Entrée en vigueur de la ZLECAf : Le temps de l’Afrique !
Initialement prévue le 1er juillet 2020, l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) a eu lieu, officiellement, le 1er janvier 2021. La pandémie du nouveau coronavirus (Covid-19) est passée par là. Mais la faute également aux négociations entre États qui ont duré, allant même, sur certains points, au bord de la rupture. Si ces derniers mois, le problème de la fermeture des frontières a eu un effet certain sur la mise en oeuvre effective du « marché commun » africain, d’autres obstacles plus profonds et des contraintes réelles ont failli remettre en cause la dynamique positive observée depuis le sommet historique de Kigali en mars 2018.
La ZLECAf qui réunit 54 des 55 pays africains (à l’exception de l’Erythrée qui n’a pas signé l’accord), soit 1,2 milliard d’habitants, représente un PIB cumulé de 2.500 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de la France. C’est le plus grand marché commun du monde en terme d’habitants, mais la nouvelle organisation continentale est encore loin derrière l’Union européenne en terme de richesse.
C’est lors du sommet de l’Union africaine tenu à Niamey (Niger), en juillet 2019, que la ZLECAf a été lancée en grande pompe, en présence de 32 chefs d’État, une centaine de ministres et 4.500 délégués. Avec l’objectif ambitieux de faire progresser rapidement les échanges intra-africains, afin de doper les économies du continent le moins développé.
Le commerce intra-africain ne représente que 15% des échanges totaux du continent, contre 70% pour l’Union européenne. La mise en oeuvre effective de la ZLECAf, dès juillet 2020, a été compromise par des facteurs exogènes. La pandémie de Covid-19 avait amené les ambassadeurs en poste au siège de l’Union africaine à Addis Abeba à proposer le 1er janvier 2021 comme nouvelle date de mise en oeuvre, une recommandation adoptée par les chefs d’État. Mais au-delà de la crise sanitaire qui bloque les échanges, la réalisation effective de la ZLECAf reste encore une nébuleuse.
À la date du 30 novembre 2020, 34 pays ont ratifié l’accord parmi les 54 pays qui l’ont signé. Parmi eux, des poids lourds économiques, tels que l’Afrique du Sud, l’Egypte, ou encore des poids moyens comme le Maroc, le Kenya et la Côte d’Ivoire. Mais d’autres pays sont jusqu’à ce jour réticents : le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec ses 200 millions d’habitants, n’a toujours pas ratifié l’accord. L’Algérie, également, n’a pas encore déposé de manière formelle son dossier pourtant ratifié le 15 décembre 2019.
La coexistence entre la ZLECAf et les huit organisations économiques régionales africaines déjà existantes pose aussi problème. « Les communautés économiques régionales demeurent, avec leurs obligations pour leurs pays membres…Nous bâtissons (la ZLECAf) sur la libéralisation et les progrès déjà accomplis par ces communautés », indiquait d’ailleurs le Secrétaire général, le Sud-africain Wamkele Mene nommé en février 2020. En effet, selon lui, l’objectif des négociations de la ZLECAf est la suppression des taxes douanières pour 97% des produits d’ici 15 ans, avec une application graduelle pour les pays les moins développés.
Cette libéralisation entraînerait une augmentation d’environ 16% du commerce intra-africain, soit en valeur 16 milliards de dollars supplémentaires, selon les calculs du Fonds monétaire international (FMI). Une somme plutôt modeste à l’échelle du continent, dont les échanges avec l’Union européenne, son premier partenaire commercial, sont deux fois plus importants que le commerce intra-africain.
Le rapport sur le processus de mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) a été présenté le 5 décembre 2020 par le président du Niger, Issoufou Mahamadou, champion de la ZLECAf. Certains États membres et unions douanières ont fait observer qu’ils devront compléter les règles d’origine avant de finaliser les offres tarifaires, car il existe un lien entre les règles d’origine et les offres tarifaires.
Il a été recommandé « de lancer le démarrage des échanges commerciaux sur la base de règles d’origine déjà convenues, et également aux Ministres de Commerce d’établir un programme de travail sur une période de six mois pour conclure les questions en suspens sur les règles d’origine ». Ainsi, tous les États devront soumettre dans les brefs délais, d’ici juin 2021, leurs listes d’engagements spécifiques pour les cinq (5) secteurs (les services aux entreprises ; les communications ; les finances ; le tourisme et les transports).
Toutefois, la suppression des droits de douane ne suffira pas. De l’avis de nombreux experts, il faudra aussi s’attaquer aux nombreux obstacles non tarifaires, comme la faiblesse des infrastructures de transport, de logistique, de communication, l’harmonisation des systèmes de paiement. Ainsi, l’intégration (africaine) exigera sans doute plus de temps dans la mesure où il faudra mettre en place, à l’échelle du continent, d’énormes investissements d’infrastructures.
Notamment l’interconnexion des oléoducs et gazoducs, des aéroports, des chemins de fer, routes et systèmes de télécommunication. Le gap entre États est important et les disparités énormes en matière d’infrastructures et de réseaux de communication. Sans oublier les défis sécuritaires de toutes sortes et, surtout, la volonté politique de mettre en œuvre les engagements souscrits.
Après des années d’attentes et d’atermoiements, les contours de la ZLECAf prennent forme. Accra, la capitale ghanéenne, accueille son siège et le secrétariat général. Même si de nombreuses questions restent en suspens. Le projet qui avance à pas feutrés prévoit la levée des tarifs douaniers sur 90 % des produits sur cinq à dix ans. La ZLECAf est « l’un des grands rêves des pères fondateurs », avait rappelé le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat.
Quant au président en exercice de l’UA, le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, il avait prévenu en ces termes : « Nous devons nous assurer que la ZLECAf ne devienne pas un moyen déguisé de faire entrer des produits à une faible valeur ajoutée africaine sur le marché local ». Avant d’ajouter qu’il faut « des règles raisonnables pour définir ce qu’est un produit fabriqué avec fierté en Afrique ».
La fameuse « clause d’origine ». Les États devaient statuer sur la question lors d’un sommet extraordinaire initialement prévu en mai 2020 à Johannesbourg. Le Malgache Victor Harison, commissaire aux Affaires économiques de l’UA, estime que les entreprises locales doivent être les premières bénéficiaires de cet espace de libre commerce.
Certes, à l’instar des autres marchés communs régionaux qui contrôlent et régulent le commerce mondial, la ZLECAf devra batailler dur pour exister avant de jouer pleinement sa partition. Au moment où, en Europe, l’édifice de l’union communautaire vacille à la suite du Brexit et de la décision du Royaume-Uni de faire cavalier seul, l’Afrique pose les jalons d’une intégration irréversible. Surtout face au Marché commun de l’Amérique du Sud (Mercosur), jusque-là 3e marché intégré au monde derrière l’Union européenne et l’ALÉNA (Accord de Libre Échange Nord-Américain).
Le 15 novembre dernier, quinze pays d’Asie créaient à Hanoï le plus grand accord de libre-échange du monde, le Partenariat régional économique global (Regional Comprehensive Economic Partnership ou RCEP, couvrant près d’un tiers de la population du globe et représentant 30 % du produit intérieur brut mondial. À titre de comparaison, le marché commun de l’Union européenne pèse autour de 19 % du PIB mondial.
La pandémie de Covid-19 a permis de noter la remarquable capacité de résilience du continent, en dépit de l’insuffisance des moyens, du faible niveau d’équipement des structures de santé et des limites dans la gestion du fléau, d’une manière générale. À l’aube de cette nouvelle année 2021, les dirigeants africains doivent œuvrer sans relâche, avec engagement et patriotisme, à la concrétisation des rêves d’unité et d’émergence économique nourris par les pères fondateurs, à la naissance de l’OUA, en 1963 à Addis-Abeba. Voici donc venu le temps de l’Afrique !
Bonne semaine à tous !
Karim DIAKHATÉ
Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN
Coordonnateur de la Rédaction du magazine AFRIQUE DÉMOCRATIE