La réconciliation nationale est un thème qui s’est visiblement imposé aux candidats en campagne pour la présidentielle du 22 novembre 2020. Un constat qui semble donner raison à certains leaders d’opinion, qui ont, depuis quelques années, posé le débat. De ceux-là, Me Hermann Yaméogo, président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD). Celui-ci a même conditionné sa participation aux élections de novembre 2020 à ce préalable de réconciliation nationale. Dans cette grande interview, dont nous vous proposons la première partie, l’avocat non-inscrit et auteur de plusieurs ouvrages, déroule un mémorandum réactualisé pour la réconciliation, la restauration de l’autorité de l’Etat, les retrouvailles communautaires, la relève de l’économie et la relecture de l’histoire par la justice transitionnelle. Interview !
Lefaso.net : Pour revenir au parlement, l’expérience récente des députés se pliant (contrairement au caractère non impératif du mandat parlementaire), aux injonctions des organes partisans, pour renier un texte adopté à l’unanimité et préconisant le découplage de élections présidentielles et législatives, ne fait-elle pas penser à un manque d’indépendance ?
En effet notre pays offre des signes qui indiquent à mon sens, de préférer à toute autre voie (à défaut du type de commission proposée par la PJTUA), celle de la constituante d’union et de réconciliation pour le renouvellement des fondations de l’Etat.
Je m’explique. Le Burkina Faso sort d’une insurrection marquée par des actes de violences sans précédents, par une transition recourant à des moyens et valeurs « asymétriques « pour tracer les voies de la reconstruction politique, économique, sécuritaire et sociale du pays.
La décision de doter le Burkina Faso d’une nouvelle constitution, intervient donc dans ce contexte et à un moment où se pose par ailleurs la demande d’un véritable consensus fondateur à sceller sur un certain nombre de questions.
Il s’agit notamment du pardon, de la vérité, de la justice, de la réconciliation nationale, le tout devant se conjuguer avec un assainissement de nos valeurs dégradées.
Dans des situations de ce type, on recourt généralement à une constituante pour le travail à effectuer et à valider par référendum.
Une telle assemblée aura, outre le travail législatif ordinaire, à se pencher sur les conditions du passage à la V République, avant de revoir la question de la réécriture et de l’adoption d’une nouvelle constitution.
C’est à cette Assemblée qu’il reviendra de faire le travail d’introspection et de prospection de notre vie nationale, de l’état de nos valeurs, de nos traumatismes, de notre mémoire collective, des décisions anticonstitutionnelles et démagogiques prises depuis la transition jusqu’à nos jours.
Cette Assemblée interviendra par le truchement d’une commission à créer comme le mécanisme par excellence de la justice transitionnelle.
Mais encore une fois, c’était avant l’adoption de la Politique de justice transitionnelle de l’UA (PJTUA).
Si l’Union africaine dans la mise en œuvre de la justice transitionnelle se garde d’imposer des solutions toutes faites, préférant conseiller aux Etats membres de s’enrichir de leurs réalités propres, elle offre un panel de mécanismes intéressants.
La PJTUA repose elle aussi, sur des commissions qui sont chargées de dresser un bilan des violations, d’établir l’identité des victimes et des auteurs, ainsi que le rôle de diverses institutions étatiques et non-étatiques, et, d’imaginer des formules de réconciliation et de guérison. La recommandation de mettre à contribution la justice traditionnelle revient souvent.
« 18. Les mécanismes de justice traditionnelle et complémentaire sont les processus locaux, dont les rituels, que les communautés utilisent pour régler les différends et pour restaurer les pertes causées par la violence, et ce, conformément aux normes et pratiques communautaires établies. Ils comportent des processus judiciaires traditionnels tels que les tribunaux coutumiers ou claniques et le dialogue communautaire.
De tels mécanismes constituent une partie importante de la conception de JT de la PJTUA. Ils devraient être utilisés parallèlement aux mécanismes formels et les guider, pour répondre aux besoins de justice, de guérison et de réconciliation des communautés touchées en tenant dûment compte de la CADHP et du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique. Les mécanismes de justice traditionnelle africaine peuvent revêtir les caractéristiques suivantes :
i. Reconnaissance des responsabilités et souffrances des victimes.
ii. Expression de remords.
iii. Demande de pardon.
iv. Versement d’une indemnité ou de réparations.
iiii. Réconciliation. »
La PJTUA compte aussi sur la justice transitionnelle pour en quelque sorte refonder la société. C’est un aspect ignoré de la justice en transition qui est totalement vampirisée par les commissions vérité pardon réconciliation aux appellations variées. Pourtant en même temps que les crises en appellent à la réconciliation elles suggèrent de prévenir contre leurs retours en procédant à des reformes structurelles.
« 93. Les réformes politiques et institutionnelles proposées dans cette PJTUA visent à restructurer les institutions vitales de l’État et, au besoin, à créer de telles institutions pour donner tout son sens à l’esprit et à la lettre de cette politique. Les réformes institutionnelles doivent être complétées et étoffées par la mise en place de dispositions politiques et institutionnelles, ainsi que par l’adoption de pratiques et de valeurs qui assurent la transformation démocratique et socio-économique et la prévention à l’avenir de nouvelles violations.)
Sont également présentes les exhortations à pallier les insuffisances institutionnelles et à tenir compte de leurs participations aux abus.
On notera aussi les exhortations à favoriser la justice redistributive (68. En même temps que les mesures de réparation, il conviendrait d’adopter des mesures redistributives prospectives qui remédient à la marginalisation et à l’exclusion socio- économiques sous-jacentes et contribuent à la prévention d’une reprise de la violence. »
On voit ici clairement que la commission transitionnelle n’est qu’un volet de la justice transitionnelle.
« Qui trop embrasse mal étreint » dit le proverbe. N’en demande -t-on pas trop à la commission ? Ne court-elle pas le risque de dilution de ses missions trop diversifiées ?
A contrario, je dirais que c’est peut-être aussi cette vision étriquée de la justice classique surtout orientée vers la punition qui explique qu’elle soit en crise.
Le fait de lorgner de plus en plus vers la justice de l’arbre à palabre, est très symptomatique à cet égard. Pour l’UA en tout cas, il faut de nouveaux habits à la justice, de nouveaux principes et horizons.
De punitive elle doit devenir surtout réparatrice et même redistributive. Elle doit étendre le champ des responsabilités au point d’y inclure des institutions, des lois. En effet Il y’a parfois des crises, des crimes en raison de l’absence de lois, ou de lois inappropriées.
La loi doit être protectrice pour tous.
Ainsi, l’UA considère qu’il ne saurait y avoir de réconciliation dans l’exclusion et notamment des réfugiés internes. Voilà ce qu’elle dit :
« 111. En l’absence d’une inclusion substantielle des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et des réfugiés, les processus transitionnels sont confrontés au risque d’échec. Les divisions engendrées par les conflits ne peuvent pas être entièrement résorbées, et la réconciliation et la guérison ne seront que partielles sans résoudre les problèmes touchant les PDI, les réfugiés et les apatrides pendant et après les conflits.
112. Les critères de référence et les standards peuvent inclure :
i. Le droit d’être consulté sur les processus transitionnels et l’existence de dispositions pour solliciter les points de vue des PDI, des réfugiés et des apatrides, y compris au travers de visites dans les territoires, les camps et les pays où ils cherchent refuge.
ii. L’impératif de veiller à ce que les processus d’enquête au niveau des procédures pénales et au sein des commissions vérité traitent des violations dont ont été victimes les PDI, les réfugiés et les apatrides, en accordant une attention particulière aux violations sexuelles commises contre les femmes et les enfants.
iii. La prise en compte du déplacement et du statut d’apatride dans les processus de justice et de responsabilité en tant que violation des droits de l’homme et du droit humanitaire.
v. L’intégration dans les programmes de réparation d’avantages appropriés pour les réfugiés et les personnes déplacées au titre des violations qui les ont amenés à fuir, ainsi qu’au titre de celles qu’ils ont subies au cours de leur déplacement, en tenant dûment compte des femmes et des enfants déplacés à l’intérieur de leur pays et des réfugiés.
vi. L’intégration de mesures pour le retour sécurisé et parfaitement planifié des PDI, des réfugiés et des apatrides à leur lieu de résidence où seront mis en place des programmes de nature à faciliter leur réinstallation, y compris la restitution des terres perdues et la reconstruction des maisons et des biens. »
Allant plus loin, elle se devra d’assurer la garde de la mémoire.
Ce dernier point est logique, car la problématique de la réconciliation inclus parfaitement les ruptures d’harmonie entre la mémoire et la nation.
C’est l’objet de tous les développements de l’UA au sujet de la commémoration : « 71. La commémoration requiert, au-delà de la période de transition immédiate, les mesures qui sont nécessaires pour établir la vérité, parvenir à la réconciliation et à la guérison, tout en nécessitant la reconnaissance publique des victimes et l’institutionnalisation à la fois du dialogue sociétal intergénérationnel et de la non-impunité dans le débat national.
72. Consciente du fait que le respect dû aux morts est une obligation humaine fondamentale et une condition préalable à la paix et à la réconciliation entre les vivants, la CUA a établi un précédent international en créant un Mémorial continental des droits de l’homme, le Mémorial des droits de l’homme de l’Union africaine (MDHUA). Basé sur l’éthique et les pratiques de la mémoire et de l’éducation, le projet MDHUA contribue à rappeler aux parties belligérantes et aux artisans de la paix la valeur de la commémoration en tant qu’expression du respect dû aux morts et aux rescapés de la violence, et, en tant que moyen visant à combattre les atrocités.
73. La commémoration pourrait comporter des activités commémoratives, l’érection de monuments et la création de symboles, le changement de nom d’espaces ou de bâtiments publics, la revue d’expressions artistiques ou culturelles tout comme celle des symboles et des
Jours fériés nationaux et/ou la révision des textes d’histoire et des programmes d’enseignement. En tant que processus inclusif à long terme, elle exige une base de politiques assurant l’engagement soutenu d’un éventail d’acteurs et ciblant, ciblant en particulier les jeunes.
74. Les critères de référence et les standards à respecter pour la réussite de la commémoration peuvent comprendre :
i. La participation : les initiatives commémoratives devraient promouvoir l’inclusion de multiples voix à travers les groupes politiques, de classe, ethnoculturels et générationnels, en accordant une attention particulière aux femmes et autres groupes marginalisés, y compris aux niveaux local et communautaire.
ii. La complémentarité : les initiatives de remémoration devraient encourager la justice transformatrice et s’appuyer sur les activités des mécanismes complémentaires de vérité, de justice, de réparation et de non-impunité tout en leur donnant une impulsion.
iii. Le processus : la commémoration devrait favoriser le dialogue inter-générationnel et donner lieu à des activités éducatives ciblant les enfants et les jeunes, notamment en mettant en place des programmes commémoratifs et des cérémonies annuelles.
iv. La multiplicité des récits : la commémoration devrait permettre l’expression de récits variés, en admettant le caractère inévitable de la diversité des discours et de la compréhension du passé, ainsi que des expériences variées des différents groupes, y compris des femmes, enfants, jeunes et groupes vulnérables, telles que les personnes handicapées.
v. L’attention particulière accordée à la dimension inter-générationnelle : les processus de commémoration devraient accorder la priorité à l’inclusion active des jeunes générations en tant qu’agents du changement et comme garantie de la non-récurrence de la violence et devrait en faire la promotion. »
Ceux qui ne voit la justice transitionnelle que dans la commission transitionnelle trouverons une fois de plus ici matière à réviser leur jugement.
L’UA dans son approche politique de la justice transitionnelle l’entrevoit non seulement comme un instrument de rénovation de la justice et de résolution de crise post -conflits, mais aussi de traitement des insuffisances institutionnelles et plus généralement de la crise de civilisation que nous vivons.
Seriez-vous quelque part tenté de faire allusion à l’annonce du Chef de l’Etat relative à la relecture de l’histoire et du mémorial ?
Je fais d’abord allusion aux précautions à prendre pour ne pas récidiver dans les mêmes violences. A ce sujet, je souscris totalement aux recommandations faites aux Etats africains de mettre en place des institutions représentatives de la politique permanente de prévention, de gestion et de règlement des conflits.
Je pense ensuite à une haute autorité de la mémoire. Une telle institution pourrait au-delà du rôle de gardienne de l’histoire à assumer, jouer comme un avertisseur de possibles dérapages préjudiciables à la cohésion sociale et nationale.
Sinon, la relecture de l’histoire et le mémorial font partie de demandes que j’ai formulées depuis des années bien avant la PJTUA et figurant dans le protocole non amendé qui date de 2017.
C’est bien beau tout ça, mais la justice transitionnelle demande beaucoup d’argent, où trouver la manne secrète ?
A chaque fois que le besoin s’est fait sentir d’opérer des réformes profondes induisant des actions de refondation, il s’en est toujours trouvé pour agiter la question des moyens à fin d’orienter finalement les travaux, sur des demi-mesures au demeurant plus coûteuses en charges financières et matérielles, comme en reconstruction morale, institutionnelle et économique. Il faudrait savoir échapper à ces pesanteurs qui se cachent toujours sous des calculs politiques.
Au niveau de la PJTUA, la question est abordée avec minutie, mais cela ne suffira pas à nous épargner le recours multiforme à la communauté internationale.
Dans tout ça, quel rôle pourrait avoir à jouer la communauté internationale ?
Nous vivons dans un monde dominé par de fatals phénomènes d’inter-dépendances qui changent de plus en plus fondamentalement la nature de l’aide. Les crises (politiques, sociales, sanitaires, environnementales, économiques, les guerres et le terrorisme), tout comme leurs retombées multiples, suscitent des migrations importantes vers les pays développés. La conséquence est l’énervement du climat social dans les pays d’accueil face à cette augmentation quotidienne du lot des réfugiés, considérés par certains comme de nouveaux barbares lancés à la conquête de l’Occident. Cette situation interpelle de plus en plus la communauté internationale, notamment les pays donateurs à plus de générosité.
Un pays qui sort d’une grave période de trouble n’aura pas les moyens pour faire face aux charges de mise en place des outils exigés par la réconciliation dans le cadre de la justice transitionnelle (commissions, enquêtes, expertises diverses…). Il ne pourra pas non plus supporter les coûts liés aux projets de reconstruction et aux programmes de réparation. L’assistance internationale est impérieuse. Elle peut venir de la coopération bilatérale ou multilatérale, comme d’ONG.
En 2005, l’Union interparlementaire (UIP) et International Institute for Democracy and Electoral Assistance (International IDEA) ont assuré la publication d’un ouvrage au titre évocateur “Le rôle des parlements dans l’aboutissement du processus de réconciliation”. Il y est expliqué, par le menu, le rôle particulier que jouent les parlements dans les pays qui ont vécu, ou qui vivent actuellement, des durs moments de transition au sortir d’un conflit ; il y est détaillé, les pièges à éviter dans cette quête de réconciliation. Ces deux structures peuvent utilement intervenir en appui, à travers plusieurs mécanismes, en particulier financiers.
Pouvez-vous nous en donner en exemples ?
Il faut d’abord relever l’existence du Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ). C’est un instrument qui aide les pays à mettre en place des mécanismes de justice transitionnelle.
Il fournit notamment des études et statistiques comparatives, de fines analyses d’experts en matière juridiques et politiques, de même que des recherches stratégiques.
L’assistance internationale peut consister en aides multiples : Ça peut être le financement d’ateliers. Le Programme conjoint des nations unies d’appui à la promotion des droits de l’homme au Mali (PDH) a ainsi inscrit, au titre de son plan d’actions 2015, l’organisation d’un atelier sur la justice transitionnelle à l’intention des journalistes.
Au Burkina Faso, le lundi 17 décembre 2018 s’est aussi ouvert, à Ouagadougou, un atelier de formation des Organisations de la société civile (OSC) à la justice transitionnelle. Si ici il faut voir dans le PNUD et dans le Haut-conseil pour la réconciliation et l’unité nationale (HCRUN) les initiateurs, ceux qui ont financé sont le Fonds de consolidation de la paix, à travers le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
L’aide apportée en matière de justice transitionnelle peut concerner la logistique, les appuis en ressources humaines, en organisations d’ateliers comme relevé, mais aussi en aide financière. Elle peut cibler tout le processus ou un outil en particulier. On ne sera pas étonné tant l’ONU est impliquée dans le domaine, de lire de la plume de Helene Flautre que le concept de justice transitionnelle est né au sein des Nations-Unies.
Ce qu’il faut toutefois éviter particulièrement, c’est l’intégration des bailleurs à la détermination de nos problèmes et à la recherche des solutions à leur apporter. L’appui international est nécessaire à la mise en œuvre de la réconciliation nationale, mais il y a des précautions à prendre pour ne pas rendre cette aide nécessaire, aliénante.
La PJTUA loin d’être silencieuse sur la question, développe une politique articulée sur des principes abondants :
« 23. Cette politique repose sur des principes constituant les valeurs et les standards minimaux de base qui orientent l’action tout au long des processus de JT. Ces principes reposent sur la logique de mise en place de la PJT et permettront de veiller à ce que les activités de JT traitent des causes profondes des conflits et contribuent à l’instauration d’une paix durable, de la responsabilité, de la justice sociale et à l’adoption de réformes démocratiques et socio- économiques transformatrices… ».
Ces principes se concentrent notamment sur le leadership africain : « Ce principe est essentiel en vue de s’assurer que les priorités et la surveillance de la mise en œuvre des processus de JT demeurent la responsabilité des gouvernements africains et que les autres parties prenantes respectent ce leadership ».
Un leadership national qui s’applique sous l’égide de l’UA à tous les stades de la JT : de ceux des évaluations initiales à ceux de l’exécution jusqu’à ceux de du suivi et de l’évaluation rétrospective.
Y-a-t-il à cet égard véritablement des raisons de s’inquiéter ?
A observer certaines organisations africaines en œuvre, on a des raisons de s’inquiéter. Quand on pense à la nature de plus en plus intrusive de quelques-unes d’entre elles, on ne peut qu’avoir des craintes. A l’occasion des crises africaines et particulièrement de celle ayant conduit au dernier coup d’Etat au Mali cela a été fortement exprimé par delà les Maliens par les Africains.
Si la PJTUA met l’accent sur le leadership de l’UA elle ne se place jamais dans une vision de transfert de compétences à son profit.
Elle ne prévoit nulle part pas de se substituer aux autorités nationales pour prendre des décisions qui touchent à la souveraineté des États. Un travers qui n’est pas seulement dénoncé à l’encontre des puissances extra-africaines mais aussi africaines. Ces dernières qui sont accusées non seulement de manquer d’esprit d’anticipation (agissant toujours comme des médecins après la mort), mais d’agir avec des déviances colonialistes insupportables
Vous êtes de ceux qui prônent le recours à la réconciliation nationale, par le canal de la justice transitionnelle avant les élections, pourquoi donc ?
Pour moi, c’est une question de logique et de bon sens, autant que de bonne foi et de responsabilité.
Pour illustrer mes propos, j’ai souvent pris exemple sur les compétitions de football.
Avant que les joueurs ne prennent d’assaut le terrain, il est de règle, de le débarrasser de tous ses détritus, et autres objets dangereux, d’en tailler le gazon. C’est une condition pour une bonne compétition préservée de contestations et de blessures.
Aucun organisateur sérieux et de bonne foi ne saurait contester cette obligation préalable.
Les choses, pour moi, se présentent de la même manière lorsqu’elles sont ramenées au niveau des élections. J’ai toujours demandé qu’avant chaque élection les contentieux politiques soient autant que possible vidées par des procédures de clémence pour permettre de saines compétitions.
Lorsque le président Sangoulé Lamizana qui voulait instaurer un système inspiré de l’authenticité du grand chantre Mobutu, en a été dissuadé par les manifestations et obligé de consentir le retour à une vie démocratique normal, il a créé à cet effet la commission spéciale. Sa mission était de proposer un texte constitutionnel pour passer à la IIIe République, mais aussi de se pencher sur les grands problèmes nationaux avec le souci d’en rechercher les solutions possibles.
Sous nos incitations en sous-mains, cette commission prévoira une sous commission chargée de la question de la réconciliation nationale.
Il est vrai que la commission spéciale n’a pas pu obtenir des autorités les mesures de clémence demandées, mais ce n’est pas que le travail n’ait pas été fait dans ce sens. Lorsque porté au pouvoir en 1982, le commandant Jean-Baptiste Ouédraogo a annoncé la volonté du Conseil de salut du peuple (CSP), d’organiser des élections, j’ai contribué à la relance de la question de la réconciliation nationale préalablement à la tenue des élections.
Si nous n’avons obtenu dans ce cadre qu’une amnistie conditionnelle avec obligation de paiement de dommages intérêts, le principe de la demande préalable sera respecté.
Avant les élections de 1991 la même demande a été faite en direction du président Blaise Compaoré. La réconciliation portait alors sur la reprise des dégagés et licenciés sous la révolution, la réhabilitation des anciens présidents condamnés par des juridictions d’exceptions, la libération de détenus politiques notamment gardés au conseil de l’entente, la réhabilitation de la mémoire de Thomas Sankara.
Toutes ces demandes ont été acceptées. Aujourd’hui c’est à nouveau les mêmes mesures de prophylaxies politiques et sociales, qu’avec d’autres nous demandons depuis 5 ans au président Roch Kabore.
Et maintenant, cette demande de réconciliation vise quelles personnes et quels faits ?
Comme nous en avons déjà parlé, cette demande est multiforme.
Elle vise la poignée de main entre Blaise Compaoré et Roch Kaboré, l’amnistie politique qui permette le retour des exilés, la libération des détenus politiques, les réparations intéressantes les victimes de violences en politique depuis l’insurrection à nos jours. Mais la réconciliation va plus loin pour viser au delà des réparations à apporter aux ayants droit de victimes décédées et vivantes de violences en politiques, celles concernant les actes terroristes.
La réconciliation concerne également l’aide aux réfugiés internes, les retrouvailles entre communautés éthiques entredéchirées, la réhabilitation de la mémoire historique, la brûlante question des milices, bref toutes les formes aigües de décohésions et jusque dans l’armée.
Elle n’aura jamais été posée dans des conditions aussi brulantes que profonde sur. Et la raison est bien simple.
Le pays vit une crise multidimensionnelle jamais connue que ce soit dans la gravite de faits connus, ou nouveaux.
Le pays a certes connu par le passé des déplacés internes et des enfants déscolarisés, mais nullement dans ces proportions catastrophiques.
Jamais non plus le pays n’avait perdu des portions de son territoire ni été occupé. Aujourd’hui, c’est le cas.
Quel intérêt avez-vous à vous battre autant pour la réconciliation ?
Je pense qu’il est du devoir de tout citoyen de se battre pour préserver son pays de déchirures fatales.
L’histoire du monde fourmille d’exemples du type. Il n’est que de jeter un regard sur les pays de la sous région Mali, Guinée, Niger et Côte d’Ivoire pour se rendre compte que ce n’est pas seulement au Burkina Faso que se pose cette question de sublimation des intérêts nationaux, à ceux privés.
Je dirais même sans craindre l’emphase, que la crise civilisationnelle que connait le monde et qui se manifeste par son désemparement devant le coronavirus tire une grande partie de sa raison d’être, de ce manque de traitement préférentiel des causes nationales.
Les élections, tout porte à le croire, se tiendront avant la réconciliation. Votre combat va-t-il s’arrêter devant ce mur ?
Pourquoi s’arrêterait-il à ce stade ?
Jusqu’au bout, je tiendrais pour le report. C’est pour cela qu’avec d’autres, j’ai signé une ultime interpellation au Chef de l’Etat en ce sens. Je voudrais avant d’aller plus loin vous rappeler ceci :
La réconciliation sous le régime de Roch Kaboré a vécu les pires moments de rejets et d’obstructions. La CODER en sait quelque chose qui dès sa création a résolument décidé de se battre à visage découvert pour les retrouvailles nationales.
Bravant les quolibets les violences verbales et menaces d’agressions, elle a poursuivi son combat jusqu’à rallier de nombreuses personnalités, structures partisanes et associatives et mêmes institutionnelles.
Quand après le dialogue politique contrôlé (pouvoir et opposition), ayant accepté l’idée et fixé le forum en juin 2020, le mouvement « je suis Burkina », multipliera les sorties sur la réconciliation, et que les coutumiers feront une déclaration solennelle pour la demander, suivant en cela l’appel de Manega, et celui pionnier de la CODER, on atteindra ce consensus universel dont je parle souvent.
Pourquoi n’avoir pas respecté ce consensus me demanderiez-vous ? Cela n’est pas déclaré mais on sait que le coronavirus est venu comme un bon prétexte pour enterrer le projet.
Un prétexte à la vérité injustifié car cet autre défi (en plus de celui sécuritaire), aurait du plutôt agir comme une autre incitation à la réconciliation et à l’union sacrée.
Maintenant pour en revenir à votre question, si faisant fi de tout, les élections se tenaient, je dirais qu’à l’impossible nul n’étant tenu nous continuerons le combat en le réadaptant.
Ce qui ne sera pas la première fois si vous vous en tenez à l’historique de mon combat pour ce principe de réconciliation.
En quoi pourrait consister cette réadaptation ?
Les voies sont multiples.
Vous savez il y’en a qui estiment que le combat devrait se poursuivre devant la cour de justice de la CEDEAO et devant la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples de l’Union africaine.
Bien que le Conseil constitutionnel n’est pas donné suite favorable à la requête de ceux qui ont attaqué les amendements du Code électoral jugés contraires à la Constitution, ils estiment que des procédures à ces niveaux pourraient prospérer.
Pourquoi cela ? Parce que notamment les élections se dérouleront dans des conditions excluant le vote de citoyens dans des zones désertées ou occupées, et que ce fait constitue une exclusion encore plus condamnable que la loi Sy Cherif portée devant l’instance judiciaire de la CEDEAO qui l’a fermement condamné.
Il ne s’agissait alors, que tout au plus de quelques centaines d’exclus. Pour les scrutins couplés de novembre 2020, nous aurons à faire à des centaines de milliers sinon plus.
Mais encore faudrait-il pouvoir saisir ces juridictions, les frais afférents étant très lourds.
C’est le premier motif et de plus loin le plus dissuasif car la mobilisation de ressources pour constituer avocat n’est pas des plus aisée pour les partis politiques et encore moins pour de simples citoyens.
Le deuxième motif de découragement se trouve dans le peu de cas que font les Etats des décisions des instances juridictionnelles de ces organisations internationales. Parfois, on ira même au lieu de refuser l’application immédiate, jusqu’à dénoncer sa signature postérieurement à une décision défavorable rendue.
Le plus condamnable en la circonstance, c’est que les organisations ne reçoivent même pas de soutiens des instances communautaires, pour faire respecter les décisions de justice.
Si au moins la coopération entre ces juridictions Africaines et celles de mêmes types d’Europe ou d’ailleurs existaient, cela renforcerait plus la force contraignante des décisions et renforcerait du même coup la confiance en ces juridictions.
Le dernier obstacle réside dans le choix tout compte fait de préférer poursuivre la recherche du dialogue avec toutes ses chausse-trappes que la confrontation politique ou judiciaire.
Et comme dans ce cas ci le consensus universel semble se reporter aux lendemains des élections, la tentation existe de réfréner les impatiences pour se préparer avec d’autres stratégies, à la bataille post électorale de la réconciliation.
Vous voyez comment la réconciliation hier bête noire est devenue le dada, la mascotte de la plupart des candidats et partis en compétition ?
Mais quelle est personnellement votre position à cet égard ?
Je regrette d’abord que les organisations internationales connaissant le cout des procédures, n’aient pas prévu des formes d’assistances judiciaires communautaires, pour une meilleure préservation des droits de l’homme et des peuples.
Je regrette pareillement qu’un système de contraintes et de sanctions n’existe pas à l’encontre des Etats et des dirigeants qui foulent aux pieds les décisions des organes juridictionnels de l’UA, de la CEDEAO ou de toute instance communautaire.
Le fait est là que ces situations sont entravantes pour faire valoir ses droits et en général pour défendre les droits de l’homme et des peuples.
Vous voyez on ne devrait pas défendre la réconciliation à titre égoïste, conjoncturel et opportuniste mais comme un principe devant intégrer les politiques nationales et internationales. C’est d’ailleurs l’idée qui s’impose des politiques au niveau des Nations Unies, de l’Union Européenne comme de l’Union Africaine.
C’est pour cela que même déçu, éconduit ou partiellement satisfait je n’ai jamais renoncé à remettre l’ouvrage sur le métier.
Je dirais seulement qu’il faudrait s’assurer plus de garanties pour ne pas se retrouver encore embarqué dans un autre jeu d’usure pour esquiver la réconciliation ou la réduire à un fac-similé ou pire à une imitation pas toujours fidèle à l’originale.
Il faudrait pour prévenir cela que la réconciliation conduise le président élu à décider :
Des pleins pouvoirs et à agir par ordonnance pour la conduite de cette réconciliation à bonne fin :
à prendre une mesure de grâce amnistiante spéciale pour les anciens présidents Blaise Compaoré et Yacouba Isaac Zida, les exilés et les condamnés et détenus politiques ;
à organiser la poignée de main symbole d’engagement à la réconciliation nationale ;
à mettre en place l’audience des présidents devanciers ;
à engager des journées de consultations ouvertes et inclusives pour recueillir les contributions déjà faites et les avis sur la mise en place du type de forum / dialogue et la confection de la feuille de route ;
à création du forum / dialogue national avec des commissions dont une à compétence judiciaire pour jouer le rôle d’une justice transitionnelle et pourquoi pas une autre chargée du dialogue avec les groupes armés et une troisième pour les questions de refondation.
La réparation à formes multiples (matérielle, morale, symbolique.) devant occuper une grande place.
Pensez-vous possible de convaincre ceux qui ne voient pas l’utilité de la réconciliation, de croire en celle de la justice transitionnelle pourvoyeuse de réconciliation ?
La justice transitionnelle n’est pas immédiatement accessible à la compréhension commune. Si donc on en trouve pour être rebuté par la réconciliation, ce n’est pas ce concept plutôt ésotérique de justice transitionnelle qui va arranger les choses.
De cela toutes les politiques de JT en ont conscience et s’efforcent d’y trouver solution.
C’est le cas de celle de l’organisation des Nations-Unies comme de l’Union européenne.
C’est le cas de la PJTUA qui l’aborde en ces termes :
« Gestion du savoir et plaidoyer
134. En tant que partie intégrante de la mise en œuvre de cette politique, il devrait exister une communication stratégique fondée sur le savoir et le plaidoyer en faveur de la poursuite de la JT au sein des sociétés ayant des besoins de JT, conformément aux directives normatives stipulées dans ladite politique.
135. Dans la poursuite de la JT envisagée dans cette politique, l’UA, en collaboration avec des acteurs régionaux, nationaux et internationaux, devrait :
i. Assurer la facilitation de communications stratégiques claires avec les acteurs locaux, nationaux et régionaux concernés afin de contribuer à la sensibilisation aux processus transitionnels et à la réalisation d’un consensus à l’appui desdits processus.
ii. Soutenir la production de recherche et d’études pertinentes.
iii. Recueillir les meilleures pratiques et en faciliter le partage avec les sociétés qui envisagent ou poursuivent des processus de JT.
Suivi, élaboration de rapports et revue
136. La CUA devrait assurer le suivi et l’évaluation des processus transitionnels et leur mise en œuvre, conformément à cette politique de JT, tout comme le suivi et l’évaluation de la participation et du rôle que les organes de l’UA ont assumés dans ces processus.
137. La CUA devrait soumettre un rapport annuel aux organes compétents de l’UA sur les processus transitionnels en Afrique, en soulignant les problèmes auxquels font face ces processus ainsi que le rôle joué par les divers acteurs nationaux, régionaux, continentaux et internationaux.
138. Le suivi de la mise en œuvre de cette politique devrait être facilité par l’intermédiaire d’un point de coordination qui se trouvera au sein du Département des affaires politiques, en s’appuyant sur les contributions des unités interdépartementales concernées et des différents organes compétents de l’UA dotés de mandats concernant la JT. »
Il existe même des institutions et organismes divers qui s’impliquent dans la mobilisation des moyens de mise en œuvre de la justice transitionnelle mais aussi dans la communication pour la faire assimiler.
C’est le cas du Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ). Lequel « aide les pays désireux d’établir les responsabilités des atrocités ou des violations massives des droits de l’homme commises par le passé. Il œuvre auprès de sociétés qui émergent d’un régime répressif ou d’un conflit armé, ainsi qu’auprès de démocraties établies où les injustices historiques ou les violations systémiques demeurent non résolues ».
Les mêmes préventions, ignorances et blocages que l’on rencontre au sujet de la réconciliation se retrouvent au niveau de la justice transitionnelle.
Le plus dur dans ce domaine, c’est quand on se retrouve devant des contradicteurs minés par des aprioris, des sujétions politiques et idéologiques, ou des sicaires ayant une sacrée couche d’ignorance insolente.
Avec eux les efforts de persuasions sont par définition voués à l’échec.
Mais fort heureusement l’esprit de haine, l’obnubilation idéologique et la déraison restant minoritaires, la sensibilisation se poursuit avec plus de réussite que d’insuccès.
Pensez-vous que le président sortant sera réélu et qu’il s’engagera comme promis diligemment sur le chemin de la réconciliation ?
Je n’ai jamais imaginé que Roch Kaboré puisse ne pas conserver son fauteuil. Je soutiens seulement qu’il aurait pu le conserver, avec encore plus de panache et de promesses pour l’union sacrée, en réalisant avant les élections la réconciliation nationale et la poignée de main entre lui et Blaise Compaoré.
Quant à la bonne application de la réconciliation, tout dépend de sa volonté et de sa détermination, une fois les incertitudes de la réélection levées à s’y engager pour le bien commun et pour l’histoire.
Les cercles opposés à la réconciliation pour des considérations personnelles, politiques et idéologiques seront toujours à la manœuvre, freinant des quatre fers contre sa réconciliation ou pour lui donner une forme plus qu’édulcorée.
Mais encore une fois, je pense que Roch Kaboré est seul maitre de sa décision.
Qu’il ait fait un travail énorme de déblayage des embuches électorales qui pouvaient entraver sa marche conquérante pour la réélection c’est évident. Je trouve qu’il aurait pu en faire l’économie des frais, en acceptant la main tendue de Blaise Compaoré.
J’ai rendu visite à plusieurs reprises à l’homme en exile et je suis de ceux qui peuvent attester de la sincérité de son offre d’une part et du fait que la seule ambition qui l’anime c’est le retour au pays d’autre part.
Les raisons profondes qui sous-tendent cette quête de retour sur la terre natale et que Roch Kaboré n’ignore pas, devraient inciter ce dernier à plus de commisération et de mansuétude pour permettre un retour dans la dignité de Blaise Compaoré.
L’humiliation de l’adversaire en politique pour certains est considérée comme le sacre suprême du pouvoir, mais les revers pour la pacification sociale peuvent aussi être incommensurables.
En l’espèce cela serait tout à fait inutile.
Vous n’êtes pas du CDP et la vie n’a pas été toujours rose pour vous, sous Blaise Compaoré, pourquoi vous préoccuper autant de son sort ?
Je veux d’abord relativiser. Si la vie pour moi n’a pas toujours été rose sous son régime, elle a aussi été marqué par des actes forts, notamment à l’endroit du président Maurice Yaméogo. Relativiser en soulignant que ça aurait pu être plus grave.
Maintenant ainsi que j’espère que cette interview aidera à comprendre, la réconciliation pour moi est un principe de vie, un principe essentiel aux relations humaines et à la gouvernance. Elle se relie j’y reviens à d’autres principes et concepts que j’ai toujours défendus : le dialogue, la démocratie consensuelle, le pacte transversal, la croissance inclusive…
Pour défendre sincèrement ces valeurs et être persuasif, il faut savoir s’émanciper de tout esprit de vengeance, de haine. Je pense qu’on ne pourra pas me prendre à défaut à cet égard.
Je suis pour des retrouvailles nationales qui concernent Blaise Compaoré, mais aussi Yacouba Issac Zida et tous les Burkinabè en quête de réconciliation.
Avant Blaise Compaoré, j’en étais déjà un combattant. Avec Roch Kaboré, je pourrais encore l’être dans l’intérêt national.
C’est pour cela que je continuerai le combat. Le Burkina Faso étant solidaire et partie prenante de la PJTUA, je serai de ceux qui travailleront à sa mise en place pour éviter une réconciliation à l’anarque.
Je partage à titre humanitaire le deuil que traverse le président Kaboré mais aussi pour des raisons tenant à la personnalité de son défunt père.
Les souvenirs que je garde de lui et qui me viennent de mon père c’est qu’il était un homme dévoué au pays et pétri de saines valeurs morales.
C’est dans l’exercice de son métier d’enseignant que le président Maurice Yaméogo en campagne non pas électorale mais d’éducation, fit la connaissance de l’homme qu’il apprécia au point d’en faire son ministre.
Autre souvenir significatif de la grandeur d’âme de l’homme, alors qu’on lui demandait en tant qu’ancien ministre des finances de charger le président renversé en 1966 et qui passait en jugement devant le tribunal spécial, il a refusé de le faire estimant que s’il y’avait à condamner il se sentait solidaire. Je tiens aussi ces propos de mon père qui, lui, les tenait de ses avocats.
Ensuite en 1978 l’UNDD était crée. Mais le président Maurice Yameogo n’avait pas encore obtenu ses droits civils et politiques pour pouvoir être candidat et moi-même je n’étais pas en âge de l’être. La première personne à la quelle le président Maurice Yaméogo a pensé pour porter les couleurs de l’UNDD dans la confiance et la compétence à la présidentielle, fut Charles Bila Kaboré. Contact pris ce dernier déclinera l’offre en la justifiant par sa décision de se tenir en-dehors de la politique active.
Je n’ai pas souvenances qu’il ait rompu ce vœu.
Je souhaite que dans l’épreuve que traverse Roch Kaboré, il puise de fortes inspirations de la vie de son père, pour être l’artisan d’une réconciliation qui rendra le plus léger possible le sommeil de l’illustre disparu, en même temps que cela ouvrira une ère de retrouvailles nationales.
Vos derniers souhaits en guise de conclusion ?
Le Burkina Faso mérite une paix durable et véritable. Aucun pays raisonnablement gouverné, ne peut au sortir d’une crise majeure, espérer reconstruire le tissu social et enclencher les mécanismes de la croissance, sans le préalable de mesures de réconciliation nationale.
Nous, nous sommes en plein dans des crises démultipliées.
C’est pourquoi, il est plus qu’urgent d’œuvrer à remettre tous les enfants de ce pays en confiance, et seule la réconciliation nationale et le pardon peuvent recréer les conditions de restauration de cette confiance, facteur de cohésion sociale et nationale. Une réconciliation nationale acceptée et partagée par tous, fils et filles de la nation autour d’un même objectif, la construction d’une société de paix, de tolérance, de justice et d’engagement collectif à réaliser le développement.
Pour ce faire, il faut s’en remettre à un diagnostic et à une thérapeutique établis par le peuple lui-même à travers un nouveau contrat de vivre ensemble, pour réaliser cette réconciliation à laquelle aspirent tous les Burkinabè, en s’entourant d’une démarche prudente, méthodique, inclusive et participative.
La spécificité de l’actuelle demande de réconciliation, c’est qu’elle vise des retrouvailles nationales encore une fois, à de multiples niveaux : au niveau des relations entre individus et groupes organisés – au niveau des citoyens et de l’Etat pour restaurer la confiance nationale en restaurant l’autorité de l’Etat – au niveau de l’armée et de ses corps-au niveau de la Nation et de son histoire en réparant les préjudices causés à la mémoire, en édifiant des mémoriaux pour les pères fondateurs, pour les héros nationaux … au niveau de l’homme et de la nature.
La réconciliation ne pourra faire œuvre utile et durable en omettant de proposer une relecture institutionnelle pour doter le pays d’outils permanents de protection de la mémoire, comme de prévention, de gestion et de règlement des conflits.
Dans la voie à suivre pour y parvenir, il n’y a pas de modèle type, de solution clé en main. Dans ce domaine chaque pays décide en fonction de ses réalités et des sensibilités nationales. Les seules choses qui s’imposeront dans tous les cas ce sont : le courage, la persévérance et la priorisation des intérêts collectifs de société et plus encore à mon sens l’empathie universelle pour sauver le monde du vivant en perdition.
Propos recueillis par OHL
Lefaso.net
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