Actualité

Campagne présidentielle 2020 : Deux candidats glissent sur la planche de la sécurité

Par cinq fois au moins, durant cette campagne, la triste actualité d’un pays en guerre est venue se rappeler à nos politiques.

Le meurtre du chauffeur d’un député MPP en campagne à Essakane, sur la route Dori-Gorom Gorom, et les braqueurs sont partis avec le véhicule.

Le 2 novembre 2020, huit villageois sont abattus froidement dans la commune de Madouji près d’Arbinda dans le Soum, les assaillants ont emporté le bétail et les motos.

Le lendemain à Konna, dans la Boucle du Mouhoun, les assaillants incendient les récoltes et les biens de la population.

L’armée a annoncé toujours le 2 novembre la mort d’un volontaire de défense de la patrie dans la localité de Tokabangou lors d’une attaque terroriste.

La toute dernière est l’embuscade tendue à un groupe de militaires en déplacement sur l’axe Tin Akoff Beldiabé qui a fait 14 morts et plusieurs blessés le 11 novembre. Cette attaque a suscité des émois chez les candidats (Roch Kaboré, Zéphirin Diabré, Tahirou Barry, Eddie Komboïgo …) avec deux jours de deuil décrétés (non officiel) et la suspension de toute activité de campagne. Cette gravité et le respect des morts, ainsi manifesté a manqué lors des meetings en parlant de la sécurité.

Avant ce drame, les choses se faisaient comme d’habitude et nos candidats traitaient la question sécuritaire comme ils le font pour beaucoup de questions avec peu de sérieux et de compétence. La preuve, le peuple se moque de ses dirigeants qui ne comprennent pas swahili et n’en savent que ce qu’ils ont appris des dessins animés de Disney et ils trouvent amusants de se renvoyer des mots par meeting. C’est pitoyable, et ce qui l’est davantage c’est qu’ils ont traité la question sécuritaire sur le même registre !

Dans une campagne électorale, il n’y a pas de sujets tabous ; c’est même le lieu de tout dire et de parler clairement. La campagne est le moment de la parole, de l’expression, du dévoilement de la pensée politique, économique du parti, de son idéologie, de son programme et des activités qu’il compte mener une fois élu. Aussi, on ne peut pas reprocher à un parti, un candidat, son opinion. Ce texte en tout cas ne le fait pas. Mais que cette opinion soit marquée d’insuffisances et d’erreurs d’appréciation, c’est normal de les signaler. Que cette opinion ne soit pas sur des questions dramatiques, marquées par la rigueur nécessaire, est une faute.

Une communication non maîtrisée

Si l’on observe la campagne, on ne peut pas dire que nos politiques sont accompagnés par des professionnels de la communication. Même s’il y a un usage de différents médias comme les affiches, les publicités télévisuelles et radiophoniques, les meetings ne semblent pas être pensés pour donner un message précis selon les lieux. Il nous semble que l’improvisation y tient une place non négligeable. Le meeting n’est pas le cadre le plus adapté pour exposer les questions complexes et tragiques comme la crise sécuritaire que nous vivons. En s’y collant dans leurs meetings, les candidats à la présidentielle du Congrès pour la démocratie et le progrès et celui du Mouvement du peuple pour le progrès ont fait la faute. Celle de traiter avec légèreté une question douloureuse et dramatique qui endeuille le pays depuis plus de cinq ans.

Eddie Komboïgo en challenger a voulu prendre le contrepied de ce que Roch Kaboré fait. Au lieu de la guerre, il propose la négociation avec les djihadistes. Une telle stratégie ne peut pas se développer au cours d’un meeting, par manque de temps. Pour négocier, il faut être deux. Il ne s’agit pas d’agiter son drapeau blanc et l’autre partie belligérante va courir venir s’asseoir pour discuter. Elle peut après cette manifestation de votre volonté de pactiser l’interpréter comme un signe de faiblesse et intensifier son action. Car la guerre est différente des autres activités, une fois engagée, si les belligérants veulent maintenant discuter, c’est le rapport de force qui fait loi. Celui qui s’estime en position de force ne peut pas écouter, accepter des propositions qui lui enlèvent ce qu’il a acquis par la force des armes.

Lâcher la proposition de négociation comme si c’était une baguette magique, qui emmènera la paix, c’est vendre du rêve. Toute négociation est une contractualisation d’un rapport de volontés, de forces. C’est un vrai moment du donner et du recevoir, et on y va en ayant des choses à donner contre ce que l’on veut, ce que l’on désire.

Si le candidat du CDP veut négocier, il faudrait qu’il identifie les groupes avec lesquels il veut négocier, car le pays se bat contre plusieurs groupes terroristes comme les multinationales du terrorisme : Al Qaeda au Maghreb islamique et l’État islamique au grand Sahara, ou encore les groupes terroristes locaux comme le Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin (JNIM, GSIM, ou Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, lié à Al-Qaïda ou encore Ansarul islam de Malam Dicko).

On peut estimer qu’il est normal de discuter avec les groupes nationaux parce que ce sont nos frères et que nous devons discuter des affaires de notre pays ensemble. Mais en va-t-il de même pour les groupes terroristes d’étrangers, qui ont tués nos femmes et enfants ainsi que nos frères ? Est-ce que d’ailleurs, ils seraient intéressés ces étrangers, si tant est que leur désir est de nous déposséder de nos terres et d’en faire ce qu’ils veulent ? Ces multinationales du terrorisme, s’en sont pris à nos faibles pays sahéliens pour montrer qu’ils sont forts après avoir été chassés d’Irak et de Syrie.

Après avoir identifié les potentiels partenaires à la négociation, qu’est-ce qu’il met sur la table de négociation ? De quoi va-t-on discuter, la recherche du dialogue doit avoir un sujet ou des questions à résoudre ? La complexité de la question sécuritaire au Sahel est que nos États ignorent l’objet du conflit. La multiplicité des groupes fait penser à de nombreuses causes possibles du conflit. Et les groupes ne communiquent pas assez clairement sur leurs désidératas.

Si on est prêt à négocier, c’est qu’on est prêt à partager, à concéder, à céder tout ou partie de ce que l’autre veut. Et envisager la négociation sans établir clairement les domaines du discutable et ce dont on ne peut pas parler, sur lesquels on ne transige pas, on ne négocie pas, expose à aller dans une impasse ou à aller se livrer au bon vouloir de la partie adverse. Va-t-il offrir une ou plusieurs des régions en proie au terrorisme aux djihadistes contre la paix ? Va-t-il accepter que le Burkina devienne un califat d’Al Qaeda ou de Daech ? Concernant notre vivre ensemble, que va-t-il abandonner ? La laïcité, la République, la tolérance religieuse qui est un label national qui caractérise toutes les religions … ?

Qu’est ce qui est négociable et qu’est ce qui ne l’est pas ? En laissant des zones d’ombre sur beaucoup d’aspect de sa proposition, cela instruit le procès en superficialité et en incompétence.

Un président même candidat à sa réélection ne devrait pas dire ça

Roch Marc Christian Kaboré a répondu avec la même légèreté à Eddie Komboïgo concernant son offre de négociation, en disant que s’il veut négocier c’est parce qu’il connait les groupes terroristes. Au début des attentats en 2016, les dirigeants du MPP ont à peu près mis l’insécurité sur le compte du pouvoir déchu qui s’en prenait à eux. Cet argument pouvait prospérer à cause de la proximité et des liaisons avec ces groupes dans le cadre des médiations du président Blaise Compaoré.

De fait, le Burkina a été épargné durant cette période suite à un accord sans aucun doute entre le médiateur et les groupes terroristes. Il est quand même inconcevable de s’en prendre à l’arbitre dans un match. Les groupes terroristes ne pouvaient tout de même pas s’attaquer à celui qui aidait à rapprocher les points de vue, l’intermédiaire entre eux et leurs ennemis. Après avoir été aux commandes, Roch Kaboré ne peut pas fuir ses responsabilités et dire que c’est la faute à ceux qui ont été avec les groupes terroristes. Ce qui n’est pas vrai dans le cas d’Eddie Komboïgo.

Mais cinq ans après, ne pas savoir que le problème est plus complexe et que, vu les drames qu’il a occasionnés, on ne peut pas le traiter sur le mode mineur des petites phrases au cours de meeting ! Roch Kaboré devrait comprendre que l’offre de négociation doit faire partie de son arsenal de guerre, car c’est un moyen d’approche et de connaissance de l’ennemi. Cela peut aider au renseignement, pendant qu’on négocie, la guerre ne s’arrête pas, la partie qui perdra de vue la défense de ses positions perdra la guerre et il n’y a plus de négociation ; il faudra signer l’armistice, la capitulation.

Dans cette question, il ne s’agit pas de la guerre ou de négociation, la vérité est plus complexe que ce choix binaire. Il est dommage que certains partis pêchent par manque de stratégies militaires et n’aient pas pris des conseils sur ces questions auprès de personnes éclairées. On ne veut pas dire que le candidat de l’UPC a la solution mais il a choisi d’en parler de manière sérieuse et responsable à travers un livre blanc.

Le futur président, quel qu’il soit, doit combler ses lacunes en matière militaire et recourir à tous nos experts du domaine. Nous avons assez perdu de fils du pays.

Sana Guy

Lefaso.net

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