Le barrage hydroagricole de Pougma est à cheval entre les Communes de Zorgho et de Boudry, dans la province du Ganzourgou. Il n’a pas encore été officiellement réceptionné. Mais les populations riveraines s’impatientent. Malgré la baisse du niveau de l’eau en ce mois de décembre 2020, des producteurs y font du jardinage. Sur les berges du barrage, les langues se délient. Mais ce qui accroche le regard, c’est cet espoir qui se dessine sur tous les visages.
Vendredi 16 octobre 2020. A la faveur d’une visite-éclair sur les berges du barrage de Pougma, situé à environ deux kilomètres de Zorgho, l’eau est en abondance. Les riverains occupés par leurs obligations quotidiennes n’échangent que des regards confiants.
Nous constatons le trop-plein de l’eau et les installations toujours en cours dans le but d’endiguer la crue. Des houppiers d’arbres flottent au-dessus de l’eau de couleur orangée. Une maisonnette en parpaings trône à côté. L’eau a pris le dessus.
Pour l’heure, seule la digue sert de passerelle entre les Communes de Zorgho et Boudry. « Si toutefois deux véhicules se rencontrent ici, ça ne sera pas simple », mâchonne des mots en Mooré un motocycliste de passage. Sur la digue, l’on peut apercevoir l’étendue de l’eau qui se perd à l’horizon.
Mais deux mois plus tard, le lundi 21 décembre 2020, des bois flasques et des fondations de bâtiments, qui étaient enfouis dans le bas-fond, refont surface. La baisse du niveau de l’eau inquiète plus d’un.
« L’eau s’évapore assez rapidement »
Au milieu de la population mobilisée pour nous rencontrer ce jour, une dame au voile bleu se distingue par sa timidité. « C’est Poug-paala (Femme nouvellement mariée, Ndlr). Je l’appelle pour vous », s’exclame un aîné, sourire aux lèvres. Ce dernier porte au dos un sac et de ses deux épaules pendent deux gros sachets noirs. Il revient de la ville.
Il hèle la dame avec qui il entretient une certaine familiarité. Quelques minutes après, « Adja », surnommons-la ainsi, nous aborde. Mère de deux enfants, elle frise la trentaine et se nomme en réalité, Adama Ouédraogo…
« Peut-être que j’ai été échangée pendant que j’étais encore bébé », rigole-t-elle comme pour justifier l’impression masculine que donne son prénom. Propriétaire d’un champ sur les berges du barrage de Pougma, Adama craint pour l’eau qui a perdu environ la moitié de sa capacité entre octobre et décembre 2020.
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« Le barrage nous est d’une grande utilité. Mais qu’on trouve un mécanisme pour retenir le maximum d’eau. Parce que l’eau s’évapore assez rapidement. Si nous commençons à cultiver et qu’à un moment donné, il n’y a plus d’eau, cela pourrait être fatal pour nous », se persuade son époux, Karim Bagagnan, venu discrètement écouter ce que sa seconde épouse relate dans notre enregistreur.
L’évapotranspiration, « un phénomène naturel »
Le Chef du village de Lelkoom, le Lelkoom Naaba, soutient les dires du sieur Karim en déplorant, lui également, la baisse du niveau de l’eau. Mais Dramane Sébastien Konkolé, Directeur provincial de l’eau et de l’assainissement du Ganzourgou, qualifie de naturel ce phénomène appelé « évapotranspiration ».
« Pour une retenue d’eau, pendant les premières années, il faut l’infiltration pour que le sol puisse consommer assez d’eau. C’est ce qui est vu comme de l’évaporation. C’est l’évapotranspiration ; surtout comme nous avons un ensoleillement très fort. Nous ne pouvons donc pas dire que nous maîtrisons cet aspect », fait-il comprendre aux populations.
Construction du barrage de Pougma : “Nous sommes très contents malgré tout”
La baisse du niveau de l’eau n’empêche cependant pas les producteurs de faire du maraîchage. C’est la fraîcheur dans les environs du barrage de Pougma. Aux abords du lit mineur, les feuilles de tomates et d’oignon offrent l’aperçu d’un horizon verdoyant.
Quand nous sillonnons les allées de la ferme de Harouna Kaboré, c’est sourire aux lèvres qu’il exhibe son gagne-pain. Cela fait plusieurs mois que cet habitant au secteur 5 du village voisin de Lelkoom s’est installé sur les berges du barrage de Pougma.
Entre consternation, joie et espoir…
« Voyez vous-mêmes. Personne ne s’est éloigné de l’eau comme moi », se déculpabilise le quadragénaire, une daba accrochée à l’épaule. Le ressortissant de Lelkoom, tout comme la plupart de ses voisins producteurs, respecte la bande de servitude ; mais exploite le barrage sans agrément.
Grâce à une pompe à moteur, Harouna Kaboré prélève chaque jour le « jus » pour arroser son champ. Il dit savoir que cette exploitation est illégale, puisque les aménagements du barrage n’ont pas encore été bouclés. L’habitant de Lelkoom promet qu’il n’y aura pas d’impact sur la retenue d’eau, notamment son ensablement.
Sur les berges du barrage de Pougma, échanger avec les riverains sur leur nouvelle vie s’apparente à rouvrir une plaie qu’ils portent comme… des médailles. C’est entre consternation, joie et espoir qu’ils se confient à nous.
Pour que ceux, qui y vivaient et cultivaient, quittent leur terre, il a fallu plusieurs mois de dialogue. Une partie de la population s’était même opposée, au début du Projet de mobilisation et de valorisation des eaux de surface dans le Plateau-Central (PMVEC), en réclamant une route en lieu et place d’un barrage. Le débat a été tranché en faveur de la construction du barrage.
« On ne peut faire des omelettes sans casser des œufs »
En fin 2018, le Groupement ECR-BTP-Ingénierie/TSR-GTI, retenu pour l’exécution du marché, commence à faire vrombir les bulldozers dans la « Cité des mangeurs de crapauds » et ses environs où en 2007 une retenue d’eau était presque inexistante.
En 2020, le plan d’eau est exécuté à 100%. Il se trouve à Pougma (Zorgho) et l’aménagement réalisé à 60% s’étend à Lelkoom (Boudry). Il n’y a pas de « conflit dans l’entente » entre les deux populations, comme c’est le cas entre l’Ethiopie et l’Egypte à propos du grand barrage de la renaissance.
Les riverains réclamaient la construction de cette écluse depuis des lustres. 40 ans, selon certains. « On ne peut faire des omelettes sans casser des œufs. Ici, le problème se situe au niveau des dédommagements », affirme le Lelkoom Naaba. Il fait allusion notamment aux propriétaires de manguiers détruits au démarrage des travaux. Chose qui n’était pas prévue, avoue le Chef traditionnel.
« Quoi qu’on dise, nous sommes très contents »
Salam Gnandé Kaboré, cultivateur ressortissant de Pougma, fait partie des personnes affectées par ces imprévus. Il pleure toujours son verger détruit au début des travaux de construction du barrage. Les indemnisations, se convainc-t-il, n’ont pas été totalement satisfaisantes.
Barrage de Pougma : “Tous ceux qui étaient sur notre liste ont été indemnisés”
« Pendant la période des mangues, nos sept manguiers pouvaient nous rapporter au moins 50.000 FCFA. Les arbres ont été détruits pour construire le barrage. Sur cet aspect, nous n’avons pas été indemnisés. Concernant les terres, nous avons été indemnisés à hauteur de 200.000 FCFA par hectare », avoue M. Kaboré.
Avant la construction du barrage, Karim Bagagnan et ses deux épouses vivaient dans les environs de la maisonnette qui trône au milieu de l’eau. « Ma coépouse et moi vivions séparément, chacune dans sa maison. Mais avec l’indemnisation, nous n’avons eu droit qu’à une seule maison, en plus de celle de notre époux. Donc, je peux dire que concernant les indemnisations, c’est bon, mais ce n’est pas arrivé », s’exprime Adama Ouédraogo, la seconde épouse de M. Bagagnan.
« Toutes les personnes sur notre liste ont été indemnisées »
Pour le Conseiller villageois de développement (CVD de Lelkoom), Jean-Baptiste Ouédraogo, des habitations et propriétés qui n’étaient pas concernées au départ ont été détruites. Mais, selon ses dires, les bienfaits du barrage surpassent les désagréments causés.
« Les propriétaires terriens ont été indemnisés. Mais, comme on a l’habitude de le dire, c’est le terrain qui commande la manœuvre. Quoi qu’on dise, nous sommes très contents. Nous espérons qu’avec ce barrage, les localités avoisinantes pourront se développer grâce aux différentes activités génératrices de revenus », coupe court celui qui cultive la tomate et l’oignon au bord du barrage de Pougma.
Notre rencontre avec les populations se mue rapidement en une sorte de procès contre les responsables en charge du projet et les autorités locales, avant que Dramane Sébastien Konkolé, Directeur provincial de l’eau et de l’assainissement du Ganzourgou n’intervienne : « Toutes les personnes qui ont été sur notre liste ont été indemnisées. Même les propriétaires d’arbres fruitiers ou non ».
Pour le moment, confie-t-il, au moins 200 personnes ont été indemnisées, au cours de la construction du périmètre et de la retenue d’eau.
Favoriser la production du riz, du maïs, le maraîchage, la pisciculture…
Au siège du projet PMVEC sis au quartier Ouaga 2000, les explications sont on ne peut plus claires : les portes du projet ne sont pas fermées et l’ouvrage n’a pas encore été achevé à 100%. « Si d’aventure on constate que quelqu’un n’a pas été indemnisé, et qu’on constate qu’il sera affecté, on peut toujours prendre la personne en compte.
Comme il y avait l’urgence dans le démarrage des travaux, ce sont les biens individuels qui ont été indemnisés. Nous avons fait comprendre à la population que les biens collectifs ou communautaires, notamment les lieux de culte impactés, seront également indemnisés », explique Boukaré Compaoré, Coordonnateur du Projet de mobilisation et de valorisation des eaux de surface dans le Plateau-Central (PMVEC).
Construction du barrage de Pougma : Explications sur le processus d’indemnisation des populations
Le projet de cinq ans qu’il coordonne intervient dans deux provinces du Plateau-Central : le Ganzourgou (Quatre sites : Dawaka-Wéotenga, Taba, Kouldisgou et Pougma) et le Kourwéogo (Un site : Niou). Adopté en Conseil des ministres le 10 octobre 2018, son objectif est de construire cinq barrages pour favoriser notamment la production du riz, du maïs, le maraîchage, la pisciculture ; et l’aménagement d’environ 195,3 hectares en aval de ces barrages.
Protection et entretien de l’ouvrage, utilisation rationnelle de l’eau…
Le projet initié par l’Etat burkinabè avec l’appui de la Banque ouest africaine pour le développement (BOAD) prévoit aussi des actions de renforcement de capacités des populations bénéficiaires et des actions de protection de l’environnement. Il prend fin en avril 2021 et est financé à hauteur de 13.282.000.000 FCFA (89% par la BOAD ; 10% par l’Etat et 1% par des Institutions de microfinances).
Pour l’atteinte des résultats escomptés, Boukaré Compaoré recommande une bonne organisation des bénéficiaires et une gestion intégrée des ressources en eau, en ce qui concerne notamment la protection et l’entretien de l’ouvrage, l’utilisation rationnelle de l’eau, la dénonciation des cas de pollution et d’ensablement et le respect de la bande de servitude.
La capacité de stockage du barrage peut être mise à rude épreuve du fait de l’action de l’homme, insiste Braman Sourabié, ingénieur du développement rural à la Direction régionale de l’eau et de l’assainissement du Plateau-Central.
A l’écouter, en attendant la finalisation de l’infrastructure à Pougma et l’installation du Comité local de l’eau (CLE), l’Agence de l’eau du Nakanbé et sa Police de l’eau sont déjà sur leurs gardes. Elles peuvent compter sur les populations riveraines qui voient en ce barrage l’espoir de toute une province.
Noufou KINDO
Burkina 24
Source : Burkina24.com
Faso24
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