Ceci est une tribune d’un citoyen qui se demande que sont l’insurrection et les insurgés devenus, six années après ?
Il est une vérité de la Palice que d’affirmer qu’au Burkina Faso, l’insurrection a suscité de l’euphorie et entretenu chez des millions de compatriotes des espoirs certains. C’est un fait historique qui est même déjà inscrit dans les annales de notre pays ; ça l’est, au même titre que la proclamation de l’indépendance de la Haute-Volta du 05 août 1960 et du soulèvement populaire du 06 janvier 1966.
Pourtant, je ne vous dissimule pas la peine que j’éprouve, à présent, en traitant de cette insurrection et surtout de ce qu’elle est advenue. Que sont l’insurrection et les insurgés devenus, six années après ? La question est d’autant légitime, à mon sens, que je ne vois et n’entends plus ce peuple insurgé tel qu’il m’avait été donné de vivre, de voir et d’entendre : il donnait de la voix, il était volontariste et était présent sur les terrains et les sujets de la liberté, de la démocratie, de la bonne gouvernance et du progrès pour tous ;ce faisant, il innervait plus de vitalité à ces valeurs pré-citées.
Le temps y est-il pour quelque chose ? On sait, en effet, que le temps a le pouvoir d’émousser les ardeurs, de doucher les enthousiasmes et d’effacer la mémoire d’un homme ; il peut, même, aussi avoir ces effets concernant tout un peuple porté vers le besoin d’un vrai changement. Mais pour que le temps domine l’homme au point qu’il oublie des évènements, il faut que ces faits lui paraissent erratiques, accidentels et anecdotiques.
Ainsi l’insurrection serait-elle devenue quelque chose d’exogène au peuple, quelque chose d’erratique dans le parcours historique de notre pays ? Aussi facilement ? Je refuse de penser que le peuple burkinabé ait vécu intensément les événements des 30 et 31 octobre 2014, qu’il y ait pris part et y ait perdu des êtres chers pour, ensuite, passer tout cela à pertes et profits. Le temps pourrait, certes, être un élément inhibiteur dans la veille et l’éveil des consciences, mais ce serait à une toute petite échelle, encore imparfaite.
En vérité, s’il est possible que, par le temps, les Burkinabé aient été aisément décrochés de l’esprit de l’insurrection pour être réinstallés dans leur vie de tous les jours, c’est qu’ils ont manqué aussi, entre temps, de leaders charismatiques et crédibles. Un peuple avance, toujours, derrière des guides et des médiateurs éclairés qu’il a sécrétés en son propre sein. Manquant ainsi de repères sûrs et permanents, les Burkinabé ont dû renouer avec leur indifférence face aux injustices, à la sinécure, à la mauvaise gouvernance constatées ici et là. Ils attendent peut-être que les choses s’aggravent encore avant de reprendre conscience qu’il faut reprendre la lutte !
Et comment ce peuple en est-il arrivé à cette régression quasi-schizophrénique ? Il a, possiblement, pris l’insurrection comme une fin et non comme un moyen. Il a fait l’insurrection le matin et le soir, il a repris ses vieilles habitudes dans ses vieux quartiers : il a pris l’insurrection pour l’insurrection c’est-à-dire qu’il a réussi à remplacer un régime qu’il abhorrait par un autre qui est censé le faire sortir de ‘’l’enfer’’ et lui indiquer le bon chemin qui mène au ‘’paradis’’.
Ce qui a été perdu de vue ou ce qu’il a refusé de comprendre et de faire est cette vérité historique : une insurrection vise à combattre une injustice ; et l’injustice sociale est liée au mode d’organisation de la société de sorte que, pour corriger cette injustice, il faille remettre en cause l’ordre social, par la violence légitime, s’il le faut ; or il s’est contenté de poser du sparadrap blanc pour couvrir une plaie pétrifiante et puante, par ignorance ou par naïveté ; il n’a pas voulu se départir de l’idée que les injustices sociales ne peuvent être corrigées tant qu’on n’a pas mis fin, au préalable, à l’ordre social qui les produit.
A-t-il réussi cet exploit ? Non, vraisemblablement puisque la nouvelle constitution est toujours en échafaudage, la remise à plat du système des rémunérations est toujours en train de souffler le chaud et le froid, la loi sur les réformes agraires et foncières continue d’encourager le bradage des terres arables et foncières, le népotisme et la sinécure ont encore la vie dure dans l’administration, etc.
Tous ces manquements ont existé avant l’insurrection et ne devaient plus, aujourd’hui, prospérer encore moins avoir pignon sur rue. J’estime, à titre personnel, que ce décor piteux existe encore parce qu’il n’y a plus de porte-étendards en la matière. Il y a une gouvernance normale qui est en cours alors que le pays a besoin d’une gouvernance révolutionnaire. Les organisations de la Société Civile (OSC) deviennent de plus en plus inaudibles et de moins en moins harcelantes. Que sont devenus les OSC de la trempe du Balai Citoyen, du CAR, du M21… ??
Essoufflées ou en réorganisation ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’autres structures de la société civile pour prendre le relai de la dénonciation des injustices, le relai de l’éveil des consciences, de l’incitation à la participation citoyenne et démocratique ? Je voudrais aussi m’intéresser aux acteurs politiques pre-insurrectionnels et insurrectionnels les plus en vue. J’entends nommer spécialement Zéphirin Diabré qui a été chef de file de l’opposition et chef d’orchestre de l’insurrection et Bénéwendé Stanislas Sankara qui a pris part, avec jouissance, à l’insurrection et a été partenaire stratégique du régime Kaboré.
Qu’ont-ils fait pendant ces cinq dernières années afin de continuer de nourrir et réaliser l’espoir des insurgés? Le premier, convaincu que RMCK ne réussirait pas à se faire réélire, s’est surtout préoccupé de se ménager dans l’opposition en laissant le MPP dans son bourbier (de l’insécurité et de la fronde sociale) et en s’accoquinant avec le CDP qu’il considérait comme son petit et futur faire-valoir.
Le second, devenu aphone, a tout simplement perdu son charisme afin de trouver grâce aux yeux du grand prince du moment. Par conséquent, il éprouvait, certainement, cette gène pudique de mordre la main qui lui donnait et continue de lui donner à manger. Deux figures politiques de l’insurrection mais qui, pendant cinq ans, ont fait piètres figures dans la défense des acquis de l’insurrection.
Voilà comment un peuple a été abandonné en rase campagne par ses généraux, largué en pleines transformations sociales par ses leaders. Au regard de tout ce qui précède, le constat est cruel : cette insurrection a tout d’un goût inachevé ; pire, elle est comme devenue orpheline de père et de mère qui, pourtant, vivent cachés dans des encolures pour le regarder, lui, cet avorton d’insurrection, en se gaussant de lui. Cette attitude, si elle est confirmée, est à elle seule, le sceau de l’irresponsabilité, de la lâcheté et de l’indignité d’un père et d’une mère ; et ces vices ont, malheureusement, en commun le fait de ne pas connaître de limites.
Placé ainsi dans cette situation où il a affaire aux mêmes causes produisant les mêmes effets, et ce depuis le régime Compaoré à celui Kaboré, le peuple se sent désabusé, trahi et se console dans le défaitisme ; aussi entend-on souvent : ‘’qu’est-ce qu’on peut y faire ?’’, ‘’ Ils sont tous pareils, ces politiciens : alors faisons avec’’, ‘’chacun va là où il peut gagner à manger’’ etc. Et voilà les symptômes d’un peuple défaitiste, qui ne rêve plus et qui se sent comme contraint de choisir entre la peste et le choléra.
D’où lui viendrait le secours ? Mais ce peuple est-il vraiment à plaindre ? Est-il jamais prêt à se faire aider ? Et à quoi cela sert-il même de porter les rêves d’un peuple qui est frappé d’amnésie et qui ne rêve plus, qui n’innove plus et qui régresse, manifestement ? En vérité, pendant les élections couplées du 22 novembre 2020, j’ai été témoin de l’ingéniosité avec laquelle les populations burkinabé se sont organisées afin de pouvoir happer ou capter les corrupteurs ou les acheteurs de conscience ; j’en suis dégoûté et je me demande si ce peuple est vraiment prêt pour sa propre rédemption et pour le changement véritable dans son pays. Il est un invétéré récriminateur inconséquent ; car il veut une chose et son contraire.
Il veut, par exemple, une alternative crédible en politique, mais il refuse de considérer et de voter les programmes de société des différents candidats ; il réclame la bonne gouvernance, mais il se plaît dans le même temps à se laisser corrompre ; il veut des lendemains meilleurs, mais il ne pense qu’à lui seul, à son ventre et à son bas-ventre, hic et nunc ; il réclame le droit de voter et le changement, mais il refuse de s’inscrire pour avoir les cartes d’électeurs et d’aller voter le moment venu.
A partir de cet instant, le compte à rebours pour la survie des insurgés semble enclenché. Si on ne prend pas garde, les cinq prochaines années seront consacrées à vendanger tous les espoirs des insurgés. Parce que, d’une part, la survenue du terrorisme n’a pas, jusqu’ici, fini de traumatiser les populations. C’est un fait affreux et inédit qui a marqué négativement -et à jamais- la mémoire des Burkinabé.
Dans l’imaginaire populaire, cet état de fait, insidieusement, reste accolé puis imputable au régime post-insurrectionnel, c’est-à-dire dès le lendemain du départ de Blaise Compaoré du pouvoir ; d’autre part, des voix s’élèvent déjà pour demander aux insurgés de poser des actes de contritions publiques.
Pour ces voix, l’insurrection a été une erreur technique sinon une faute morale ; et pour cela, on tente d’installer le peuple insurgé dans un processus de culpabilisation, c’est-à-dire qu’on est en train de transformer la victime en bourreau : ce peuple n’aurait pas dû faire cette insurrection ; d’autre part encore, la création d’un ministère d’Etat chargé de la réconciliation et de la cohésion sociale consistera, n’importe comment, à réhabiliter les anciens adeptes du sénat et du pouvoir à vie d‘alors; puisque ces derniers seront instamment sous le feu des projecteurs quand ils sortiront du bois, pour certains et rentreront d’exil, pour d’autres ; l’attention des Burkinabé sera braquée sur ces ‘’aventuriers’’ de l’ancien régime et par cette arrivée et cette réhabilitation, ils redonneront confiance à leurs camarades, ils requinqueront leur moral, ils susciteront même de la sympathie et de l’empathie au sein du peuple, même insurgé.
Du pain béni car ces aventuriers ont toujours rêvé de réconciliation nationale versus mars 2000, ils la voulaient le plutôt possible parce qu’ils connaissent l’énormité de ses bienfaits. Ils rêvent sérieusement et gravement de revenir au pouvoir par le truchement d’une réconciliation ‘’tcha-tcha’’ en marche. Zéphirin Diabré, comme par ironie du sort, est celui-là qui est chargé d’accueillir à bras ouvert Blaise Compaoré et ses camarades qu’il a chassés du pouvoir. Mais ils l’embrasseront et après ils lui feront la nique, certainement. Déjà que depuis Abidjan, ils trouvent qu’il n’était pas la personne la mieux indiquée pour être l’artificier de la réconciliation nationale.
Et pourtant je ne désespère pas, nous ne devons pas désespérer du Burkinabé. L’espoir des insurgés se trouvera dans des OSC avant-gardistes et pro-actifs sur les sujets chers au peuple. Le balai citoyen qui a joué un rôle historique dans l’avènement de l’insurrection ne devrait pas baisser la garde dans la veille citoyenne ; le CGD doit continuer de plus bel dans sa tâche de consolidation des acquis démocratiques et le CISC doit travailler à tirer le peuple vers lui et à ratisser plus large dans le public burkinabé dans son entièreté.
L’espoir des insurgés se trouvera dans ces partis et mouvements politiques qui apparaissent par turgescence et tentent de capter et porter leurs espoirs. C’est le cas du parti MPS de l’insurgé Pr. Augustin Loada et du mouvement politique Mouvement SENS de cet autre métronome de l’insurrection, Me Hervé Kam. Le temps, la détermination et le pragmatisme sont leurs meilleurs alliés. Ils ont, entre autres, le mérite d’être des insurgés, d‘être des OVNI politiques et d’être des individualités probes et respectables.
Kpagnawnè MEDA A. Domètièro ([email protected])
Source : Burkina24.com
Faso24
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