Les Burkinabè seront appelés aux urnes le dimanche 22 novembre 2020 pour la deuxième fois, après l’insurrection populaire d’octobre 2014, afin de désigner le Burkinabè à qui ils souhaitent confier la gouvernance de leur pays pour les cinq prochaines années. Tribune !
Si les conditions de l’élection de 2015 ont permis au Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) de faire élire son candidat dès le premier tour sans coup férir, celle du 22 novembre 2020 se présente dans un registre totalement différent.
En effet, le 31 octobre 2014, les Burkinabè ouvraient une nouvelle page de leur histoire, de manière presque inattendue avec le départ forcé de Blaise Compaoré qui a passé 27 ans de sa vie à conduire la destinée de tout un peuple épris de paix et de justice. Dès lors, les jours et les années qui suivaient auguraient d’une ère nouvelle de liberté, de justice, de paix, d’équité et d’égalité pour toutes les filles et tous les fils du pays des Hommes intègres. C’est dans ce contexte de grandes espérances que le choix des Burkinabè s’est porté sur Roch Marc Christian Kaboré pour leur faire oublier les pages sombres du règne sans partage du capitaine Blaise Compaoré pendant près de trois décennies.
Mais ce qu’il convient de relever, à juste titre, est que Roch Marc Christian Kaboré s’est présenté en 2015 avec des atouts indéniables qui lui ont ouvert un boulevard pour la conquête du trône de Kosyam. Parmi ces atouts, il faut noter l’expérience de la gestion du pouvoir d’Etat qui a d’ailleurs constitué le plus gros argument de campagne pour le MPP de faire élire son candidat, les moyens financiers des ténors du parti engrangés sous le règne de Blaise Compaoré, sans oublier la loi d’exclusion du CNT qui avait permis d’écarter certains prétendants susceptibles de faire ombrage aux ambitions de l’actuel parti au pouvoir.
De plus, avec le génie d’une bête politique de la trempe du défunt Président de l’Assemblée nationale, le Dr Salifou Diallo, le MPP avait su facilement se défaire des prétentions du seul adversaire sérieux, à savoir, le Dr Zéphirin Diabré de l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC) dont le parti d’ailleurs, n’avait pas fini d’opérationnaliser son implantation à l’échelle du territoire national.
Mais comme le disent si bien les Latins, « O tempora, O mores » c’est-à-dire, « autres temps, autres mœurs ». En clair, le candidat du MPP se présente à ces élections de 2020 avec peu d’atouts que ceux d’il y a cinq ans. En dehors des gros moyens financiers dont il peut se targuer, Roch Marc Christian Kaboré n’a pas d’autres alternatives cette fois-ci que de défendre son bilan face à des adversaires aussi sérieux et teigneux les uns que les autres, des adversaires qui naturellement en plus des moyens financiers dont ils peuvent faire montre, ont l’avantage de susciter le goût du changement chez les électeurs au regard du bilan fortement mitigé du régime sortant que bon nombre d’observateurs avertis de la scène politique burkinabè ont déjà relevé.
Que peut-on donc retenir des cinq années de gestion du pouvoir par le candidat du MPP ?
Il sied de rappeler que Roch Marc Christian Kaboré était très attendu au sortir des élections de novembre 2015 pour porter tous les espoirs suscités par l’insurrection populaire d’octobre 2014. Mais en vérité, le pouvoir de Roch Kaboré n’a pas du tout été gâté depuis son accession à la magistrature suprême, au regard des multiples crises au plan social et sécuritaire qui ont émaillé son mandat. Et la crise sanitaire du Coronavirus est intervenue comme le coup de massue de trop pour mettre à nue l’incapacité objective du régime post insurrectionnel à faire face aux nombreuses attentes de millions de Burkinabè.
L’espace des cinq années aurait suffi au pouvoir du MPP et à ses alliés de démontrer aux Burkinabè une certaine impuissance à assurer la survie d’un État en danger. Le tâtonnement, l’approximation, l’absence de vision et d’anticipation sur plusieurs questions importantes de la vie nationale ont été les traits caractéristiques qui ont marqué la mandature de l’héritier de Charles Bila Kaboré.
Si on peut avec réalisme comprendre les grandes difficultés qu’a éprouvées le régime à satisfaire les fortes attentes sociales, on ne saurait justifier l’absence de vertu dans la gestion de la chose publique. En dépit des contraintes tout à fait réelles, le pouvoir du MPP aurait réussi la prouesse de travailler à diviser profondément les Burkinabè, en l’espace d’un mandat (musèlement des adversaires politiques, interdictions de manifestations, tentatives de restriction des libertés syndicales et de déstabilisation des partis d’opposition et la haine politique qui serait devenue caractéristique de la gouvernance actuelle).
A tous les échelons de la vie publique nationale, la gouvernance vertueuse est devenue la chose la moins partagée. Les grands maux tant dénoncés hier ont refait surface avec une persistance implacable, au grand dam de tous les patriotes honnêtes qui voyaient souffler l’air d’un nouveau départ, au sortir des élections de novembre 2015. Malgré tout, les tenants du pouvoir actuel se sont beaucoup plus préoccupés à renouveler leur bail qu’à panser les nombreuses plaies qui minent la cohésion sociale et le vivre ensemble des Burkinabè.
C’est dans cette ambiance que Roch Marc Christian Kaboré entend solliciter de nouveau, le suffrage des électeurs le 22 novembre 2020. Il aura face à lui, douze autres candidats parmi lesquels Zéphirin Diabré et Tahirou Barry arrivés respectivement deuxième et troisième aux élections passées, Eddie Komboigo qui entend défendre vaillamment les couleurs de l’ex parti au pouvoir, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) qui, d’ailleurs, avait été victime de la loi d’exclusion, sans oublier Kadré Désiré Ouédraogo, un autre transfuge du CDP.
A l’analyse du déroulement de la campagne électorale et la démonstration de force des différents candidats, tout porte à croire que le Burkina Faso est en phase de vivre pour l’une des rares fois de son histoire démocratique, des élections âprement disputées. Par conséquent, les théoriciens du coup K.O doivent très rapidement revoir leur angle d’analyse. En effet, le candidat du MPP part à ces élections un peu affaibli par son bilan et se mesure cette fois, à deux adversaires de taille, à savoir Zéphirin Diabré de l’UPC et Eddie Komboigo du CDP, qui disposent tout autant que le parti au pouvoir, à quelques exceptions près, des mêmes atouts pour conquérir le pouvoir d’Etat.
Sur le plan de la mobilisation des moyens financiers, le MPP peut se targuer d’avoir une longueur d’avance sur ses deux adversaires sérieux compte tenu du fait qu’il détient l’appareil d’Etat. Mais à considérer de près toute la capacité de mobilisation de l’UPC et du CDP au cours de la campagne, on peut naturellement reconnaitre que ces deux mastodontes ne sont pas non plus en reste à ce niveau. Quitte à savoir, si les moyens financiers constituent encore le déterminant majeur pour s’arracher le suffrage des électeurs ?
Sur le plan de la représentativité des partis politiques sur le territoire national, les forces des trois partis s’équivalent avec une légère avance pour le CDP qui a su reconquérir ses anciennes bases. Les trois décennies d’existence du parti lui permettent d’être présent dans les huit mille villages que compte le Burkina Faso. L’UPC quant à lui a su combler son retard de 2015 et a tissé des alliances stratégiques pour s’assurer une représentativité maximale à l’échelle du territoire national.
Par conséquent le seul avantage supplémentaire que détient le MPP par rapport aux deux autres, c’est le contrôle de l’appareil d’Etat. Mais on peut objectivement reconnaitre que le choix des hommes dans l’animation de la vie publique nationale par le pouvoir du MPP ne lui garantit pas aujourd’hui un appareil administratif totalement acquis à sa cause avec naturellement les nombreux conflits sociaux enclenchés avec le monde des travailleurs.
Contrairement à Blaise Compaoré qui, stratégiquement, se dotait d’une équipe gouvernementale dite de campagne, à l’orée de chaque échéance électorale, Roch Marc Christian Kaboré s’est entouré durant tout son mandat, de nombreux collaborateurs qui n’ont véritablement aucune base électorale. C’est peut-être pour cette raison que beaucoup d’entre eux se sont sentis obligés de créer un label pour soutenir sa candidature. Si l’on convient que les élections se jouent dans les campagnes, le régime sortant aura en face de lui des adversaires qui y ont su solidement constituer leurs bases.
Dans ce contexte d’équilibre des forces politiques en présence, il faudrait plus d’un tour de magie au MPP pour éviter que nous n’allions vers un second tour de scrutin pour l’élection du Président du Faso, au soir du 22 novembre 2020. Dans le cas contraire, la seule issue incertaine pour un coup K.O dès le premier tour du scrutin demeure la fraude électorale dont les prémices se font déjà sentir et il faut craindre le pire si ces velléités frauduleuses doivent constituer un passage obligé pour certains acteurs.
Pour sûr, les conditions sont réunies pour un scrutin à deux tours et l’occasion est belle une fois de plus pour les Burkinabè de prouver aux yeux du monde leur attachement à la démocratie et aux valeurs universelles. Pour ce faire, chaque acteur du processus électoral doit avoir à cœur l’intérêt supérieur de la nation et joué véritablement sa partition pour des élections apaisées, libres et transparentes.
Que Dieu et les mânes des ancêtres nous y aident !
Sana Sigui
siguisaana@yahoo.fr
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