Site icon BurkinaInfo – Toute l'information du Burkina Faso en temps réel

Législatives au Burkina Faso : «La guerre des terres risque d’avoir lieu» (Abdoulaye Diallo dit Ménès)

Abdoulaye Diallo dit Ménès est historien de formation, réalisateur de films documentaires, coordonnateur du Centre national de presse Norbert Zongo, coordonnateur du Festival Ciné Droit Libre, Président du Festival international Jazz à Ouaga, cofondateur du Mouvement Balai Citoyen, militant de la cause des droits humains, de la liberté d’expression et de la presse… L’homme a décidé d’ajouter une corde à son arc. Il est candidat indépendant aux législatives de novembre 2020 et tête de liste dans le Kadiogo du Mouvement « SENS » (Servir et non se servir) porté sur les fonts baptismaux en août 2020. Ménès était dans les locaux de Burkina24 le 16 novembre 2020.

Burkina24 (B24) : Depuis quand l’idée de faire la politique a effleuré votre esprit ?

Abdoulaye Diallo dit Ménès : Faire la politique a toujours effleuré mon esprit. Depuis la Côte d’Ivoire, je fréquentais déjà les milieux de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI). J’étais très intégré à ce niveau. Quand je suis arrivé ici à l’Université, dès la première année, j’ai été le tout premier étudiant du département d’histoire à être dans le bureau du club d’histoire dès la première année.

Pour la plupart, c’est à partir de la licence ou la maitrise qu’ils rentrent dans le bureau. Moi dès la première année, je suis rentré dans le bureau. Et dès la première année ici avec mon plus que frère, Oziris, paix à son âme, on a créé la génération Cheick Anta Diop. Dans le cadre de cette génération, il a été clair pour nous que la politique est la continuité de ce qu’on faisait. Cheik Anta Diop lui-même, qui est notre mentor, notre maître à penser, a fait la politique. Il a créé un parti politique.

C’est une voie qu’il nous montrait. Dans les discussions aussi qu’on a eues avec Norbert Zongo, il nous le disait qu’à un moment donné on était dégoûté, on ne voulait plus parler de politique. Je me souviens à l’époque dans les débats, il nous disait : « Oui oui, vous dites que vous êtes dégoûtés. Vous vous mettez à l’écart. Eh bien, c’est les dégoutants que vous allez laisser qui vont vous diriger. Si vous refusez de faire la politique, rendez-vous dans 25 ans, 30 ans, vous n’allez pas bouger d’un iota ».

Norbert Zongo n’avait-il pas raison ? Moi je pense qu’à un moment donné, on observe tout, on était présents, on se méfiait de la manière dont la politique était faite. Sinon la politique elle-même est noble. Normalement un citoyen, quand tu es au service des autres, tu dois te sentir l’âme de pouvoir aller en politique, briguer des mandats.

Parce qu’en réalité, c’est pour servir les autres. Ce n’est que ceux qui sont vraiment engagés qui doivent y aller. Ce n’est pas tout le monde qui doit aller. Parce qu’on vous dit d’aller prendre des postes pour être au service des autres. Mais on a transformé la politique. C’est devenu autre chose, c’est devenu une course effrénée vers les biens matériels, vers le pouvoir, vers la reconnaissance sociale, etc. Et donc ça a tué. On est alors prêt à tout pour atteindre ce niveau-là.

On est prêt à mentir. Et cela a fini par donner une très mauvaise image de l’homme politique et de la politique elle-même. C’est pour cela d’ailleurs mes amis me disent : « Qu’est-ce tu vas chercher dans cette galère ? ». Je dis oui, à un moment donné, la porcherie, pour la nettoyer, il faut bien y rentrer. On ne peut pas rester dehors et puis nettoyer la porcherie. Notre pas, c’est pour dire aux gens : « Allons-y. Surtout nous, on doit y aller ». Tous ceux qui pensent qu’ils font quelque chose pour les autres doivent aller en politique. Donc la politique a toujours été présente dans tout ce que nous faisons.

B24 : Alors vous y êtes. Vous êtes même candidat indépendant du Mouvement SENS…

AD : Depuis le retour de la démocratie en 1991, il était interdit à tout citoyen, qui n’est pas dans un parti politique, de s’engager ou de briguer le mandat de député ou de conseiller municipal. Il a fallu se battre. Et je rends hommage au Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) qui avait initié une pétition dans laquelle nous nous sommes engagés pour que les candidatures indépendantes soient acceptées dans notre loi électorale.

Les OSC étaient à l’avant-garde de cette lutte pour les candidatures. Parce qu’on avait effectivement constaté qu’il y avait beaucoup de bonnes personnes, des gens utiles qui peuvent être de bons maires, de bons députés, qui connaissent les enjeux, qui comprennent les questions.

Mais comme il faut rentrer dans un parti politique, eux ne sont pas prêts de rentrer dans un parti politique. Ce combat a été mené et donc en 2015, après l’insurrection, comme beaucoup d’acteurs de la société civile étaient enfin à l’Assemblée nationale, ils ont voté des lois favorables au peuple dont, entre autres, la loi qui permet aux indépendants d’être candidats.

Nous avons estimé que cette brèche étant ouverte, nous-mêmes ayant travaillé à cela, il était important qu’on fasse aussi le pas. On ne peut pas se battre, faire la promotion des candidatures indépendantes, et puis se mettre en marge. C’est pourquoi on a décidé d’être candidats indépendants. Le Mouvement « SENS » n’est pas un parti politique. C’est un mouvement de candidats indépendants. Je ne vois pas de différence entre faire la politique et ce que je faisais.

B24 : « Servir et non se servir », quel message se cache derrière ce mouvement ?

AD : Derrière ce slogan, c’est des valeurs de dignité, d’intégrité, d’honneur, d’amour de la justice et de la vérité, d’équité et de solidarité nationale. Parce que pour servir, il faut incarner toutes ces valeurs.

B24 : Qu’avez-vous comme réponse à ceux qui soutiennent que le Mouvement SENS est la branche parlementaire du Mouvement Patriotique pour le Salut (MPS), le parti de Yacouba Isaac Zida ?

Réponse dans la vidéo « Il n’y a pas de lien ombilical entre le MPS et le Mouvement « SENS »


B24 : Que comptez-vous faire à l’Assemblée nationale en tant que député ?

AD : Si le peuple burkinabè nous fait confiance, si les insurgés et la jeunesse prennent conscience que voilà un cadre qui va leur permettre de s’exprimer et de prendre leurs responsabilités, de s’affirmer, et de prendre donc leur pouvoir, nous avons quatre projets de lois qu’on va mettre sur la table. Le premier projet de loi concerne le foncier.

Vous avez constaté depuis ces dix dernières années qu’il y a une floraison de sociétés immobilières qui s’adonnent à un accaparement inacceptable de terres et qui va menacer plus tard la cohésion sociale, parce que la guerre des terres risque d’avoir lieu. Nous voulons faire adopter une loi pour arrêter cela et qui va faire en sorte que les sociétés immobilières ne feront que ce pour quoi elles ont été créées.

C’est-à-dire faire la promotion de l’immobilier : construire des maisons, les mettre en location, les vendre. Comme cela, elles ne seront plus obligées d’acheter beaucoup de terres, puisqu’elles ne vont pas acheter les terres qu’elles peuvent mettre en valeur.

La deuxième loi concerne les marchés publics. D’abord on veut voter une loi qui va pénaliser la mauvaise exécution des marchés publics. Ce ne sont pas les sanctions administratives, car elles existent déjà. Là on parle de pénaliser. C’est-à-dire la capacité de faire emprisonner, si un travail n’est pas bien fait. Exemple : Au lieu de faire une bonne route, vous faites une route biodégradable ; vous serez sanctionnés. Ensuite, on veut que, dans les marchés publics, une partie soit réservée aux entreprises jeunes et de jeunes.

La troisième loi porte sur le Code des personnes et de la famille (CPF). On veut permettre que le mariage religieux et coutumier soit reconnu au même titre que le mariage à la mairie sur le plan administratif. Cela permettra de respecter nos traditions.

Le quatrième projet de loi va concerner le financement des partis politiques. D’abord il faut règlementer la création des partis politiques pour limiter la floraison inefficace des partis politiques. Mais surtout qu’une partie du financement des partis politiques soit dévolue à la formation des femmes et des jeunes pour permettre une meilleure participation politique des femmes et des jeunes.

B24 : Comment comptez-vous concilier votre engagement politique et votre engagement dans la société civile ? Avec quels moyens battez-vous campagne ?

Réponses dans la vidéo 


B24 : Vous venez de perdre l’un de vos mentors, Jeremiah John Rawlings, ancien Président ghanéen, décédé le 12 novembre 2020 des suites d’une brève maladie. Comment avez-vous appris la mauvaise nouvelle ?

AD : J’ai appris la disparition tragique de celui que je peux considérer comme mentor. Parce qu’on était devenu amis. Il était venu parrainer la dixième édition de Ciné Droit Libre en 2014. A l’époque, j’avais fait exprès pour l’inviter. Le débat battait son plein sur la modification de l’Article 37 de la Constitution. Lui avait fait un coup d’Etat pour faire une révolution au Ghana. Ensuite, quand il y a eu l’ouverture démocratique, il a accepté de revenir à la démocratie : faire le multipartisme, créer un parti politique, et aller aux élections.

Il a aussi accepté la limitation des mandats. Quand son deuxième mandat est fini, malgré qu’au Ghana, des groupes se constituaient et sifflaient partout pour qu’il modifie et qu’ils ont besoin de lui ; il a dit : « La loi c’est la loi. On a dit deux mandats, c’est deux mandats. Mais on va créer les conditions pour que même si c’est le diable qui vient à la tête du Ghana, qu’il respecte la volonté du peuple ».

Donc, moi à l’époque, je l’avais invité, c’était pour envoyer ce message au Président Blaise Compaoré. Et il l’a dit et répété cela, parce que j’étais à l’audience avec Blaise Compaoré, de ne pas gâcher tout ce qui a été construit. Il lui conseillait vraiment d’abandonner son projet de modification de la Constitution. Il avait le courage de dire ça. Il l’a dit et j’étais présent.

Et donc c’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect et qui est toujours resté révolutionnaire. J’avais entrepris avec lui un projet de film. Il avait donné son accord. Il était en train de finir ses mémoires et le COVID-19 est venu tout mélanger, sinon on aurait dû déjà tourner depuis le mois d’août dernier. Et voilà qu’il disparait brutalement.

Vous pouvez imaginer dans quel état j’étais. C’était un choc. J’étais effondré. Je dis : « Mais pas lui ! Pourquoi les bonnes personnes disparaissent ? » Parce que lui, il nous aidait. Il nous éclairait. Il nous guidait, même pour le projet Mémorial Thomas Sankara, il s’impliquais à 200% pour que ce projet avance. Il avait un profond amour pour son ami Thomas Sankara et pour le peuple.

Et moi ça m’inspire. La nouvelle de sa disparition, je l’ai apprise à travers un journaliste qui m’a appelé pour confirmer. Et au moment où je prends mon téléphone pour appeler, je vois effectivement le message de l’équipe de Rawlings qui m’informait du décès. J’ai dû rappeler le journaliste pour lui dire que malheureusement, la mauvaise nouvelle est confirmée. J’ai observé un temps de silence, de recueillement et souhaité que la terre lui soit légère.

J’ai compris que je ne dois pas pleurer en fait. Et que lui a rempli sa mission sur terre. Nous tous qui restons, c’est de remplir notre mission sur terre. C’est de vivre comme lui. C’est-à-dire être utile aux autres. C’est des grands hommes. C’est difficile d’être comme eux. Mais, au moins, on peut tenter de s’inspirer d’eux et de se rapprocher de ce qu’ils ont été pour les autres.

Hommage à Jerry, un grand Africain qui a donné sa vie pour les autres !

Propos retranscrits par Noufou KINDO

Burkina 24

Source : Burkina24.com

Faso24

Comments

comments