Elle était en service le 15 janvier 2016 à Splendid Hôtel lorsque le restaurant Cappuccino, puis l’hôtel ont été attaqués par des djihadistes. Elle y a passé la nuit avant d’être secourue au petit matin par l’armée française. Depuis lors, elle vit toujours les évènements dans sa tête au point d’halluciner souvent. Cinq ans après ces évènements tragiques, AB (nom d’emprunt) raconte son calvaire de cette nuit-là.
Lefaso.net : Vous étiez en service à Splendid hôtel le 15 janvier 2016, qu’est-ce qui s’est réellement passé ce jour-là ?
AB : C’était mon premier jour de service après mon congé. Je devais finir à 15h mais mon chef m’a demandé de rester aider ceux qui préparaient la soirée de l’ASECNA.
Entre 19h et 20h, après le diner de l’ASECNA, on ramassait les couverts, les nappes de table au bord de la piscine lorsqu’on a entendu des tirs. Les réceptionnistes nous ont rejoints au bord de la piscine et nous ont dit de nous cacher parce que des éléments de l’ex-RSP (Ndlr, Régiment de sécurité présidentielle, la garde de l’ancien président Blaise Compaoré) venaient encore.
Parce que des éléments étaient déjà venus à l’hôtel ?
Plusieurs fois. On croyait qu’ils venaient encore prendre notre coffre-fort, personne ne pensait à des terroristes.
C’était dans leurs habitudes d’emporter le coffre-fort ?
En 2014, ils ont pris le coffre-fort et n’ont pas pu l’ouvrir. Ils sont donc partis le laisser.
Vous êtes donc allés vous cacher…
Malgré le fait que les réceptionnistes nous aient dit de nous cacher, nous sommes restés au bord de la piscine en train de causer. Mais à un moment donné, on a commencé à se poser des questions parce que le bruit des armes était très fort et persistant.
Pendant qu’on se posait des questions, un oncle m’a appelée d’Abidjan. Il m’a demandé où j’étais, je lui ai dit que j’étais à l’hôtel. Il m’a dit de jeter le téléphone et de courir me cacher. J’ai voulu en savoir davantage, c’est là qu’il m’a dit que ce sont des djihadistes. Même les collègues ne m’ont pas cru lorsque je leur ai donné l’information. Pendant qu’on discutait, on a aperçu trois personnes cagoulées et armées qui prenaient les escaliers. Ils ne nous avaient pas vus. Nous avons couru nous mettre derrière la paillote.
Depuis notre cachette, un collègue a téléphoné à un de ses oncles gendarme et ce dernier a dit de nous coucher là où nous sommes parce qu’il ne sait pas encore ce qui se passait et que la sécurité n’avait pas accès à l’hôtel. C’était la panique entre nous. Un autre collègue a eu le réflexe de couper le courant pour qu’on puisse s’enfuir mais on avait oublié que le groupe électrogène était automatique. Au moment où on voulait s’enfuir, le groupe a pris le relais et il ne fallait pas nous voir crier et courir dans tous les sens.
Pendant qu’on cherchait à se sauver, un client, notamment celui de la chambre 303, nous a dit de venir on va aller se donner aux djihadistes. Mais personnellement je préférais mourir que de me donner en otage à des terroristes. Entre temps, c’est le directeur qui m’a appelée pour prendre ma position. Je lui ai indiqué là où j’étais et il m’a dit de ne pas éteindre mon téléphone et qu’il allait voir comment me faire sortir de là.
Des appels et des messages, j’en recevais seulement. Certains m’envoyaient des versets bibliques à réciter au point que j’ai même mémorisé le Psaume 91.
Nous sommes restés derrière la paillote toute la nuit. Je me rappelle de ce client qui a passé le temps à pleurer parce qu’il nous énervait à cause de son bruit.
Les terroristes venaient vers votre cachette pour communiquer…
Ils communiquaient en venant effectivement vers notre cachette. J’ai pu reconnaître la voix d’une femme parmi eux. Je maintiens cette conviction. Lors de leurs conversations, on a entendu la 303, on s’est alors demandé ce que la chambre 303 avait à voir dans leur conversation. Ce que je peux ajouter, c’est qu’avant l’attaque de Ouagadougou, il y a eu une attaque contre un hôtel au Mali, le même client logeait là-bas aussi. C’est lui qui nous avait raconté ce qui s’était passé.
Qu’est-ce que vous avez entendu d’autre dans leurs communications ?
Je ne me rappelle plus de ce qu’ils disaient puisque ça fait cinq ans maintenant. Je me rappelle seulement qu’ils utilisaient des talkies walkies.
Ils parlaient à un homme ou à une femme ?
C’est une femme qui appelait de l’hôtel et une voix d’homme répondait. On ne comprenait pas la langue dans laquelle ils conversaient.
Vous êtes restés dans votre cachette jusqu’à l’arrivée de l’armée française…
Pour vous dire vrai, quand l’armée française est arrivée, je n’étais plus un être humain parce que je ne savais plus où j’étais, je ne comprenais plus rien. On était couchés à trois les mains dans les mains. Lorsque les militaires français sont arrivés, ils ont demandé s’il y avait quelqu’un ici mais on n’a pas répondu parce qu’on craignait que ce soient les terroristes. Ce sont les chiens qui nous ont découverts dans notre cachette.
Les militaires m’ont déchaussée puisque je portais des talons, ils m’ont fait porter un gilet et ils ont utilisé les nappes de table pour attacher mes pieds pour que les bris ne me blessent pas. Ils m’ont amenée au restau et m’ont donné un comprimé que j’ai avalé. En ce moment, les terroristes tiraient toujours depuis l’étage.
Avec d’autres personnes, ils nous ont amenées au ministère de la Fonction publique puis au Stade municipal. De là-bas, ma famille m’a récupérée pour aller à l’hôpital. Une fois à l’hôpital, on nous a dit que l’Etat avait ouvert une cellule de prise en charge et qu’on ne devait rien payer. J’ai passé près d’un mois avec eux, je ne leur parlais pas.
Je passais mon temps à pleurer et au moindre bruit je courais. Même jusqu’à présent, il arrive des fois que j’entende les bruits des armes, en ce moment, je dis à mon entourage qu’il y a des tirs. Ce sont eux qui me rassurent qu’il n’y a rien et que peut-être que ça se passe dans ma tête. Le 31 décembre, je ne sors pas à cause des pétards. J’évite tant que je peux d’aller sur l’avenue Kwamé Nkrumah. Il a fallu que le Directeur général insiste avant que je ne revienne vers Taxi Brousse mais après 18h, je ne vais plus vers là-bas.
Par la suite, vous avez démissionné de Splendid Hôtel…
J’ai démissionné parce que je ne pouvais plus travailler là-bas. J’ai gardé un mauvais souvenir des lieux.
Et si on vous faisait l’offre de travailler à nouveau là-bas ?
Pardon plus l’argent, je ne veux plus. Je préfère me débrouiller avec ce que je fais. J’ai tellement frôlé la mort que je ne compte plus repartir là-bas.
Vous êtes repartie à Splendid Hôtel depuis les évènements ?
J’y suis retournée une seule fois et c’était en 2017 pour retirer mon certificat de travail.
Propos recueillis par Lefaso.net
Comments
comments