Consensus politique et actions d’éclat : un mixte politique explosif !
À la faveur du changement de législature et à l’orée du nouvel an, le peuple burkinabè a assisté à deux événements qui interpellent. Si le premier, la réélection presqu’à l’unanimité d’Alassane Bala Sakandé, est passé quasiment inaperçu, le second, la participation du tout nouveau président de l’Assemblée Nationale (PAN) aux opérations de sauvetage de la Brigade Nationale des Sapeurs-Pompiers à Ouagadougou, durant la nuit de la Saint Sylvestre, l’a été moins.
Les acteurs de terrain ont beaucoup besoin de ce type d’actions qui les encouragent et les galvanisent, mais celles-ci ne sont qu’une infime proportion des éléments motivationnels de gestion des ressources humaines. Il est aussi vrai que nous sommes nombreux à réclamer de nos gouvernants qu’ils donnent l’exemple, et le Président Sakandé doit être félicité pour cela. Cependant, il y a d’une part des limites, et d’autre part des mélanges de genres qui peuvent s’avérer explosif dans un pays à contexte social délicat comme le nôtre. Sont de ceux-là les amalgames que la volonté et la fougue du PAN nous donnent d’observer.
L’usage du consensus dans la politique au Burkina Faso
De façon générale, le consensus est une dimension temporelle et temporaire du système de management qui permet de créer des allègements nécessaires à l’accomplissement de l’action publique, afin de faciliter la résolution d’un problème public spécifique qui ne saurait l’être en d’autres circonstances.
On peut l’admettre dans le cas de la préparation des élections couplées de cette année, lorsqu’en juillet la classe politique confrontée à la tenue effective de celles-ci a dû en user pour garantir la paix sociale dans notre pays. Même s’il y avait beaucoup à dire sur la forme, parce qu’on a eu l’impression que les politiciens se sont entendus sur le dos des citoyens, au moins il s’agissait là d’un problème public réel !
Mais, était-ce le cas pour que les députés élus soient obligés de trahir le mandat de toutes les franges de citoyens qui leur ont accordé leur confiance, jusqu’à éviter la confrontation de courants politiques discordants pour l’élection du PAN ? Ç’aurait été l’occasion pour ceux qui souhaitaient une autre gouvernance d’exprimer leur opinion et, qui sait, faire émerger une cohabitation politique bénéfique au pays, dans la mesure où une masse silencieuse s’est abstenue par dépit peut-être !
La question du consensus politique, dans un contexte assez délicat comme celui de notre pays, traversé par beaucoup de défis (chômage des jeunes, bombe foncière, administrations publique et privée malades, corruption endémique, etc.), doit être appréciée, utilisée et évaluée avec beaucoup de tact et de circonspection. Il est en effet à craindre que dans leur élan et convaincus par la méthode Sakandé, nos honorables députés n’oublient effectivement de porter les voix de ceux qui les ont mandatés pour apporter la juste contradiction, ainsi que leur plaintes et complaintes.
Contrairement au privé, où le consensus est plus enclin à favoriser le progrès, dans la mesure où les intérêts, même s’ils sont aussi multiples, convergent vers des intérêts particuliers gagnant-gagnant, le public doit gérer des intérêts multiples, trop souvent divergents, avec de multiples acteurs, tout en prenant soin de déterminer l’intérêt général, sans que celui-ci ne soit ni la somme de ces intérêts, ni l’intérêt qui se place à équidistance des intérêts particuliers. Un jeu bien complexe réglé par le strict respect des normes. Aujourd’hui, il y a un risque réel, dans la mesure où le PAN est passé maître dans l’art d’endormir toute conscience discordante par une démarche populiste de gouvernance qui soustrait chaque acteur à sa responsabilité !
La responsabilité des acteurs doit être engagée pour que chacun accomplisse son travail et rende compte
On ne le chantera jamais assez, la responsabilité est l’un des piliers de la réussite d’une gouvernance et surtout l’un des trois pendants de la gouvernance vertueuse réclamée par les citoyens, avec l’évaluation et la sanction. Si on ne responsabilise pas et, surtout, si on fuit ses responsabilités, point de sanction, et c’est la porte ouverte à la rupture continue et continuelle d’égalité, puis à l’injustice qui installent l’instabilité dans un pays.
Dans un contexte où le travail administratif, voire public, est de plus en plus divisé, professionnalisé et où l’expertise individuelle détermine l’accomplissement de la tâche, il n’est nul besoin de confirmer que c’est l’usage de la fonction « responsabilité » qui commande la performance. Dans de telles conditions, si chacun accompli correctement la tâche qui lui incombe, les encouragements des responsables ou des autorités ne peuvent que se résumer à la gestion des aspects motivationnels, qui peuvent, ne l’oublions pas, comporter aussi des descentes sur le terrain.
Mais, il y a des proportions à garder pour ne pas tomber dans une sorte de populisme qui endort les consciences. Et sur ce point, on peut évoquer ici Socrate qui soutenait que gouverner, c’est d’abord être expert dans son art, exercer la direction, ne considérer ni prescrire ce qui est dans son intérêt propre, mais bien ce qui est utile à celui que l’on dirige. Or le populisme est une construction conscience d’une personnalité à des fins dissimulées qui n’a pas forcement l’intérêt général comme baromètre, mais pire, il déresponsabilise celui (celle) ou ceux à qui la tâche est confiée.
La crise de l’intérêt général dans la démarche du PAN
L’intérêt général ne s’embarrasse point de spectacle. Elle s’offre, avec splendeur, dans sa plus grande nudité à l’observateur et à la délectation du citoyen, et s’intègre naturellement et objectivement à l’évaluation publique, de sorte que sa satisfaction ou non fasse l’objet de sanction adéquate, c’est-à-dire juste, ciblée et proportionnelle à l’insuffisance de mise en œuvre et à la rupture d’égalité que l’action publique aura occasionnées, pour éviter toute contestation et préserver la paix sociale.
Il ne s’agit pas de continuer dans des actions sporadiques qui émeuvent. « (…) notre responsabilité principale est finalement de mettre en place des processus d’anticipation constitués de réflexivité, de questionnements, de relectures de nos expériences » (Dominique GENELOT). C’est pourquoi nous devons veiller à ce que nos réponses à des situations imprévues se construisent par un phénomène d’émergence au moment même de l’action, et nous attacher à cultiver des dispositions qui généreront l’émergence d’une décision plus éthique, quand nous serons confrontés à la décision, selon lui.
Le PAN a déjà pris la bonne direction avec les enquêtes parlementaires qu’il a initiées. Il lui faut aller maintenant jusqu’au bout pour exiger des comptes et sanctionner à la hauteur de ses pouvoirs constitutionnels. Puisque la meilleure façon de devenir un leader respecté et aimé au Faso, c’est de travailler à l’intégration irrémédiable de la question de la responsabilité, au lieu d’actions d’éclat, qui constituent un cocktail explosif avec la mauvaise gestion du consensus politique.
Robert Tapsoba