à la maison, parce que le papa allait me demander où est la moto). J’arrive et je fais le tour de la ville pour prospecter (parce que dans la période, Koudougou était en chantier, les gens construisaient). Donc quand je voyais un chantier en construction, je m’arrêtais et leur disais que s’ils avaient besoin de tôles, je pouvais leur offrir à un tel prix. Et comme j’étais à Ouaga, j’avais un contact avec des usines à Kossodo, donc je pouvais avoir les tôles au prix en gros. Ce qui me permettait de faire un prix sensiblement inférieur par rapport aux grossistes qui étaient sur place à Koudougou.

Donc, quand je prospectais, les gens étaient intéressés, mais le seul problème, c’était comment pouvoir payer ; parce que les gens ne me connaissant pas, ils ne pouvaient donc pas me remettre l’argent d’aller payer. Donc avec les 200 mille issues de la garantie de ma moto, je paie et viens livrer. Les bénéfices, je mettais à côté et je repars payer encore. J’ai procédé ainsi jusqu’à ce que dans les années 2006, 2007, les gens commencent à me confier leur argent pour aller maintenant payer et envoyer.

A partir de ce moment, j’ai commencé à avoir des marchés d’un, deux millions. Le premier grand marché qui m’a vraiment lancé est un grand chantier situé à l’entrée de Koudougou. Je suis allé, j’ai prospecté et j’ai fait ma proposition. Mais en toute sincérité, je n’avais pas espoir. On m’a demandé de faire un devis, qui s’élevait à 6, 7 millions. Pour moi, c’était trop, donc je n’espérais pas. Mais un jour de novembre 2007, j’étais couché quand j’ai reçu un coup de fil. On me dit de passer pour l’offre que j’ai déposée.

Ah là, je n’ai plus dormi, tant j’étais dépassé par l’émotion. J’ai commencé à faire mes calculs. J’y suis allé et sur place, ils ont fait la commande des sept millions. On est convenu d’aller à Ouaga le lendemain pour aller payer le matériel, et comme la somme était beaucoup, j’avais peur de prendre, j’ai proposé qu’un d’eux me suive avec ça pour qu’on parte payer, question aussi d’instaurer la confiance entre nous. Toute la nuit, je n’ai pas dormi : la joie.

C’était vraiment la première grande commande et le responsable de l’usine était tellement content que sur la commande de sept millions, il m’a donné 300 mille. Alors que sur la commande initiale, j’avais déjà environ 800 mille. Quand on a enlevé le matériel, mes clients étaient aussi tellement contents qu’ils m’ont remis 100 mille.

Là, j’ai failli disjoncter (perdre la tête, ndlr). C’est la toute première fois que je gagnais une si forte somme. J’étais embrouillé, je ne savais plus comment empocher l’argent et retrouver vite mon Koudougou. Donc, quand je suis rentré à Koudougou, je suis allé payer une moto à vitesse et suis rentré maintenant à la maison. J’ai montré ça au papa et lui ai expliqué comment j’avais procédé avec la moto qu’il m’avait offerte ; j’avais peur de sa réaction, malgré tout, mais il a compris. Il était fier. Avec cette affaire donc, je me suis vraiment constitué un capital et à partir de là, j’avais les marchés de plusieurs millions. Vous voyez la cité des Forces-vives à Koudougou, il y a environ 80 villas pour lesquelles j’ai livré du matériel.

Quand vous avez eu ce capital, avez-vous élargi vos interventions ou vous avez poursuivi dans le même domaine ?

J’ai créé mon entreprise, une quincaillerie avec du matériel de construction. Dans ma prospection, on m’avait fait savoir que le matériel que je paie ici, je pouvais l’avoir encore moins cher à l’extérieur, au Ghana. J’ai commencé à y aller. Mais je n’ai pas poursuivi longtemps ; parce qu’il y a la distance qui faisait que le délai était difficile à tenir.

Or, en affaires, il ne faut pas que le client perde confiance. C’est aussi à partir de ces voyages que je me suis rendu compte qu’il était nécessaire que je poursuive mes études. Je voulais surtout un diplôme en marketing. Je pense qu’aujourd’hui, tous les hommes d’affaires doivent avoir le b.a.-ba en marketing, parce que la fidélisation des clients dépend de ton attitude. Donc, je me suis inscrit en stratégie marketing. Mais, je poursuivais toujours dans mes livraisons, jusqu’en 2015, avant de basculer dans le sport.


Donc vous avez opté de vous lancer dans le domaine du sport ?

Comme tout homme d’affaires, j’aime les choses qui bougent. Lors d’une visite à Dubaï, en 2015, j’ai vu du matériel de sport de maintien et j’ai estimé que ça pouvait être une opportunité pour moi à Koudougou. J’y ai investi. J’ai pu mettre en place deux salles de sport de maintien avec du matériel de qualité. Depuis lors, non seulement je fais les prestations dans mes salles de gym, mais les gens (notamment des institutions) me font également appel pour des activités de sports de masse.

J’offre aussi chaque année des sorties à Accra à mes meilleurs clients (cette année, on n’a pas pu à cause du Covid-19). En dehors de ça, j’ai créé une entreprise, le groupe Afrique Métal, qui fait des prestations de services. J’ai également repris des études en anglais pour préparer un TOEFL, parce que mon ambition, c’est aussi me mettre au service de mes jeunes frères, leur partager mon expérience dans les affaires. C’est une chose qui manque dans notre société, il faut qu’on se partage les expériences. On parle chaque fois d’entrepreneuriat, mais en réalité, il faut un minimum d’éléments.

Quel est le minimum à avoir pour se lancer dans l’entrepreneuriat ?

C’est l’audace. Il faut foncer. Quand tu es face à une opportunité d’affaire, pense toujours à ce que tu y gagnes, n’ose jamais penser à ce que tu vas perdre. Sache que même si tu n’as pas eu de l’argent sur une affaire, tu en ressors avec quelque chose qui peut même t’être plus bénéfique encore, et cela n’est pas monnayable. Ce que je peux aussi ajouter, c’est de croire en Dieu. Croire en Dieu, parce qu’il y a toujours des moments difficiles, qui pourraient même vous suggérer l’abandon ou te faire basculer dans des pratiques condamnables.

Je me rappelle toujours le conseil de ce sage (qui est décédé, paix à son âme) ; il a dit que dans la vie d’un homme, il y a deux jours : un jour où vous pensez que tout s’est écroulé autour de vous, rien ne marche, du matin au soir tout ce que vous faites c’est échec sur échec, des soucis. Que mais sache que le jour suivant va être meilleur. C’est aussi vice-versa. Donc, quand tu as ça en tête, ça te permet de bien te comporter, de tenir compte des réalités, de ton éducation et dis-toi que tout peut changer d’un moment à l’autre. Le succès ne doit pas te faire perdre la tête, tout comme tu ne dois pas céder aux moments difficiles. Moi, personnellement, c’est aussi ce suspens qui me plaît dans les affaires.


Comment accède-t-on à vos salles de gym ?

Avant tout contact avec le matériel, il y a un entretien préalable, à l’issue duquel, on vous oriente. Il y a des coaches pour cela. L’entretien est important pour connaître les objectifs de chacun : certains vont en salle pour des soucis de santé, d’autres pour maintenir ou perdre du poids (parce qu’ils n’arrivent pas à surveiller leur régime alimentaire), d’autres pour prévenir les maladies cardio-vasculaires. Aujourd’hui, il faut le dire, nous avons un réel problème de régime alimentaire.

Donc, le sport permet de résoudre beaucoup de problèmes. Nous avons également des clubs de sports, car nous formons des jeunes en haltérophilie pour des compétitions, dont le championnat national. Nous avons aussi des clubs de Taekwondo et de boxe. Dans les mois à venir, nous comptons ouvrir un club de football. L’objectif, c’est que dans les années à venir, nous soyons un omnisport, avec des représentations un peu partout dans les régions.

Quelles sont les difficultés qu’on rencontre en la matière ?

Les difficultés sont celles de l’entrepreneuriat de façon générale, à savoir le manque de financement. Quand vous partez pour demander un crédit, les conditions qu’on vous pose ne sont pas à la portée des jeunes entrepreneurs. Sincèrement, ce n’est pas facile. Ce qui fait encore mal, c’est que l’État, à travers les Fonds, ne résout pas aussi le problème.

Pourtant, nous contribuons à la création de l’emploi, à la santé des populations, nous payons des taxes, etc. On se demande à quoi servent les Fonds comme le FAIJ (Fonds d’appui aux initiatives des jeunes), le FAPE (Fonds d’appui à la promotion de l’emploi), le FASI (Fonds d’appui au secteur informel), etc. C’est triste. Personnellement, j’ai un dossier à ce Fonds, FAPE, depuis plus de deux ans, alors qu’on dit que le délai de réaction, c’est six mois au plus.


Vous n’avez pas de réaction ?

Rien. A chaque fois que j’appelle, on me dit le dossier suit son cours. C’est triste. Il y a un problème avec les Fonds de l’Etat. Il y a un problème avec l’environnement même de l’entreprenariat au Burkina. Combien d’entreprises referment avant leur premier anniversaire ? Vous créez votre entreprise et au bout de six mois, il faut que vous commenciez à payer vos impôts ; que vous ayez un marché ou pas.

Le Covid-19 a eu un impact sur vos activités, on imagine !

Tout à fait ! Qui connaît les salles de gym savait déjà que c’était difficile à partir de fin mars. Avec les mesures du gouvernement, c’était quasi-impossible. Donc, on était obligé de libérer certains travailleurs également, alors qu’on continuait de supporter les charges liées au loyer des locaux, à l’électricité, etc. Nos clubs, nous les avons également libérés. On s’est donc endetté pour régler certains collaborateurs, qui n’ont pas voulu entendre quoi que ce soit comme arrangements liés à la situation (heureusement que nombreux d’entre eux ont compris). Les choses ont commencé à reprendre progressivement ces derniers temps.

L’Etat a annoncé des mesures de soutien aux entreprises ; en avez-vous bénéficiées ?

Lorsque nous avons appris la mesure, nous étions vraiment contents. On s’est dit que c’était un ouf de soulagement, parce que ça pouvait permettre d’amortir certains impacts négatifs. On est resté dans l’attente et c’est finalement en septembre qu’on apprend que la Chambre de commerce a mis à la disposition des entreprises, un certain montant comme annoncé par le gouvernement. Nous nous sommes renseignés et on s’est rendu compte que ces ressources, c’est à travers les Fonds de l’Etat qui existent déjà. Mais je vous dis, c’est compliqué au niveau de ces guichets, si tu n’as pas été recommandé, c’est difficile, tu risques de dilapider le peu que tu as. Ça va encore t’appauvrir.

Vous y avez été ?

Déjà en août, j’ai appris que la Chambre de commerce avait ouvert une liste pour recenser les entreprises impactées. Je suis allé, j’ai eu un entretien avec le comité mis en place à cet effet (une dame et un monsieur m’ont gentiment écouté pendant plus d’une heure, j’ai tout expliqué dans les détails). Ils m’ont dit que s’il y a quelque chose, ils allaient me revenir. Donc, en octobre, quand j’ai appris l’ouverture des guichets dans les Fonds, j’ai été intrigué ; parce que je me suis dit, la logique aurait voulu qu’on tienne compte de ceux qui ont été enregistrés à la Chambre de commerce.

Malgré tout, j’ai préparé les dossiers et je suis allé déposer au FBDES (Fonds burkinabè de développement économique et social). On attend. On verra si c’est un leurre de plus ou une promesse électoraliste. Ce, d’autant que ce qui se dit des pratiques en cours est très inquiétant. On remet l’argent à des gens qui n’en ont pas besoin, par simples accointances, alors que les vrais entrepreneurs sont là, sans appui ; parce que n’ayant pas de couleur politique ou de mentor.


Connaissez-vous des gens qui vivent la même situation que vous ?

Plein ! A travers nos organisations sur l’ensemble du territoire, on se connaît et les informations circulent facilement. Ce qui se passe, c’est triste. Ce n’est pas de la sorte nous allons relancer l’économie nationale. On a besoin d’une réelle volonté politique, de la sincérité et de la vision. J’ai l’impression que ceux qui nous dirigent font tout pour nous entretenir dans la pauvreté, pour que nous soyons toujours ceux-là qui tendent toujours la main. C’est très triste. On parle d’entrepreneuriat de jeunes, mais en réalité, c’est un leurre, c’est du pipeau. Ils ne veulent pas qu’on s’affranchisse d’eux pour être maîtres de nos idées.

Pensez-vous avec certains Burkinabè que tous ces Fonds sont une farce ?

C’est de la farce. Ça sert à autre chose ; le peuple réel, qui a besoin de ces soutiens au profit de toute la nation ne l’a pas. Les dirigeants utilisent l’État à leurs propres fins. Il ne sert à rien de faciliter la création des entreprises, il ne sert à rien d’annoncer des chiffres pompeux en matière de création d’emplois, d’entreprises créées ; l’important, c’est la sincérité, la volonté, l’accompagnement des jeunes entrepreneurs. Allez à la Maison de d’entreprise, prenez le nombre d’entreprises qui meurent dès leur première année de création, environ 97% ! C’est très triste. On a étouffé, sciemment, l’entrepreneuriat burkinabè.

Interview réalisée par O.L

Lefaso.net

Source : lefaso.net

Faso24

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