Le ‘’Moogh Naab Yiibu » : Le dernier ouvrage de Maître Titinga Fréderic Pacéré
Depuis la nuit des temps, chaque vendredi matin, Sa Majesté le Moogho Naaba, empereur des Mossé, effectue une sortie rituelle dont la symbolique culturelle et le sens cultuel échappent à bien d’observateurs ou de visiteurs non-initiés à la culture du palais royal. Quels sont les aspects et les valeurs culturels de ce rituel hebdomadaire ? Maître Titinga Fréderic Pacéré, trésor humain vivant, par ailleurs chef coutumier de Manéga, sous le nom de Naaba Panantougri, du haut de son envol culturel, perce le mystère, à travers un ouvrage intitulé ‘’Moogh Naab Yiibu ». Lu pour vous !
Pour le sens commun, la sortie rituelle du Vendredi matin du Mogho Naaba, dite de « Faut départ » de l’Empereur des Mossé, est « un simulacre de répétition de départ en guerre contre une frustration, suite à deux provocations majeures, qui seraient venues du Nord ». L’une serait venue du frère Yadéga de la lignée du Mogho Naaba, et l’autre serait liée à des vols de fétiches, éléments constitutifs du fondement du Royaume de Oubri.
Ces deux affronts ont été vécus à l’époque comme une humiliation ayant bafoué, voire enlevé, la légitimité de commandement du Royaume mossi. C’était sous le Mogho Naaba Koumdoumyé, qui a régné 21 ans durant, de 1337 à 1358. Ce Naaba est considéré, dans la lignée, comme « le plus grand réformateur du Mogho, en matière de gouvernance ». Certains auteurs de ce rituel le situent aussi sous le règne de Naaba Warga (1666-1681) qui fut lui, « le plus grand réformateur du Mogho en matière civile ».
Depuis ce temps, le rituel de « Faut départ » du Mogho Naaba a été perpétué de génération en génération et ce, jusqu’aujourd’hui. La cérémonie, teintée de scènes pittoresques et carnavalesques (comme dirait le non-initié), est l’objet de curiosité du public, attirant beaucoup de personnalités, d’institutions du pays et de l’extérieur. Selon des témoignages, « le rituel du vendredi matin du Mogho Naaba était à l’origine, quotidien ».
C’est au fil du temps qu’il est devenu hebdomadaire. La cérémonie qui débute au palais à 7 heures, dure à peine 30 minutes. Mais le déplacement pour y assister en vaut bien la peine. Et outre les nationaux, des visiteurs étrangers n’hésitent pas à parcourir des dizaines de milliers de kilomètres pour assister, ne serait-ce qu’une fois, à ce rituel hebdomadaire du palais, sous ‘’l’éclairage » d’un guide non officiel et non réellement informé lui-même, aux fins d’explications et de renseignements à mieux comprendre le rituel du Rituel.
A propos de ce rituel, et pour mémoire, la légende nous enseigne que « le Mogho Naaba, chaque matin, sort de son palais et fait venir un cheval pour aller à La (Lago, on dit en Moré ‘’Na tog La » qui se traduit littéralement par ‘’Se rendra à La »), à la recherche des fugitifs et pour ramener les fétiches de fondation du Royaume de Oubri, constitué par 3 éléments ».
Mais si cette narration du fait semble répondre à une certaine logique et ténacité légendaires, il n’en demeure pas moins qu’elle relève de la tradition orale, donc sujette à des difficultés d’interprétation voire à des distorsions et déformations dans la transmission au fil des temps.
L’éclairage de Me Titinga Frédéric Pacéré
Pour apporter sa part de vérité dans la compréhension du rituel du « Faut départ » du Mogho Naaba, Maître Titinga Fréderic Pacéré vient de publier aux Editions Fondation Pacéré-Burkina Faso 2020, un ouvrage intitulé « Moogh Naab Yiibu » (la sortie du Mogho Naaba). Dans le genre ‘’Connaissance de l’histoire » du Moogho, c’est un chef-d’œuvre digne d’intérêt.
Selon l’auteur, âgé aujourd’hui de 78 ans, ce livre constitue son dernier ouvrage et a valeur de référence. Donc, il vaut tout son pesant d’or. En 160 pages, structurées en six parties, l’ouvrage de Maître Pacéré, ce trésor humain vivant, passe en revue les écrits et témoignages antérieurs sur la sortie matinale rituelle du Mogho Naaba, situe le cadre du rituel et l’architecture du lieu, révèle la face cachée des éléments constitutifs de ce rituel.
Des écrits, enquêtes historiques et témoignages antérieurs, Maître Pacéré cite entre autres, les travaux de Robert Pageard, Leo Frobenius, Yamba Tiendrebéogo (Ministre d’Etat à la Cour du Mogho Naaba, homme de culture, ancien Président du tribunal coutumier de Ouagadougou, conteur émérite, adjoint au maire de Ouagadougou), Maurice Delafosse, Pierre Claver Hien et Maxime Compaoré, Michel Izard, René Maunier, Dim Delobsom, Gomkoudougou Victor Kaboré, Albert Londres et Hamado Ilboudo.
Des travaux de ces auteurs, Maître Pacéré trouve qu’ils corroborent tous la thèse selon laquelle « le Mogho Naaba, chaque matin, sort de son palais et fait venir un cheval pour aller à La (Lago, on dit en Moré ‘’Na tog La » qui se traduit littéralement par ‘’Se rendra à La »), à la recherche des fugitifs et pour ramener les fétiches de fondation du Royaume de Oubri, constitué par 3 éléments ».
Quoique pertinent pour saisir certains aspects de la sortie du Mogho Naaba le vendredi, ces travaux sont jugés par Maître Pacéré, de superficiels. Car, soutient l’homme de culture, au-delà des apparats décrits comme rites qui caractérisent cette sortie, il existe des sous rites invisibles des visiteurs et observateurs, et qui donnent vie au théâtre muet séculaire qu’il leur est donné à voir.
Ces sous rites n’ont rien à voir avec le spectacle visible du public. Maintenus en secret des regards, ils révèlent « le sens réel des expressions et des valeurs constructives de civilisation de paix, de tolérance et de coexistence » de la société moagha (le Moogh-Naab Yiibu) dont est venu se greffer le rituel du « Faut départ » qui a tendance à prendre le dessus sur le reste, parce que se déroulant à la cour extérieure du palais (samandé), au vu et au su des visiteurs.
- Le Mogho Naaba Baongho lors du rituel dit du « Faut départ » (Ph. de la Cour)
Or, pour Maître Pacéré, « pour appréhender le sens, la portée, la profondeur et la signification » du rituel ‘’Moogh Naab Yiibu », il ne faut pas être un simple observateur, « il faut être du système, il faut objectivement être de la Cour et avoir un certain niveau de connaissance et de formation ».
En sa qualité de Conseiller privé du Mogho Naaba Baongho, depuis 1982, sans être toutefois de la Cour, Maître Pacéré, en sait beaucoup de ce rituel. Pour lui, le rituel dont il est question, s’apparente à une « apparition du Mogho Naaba », tout de rouge vêtu du pied à la tête, tout comme l’apparition du soleil levant, éclatant ses rayons rouges sur l’univers, avant de les adoucir par la suite, pour le bonheur de l’humanité.
Bref, selon Maître Pacéré, le rituel millénaire du « Moogh Naab Yiibu » ou sortie rituelle du Mogho Naaba est « un rituel sacré, figé, à ciel ouvert quelles que soient les intempéries ; c’est une expression théâtrale sacrée dont les éléments de composition renforcent le tissu social dans son expression de vivre-ensemble dans la paix, la fraternité, la cohésion, sans réserve des cultures ».
Les scènes sont muettes mais chargées de paroles qui n’enseignent pas par la voix mais par le mime, le spirituel et les tam-tams parleurs. C’est un rituel où le silence est message à décortiquer pour en comprendre la « substantifique moelle » mythique et mystique.
En ce sens, l’ouvrage de Maître Pacéré est digne d’intérêt, sous l’angle qu’il vient compléter sinon combler les limites certaines des écrits et témoignages antérieurs sur ce rituel des traditions du palais du Mogho Naaba qu’est le « Na tog La » ou « Faut départ », et que d’aucuns ont qualifié de spectacle du palais. Mais loin s’en faut ! C’est un rituel enraciné dans les valeurs ancestrales du palais pour exhumer des profondeurs et des grandeurs de la tradition, les valeurs constructives d’une civilisation qui a ses règles de fonctionnement et de règlement des conflits sociaux.
L’ouvrage de Maître Pacéré vient ainsi briser l’obscurité noire de la nuit qui entoure le Rituel du « Moogh Naab Yiibu » dans lequel figure en annexe, le « Faut départ » du Mogho Naaba. Il mérite donc d’être de la rangée des archives qui ne meurent jamais. Surtout que c’est le dernier livre de cet auteur prolixe jamais égalé au Burkina Faso, avec une quarantaine de travaux, portant sur 140 volumes. Mais comme dit la sagesse, « on a beau chasser le naturel, il revient au galop ». Alors, Maître… à votre plume !
Tiré en nombre limité (en attendant un grand tirage les temps à venir), l’ouvrage est vendu au prix unitaire de 15000 FCFA. Pour tout besoin, contacter le (226) 76 36 66 67.
Sita TARBAGDO