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Affaire Norbert Zongo : « Il n’est pas exclu qu’on revive un nouveau 13 décembre » avise Almamy KJ au regard du contexte actuel

Abdoul Kader Ouattara, alias Almamy KJ, reste fidèle et stoïque à sa ligne de lutte, qu’il mène d’ailleurs sans propos masqués. Dans l’actualité du 22e anniversaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, l’artiste reggae-maker livre son point de vue sur le dossier et aborde d’autres aspects de la vie nationale, dont les élections du 22 novembre 2020.

Lefaso.net : 22 ans que le journaliste Norbert Zongo est assassiné, 22 ans que les organisations de lutte attendent vérité et justice sur ce dossier également. Quel commentaire avez-vous sur l’évolution dudit dossier ?

Almamy KJ : Il faut dire que cet anniversaire se tient dans un contexte assez particulier, qui est que ces derniers temps, nous avons assisté à des menaces de mort, notamment de journalistes, d’activistes, de leaders de la société civile. Pour dire que nous n’avons pas encore quitté ce cap-là et pour dire qu’il n’est pas exclu qu’on revive un nouveau 13 décembre. Cela doit nous faire comprendre que le combat qui est mené depuis belle lurette par les organisations de lutte, par le peuple, notamment le collectif contre l’impunité, ceux-là à qui ils ont fait face dans les années 90, sont les mêmes qui sont aujourd’hui au pouvoir.

Donc, ces agissements-là n’étonnent guère. Le contexte de cet anniversaire est donc particulier et doit nous interpeller à rester solidaires, unis, déterminés pour que vérité et justice soient rendues à Norbert Zongo et à ses compagnons. Je vais même au-delà de ce dossier pour demander cette lumière pour l’ensemble de tous ceux qui sont tombés sous les balles assassines des différents pouvoirs dans notre pays.

C’est également appeler le peuple à maintenir la même détermination, parce qu’il est clair que ceux qui sont en face-là, ne sont pas prêts à ce qu’il y ait justice ; vous-mêmes, vous constaterez leurs agissements depuis qu’ils sont au pouvoir (les velléités à liquider les libertés individuelles et collectives). Je lance cet appel à tous les Burkinabè, de rester solidaires derrière les organisations démocratiques de lutte tels que le MBDHP (Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples), le Collectif contre l’impunité, la CCVC (Coalition de lutte contre la vie chère, la corruption, la fraude, l’impunité et pour les libertés, ndlr), pour que vérité et justice soient rendues aux Burkinabè qui ont été lâchement et honteusement abattus par les différents pouvoirs dans notre pays.

Lefaso.net : A quelques jours de l’ouverture officielle de la campagne électorale, on a suivi à travers des médias et les réseaux sociaux, un opus, que vous avez lancé en collaboration avec Dicko Fils, intitulé « Élections wouya wouya ». A quoi cela répondait ?

Almamy KJ : En tant qu’artiste-chanteur, en tant que reggae-maker (la reggae-musique qui est une musique d’éveil, de prémonition, musique qui est censée défendre la veuve et l’orphelin), je ne pouvais pas rester indifférent face à cette question dans ce contexte. J’aime à le dire : là où il y a vérité, c’est qu’il y a reggae et là où il y a reggae, c’est qu’il y a rasta. Donc, faire de la reggae-musique viendrait à dire la vérité et toute la vérité à ceux qui vous écoutent.

Donc, le titre « élections wouya wouya », c’est une façon pour moi de faire comprendre aux mélomanes, aux fans, aux populations, que les élections, dans ces conditions-là, ne nous tirerons pas d’affaire. Il faut dire clairement que pour des élections organisées (financées en majeure partie) par la France et l’Union européenne, ce n’est pas évident d’avoir un processus indépendant. Ils ne donneront pas leur argent et vous dire de choisir, vous, votre président ; ce n’est pas vrai. Donc, à la base, le système est déjà faussé.

Je prends un exemple assez clair : en 2015, dans le journal Jeune Afrique, François Hollande disait : « La France a fait son choix, c’est Roch Marc Christian Kaboré ». C’est pour dire que les choses sont pré-dessinées pour que des individus de leur choix dirigent nos pays. Donc, « élections wouya wouya » venait, dans ce sens-là, aviser, interpeller nos populations de se méfier des comportements des politiques. J’ai eu à parcourir un certain nombre de programmes (projets de société des candidats, ndlr), je me suis rendu compte qu’aucun n’a proposé un programme allant dans le sens des aspirations profondes des masses, de notre peuple.


Lefaso.net : Quelles sont ces aspirations ?

Almamy KJ : Elles sont assez claires : le peuple demande que les ressources du pays profitent à l’ensemble de ses fils et filles, le peuple demande le départ des bases militaires du Burkina, le peuple demande que les mesures anti-sociales imposées par le FMI et la Banque mondiale via les institutions de Breton Woods prennent fin… En découlent également, les privatisations sauvages et le cafouillage du système LMD.

De même, ce qui concerne l’éducation, aucun programme sérieux n’a été présenté. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une éducation qui tient compte du contexte national. Aujourd’hui, la domination économique est également claire ; le Franc CFA est une domination coloniale (on parle maintenant d’Eco, c’est un changement de nom, sinon le problème de fond demeure).

Vous avez des entreprises de construction, le chemin de fer avec Bolloré, Pierre Castel pour la brasserie, etc. Pour dire que c’est quand même regrettable qu’aucun candidat, aucun parti politique n’évoque cela (à part Me Ambroise Farama qui en a fait un point majeur). Pour dire que ce sont des gens qui veulent le pouvoir par la voie de l’électoralisme néocolonialiste pour encore et toujours piller les populations.

Aujourd’hui, il est clair que si l’on doit faire un bilan de l’électoralisme, en 60 ans d’indépendance, il a accouché d’une souris ou d’un chat. Ce, d’autant que ceux-là qui viennent au pouvoir, c’est de voir comment s’enrichir et enrichir leurs proches, au détriment du peuple. Pire, aujourd’hui, avec les mesures liberticides imposées par ces pouvoirs-là, notamment ceux d’en face, c’est sûr que pour le peuple, la question la plus urgente n’est pas celle des élections. D’où la chanson « Élections wouya wouya ».

Il est clair, pour nous, la véritable question, c’est de savoir si l’or du pays profite à l’ensemble des filles et fils de ce pays. Aujourd’hui, il y a une question qui est criarde, notamment la question du logement. Le rapport sur le foncier a relevé plus de 105 000 parcelles dissipées, de nombreux noms ont été cités, mais, la même pratique se poursuit et avec le pillage des terres à travers les sociétés immobilières. On retire des terres, on pille des terres aux populations.

L’insécurité, qu’est-ce qu’on en fait ? Des milliers d’enfants ne vont plus à l’école, il n’y a pas d’eau potable et ce sont des dizaines de milliards qu’on injecte dans les élections, dont tout le monde connaissait déjà l’issue. Que l’on décide véritablement à sortir ce peuple-là du pétrin, c’est ce qui est attendu.

Lefaso.net : Mais pour le peuple, l’élection reste la voie par laquelle on peut arriver à cette justice sociale !

Almamy KJ : Je dis en début de chanson que je ne me fais pas d’illusion sur la portée des élections, surtout dans ces conditions-là, moment de prédilection pour les traîtres à la nation pour semer la confusion au sein des populations. Ces conditions sont que le vote est organisé par l’Union européenne, par la France avec des observateurs internationaux à n’en point finir. Je vais paraphraser Kolich (Joëlle) pour dire que si les élections changeaient quelque chose, on les aurait interdites.

Les changements les plus fondamentaux s’obtiennent dans la douleur. En 2014, ce n’est pas par une élection que nous avons fait partir Blaise Compaoré (le référendum était légal, mais nous l’avons refusé parce que la machine électorale est détenue par le pouvoir en place). Il faut donc dire aux gens que c’est dans ces conditions que le vote pose problème.

Sinon, si on veut aller de façon fondamentale, dans l’histoire du monde, aucun pays ne s’en est sorti par le biais du vote bourgeois : de la France aux USA, de la Russie à l’Angleterre. Les gens ont mené des luttes de libération, après ils ont amené des systèmes de vote qui, par moment, dans certains pays, laissent à désirer (aux USA par exemple, il y a ceux qu’on appelle les grands électeurs qui votent pour les autres, comme si ces derniers ne sont pas les composantes de la société).

Ce n’est pas l’oppresseur qui viendra vous guider. La libération viendra des peuples eux-mêmes. L’insurrection populaire et la résistance au putsch l’ont démontré. Le modèle de changement, on doit le penser. Voulons-nous un changement où l’on déplace Blaise Compaoré pour imposer Compaoré Blaise ? Aujourd’hui, on a l’impression que c’est Roch Marc Christian Kaboré qui est à Abidjan et Blaise Compaoré au Burkina, tellement les libertés individuelles et collectives sont piétinées et tellement des travailleurs sont révoqués, comme si on était à l’antiquité et encore la corruption a atteint un certain stade.


Le dernier rapport du REN-LAC en dit long ; la corruption sous le régime du MPP a atteint la fleur de l’âge ; elle a atteint son summum. C’est normal, à quoi s’attendait-on ? C’est ce qu’ils ont tout le temps fait avec leur maître Blaise Compaoré. Donc, il ne fallait pas s’attendre à ce que le chien change sa façon de s’asseoir. De toute façon, moi, j’ai confiance à une chose : la libération, la vraie libération viendra comme elle l’a été avec l’insurrection, comme il (peuple, ndlr) l’a été avec la résistance au coup d’État (quand bien même on sait que l’insurrection a été tripatouillée ; les « anciens nouveaux » dirigeants ont repris leur pouvoir).

Aujourd’hui, le combat pour eux, c’est comment dissiper de vieux dossiers. Mais personne ne peut éteindre ces dossiers : Dabo Boukary, Thomas Sankara, Norbert Zongo, Flavien Nébié, Guillaume Sessouma, Watamou Lamien, Clément Oumarou Ouédraogo, les enfants de Garango, etc. C’est l’histoire, et les faits sont têtus. Je n’ai rien contre un politique ; toute personne qui mène son combat dans le sens de la vérité et de la justice, tout démocrate sincère, allant dans le sens de l’épanouissement des peuples, je suis prêt à le suivre.

Mon problème, c’est le peuple : arrivera-t-il un jour à se nourrir trois fois par jour ? Les ressources de son sous-sol lui profiteront-il ? Pour quelqu’un qui pille et est de ce fait aux anges, ne pensez pas qu’il vous donne comme cela une liberté. Voilà pourquoi, je dis qu’il faut penser le changement. De toute façon, vous voyez toutes ces menaces de mort : l’assassinat manqué de l’activiste Naïm Touré, la menace de Seydou Baoula, la menace sur le secrétaire général du SYNATIC, Sidiki Dramé, les menaces de mort sur la personne du secrétaire général de la CGT-B, Bassolma Bazié, les appels à exécution sommaire du président de la CCVC, Chrysogone Zougmoré.

Pour dire que le changement s’opérera autour de l’unité de notre peuple. C’est pour dire que si un journaliste est en danger, moi, artiste, je ne dois pas dire que ce n’est pas mon affaire, que c’est l’affaire des journalistes. Non, c’est l’affaire de tous ! Si un maçon est en danger, je dois être interpellé. Si un fonctionnaire quelconque est en danger, je dois être interpellé… Donc, il faut maintenir et renforcer l’unité populaire autour de la vérité et la justice.

Lefaso.net : Vous avez fait une chanson engagée, ne plaidant pas pour ces élections. Dès lors, ne vous êtes pas fait fermer des portes à des prestations à des meetings des candidats, quand on sait que c’est un moment pour les artistes de se faire une santé financière ?

Almamy KJ : C’est vrai que qui dit prestations, parle de questions pécuniaires. Mais pour moi, la chose la plus importante, ce n’est pas l’aspect pécuniaire. C’est d’abord le message. L’art n’a de valeur que lorsque l’expression atteint une certaine masse. Donc, je n’ai pas eu peur de n’avoir aucune invitation pour prester aux meetings des partis politiques et candidats. Pour moi, l’important, c’était de faire une chanson pour participer à l’éveil de conscience de la masse, des populations.

De toute façon, les élections sont passées, mais les habitants du Yagha, de Solenzo, de Djikôfè ou de Zongo (quartiers périphériques est et ouest de la capitale, ndlr)… vivent les mêmes problèmes. Les parcelles qui ont été volées seront-elles restituées ? C’est cela la question. Donc, prester à des centaines de milles dans les meetings n’est pas plus important que de faire une chanson sur les conditions de vie des populations et interpeller pour améliorer ces conditions de vie-là et pour la justice sociale. C’est cela le plus important. C’est vrai, l’argent, il en faut pour vivre, mais il ne peut remplacer la liberté.

Lefaso.net : On a vu des artistes appeler à voter pour des candidats et cela a fait jaser au sein des populations, notamment des mélomanes. Quel regard portez-vous sur une telle posture ?

Almamy KJ : Moi, ça ne me pose aucun problème qu’un artiste appelle à voter pour un candidat. Je n’ai pas de problème à ce qu’un artiste prenne position ; l’artiste doit d’ailleurs prendre position, pour se situer et situer ses fans. D’autant plus que l’artiste ne se dissocie pas des autres composantes de la société. Notre Constitution reconnaît ce droit à tous les citoyens. Donc, je peux même dire que l’artiste doit prendre position, pour ne pas faire dans l’hypocrisie. A moins que nous ne voulions une société dans laquelle tout le monde va faire dans l’hypocrisie.

Mais, l’élément le plus important ici, c’est qu’il assume sa position. Il doit assumer sa position. Dans les années 98, quand les gens marchaient sur le soleil ardent pour réclamer vérité et justice pour Norbert Zongo, il y a des artistes qui chantaient vérité et justice pour Norbert Zongo. Mais dans le même temps, il y a des artistes qui chantaient pour Blaise et Chantal Compaoré.


C’est un choix, qu’il faut assumer. Mon problème, c’est que celui qui a chanté pour Blaise Compaoré…ne vienne pas nous dire demain, qu’hier, il a chanté dans l’euphorie, dans la peur ou parce qu’il y avait beaucoup d’argent. Donc, la question la plus importante, c’est d’assumer. D’autant plus que la neutralité n’existe pas (la neutralité, c’est de la lâcheté, le neutre, c’est un lâche).

Quand le peuple est opprimé et qu’un individu se permet de dire qu’il est neutre, cet individu est un danger pour la société. Voilà pourquoi, je dis que la question de la responsabilité est très importante. La reggae-musique étant une musique censée défendre la veuve et l’orphelin face à ceux-là qui volent les terres, qui pillent les populations, ceux-là qui révoquent les travailleurs comme dans l’antiquité. Si on doit faire la louange de ceux-là, je crois qu’il faut choisir une autre musique que le reggae.

Le reggae défend la veuve et l’orphelin, il défend les opprimés. Je prends la lutte contre la modification de l’article 37, à l’époque quand nous chantions pour sa non modification, il y en avait qui chantait pour sa modification. Mais, parmi ces artistes, il y en a qui ont pris position aujourd’hui pour Roch Marc Christian Kaboré. C’est dire qu’ils suivent les hommes forts du moment. Donc, et j’insiste là-dessus, en tant que reggae-maker, je ne ferai pas les éloges de ceux-là qui briment, qui oppriment le peuple. Le faire, c’est trahir la reggae-musique, c’est trahir les devanciers.

Lefaso.net : Vous avez engagé, ces dernières années et à travers la structure dont vous êtes le responsable, une lutte pour la valorisation du cachet des artistes et plus globalement pour l’amélioration des conditions de vie des artistes. Le point aujourd’hui vous donne-t-il satisfaction ?

Almamy KJ : C’est une occasion de remercier l’ensemble des artistes qui répondent à l’appel de leur syndicat, notamment du SYNAMUB (Syndicat national des artistes musiciens du Burkina). Depuis sa création, le syndicat se bat pour que les conditions connaissent une amélioration, notamment pour ce qui est d’une institution comme le BBDA (Bureau burkinabè du droit d’auteur).

Jusqu’à ce jour, aucun artiste ne peut dire comment il est payé ; les artistes sont payés de façon aléatoire, tout simplement parce qu’il n’y a pas de logiciel. Nous exigeons donc un logiciel unique de comptabilisation, depuis belle lurette. Également, vous avez suivi les différents Fonds de solidarité. Au mois d’avril, un premier Fonds de 150 millions a été dégagé pour soutenir les créateurs, notamment les artistes-musiciens, les écrivains, les cinéastes.

A ce jour, un point clair n’a pas été fait. 30 000 francs ont été remis à chaque artiste et nous avons demandé au BBDA de publier la liste exacte des bénéficiaires, la liste nominative de tous ceux qui ont perçu et ceux qui ne l’ont pas fait. A ce jour, aucun état n’a été fait. Également, sur le milliard 250 millions octroyés par le président du Faso aux acteurs culturels, là également, jusqu’à ce jour, aucun bilan clair n’a été établi.

Nous avons également demandé une liste de ceux qui ont perçu et ceux qui ne l’ont pas perçu. Le BBDA se permet de nous dire que c’est confidentiel. Nous leur avons dit que pour les médias par exemple, quand ils perçoivent la subvention, il y a devant le nom de chaque média, le montant perçu. Alors, si le BBDA veut faire dans la transparence, s’il ne se reproche rien, qu’il produise cette liste-là.

Propos recueillis par Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

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