« Danse sur la fourmilière » : Réduire les capacités de nuisance des terroristes
« Danse sur la fourmilière ». Ainsi est intitulée la nouvelle opération du G5 Sahel soutenue par la force Barkhane. Elle a pour objectif de réduire la liberté de mouvement des Groupes Armés Terroristes et de détruire leurs plots logistiques. Elle s’inscrit dans le cadre de l’opération SAMA menée par la force conjointe du G5 Sahel et conduite en coordination avec l’opération Éclipse.
Au Burkina Faso, le Chef d’État-Major Général des Armées, le Général Moise Minungou et le commandant de la force Barkhane ont effectué une visite le 16 janvier 2021 pour encourager les militaires du poste de commandement de Gorom-Gorom engagés dans l’Opération. Les FDS continuent de monter en puissance et en stratégie. Acculés dans leurs derniers retranchements, les terroristes, du moins ceux qui en auront la chance, n’auront que leurs yeux pour pleurer.
L’opération « Danse sur la fourmilière » a débuté le 10 janvier. Elle regroupe des unités militaires composées du bataillon burkinabè, du bataillon malien et du bataillon nigérien de la force conjointe G5 Sahel, ainsi que des unités françaises de la force Barkhane. Les objectifs sont purement opératifs : empêcher toute résurgence des GAT, éviter l’apparition de sanctuaires, limiter la capacité de régénération terroriste, couper les flux logistiques des terroristes qui sèment la mort et la désolation à tout-va.
Dans le jargon militaire, il est question de passer des grands « coups de marteau » sur la tête des terroristes à une stratégie des « coups de râteau » beaucoup moins spectaculaire. Il faut des coups de râteau dans les zones où les FDS sont déjà passées, pour éviter que la mauvaise herbe ne repousse. Face aux groupes armés palestiniens qui resurgissent à Gaza, l’armée israélienne emploie un vocabulaire quasi-identique.Tsahal parle de « tondre le gazon »…
Ces opérations sont très importantes car , pour survivre, les terroristes se rédéploient fréquemment et adoptent une stratégie de « déprofilage ». Plutôt que de rechercher l’affrontement avec les troupes, ils optent pour le harcèlement systématique, souvent nocturne et asymétrique (attentat à la bombe, véhicule piégé, pose de mines artisanales). À partir de 2015, ils ont même pu attaquer frontalement des garnisons militaires au Sahel. Entre 2015 et 2017, le terrorisme est devenu plus agressif au Mali et a pu migrer vers le sud de la bande sahélo-saharienne.
Avec la création de Daech au Moyen-Orient, une filiale sahélienne s’est constituée, l’EIGS (État islamique au Grand Sahara), implantée dans la région des Trois Frontières, entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso, dans une zone particulièrement austère, peuplée de populations pauvres. En rencontrant les soldats burkinabè le 16 janvier, le Général Miningou leur a témoigné sa satisfaction et les a encouragés à garder toujours la posture de soldats opérationnels.
Démanteler les bases, assécher les sources de financement
L’opération « Danse sur la fourmilière » donnera du fil à retordre aux terroristes. Dans la lutte contre le terrorisme, il est en effet important de se représenter les alternatives possibles et les options envisageables. La première d’entre elles peut se résumer brièvement : ne rien faire. Cette option est souvent écartée pour des raisons politiques et des motifs liés au prestige et à la réputation. Dès lors que des intérêts nationaux sont touchés ou lorsque des lignes rouges sont franchies, l’action militaire devient une démonstration de force, de sa capacité de réaction et de sa crédibilité. La pression médiatique et politique pousse les décideurs à agir rapidement : toute passivité s’apparente à l’impunité, toute réflexion à de l’hésitation.
Par ailleurs, l’intervention militaire est souvent l’option que les terroristes recherchent. L’action terroriste vise à provoquer l’intervention de l’adversaire, l’entraîner sur un terrain qui lui est plus défavorable, et l’obliger à mener une guerre longue et coûteuse. Si l’action s’impose, trois options génériques sont possibles : dissuader, contenir ou détruire l’adversaire.
La dissuasion est un choix stratégique délicat dès lors que l’identification de groupes terroristes est difficile et que leur vraie force est leur indéfectible engagement à se battre, y compris à mourir, pour leur cause. La perspective d’une punition n’affecte guère leurs choix. S’il est possible de modifier l’environnement étatique dans lequel les terroristes évoluent, la dissuasion s’apparente rapidement à de la prévention et à de la protection.
La deuxième option, l’endiguement, vise à maintenir le degré de la menace à des niveaux acceptables sans chercher à détruire l’adversaire. Comme la première, cette stratégie est jugée obsolète et ineffective dès lors qu’il s’agit d’une menace terroriste, principalement parce qu’il est dangereux de laisser l’initiative à un adversaire qui entend propager la terreur. Une politique d’endiguement poursuit plusieurs objectifs. Tout d’abord, il s’agit de faire preuve de vigilance, d’échapper à l’inflation de la guerre sans fin et de se perdre en poursuivant le mythe de la sécurité absolue.
Il s’agit aussi de préserver ses ressources et de rechercher des partenaires. Vis-à-vis de l’adversaire, la stratégie de l’endiguement ne se réduit pas à la passivité. Elle consiste autant que faire se peut à l’empêcher d’agrandir son territoire, à restreindre ses mouvements transfrontaliers, à assécher ses sources de financements et à neutraliser sa chaîne de commandement. Si elle ne s’y réduit pas, elle implique un usage limité de la force.
Certains ne manquent pas de critiquer cette dynamique des « petits pas » parce qu’entre autres, elle laisse le temps et l’espace à l’adversaire de s’adapter et de se réorganiser. À quelques nuances près, un tel cahier des charges correspond peu ou prou aux objectifs de la mission Barkhane. Cette stratégie repose enfin sur un objectif et une perspective de long terme. Elle part du principe que la nature même du mouvement terroriste ne pourra à long terme qu’évoluer, soit vers sa propre destruction, soit vers sa transformation en mouvement politique.
La dernière option est celle de la destruction de l’ennemi. Dès lors qu’il s’agit de terroristes, cela signifie s’engager dans un conflit à la fois hybride et asymétrique. Hybride parce que chacun des acteurs (criminels, terroristes)mène sa propre bataille avec des objectifs différents dans un contexte étatique faible et dans un environnement social polarisé. Asymétrique parce que cette diversité d’objectifs se traduit cependant par une similitude des moyens (attentats, explosifs, attaques suicides, guérillas,…).
Dans ce contexte de guerre irrégulière, la force des mouvements terroristes est de se fondre dans une population qui peut les accueillir et les protéger, d’avoir recours à un type de violence qui rend la technologie occidentale peu efficace, et d’accepter des risques et des pertes qui seront toujours plus élevés que ceux de l’adversaire. Dans ces conditions, la tentation était grande d’occuper massivement les territoires qui pouvaient ainsi héberger et protéger des activités terroristes. Les expériences irakienne et afghane ont cependant montré les limites, à la fois humaines, stratégiques et économiques, de ce choix.
Pour éviter les pièges de l’occupation, et dès lors qu’il s’agit d’un théâtre aussi grand que le Sahel, la destruction de l’ennemi consiste principalement à neutraliser les membres et les leaders des mouvements par des forces spéciales, légères et mobiles, dans des opérations ciblées et rapides. Cette destruction de l’ennemi avec une empreinte légère pose naturellement des difficultés logistiques importantes. Pour le renseignement et la mobilité, le soutien des acteurs locaux est important. La menace est réelle, diffuse et intemporelle. Il ne faut donc point baisser la garde. Pour une réussite de l’opération, la collaboration avec les FDS doit être active et totale.
Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou