Déclaration conjointe du Centre d’Etudes et de Recherches sur le Droit de l’Environnement (CERDE) et de l’African Coalition for Corporate Accountability (ACCA) sur la récente prise de position du ministre burkinabè du Commerce au sujet de l’initiative suisse pour des multinationales responsables
Le ministre burkinabè de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, M. Harouna Kaboré était en visite à Berne la semaine dernière, pour indiquer son désaccord avec l’« Initiative populaire pour des multinationales responsables » soumise à votation en Suisse le 29 novembre prochain. Largement relayée dans l’opinion suisse, la prise de position du ministre burkinabè a tout d’un parti pris et d’une ingérence regrettable dans le débat démocratique interne à cet État.
Apparu aux côtés de madame Isabelle Chevalley, figure de proue vaudoise de la lutte contre l’Initiative concernée, le ministre Kaboré a ressassé à l’identique les positions habituellement défendues par cette dernière, qu’il a du reste présenté comme « une amie du Burkina Faso ». Ce mélange des genres laisse perplexe sur les véritables motivations de cette sortie, surtout dans un contexte marqué par un lobbying sans précédent de grandes multinationales faisant feu de tout bois pour combattre ladite Initiative.
Le CERDE et ACCA s’indignent de cette attitude. En plus de manquer de lisibilité quant aux dommages concrets qu’une future loi suisse sur la responsabilité des multinationales causerait au Burkina Faso, la posture du ministre burkinabè contredit les positions officielles du Burkina Faso sur la question de la redevabilité des entreprises multinationales. Elle constitue, par ailleurs, une remise en cause des engagements internationaux du Burkina Faso en matière de protection de l’environnement et des droits humains.
Le ministre Harouna Kaboré affirme être allé en Suisse pour donner le « son de cloche » du Burkina Faso et espère que cette initiative ne recevra pas l’assentiment du peuple suisse, car, selon lui, elle causerait « des problèmes socioéconomiques graves ». Il indique en outre qu’une adoption de l’initiative occasionnerait l’arrêt des achats de 60 pour cent de la production cotonnière nationale. Il affirme tout aussi étonnamment que l’initiative « infantilise » les pays africains. A supposer qu’il soit fait de bonne foi, l’argumentaire suggère que le ministre se fait une idée erronée de la nature et de la portée de l’initiative suisse pour la responsabilité des multinationales.
De fait, celle-ci ne vise principalement qu’à introduire, dans la législation suisse, un devoir de diligence raisonnable en matière environnementale et des droits humains à la charge des multinationales domiciliées en suisses. En d’autres termes, il s’agit d’exiger de ces dernières de s’assurer que leurs opérations à l’étranger sont conformes aux droits humains à travers la mise en œuvre d’un principe de vigilance.
De la sorte, contrairement à ce que laissent entendre le propos du ministre, cette initiative ne vise ni les cotonculteurs burkinabè – qui ne sont assurément pas des multinationales suisses – ni d’ailleurs le secteur du coton en particulier. Comme l’indiquent les initiateurs, ce projet concerne un millier de multinationales domiciliées en Suisse intervenant dans les quatre coins du monde et couvrant des activités d’une extrême variété. Au demeurant, les entreprises qui ne se reprochent rien n’ont rien à craindre de cette initiative, d’où le fait qu’elle est ouvertement soutenue par certaines d’entre elles.
L’argument de l’infantilisation, quant à lui, semble ignorer complètement la réalité quotidienne des violations des droits humains et des atteintes à l’environnement causées par des entreprises multinationales partout dans le monde, de même que l’impunité dont elles bénéficient. En effet, au-delà du manque de volonté de poursuivre dont font preuve certains États sur les territoires desquelles ces violations sont commises, il existe, le plus souvent, un vide juridique, tenant à la nature des multinationales, qui empêche tout accès par les victimes aux voies de recours judiciaires.
C’est à cette situation de « non droit » que l’initiative Suisse vise à répondre. Elle s’inscrit du reste dans un mouvement grandissant qui conduit plusieurs État hôtes d’entreprises multinationales à adopter une législation interne pour faire face à ce problème réel. Dans ce sens, la France, qui est, à n’en point douter, l’un des premiers partenaires commerciaux du Burkina, a adopté en 2017 une loi similaire à l’initiative suisse sans que cela n’est suscité un tel courroux des autorités burkinabè bien plus proches de Paris que de Berne.
Par ailleurs et plus fondamentalement, la position du ministre burkinabè s’inscrit en porte-à-faux de l’évolution normative internationale sur cette question ; et contredit ouvertement l’effort et les engagements internationaux du Burkina sur la nécessité d’une redevabilité des entreprises multinationales en cas de non-respect des règles internationales de protection des droits humains et de l’environnement. En effet, depuis 2011, le Conseil des droits de l’homme a adopté à l’unanimité les principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits humains. Ces principes, internationalement reconnus comme cadre de référence sur le sujet, prévoient une obligation de diligence raisonnable à charge des entreprises multinationales dans leur opérations. C’est ce type d’obligation juridique que l’initiative suisse visent à établir dans le droit interne suisse.
Mieux, le Burkina Faso fait partie des 14 États à avoir voté, le 29 juin 2014, en faveur de la résolution 26/9 du Conseil de droit de l’homme des Nations Unies, appelant de ses vœux l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises en matière de droits humains. Ce cadre juridique a même une vocation plus ambitieuse et plus contraignante. En tant que membre du groupe africain et à titre individuel, le Burkina est resté engagé dans ce processus, toujours en cours au sein des Nations Unies.
Il apparait donc clairement que le Burkina milite au plan international et régional, en faveur d’obligations internationales plus contraignantes pour les entreprises multinationales en matière environnementale et des droits humains. Cet engagement a été constamment sollicité et salué par la société civile burkinabè et africaine. On peine dès lors à comprendre comment le Burkina pourrait subitement voir d’un mauvais œil l’adoption de lois nationales comme celle initiée en suisse.
Enfin, le CERDE et ACCA tiennent à indiquer qu’en vertu de ses engagements internationaux en matière de droits humains, l’État à l’obligation de protéger les citoyens burkinabè contre toutes formes de violations de leurs droits. Cette obligation incombe en premier lieu au gouvernement. Dans le cadre de l’activité des entreprises multinationales notamment, l’obligation de protection est rappelée avec force par les principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme. Il n’appartient donc pas à un membre du gouvernement de fouler aux pieds des considérations aussi élémentaires.
La prise de position du ministre burkinabè Harouna Kaboré tend à priver dangereusement ses propres concitoyens de garanties fondamentales offertes par les instruments juridiques internationaux et d’un recours effectif en cas de violations de droits humains causées par l’activité des entreprises multinationales. Elle porte également une grave atteinte à l’image de marque et à la respectabilité internationale du Burkina.
En définitive, et considérant la portée peu heureuse d’une telle sortie médiatique, nous invitons le gouvernement du Burkina Faso à faire la lumière sur cette prise de position contraire à sa pratique ainsi qu’à ses engagements internationaux. Soucieux de remplir leur rôle de plaidoyer en matière de droits humains et de protection de l’environnement, le CERDE et ACCA se tiennent à la disposition du gouvernement burkinabè pour tout éclairage sur le drame que vivent des milliers de travailleurs, d’individus et de communautés locales ainsi que leur environnement naturel du fait de l’activité de nombreuses multinationales notamment en Afrique et au Burkina.
Le Centre d’Études et de Recherches sur le Droit de l’Environnement (CERDE) est une association de Droit Burkinabè spécialisée sur les questions environnementales. Le CERDE est une organisation qui collabore avec ACCA, contact@cerde-bf.com Tel. 00226 25654227.
African Coalition for Corporate Accountability est la plus grande coalition de la société civile africaine (plus de 130 organisations) intervenant sur les sujets relatifs aux entreprises et aux droits humains. ACCA est basée au Centre for Human Rights à l’Université de Pretoria en Afrique du Sud. Pour contacter le Secrétariat d’ACCA : projects@accahumanrights.org
Source : lefaso.net
Faso24
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