Actualité

Cinq ans après les attaques de Cappuccino, un rescapé confie : « Je fais toujours des cauchemars les nuits »

15 janvier 2016, Ouagadougou enregistre ses premières attaques terroristes. Deux endroits emblématiques de la capitale et très fréquentés par les étrangers notamment des Occidentaux, le restaurant Cappuccino et Splendid hôtel, sont touchés. Ces attentats, revendiqués par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ont fait 30 victimes.

En plus des morts et des blessés, d’autres personnes, des clients mais aussi des employés de l’hôtel ont été touchés psychologiquement et ils en portent encore les séquelles. A l’occasion des cinq ans de ces évènements tragiques, nous avons retrouvé un employé de Splendid hôtel, le premier qui nous avait raconté le film des évènements quelques jours après les attaques.

Cuisinier de formation, il travaille aujourd’hui dans un autre hôtel de la capitale. Nous l’avons nommé ABC pour des raisons de sécurité. Avec lui, nous abordons les évènements de cette nuit funeste du 15 janvier 2016, son présent et de la manière dont il se remet du traumatisme qu’il a subi.

Lefaso.net : Quels souvenirs gardez-vous des évènements du 15 janvier 2016 cinq après ?

ABC : Je ne souhaite plus me souvenir de ces évènements, malheureusement c’est impossible. Ce qui s’est passé le 15 janvier 2016 fait désormais partie de notre histoire qu’on le veuille ou non. C’est très difficile. Lorsqu’on repense aux évènements, on se dit qu’il y a cinq ans de cela, on pouvait devenir autre chose. On allait être cité parmi les victimes des attaques de Cappuccino et de l’hôtel Splendid. Cela nous hante.

Comment avez-vous passé la journée du 15 janvier 2016 ?

Ce jour-là, il y avait une cérémonie de l’ASECNA. Dès 15 heures, j’étais déjà à l’hôtel parce qu’on devait faire la cuisine. Il y avait vraiment l’ambiance et on rigolait beaucoup en travaillant…

Puis entre 19h et 20h…

Entre 19h et 20h, les clients avaient fini de manger, la prestation d’artistes était aussi finie. Les serveurs ramenaient les assiettes à la cuisine pour la plonge et après on allait rentrer. C’est en ce moment que les coups de feu ont commencé. Au début, nous avions cru qu’il s’agissait de pétards. On ne pensait pas qu’il pouvait avoir des attaques terroristes un jour à Ouagadougou. Un collègue nous a même dit qu’il s’agissait de pétards alors que le gouvernement avait interdit leur importation et leur commercialisation.

C’est par la suite que nous avons su qu’il ne s’agissait pas de pétards mais des armes. On doutait toujours puisque de par notre position, il nous était vraiment difficile de savoir ce qui faisait autant de bruits.

Les terroristes sont ensuite venus à l’hôtel…

J’ai d’abord reçu l’appel d’un ami gendarme qui me demandait ma position. Je lui ai dit que j’étais à l’hôtel et il m’a informé qu’on était la cible d’attaques terroristes. Je n’y avais pas cru. Puis une serveuse est venue à la cuisine en courant puisque le restaurant avait déjà pris feu. Elle nous a dit qu’il y a des tirs et nous sommes toujours ici. On a ouvert la porte du restaurant et on a trouvé qu’il y avait un incendie. De là-bas, on pouvait voir Cappuccino. C’était du feu partout. C’est là que nous avons réalisé l’ampleur de la situation.

Vous avez alors pris le mur pour vous sauver ?

Ce n’était pas facile non plus. Le mur de l’hôtel est très haut donc difficile à escalader. Notre chance est qu’il y avait un groupe électrogène collé au mur et il fallait donc monter dessus pour pouvoir escalader le mur. J’ai pu prendre le mur après une fille. Avec la panique, lorsque je suis descendu du mur, je suis allé dans le sens opposé de la direction de ma maison.

Selon certains témoignages, il y avait un étranger à l’hôtel qui intéressait particulièrement les terroristes…

Ce dernier me faisait pitié. On était perdu mais lui encore plus. Il est venu à la cuisine et il était vraiment déboussolé. Un collègue lui a dit qu’il était mieux de rejoindre sa chambre.

Qu’est-il devenu par la suite ?

Je ne sais pas. Il y avait aussi un monsieur qui était là avec sa femme et son enfant. Au moment où je prenais le mur, ils m’ont demandé que si je descendais de m’arrêter prendre leur enfant. Mais comme tout le monde était devenu suspect, je n’ai pas pu m’arrêter. Une fois dehors, je cherchais à me sauver. Que Dieu me pardonne si je ne me suis pas arrêté prendre l’enfant mais je ne pouvais vraiment pas le faire.

Est-ce que vous avez été entendu par les enquêteurs ?

Personnellement non. Mais j’ai appris que des enquêteurs sont venus à l’hôtel et ils cherchaient entre autres à savoir si les terroristes avaient séjourné à l’hôtel. J’étais à la cuisine et il m’était difficile de savoir qui séjournait à l’hôtel ce jour.

On a appris que l’un des planificateurs des attentats de Cappuccino avaient été arrêté après les attaques de Grand Bassam en Côte d’Ivoire. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?

Nous sommes sortis sains et saufs des évènements de janvier 2016 mais d’autres personnes y ont perdu la vie. C’est déjà un soulagement de savoir que l’un des acteurs de ces actes horribles a été arrêté. Même si le soulagement ne peut pas être total.

L’hôtel est resté fermé pendant une longue période, les employés se sont retrouvés au chômage. Comment avez-vous vécu ces moments ?

Je me suis débrouillé pour survivre. On avait subi un grand choc psychologique mais personne ne s’est préoccupée de comment nous vivions. Nous nous sommes débrouillés avec l’aide de nos familles.

Vous avez dit avoir subi un gros choc psychologique, comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

Je fais toujours des cauchemars les nuits. Je revis souvent les évènements et je vous avoue que ce n’est pas facile à supporter. Imaginez-vous que lorsqu’on prenait le mur, il y avait des terroristes au dehors. On était tous morts cette nuit-là.

Que deviennent vos anciens collègues ?

Pour ce que je sais, la plupart de ceux qui travaillaient ce jour ont démissionné. On s’est donc perdu de vue mais parfois on s’appelle pour se donner des nouvelles.

L’hôtel a repris ses activités, serez- vous prêt à y travailler ?

On dit que dans la vie il ne faut jamais dire jamais mais je ne me vois plus en train de travailler à Splendid. Même s’il faut changer de métier, je ne pense plus travailler à Splendid. Il y a encore la peur lorsque je me retrouve là-bas.

Propos recueillis par Lefaso.net

Comments

comments

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page