Les résultats provisoires de la présidentielle du 22 novembre 2020 proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) font toujours débat. Les différents analystes ne cessent de décortiquer les scores récoltés par les deux principaux challengers du président Roch Kaboré, respectivement Eddie Komboïgo du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) avec 15,48% des voix, et Zéphirin Diabré de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) avec 12,46%. Que faut-il comprendre de ce nouveau classement politique ? Lionel Bilgo, analyste politique et directeur Afrique de Teminiyis Média, partage sa lecture dans cette interview. Lisez plutôt !
Lefaso.net : En 2020, Eddie Komboïgo et Zéphirin Diabré à eux deux, n’ont pas atteint le nombre de voix récoltées en 2015 par Zéphirin Diabré. Que doit-on retenir de la configuration de la classe politique burkinabè ?
Lionel Bilgo : On doit comprendre qu’il y a un chamboulement de la classe politique burkinabè avec des nouveautés, des reculs, des avancées, mais également avec des surprises, notamment les scores de l’UPC et du NTD (Nouveau temps pour la démocratie). Pour le score de l’UPC, c’est un recul net ; et pour le NTD, c’est une augmentation nette [aux législatives]. Quant au CDP, on s’attendait à ce qu’il fasse mieux qu’en 2015, au temps où il était handicapé par les principes d’exclusion qui n’ont pas permis à cet appareil de se mettre en branle dans la campagne électorale. Cette fois-ci, le CDP montre bien, avec ce score, qu’il a une main mise sur une partie du territoire, sur le terrain, même si je le trouve faible par rapport à l’historique de cet appareil dans les zones rurales et les campagnes.
Je pense qu’il y a un changement. Les Burkinabè ont fait d’autres choix. On sait que les campagnes électorales ne se font pas seulement sur la base du programme politique mais aussi sur la base de la ressource humaine. Je crois qu’au sein du CDP et de l’UPC, il y a eu un problème de ressource humaine dès le départ. Voilà deux partis qui ont passé cinq années à lutter contre leurs propres démons, notamment la guerre des égos pour le leadership. Ensuite, il y a eu les défections, les départs, des tractations judiciaires. Tout cela a fragilisé un peu ces partis-là, en termes de notoriété, d’image, de bonne prestance.
Faut-il comprendre que les militants du CDP avaient voté pour Zéphirin Diabré en 2015 ?
Non ! On ne peut pas penser que ce sont les militants du CDP qui ont voté l’UPC, tout comme on pourrait penser également que ce sont les militants de l’UPC qui ont voté le NTD. Je pense qu’un parti politique vit au rythme de la météo politique de son pays, et cette météo n’a pas été favorable à l’UPC, ça n’a pas été un long fleuve tranquille pour le CDP. Vous le savez, Eddie Komboïgo a essuyé plusieurs recours judiciaires mais également des fractures au sein de son parti. Pareil au sein de l’UPC.
C’est trop facile de dire de prime abord que c’était les électeurs du CDP qui s’étaient déversés sur l’UPC. Je peux même dire que ce sont plutôt les militants déçus du départ du président Blaise Compaoré suite à l’insurrection populaire, qu’ils soient du CDP ou d’autres bords politiques, qui ont peut-être déversé leurs voix sur l’UPC. Il y a certainement des militants de l’ADF/RDA, de la NAFA (vu que Djibrill Bassolé a été empêché de participer aux élections en 2015) … Donc c’est difficile de dire que ce sont seulement les voix du CDP qui se sont déversés au sein de l’UPC.
Quelles perspectives pour l’UPC ? Doit-elle faire allégeance au MPP ou au CDP ? Sinon, comment faire pour s’en sortir ?
Je pense que ça va dépendre des tractations internes au sein de l’UPC, mais aussi de la place que voudra bien faire le pouvoir en place. Vous savez, le pouvoir en place doit faire attention à ne pas s’aligner avec n’importe qui ou n’importe quoi, au risque de perdre aussi. Je pense sincèrement que ce que l’UPC doit faire, c’est un re-questionnement de son idéal d’existence mais aussi de son positionnement, du management de sa structure, de sa ressource humaine. Une campagne électorale ne se gagne pas sur les deux semaines ou les trois derniers mois avant l’élection.
Une campagne électorale se gagne durant les cinq années de quinquennat. C’est pendant cinq ans qu’il faut battre campagne continuellement. C’est pendant cinq ans qu’il faut aller chercher les ressources qu’il faut. C’est pendant cinq ans qu’il faut aller chercher les femmes et les hommes qu’il faut au sein de son parti. Nos partis politiques aussi, parfois, n’ont pas l’intelligence d’aller recruter. C’est très important.
On dit que le parti est ouvert, venez si vous voulez. Salif Diallo avait cette dextérité d’aller chercher ceux qu’ils voulaient. Il avait cette capacité d’aller débaucher, puiser, de recourir ; il n’y a pas de honte à démarcher des gens s’ils peuvent vous apporter un plus ou un bien. C’est pareil aussi pour le pouvoir en place et pour le gouvernement à venir. Il ne faut pas hésiter à aller débaucher, à aller chercher des personnes qui ne vous ressemblent pas, mais qui sont capables de vous apporter quelque chose de fondamental dans votre action afin de mieux faire et de mieux gérer le pays.
Je pense que premièrement, l’UPC doit se re-questionner ; deuxièmement, questionner son management interne et enfin questionner sa capacité et sa ressource humaine. Une fois que ces questions sont résolues, je pense que c’est un appareil qui peut encore compter dans le paysage politique burkinabè en tant qu’opposant.
Eddie Komboïgo est arrivé en deuxième position à la présidentielle. C’est sa personne ou c’est le parti politique lui-même qui a pris le dessus ?
Je pense que l’un ne va pas sans l’autre. Eddie Komboïgo a été téméraire, virulent, courageux dans ses prises de décisions, mais également dans sa combativité y compris à l’intérieur de son parti mais également dans le paysage politique burkinabè.
Effectivement, il avait l’avantage d’aller avec son appareil politique très bien ancré dans le territoire national, avec une bonne perception cognitive dans la tête des Burkinabè. Donc tout cela a permis que le CDP remonte en deuxième position. Et d’ailleurs, le classement actuel répond beaucoup plus même aux ambages historiques du landerneau politique burkinabè.
Le CDP, parti historique, vient en deuxième position par rapport au MPP (Mouvement du peuple pour le progrès) qui est aussi une part du CDP ; il ne faut pas l’oublier ! Je l’ai toujours dit, le CDP et le MPP partagent les mêmes ADN, donc c’est normal que ces deux-là se partagent la tête de liste et que suivent les partis comme l’UPC et la grande surprise, le NTD.
Le président Roch Kaboré qui améliore son score par rapport à 2015. Faut-il comprendre que l’opposition politique n’inspire pas les Burkinabè ?
Je crois que l’amélioration du score du Président n’est pas due seulement à la déchéance de l’opposition, mais c’est surtout dû aussi aux alliés qui sont venus renforcer à la dernière minute le bassin électoral du MPP. Les défections qui sont faites à l’UPC jusqu’à la veille des élections, ce sont des personnes qui avaient une aura particulière dans leurs régions.
Quand vous prenez le Poé Naaba, par exemple, il est venu déverser, au sein de la masse électorale pour le MPP, toutes les personnes qui étaient assujetties à son pouvoir d’aiguillage. Ils sont nombreux à venir renforcer le rang du MPP. Et cela prouve encore une fois que les élections ne se gagnent pas seulement sur la base d’un programme politique de qualité, mais aussi sur la ressource humaine. Les hommes que vous mettez dans les localités sont plus ou moins capables de vous amener des voix, ou bien vous faire gagner ou perdre en fonction de la tête que vous avez dans telle localité.
Avec le président Roch Kaboré, peut-on s’attendre à mieux par rapport à son dernier quinquennat ?
Tout candidat qui se voit confier une deuxième fois la confiance populaire a l’ambition de mieux faire. De prime abord, on ne va pas à la conquête d’un pouvoir si ce n’est que pour mal faire. Je crois qu’il est dans une disposition de vouloir mieux faire. C’est quelqu’un qui a peut-être tiré les leçons du premier quinquennat, et il l’a bien dit d’ailleurs. C’est le président qui a dit ouvertement qu’il a vu, durant ses cinq années de mandat, que le peuple burkinabè était difficile à gouverner.
Quelqu’un qui était dans l’administration depuis de longues années (plus de 27 ans) et qui reconnaît cela après son premier mandat, ça veut dire qu’il a tiré leçon de son quinquennat précédent et on espère tous qu’il va mieux faire. C’est ce que tous les Burkinabè devraient souhaiter et prier pour qu’il fasse mieux parce que quand le président fait mieux, c’est pour le mieux et c’est pour le bien-être de toute la population.
Il y a de nouveaux partis qui vont siéger à l’Assemblée nationale. Quel commentaire en faites-vous ?
Je pense que la nouveauté c’est qu’il y a des partis qui ne vont plus siéger, qui avaient pourtant pris le goût du législatif et qui n’auront plus à siéger dans le législatif ; et aussi il y a des partis qui n’y étaient pas et qui sont arrivés, même si on les compte sur le bout des doigts. Ce qu’il faut remarquer, c’est le poids des ténors ; ça veut dire les partis qui ont au-delà de cinq députés : il y a moins de partis qui ont plus de cinq députés, et après le reste c’est fragmenté. Cela signifie que la constitution des blocs est facile à faire y compris pour le pouvoir en place.
Je pense que c’est une Assemblée nationale qui va donner un large pouvoir à l’exécutif pour mettre en place les programmes politiques pour le bien du pays. Et je crois que c’est un atout pour le président Roch Kaboré pour aller droit au but et surtout pour prendre courage et ne pas reculer devant certaines réformes qui sont nécessaires et qui sont impopulaires, qui sont très risquées d’un point de vue social. Et je pense que le Burkina mérite ces réformes-là pour mieux se redresser.
Interview réalisée par Cryspin M. Laoundiki
Lefaso.net
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