Site icon BurkinaInfo – Toute l'information du Burkina Faso en temps réel

Gratuité des fournitures scolaires au Burkina : Ces communes qui se sucrent sur les dos des élèves

Depuis 2009, l’État burkinabè a pris l’engagement de soutenir les élèves du primaire avec des fournitures scolaires. Ce soutien est dénommé le « cartable minimum ». Dans le cadre du transfert des compétences de l’État aux collectivités dans le domaine de l’éducation, les fonds sont transférés aux municipalités pour l’acquisition desdites fournitures. Mais dans certaines communes, les fournitures viennent en novembre, alors que la rentrée se passe en octobre. Pour d’autres communes, les enfants finissent l’année scolaire sans recevoir le moindre stylo. A quoi servent alors les fonds transférés chaque année aux communes pour la gratuité des fournitures au profit des élèves ? Comment ces fonds sont-ils dépensés ? Nous avons épluché les documents budgétaires et interrogé des autorités municipales dans quatre communes du Burkina Faso (Ouahigouya, Kalsaka, Tanghin-Dassouri et Ouagadougou), sur la gestion des fonds destinés à l’acquisition des fournitures scolaires de ces deux dernières années scolaires (2018-2019 et 2019-2020).

Des cahiers de 100 pages ou de 200 pages qui se déchirent à chaque fois que l’élève tente de tracer un trait, des articles de quantité insuffisante par rapport à la clé de répartition fixée par l’arrêté n°2013-98/MENA/MEF, des fournitures qui sont distribuées en novembre et parfois en janvier au lieu du 1er octobre. C’est ce que nous avons constaté sur le terrain.

Pire, des fonds destinés à l’achat des fournitures servent à construire des murs, des détournements couverts par des simulacres de remises officielles de fournitures scolaires. Le chapelet des griefs sur la gratuité des fournitures scolaires dans les communes est long. Pour les années scolaires 2018-2019 et 2019-2020, la liste des articles manquants dans le cartable minimum des élèves des circonscriptions d’enseignement de base (CEB) des communes de Ouahigouya, Tanghin-Dassouri, Kalsaka et Ouagadougou est longue : cahiers double-ligne, cahiers de 100 pages et de 200 pages, protège-cahiers, trousseaux de mathématiques, etc.

Nous avons examiné les besoins exprimés par les CEB par rapport aux quantités que les municipalités leur ont livré : il manque des milliers d’articles dans les livraisons reçues par les écoles des communes de Ouahigouya et de Kalsaka. A titre d’exemple, en 2018, les quatre CEB de Ouahigouya ont exprimé un besoin de 39 891 protège-cahiers mais elles n’en ont reçu que 9 937, soit un manque de 29 954 protège-cahiers. Situation similaire pour l’année suivante, c’est-à-dire, 2019 : sur un besoin exprimé de 115 972 cahiers de 96 pages, elles (les CEB) n’en ont reçu que 79 000, avec un vide à combler de 36 972 cahiers. Outre les protège-cahiers et les cahiers de 96 pages ; les ardoises, les crayons de papier et les stylos verts ou rouges sont également des articles dont les quantités sont généralement insuffisantes.

Zakaria Traoré est le gestionnaire de la Circonscription d’éducation de base (CEB) de Ouahigouya 4. Le 27 août 2020, nous l’avons interrogé sur l’adéquation entre les besoins exprimés par la CEB et les quantités reçues de la mairie. « Les plaintes que je reçois généralement de la part des directeurs d’écoles sont liées au manque de certains matériels. Mais le problème est que quand je reçois du matériel avec un fournisseur, je ne peux que contrôler la quantité et attirer son attention, rien de plus. Ce n’est pas la CEB qui décide de la quantité de matériel à acquérir, c’est la mairie », relate-t-il.

Si la situation de la CEB de Ouahigouya 4 n’est pas reluisante, elle est pire à Kalsaka. Le 29 juillet 2020, nous avons rencontré le directeur de l’école de Tibtenga, Youssouf Ouédraogo. Interrogé sur l’effectivité du cartable minimum dans son école au sujet de l’année scolaire 2019-2020, il n’a pas pu cacher sa colère et sa déception. « Cette année, mes élèves de CP1 n’ont reçu aucun cahier double-ligne. Au CE2 également, les élèves n’ont eu aucun crayon de couleur. Au CM2, point de trousseau de mathématiques. Et dans toute l’école, aucun élève n’a eu de protège-cahiers », relate-t-il, furieux.

Pour le directeur de l’école d’application B de Tanghin-Dassouri commune rurale du Kadiogo, Édouard Bonkoungou, que nous avons rencontré le 27 juillet 2020, les manques sont justifiables : « Vous savez, sur la dotation de la gratuité des fournitures scolaires, il n’y a pas de problème, seulement, il arrive souvent que la quantité reçue ne soit pas suffisante. C’est surtout ce qui est fréquent, parce que les effectifs ne sont pas toujours stables. »

Le directeur de l’école d’application A, Edouard Bonkoungou, justifie les manques enregistrés dans la dotation des fournitures scolaires

En transférant les compétences dans le domaine de l’éducation aux collectivités territoriales, le ministère de l’Education nationale et de la Promotion des langues nationales transfère chaque année des ressources financières aux communes pour l’acquisition des fournitures destinées au cartable minimum des élèves du primaire. C’est donc à chaque mairie de commander le matériel pour le mettre à la disposition de ses CEB, qui, à leur tour, procèdent à la distribution aux écoles.

Mauvaise qualité du matériel

En dehors de la quantité insuffisante des fournitures que les mairies mettent à la disposition des écoles, la qualité est aussi remise en cause par les bénéficiaires. « Si nous prenons par exemple les cahiers, il y a certains qui, quand tu touches à leurs feuilles, ça te donne la sensation de ne pas avoir le poids normal d’une feuille. La feuille est si légère que quand l’enfant veut appuyer pour écrire, ça fait des trous. Quand il veut tracer, la feuille se divise en deux. En fin de compte, l’enfant a un brouillon au lieu d’un cahier de leçon ou de devoir. Il y a eu des années où nous avons reçu des stylos qui ne pouvaient même pas écrire une seule phrase », témoigne la gestionnaire de la CEB de Ouahigouya 2, Madeleine Ouédraogo que nous avons rencontrée le 24 août 2020.

Le directeur de l’école d’application « A » de Tanghin-Dassouri, Noël Nana, lui, ne mâche pas ses mots en ce qui concerne la qualité du matériel qu’il reçoit. « Si nous devons juger, nous dirons que la qualité n’est pas bonne. Mais nous nous posons des questions sur les raisons, à savoir : est-ce la faute de celui qui donne le marché ? Est-ce qu’il y a un manque de matériel de qualité sur le marché pour servir toutes les écoles du Burkina ? », questionne-t-il. « Pour cette année 2019-2020, que ce soit les stylos rouges ou bleus, ce sont les stylos que les gens refusent sur la place du marché, que personne n’achète, qui nous sont livrés. Étant donné que nous sommes dans une circonscription qui relève de la même commune, ce n’est pas notre école seulement qui subit cela, mais toutes les écoles de la circonscription vivent la même situation ».

Le directeur de l’école d’application A de Tanghin Dassouri, Noel Nana, ne sait pas à qui attribuer la mauvaise qualité des fournitures scolaires

Le 16 septembre 2020, nous avons interrogé le maire de Kalsaka, Adama Ouédraogo, sur la qualité des fournitures remises aux élèves de sa commune. « Ils (les enseignants) sont venus dire que les stylos ne sont pas bons. Je leur ai demandé de nous dire quelle marque de stylo ils veulent. C’est là qu’ils ont dit que nous devons essayer les stylos un à un pour trouver la bonne qualité. Je leur ai dit que celui qui est prêt à venir essayer 78 000 stylos, qu’il vienne le faire. Pour moi, il y a de la malhonnêteté quelque part. Si on vous transmet quelque chose dont la qualité n’est pas bonne, il faut corriger avant que le mal arrive. Mais si vous attendez la fin pour venir parler, il se trouve que le mal est déjà fait ».

Le maire de lma commune de Kalsaka, Adama Ouédraogo, trouve que les acteurs éducateurs de sa commune ne joue pas un franc jeu

Les retards de livraison

Les retards dans la livraison sont aussi un autre problème rencontré dans la dotation des fournitures scolaires prévues dans le cartable minimum. A Zagtouli, dans l’arrondissement 8 de la commune de Ouagadougou, la dotation en cartable minimum au titre de l’année scolaire 2018-2019 a été livrée à la CEB avec un retard d’une année, soit le 19 novembre 2019 selon le bordereau de livraison de l’entreprise attributaire du marché, au lieu du 1er octobre 2018. Cette situation est arrivée à cause d’une défaillance du fournisseur qui n’a pas pu être résolue avant la fin de l’année scolaire, selon les explications du directeur général des services sociaux, des soins et de l’éducation à la mairie de Ouagadougou, Homère Ouédraogo.

Pour le directeur de l’école de Derga dans la CEB de Kalsaka, Issoufou Ouédraogo, le cartable minimum est reçu comme prévu mais avec beaucoup de difficultés. « Je suis arrivé à l’école de Derga en 2015. Mais nous avons reçu les fournitures en janvier 2016. Pour l’année scolaire 2017-2018, nous avons reçu le matériel dans le mois de novembre 2017. En 2019-2020, nous avons dit à notre CEB que nous voulons le matériel à temps. Malgré tout, nous avons travaillé durant tout le 1er trimestre sans que les élèves n’aient le cartable minimum. C’est ce problème qui a conduit les enseignants à boycotter la composition du premier trimestre. C’est au retour des congés du premier trimestre que nous avons eu les fournitures pour les élèves en mi-janvier », explique l’instituteur.

Une vue des fournitures scolaires inscrites dans le cartable minimum des élèves

Nous avons obtenu une copie du bordereau de réception des fournitures scolaires de l’école A de Kalsaka pour l’année scolaire 2019-2020. Elle est datée et signée du 9 janvier 2020. A Ouahigouya, au titre de l’année scolaire 2018-2019, une seule entreprise était attributaire des quatre lots pour la livraison des fournitures aux quatre CEB de la commune. Selon le bordereau de livraison de la CEB Ouahigouya I, pour cette année scolaire (2018-2019), ladite CEB a reçu les fournitures le 7 novembre 2018 au lieu du 1er octobre.


« On détourne pour construire votre mur »

Nous avons examiné les budgets de gestion 2018 et 2019 des communes de Kalsaka et de Ouahigouya. Pour le budget de Kalsaka, gestion 2018, au chapitre 60 et à l’article 605, il y est inscrit : fourniture scolaire 34 780 474 FCFA. Le même montant est inscrit dans le Plan de passation des marchés de la commune. Selon la revue des marchés publics, le marché des fournitures destinées à la CEB de Kalsaka est attribué le 2 mai 2018 à la seule entreprise soumissionnaire, pour un montant de 27 150 000 FCFA. Où sont passé les 7 630 474 FCFA ?

Selon un procès-verbal de réception datant du 14 décembre 2018, dont nous avons obtenu copie, le restant aurait servi à l’acquisition de fournitures scolaires complémentaires suivant une demande de cotation du 5 novembre 2018. Mais le comptable de la mairie de Kalsaka, à l’époque des faits, Yacouba Soré est formel : « Ce document est un P-V truqué. J’étais le comptable de la mairie en son temps. Les 7 629 700 ont servi à construire le mur de la CEB avec l’accord du CCEB en son temps, l’inspecteur Gué Bétou Siaka ». Interrogé le 16 septembre 2020 sur ce faux montage, le maire ne reconnaît pas les faits. « Moi je ne suis pas au courant d’un dossier sous-terrain. Celui qui en a les preuves qu’il me les sort », proclame-t-il.

Pourtant, lors d’une discussion avec ses services techniques au moment des faits, voici ce qu’a lancé le maire Adama Ouédraogo à un technicien qui essayait de le dissuader sur la manœuvre : « Oui, c’est un dossier de fourniture, 7 000 000 de FCFA. J’ai dit à l’inspecteur et aux syndicats qu’on réceptionne les fournitures, mais en réalité, l’argent sera utilisé pour construire votre mur. Moi-même je sais que c’est un détournement. Mais je sais ce que je fais. On fait un devis de cahiers, mais on construit un mur. ». Le CCEB Gué Bétou Siaka a signé le P-V en question en tant que rapporteur pendant que Zoromé Arzouma Adama, comptable-stagiaire au moment des faits, était le président de la commission de réception.

Une vue du mur de la CEB de Kalsaka construit en lieu et place des fournitures scolaires des élèves

Pour la commune de Ouahigouya, le MENAPLN a transféré la somme de 163 431 280 FCFA dans le cadre de la dotation des écoles en fournitures scolaires au cours des années scolaires 2018-2019 et 2019 -2020 soit 84 090 020 pour le budget 2018 et 79 341 260 pour le budget 2019.

En 2018, le montant inscrit dans le plan de passation des marchés (PPM) est conforme au transfert reçu. Cependant le compte administratif (qui présente la situation réelle des dépenses exécutées) indique un montant libellé de 85 248 137 FCFA. In fine, la mairie a dépensé 81 246 770 pour acheter des fournitures en quantité insuffisante pour les élèves. Pourquoi y a-t-il eu un reliquat de 4 000 1367 FCFA pendant que les fournitures sont arrivées en quantité insuffisante ? Le directeur des affaires budgétaires et financières de la mairie, Abdoul Rahamané Ouédraogo, invoque la réalité des marchés publics pour s’expliquer : « Comme les fournisseurs savent qu’on prend le moins offrant, ils cassent les prix dans leurs offres. Mais les reliquats sont reconduits dans le budget de l’année suivante ».

Face aux manquements que connaît la gestion des fonds destinés au cartable minimum, le ministère a élaboré en 2013 un document de suivi appelé mécanisme de suivi conjoint MENA/Communes de mise en œuvre des compétences transférées aux communes pour améliorer la gestion. Ce document a été adopté par arrêté interministériel n°2015-0114/MENA/MATDS/MEF du 12 mai 2015. Mais ce dispositif ne fonctionne pas comme souhaité.

Yvette Zongo

Lefaso.net

Comments

comments