Ministre d’Etat, ministre auprès du président du Faso, chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale ; ministre d’Etat ; ministre délégué ; secrétaire d’Etat… C’est sur, entre autres, ces architectures institutionnelles qui caractérisent les gouvernements burkinabè et qui prêtent parfois à confusion, que l’ambassadeur Mélégué Traoré a bien voulu apporter des éclairages à travers cette interview. Pour l’occasion, l’ancien président de l’Assemblée nationale et cadre de l’ex-parti au pouvoir (le CDP) fait une lecture de la victoire du MPP aux dernières échéances électorales.
Lefaso.net : Alors que nombre d’observateurs étaient convaincus d’un deuxième tour à la présidentielle, le président sortant a été réélu et, mieux, avec un score plus confortable que celui de 2015. Imaginiez-vous ce passage haut les mains de Roch Kaboré ?
Mélégué Traoré : Non, sincèrement, si quelqu’un vous dit qu’il doutait qu’il y ait un deuxième tour, il ne vous dit pas la vérité. On pensait tous qu’il y aurait deux tours. Personne ne pensait que Roch Kaboré gagnerait les élections haut la main, au premier tour. En tout cas, pas dans ces proportions-là. Même les militants du MPP qui clamaient qu’il ferait un « coup K.O. » n’y croyaient pas tellement ; la proclamation de leur foi les confortait et leur donnait simplement de l’assurance en eux-mêmes. Le champ politique tel qu’il se présentait à la veille des élections, était plein d’incertitudes, avec des potentialités dans toutes les sensibilités politiques.
Dans ce sens, il était difficile d’imaginer que Roch Kaboré gagne la partie de cette manière. J’étais revenu dans deux ou trois interviews sur cette question ; j’estimais qu’il pouvait y avoir coup, mais certainement pas « coup K.O. ». Ce que je disais par-là, c’est qu’il pouvait gagner au premier tour, mais sans doute pas avec un raz-de-marée aux législatives. Or, ce qui s’est passé n’est finalement pas loin du raz-de-marée.
Non seulement il a gagné au premier tour, mais le MPP s’est très bien battu : il a tenu, même s’il n’a pas beaucoup amélioré son score de 2015. J’avais même dit que je ne croyais pas que le MPP puisse obtenir le même résultat qu’en 2015 aux législatives ; pourtant il a conservé ses positions. Donc, incontestablement, c’est un succès pour le président du Faso et son parti. Vous vous souvenez, je déclarais aussi qu’en plus d’Eddie Komboïgo, Kadré Désiré Ouédraogo pouvait créer la surprise. Je me suis trompé, rien ne s’est passé.
Qu’est-ce qui peut expliquer cette performance du MPP ?
Il y a plusieurs explications possibles aux résultats des dernières élections. La première, c’est clair qu’en Afrique, quand un parti est au pouvoir, il a tous les atouts et une longueur d’avance sur tous ses adversaires. La position institutionnelle que le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès) occupait cette fois-ci n’existait pas en 2015.
Le parti venait alors d’être créé un an auparavant ; il n’était pas encore sûr de ses forces et de ses faiblesses, mais il était relativement facile d’imaginer qu’il allait gagner en raison de l’absence du CDP sur la scène. C’est vrai, comme dit un philosophe, on peut prévoir tous les évènements, une fois qu’ils se sont produits !
Et en 2020 ?
En revanche, en 2020, le MPP venait de passer cinq ans au pouvoir ; il avait consolidé sa position et élargi sa base. Il avait acquis les moyens matériels et financiers dont il ne disposait pas en 2015. Il se trouvait donc en état de prééminence politique au sein de l’État, et cela compte beaucoup en Afrique. C’est ça qui limite les surprises dans notre continent, quand dans une élection, on est en face d’un parti au pouvoir. Le CDP en sait quelque chose. Il en a l’expérience. Deuxièmement, il y a certainement la personnalité de Roch Kaboré.
Même si on a tendance parfois à le nier, incontestablement, il était en fait, depuis le Front populaire, le véritable dauphin politique de Blaise Compaoré. Il est arrivé à cette place, parce que de l’ensemble des cadres que nous étions autour de Blaise Compaoré près de vingt-cinq années durant, c’était évident qu’il était le mieux placé pour lui succéder un jour. Il était le préféré de Blaise Compaoré ; ça se voyait et ça se savait, tout au moins jusqu’à ce que François Compaoré entre en scène au début des années 2000.
En plus de tout cela, il ne faut pas occulter le style de l’homme. Outre l’expérience de la gestion des affaires de l’Etat, on cite généralement, chez Rock Kaboré, le sens de l’ouverture et la modération. Il y a chez lui, une part de bonbonomie et de jovialité communicative qui ne doit pas tromper. Il sait ce qu’il veut et n’a pas l’habitude de l’échec. Il sait faire preuve d’une part du sens de calcul ; ce qui est un atout considérable en politique, mais peut se transformer en facteur défavorable. Vous savez, on est en Afrique, pas en Asie, en Europe ou en Sibérie ; tout se sait et se dit évidemment.
La troisième explication, ce sont les moyens financiers. Le MPP a eu d’énormes moyens qu’aucun autre parti dans l’histoire politique du Burkina n’a eus à des élections. Aucun ! Depuis l’élection qui a marqué véritablement le lancement de la vie politique au Burkina Faso, les législatives du 31 mars 1957 qui ont amené Ouezzin Coulibaly au pouvoir, jusqu’à ce jour, aucun parti politique n’a eu autant de capacités financières face à des adversaires lors d’un scrutin.
Lesquels adversaires du MPP étaient d’ailleurs démunis et désargentés comme ils ne l’avaient jamais été non plus. Je dois ajouter à tout ça, que les cadres et les militants du MPP se sont bien battus, même si l’on a exprimé quelques doutes ou des interprétations négatives sur de possibles manipulations au plan informatique et d’un certain logiciel. Mais sur ce plan, avouons-le, nul n’a pu en produire des preuves. En résumé, un parti burkinabè n’a jamais été aussi bien armé que le parti au pouvoir pour gagner une élection.
Même le pouvoir Compaoré ?
Même le CDP au faîte de ses capacités. Non ! Sous Blaise Compaoré, le CDP avait des moyens financiers, mais pas à ce point. De plus, le parti donnait des véhicules et des motos aux structures du parti dans les provinces et les communes, mais pas à des individus. Et surtout, le déséquilibre au détriment des autres partis n’était pas aussi criard.
Cette fois-ci, le fossé était abyssal ; il allait parfois de 10, du point de vue des capacités financières. Je le dis parce que j’ai battu la campagne trois semaines durant aux frontières avec le Mali et la Côte d’Ivoire, à 500 ou 600 km de Ouagadougou quelques fois. Même dans les plus petites communes, les structures du MPP détenaient des moyens financiers considérables sans comparaison avec celles des autres partis. Il n’y avait pas match.
La sous-section MPP d’une seule commune des Cascades, avait parfois deux ou trois fois les moyens dont disposait un parti comme le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès) pour l’ensemble de la région. Je parle d’une seule commune. Additionnez sur l’ensemble du territoire national et vous verrez. Ce déséquilibre des capacités financières a été un facteur déterminant dans les résultats, même s’il n’explique pas seule la victoire du MPP.
Est-ce la seule explication de la victoire du MPP ?
Non, évidemment. Il y a d’autres explications. De manière classique en Afrique, dans l’esprit des citoyens, le président est connu à l’avance ; c’est celui qui est au pouvoir. Avec Roch Kaboré, pendant cinq ans, quand on disait « le président du Faso », dans le monde rural comme dans les quartiers des villes, les Burkinabè n’entendaient qu’un seul nom ; celui du président en place.
Des Burkinabè qui ne sont pas allés à l’école ou ont été jusqu’au CM2 simplement, intériorisent l’idée selon laquelle le président du Faso, c’est Roch Kaboré. Il n’y a pas d’autre nom comme président du Faso. Le jour où ils sont dans un isoloir pour voter le président, vous croyez qu’ils font quoi ? C’est le président en place qu’ils connaissent et c’est pour lui qu’ils votent tout naturellement, malgré ce que nous faisons dans les partis. Ce n’est pas nouveau.
C’est ce type de facteurs qui expliquent aussi que le MPP ait ainsi gagné. D’autres paramètres peuvent avoir concouru à sa victoire. De toute façon, on ne pouvait pas battre le MPP cette fois-ci ; on n’en avait pas les moyens. Aucun parti de l’opposition n’était préparé pour un tel exploit. Quant aux partis de la mouvance, ils étaient du côté du gagnant probable !
Avec ce gouvernement, on a un ministre d’Etat, ministre auprès du président du Faso, chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale, qui est Zéphirin Diabré. L’acte de nomination et l’intitulé semblent créer, pour le commun des Burkinabè, une sorte de confusion institutionnelle…
La réconciliation est un gros enjeu pour notre pays aujourd’hui. Cela est vrai, mais un ministère reste un ministère. Il ne faut pas se tromper là-dessus. J’imagine que ce sont purement des raisons d’opportunité, de stratégie et de tactique politiques qui expliquent cette façon de procéder, qui a consisté à citer les noms de tous les ministres, puis décaler à la fin celui de Zéphirin Diabré, comme s’il n’est pas placé au même niveau que les autres ministres. Et puis, ça veut dire quoi au juste, « au titre de la présidence du Faso » dans le décret de nomination d’un gouvernement ? Ce poste, au-delà de l’enjeu de la réconciliation qui est réel, c’est uniquement de la machinerie et de l’habillage politique ; ce n’est pas autre chose.
Dans l’ordonnancement de l’Etat, le ministère chargé de la Réconciliation nationale est un département ministériel comme les autres. Zéphirin Diabré est un ministre de valeur incontestablement, mais pas autre chose. La Constitution burkinabè à son titre IV, ne reconnaît qu’un organe de direction de l’Etat : le gouvernement. Il est collégial.
Zéphirin Diabré a un département détenant des attributions particulières, tout simplement parce que l’enjeu auquel la politique publique qu’il exécutera est attachée, est également singulier à cette étape de l’histoire de notre pays. Sinon, c’est un ministère comme les autres. S’il a un dossier à présenter en Conseil des ministres, il passera sous le magistère du Premier ministre ; et sur le plan opératoire, par le mécanisme du secrétariat général du gouvernement. Il n’en sera pas autrement.
Le fait que ce département soit rattaché au président du Faso n’implique-t-il pas qu’il échappe à l’emprise du Premier ministre ?
Absolument pas. Je l’ai dit, il n’y a qu’un organe constitutionnel qui dirige le pays : c’est le gouvernement. Remarquez que parfois, le président du Faso lui-même détient un ou plusieurs départements ministériels. Dans le gouvernement du 1er janvier 1961, Maurice Yaméogo était lui-même ministre de la Défense ; Sangoulé Lamizana, au lendemain du 3 janvier 1966, était en même temps ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, des Affaires étrangères, de l’Information, de la Jeunesse et des Sports. Sur les questions liées au gouvernement, on se réfère toujours au Premier ministre.
La tendance ici pourrait être que Zéphirin Diabré donne l’impression qu’il échappe à l’autorité du Premier ministre. Il ne le peut pas. Et puis, je ne vois pas quel intérêt il aurait à le faire. Je ne crois pas que le président du Faso lui-même aurait intérêt à ce que ce soit ainsi. Le Premier ministre tiendra compte évidemment du fait que le ministre Diabré étant placé auprès du président du Faso, il a une position particulière pour le traitement des dossiers. Mais ce constat est purement formel.
Car, qui peut sérieusement penser qu’il y ait un membre du gouvernement, quel que soit son titre, qui ne dépende pas du Premier ministre ? Vous savez, dans pleins de gouvernements, il y a des ministres, des secrétaires d’Etat ou des ministres délégués placés auprès du président de la République. Cela ne veut pas dire que les domaines dont ils s’occupent échappent à l’emprise du Premier ministre. L’organisation de chaque ministère est régie par un décret pris en Conseil des ministres, qui établit ses structures.
Quand Zéphirin Diabré préparera le décret portant l’organisation et le fonctionnement du ministère de la Réconciliation, il en amènera le projet en Conseil des ministres à travers le secrétaire général du gouvernement comme tous les autres ministres. Et cela se fait sous l’autorité du Premier ministre. Dans notre système, c’est le Premier ministre qui détermine les attributions des membres du gouvernement en Conseil où le décret y relatif est pris. Tout le reste n’est que de l’habillage politique.
Dans les fondamentaux de l’Etat républicain, Zéphirin Diabré est un membre du gouvernement comme tous les autres. Il est donc sous l’autorité fonctionnelle du Premier ministre, même si sur le plan formel et organique, il est placé auprès du président du Faso. De toute façon, je crois que Zéphirin Diabré a, lui-même, clarifié les choses dans ce sens.
On a parfois, dans les gouvernements, des secrétaires d’Etat ou des ministres délégués. Quelle différence fondamentale peut-on faire entre ces titres ?
C’est notre Constitution actuelle qui crée la confusion. Sous la deuxième République, la Constitution du 29 juin 1970 disposait que le gouvernement comprend le Premier ministre, les ministres et les secrétaires d’Etat. Elle précisait que le nombre de ministres ne pouvait dépasser quinze membres. Sous la troisième République, la Constitution du 13 décembre 1977 avait repris les mêmes dispositions, mais le nombre de ministres était fixé à 20 au maximum.
Il faut savoir qu’avant 1960, le nombre de ministres était de 10 et de 12, en 1957 et 1958. Il était de 16 à l’indépendance. L’inflation des titres de départements a commencé sous la deuxième République avec le gouvernement du 16 juillet 1978, quand on a atteint 20 ministres. La Constitution actuelle a abandonné ces principes, sauf sur un point. C’est toujours le Premier ministre qui détermine les attributions des membres du gouvernement, établies par décret pris en Conseil des ministres.
Ce qu’on applique donc actuellement pour la nomination des membres du gouvernement relève uniquement des pratiques conventionnelles avec les titres de ministre, de ministre délégué et de secrétaire d’Etat, que le droit administratif et la science administrative exploitent abondamment. Il se trouve que dans la Constitution du 11 juin 1991, celle de la quatrième République, les différenciations dont je parle ne figurent nulle part. Le chef de l’Etat a donc une totale liberté pour établir le format et la nomenclature du gouvernement, de manière discrétionnaire, avec le Premier ministre. Avant, ce n’était pas le cas, parce que la Constitution réglait elle-même la question.
Mais attention, un pouvoir discrétionnaire ne signifie pas un pouvoir arbitraire. Cela dit, la pratique actuelle ne pose pas de problème de fond pour le fonctionnement du gouvernement, puisque tout est arrêté en Conseil des ministres, sauf que le nombre de ministres et leurs titres, c’est-à-dire la nomenclature, sont fixés par le président du Faso, sans en référer au Conseil des ministres en tant qu’organe collégial.
Parlant de nomenclature, si on devait faire une classification, comment comprendre les choses ?
Si on doit faire une classification brute des membres du gouvernement, on aura le tableau suivant, par ordre de préséance : le Premier ministre, les ministres d’Etat, les ministres de plein exercice, les ministres sans portefeuille, les ministres délégués, les ministres délégués autonomes, les secrétaires d’Etat et les secrétaires d’Etat autonomes. Dans certains gouvernements, il n’y a pas de ministre d’Etat, il n’y a que des ministres, avec éventuellement des ministres délégués ou des secrétaires d’Etat. Dans d’autres situations en revanche, on compte des ministres uniquement et des secrétaires d’Etat, sans ministres délégués.
Il peut aussi arriver que le gouvernement ne comprenne uniquement que des ministres et des secrétaires d’Etat. Avec un troisième schéma, on peut seulement avoir l’une et l’autre de ces deux dernières catégories. Mais dans tous ces cas-là, le chef du département, c’est le ministre. D’ailleurs, dans nombre de pays, les ministres délégués et les secrétaires d’Etat ne participent pas au Conseil des ministres ; ils n’y sont conviés que lorsque l’ordre du jour comporte un dossier qui concerne leur sous-secteur.
Une fois que le dossier est délibéré, ils quittent le Conseil des ministres. En France, avant, les secrétaires d’Etat ne participaient qu’aux Conseils inter-ministériels ; pas au Conseil des ministres. Ça a été le cas pendant quelques années chez nous. Mais, dans notre pratique actuelle au Burkina Faso, dès lors qu’on est membre du gouvernement, quelle que soit la catégorie à laquelle on appartient, on participe au Conseil des ministres.
Quelle est la hiérarchie entre les ministres ?
C’est une question qui revient souvent. Il n’y a pas de hiérarchie entre les ministres ; quels que soient le titre et l’habillage qu’on leur donne. Tous sont au-dessous du Premier ministre. Le schéma est radial, chacun étant relié directement à lui. Le ministre d’Etat n’est pas supérieur aux autres ministres. Il n’y a aucune hiérarchie entre lui et les autres.
Il ne peut pas donner d’instruction à un ministre, à un ministre délégué ou à un secrétaire d’Etat, à moins que l’un ou l’autre ne soit placé auprès de lui. Il ne peut, tout comme le Premier ministre d’ailleurs, reformer un acte signé par un autre ministre. Le titre de ministre d’Etat n’a de portée qu’au niveau de la préséance protocolaire et de l’étiquette des titres. A une cérémonie, on citera d’abord les ministres d’Etat avant les autres membres du gouvernement.
Puis on suivra l’ordre dans lequel ceux-ci sont cités dans le décret de nomination du gouvernement. Au niveau du traitement salarial, pendant longtemps, il n’y avait pas de différence entre les ministres d’Etat et les autres ministres. Les indemnités étaient les mêmes pour tous les membres du gouvernement. Mais actuellement, il y a une différence : les ministres d’Etat ont une indemnité légèrement supérieure à celle des autres ministres.
Mais cette différence est mince. En revanche, il existe bien une hiérarchie au sein des départements entre le ministre et son ministre délégué ou son secrétaire d’Etat. Le ministre délégué ou le secrétaire d’Etat dépendent du titulaire. Il ne s’agit pas seulement de préséance. Je dois vous donner une dernière précision. Il n’existe pas de ministère d’Etat ; il n’y a que des ministres d’Etat.
Voulez-vous dire que ce titre est vide ?
Naturellement ce titre n’est pas vide. Loin de là. C’est un titre de prestige éminent, qui est très recherché par les hommes politiques. Il doit sa force, sur le plan politique, au niveau de l’étiquette des titres des hautes fonctions politiques, et de la haute considération.
Le ministre d’Etat peut être le titre donné à un membre éminent du gouvernement, qui a en charge un département stratégique sur le plan de l’action gouvernementale. Mais le ministre d’Etat peut être sous portefeuille. Par ailleurs, sans s’occuper d’un secteur ou d’un secteur des politiques publiques, il peut être placé auprès du chef de l’Etat ou du Premier ministre.
On ne comprend pas toujours cette histoire et ces dénominations de ministre délégué et de secrétaire d’Etat. Expliquez-nous.
(Rires). Ça fait rire pour de grands intellectuels comme vous ! Ecoutez. Tout dépend des systèmes de structuration organique et d’administration des Etats au sommet.
La Présidence, le Premier ministère, les départements ministériel peuvent avoir un ou plusieurs sous-secteurs. Si le chef de l’Etat et le Premier ministre considèrent qu’un sous-secteur est spécifique et mérite un traitement particulier, le président nomme un ministre délégué ou un secrétaire d’Etat qui en sera chargé.
Les ministres délégués et les secrétaires d’Etat peuvent être placés auprès du président du Faso, du Premier ministre ou d’un ministre. Le choix entre ministre délégué et ministre dépend de la seule décision du président du Faso. Le ministre délégué ou le secrétaire d’Etat est dit « autonome » s’il n’est pas rattaché à un ministère, au Premier ministère ou à la Présidence.
Le gouvernent actuel comporte des ministres délégués au nombre de sept. Le premier gouvernement burkinabè a été celui de Daniel Ouézzin Coulibaly, nommé le 18 mai 1957. Sous Ouézzin Coulibaly, aucun gouvernement ne comportait de secrétaire d’Etat ou de ministre délégué. C’est le Président Maurice Yaméogo qui a complexifié la nomenclature gouvernementale en Haute-Volta.
Le gouvernement du 1e mai 1959 était composé de seize membres, dont cinq secrétaires d’Etat : Michel Lajus, un Français ; Denis Yaméogo ; Tiémoko Kaboré ; Daouda Diallo et Rimbalté Palenfo. Les trois premiers étaient placés auprès de la présidence du Conseil. Ils s’occupaient de la Coordination interministérielle, de la Justice et des Anciens combattants. Le gouvernement du 2 mai 1961 comportait dix membres, dont un haut-commissaire à la jeunesse et au Sport, Michel Tougouma.
Et le titre de ministre délégué ?
Le titre de ministre délégué est apparu pour la première fois dans un gouvernement burkinabè le 27 février 1963, avec Dénis Yaméogo, nommé ministre délégué auprès du président du Conseil des ministres, le chef de l’Etat, Maurice Yaméogo ; Sibiri Salembéré l’a rejoint avec le même titre dans le gouvernement du 3 mai 1963. Il n’y a pas de différence substantielle entre un secrétaire d’Etat et un ministre délégué. Les secrétaires d’Etat et les ministres délégués exercent leurs compétences, selon les cas, par délégation du président du Faso, du Premier ministre ou du ministre auprès duquel ils sont placés.
Strictement parlant, les ministres délégués jouissent d’une délégation plus large et plus prononcée que celle que détiennent les secrétaires d’Etat. En principe, la délégation dont jouit un secrétaire d’Etat s’analyse d’abord comme une délégation de signature. Le ministre délégué bénéficie d’une plus grande autonomie d’action que le secrétaire d’Etat. Mais il faut noter qu’au départ, on ne plaçait de ministre délégué qu’auprès du Premier ministre. Ils ne sont pas placés auprès du Président du Faso, du Premier ministre ou d’un ministre.
Le modèle d’administration que je vous explique, n’est cependant pas le même dans d’autres systèmes. Il faut donc faire très attention. Par exemple, en Grande Bretagne et dans les pays anglophones en général, c’est le titre de « secrétaire d’Etat » qui est valorisé. Il désigne les ministres titulaires des départements ministériels. Le terme « ministre d’Etat » en Grande-Bretagne est l’équivalent des secrétaires d’Etat ou des ministres délégués dans notre système.
Peut-on concevoir un gouvernement dans lequel on ne retrouve aucun ministre d’Etat ?
Absolument. Il y a eu plein de gouvernements au Burkina et dans d’autres pays, dans lesquels on ne trouve pas de ministre d’Etat. Mais il n’y a aucune règle dans ce domaine ; on peut avoir un gouvernement sans ministre d’Etat, ou au contraire, un autre avec plusieurs ministres d’Etat.
On a même connu ces dernières années, en Côte d’Ivoire, une innovation avec des « ministres d’Etat à la présidence » et des « ministres d’Etat au gouvernement ». A Abidjan, le Protocole d’Etat en tient compte dans l’ordre des préséances, les premiers passant avant les ministres d’Etat du gouvernement.
Sur quelles considérations ou critères se base-t-on pour nommer un ministre d’Etat ?
Il n’existe pas de critères à proprement parler dans ce domaine, qui relève de la science de l’administration, mais des axes de la pratique. Le premier axe, c’est que le chef d’Etat et le Premier ministre estiment, à la formation du gouvernement, qu’une question est tellement importante qu’il faut que celui ou celle qui la prend en charge, porte le titre de ministre d’Etat.
On l’a vu sous François Mitterrand en France au milieu des années 1980, où Lionel Jospin est devenu ministre d’Etat, ministre de l’Education nationale. Pour François Mitterrand, le secteur de l’Education était un domaine stratégique, et donc nécessitait un traitement spécial avec sa traduction institutionnelle. Au Burkina Faso, quand Hermann Yaméogo est devenu ministre de l’Intégration africaine en 1992, dans le premier gouvernement de la IVe République, on n’était pas loin de ce genre de considération.
Le Burkina Faso venait d’entamer son renouveau démocratique, et Blaise Compaoré amorçait la montée en puissance diplomatique du pays sur la scène interafricaine. Le deuxième axe est purement politique. Dans les gouvernements d’alliance, de coalition, ou même simplement à composantes politiques différentiées, chacune des composantes peut disposer d’un ministère d’Etat, toujours selon l’appréciation du Président.
Le troisième critère s’identifie à des considérations purement personnelles et souvent subjectives : notoriété de la personnalité, rayonnement personnel, compagnonnage politique ou historique avec le président du Faso… Entre les trois séries de considération, il existe une palette infinie d’autres critères, dont l’appréciation de la pertinence revient au seul président du Faso.
Avec ces considérations sus-évoquées, un ministre comme celui des Affaires étrangères ne devrait-il pas, d’office, être revêtu du titre de ministre d’Etat ?
Pourquoi ? Non. Il n’y a pas de normalité dans ce domaine. Donner le titre de ministre d’Etat ou tout autre titre de distinction à une personnalité, relève du pouvoir discrétionnaire du président du Faso, auquel le Premier ministre soumet des propositions pour former le gouvernement. Il n’y a donc pas de secteur dans lequel le titre de ministre d’Etat serait de droit. Mais, il est vrai que dans de nombreux pays, les ministres chargés des affaires internationales sont nommés ministres d’Etat.
Cela étant, le ministère des Affaires étrangères n’est pas un ministère comme les autres. Il est unique en son genre. En droit international et dans la diplomatie, le ministre des Affaires étrangères est une institution internationale en soi. Même les chefs d’Etat n’ont pas un tel statut ou privilège. Les titres qu’on donne au ministre des Affaires étrangères à l’intérieur, dans l’Etat du for, n’ont aucun effet à l’extérieur et à l’ONU.
Qu’on donne à Alpha Barry le titre de ministre d’Etat ou non, il vient avant tous les autres aux Nations Unies et dans les affaires internationales ; il n’a pas besoin d’être ministre d’Etat pour cela. Le reste, c’est de la cuisine interne. Naturellement, un tel titre rehausserait encore plus sa visibilité sociale et politique dans l’ordre national.
Qu’est-ce qui différencie tant le ministre des Affaires étrangères des autres ministres ?
Ce serait long à expliquer. Il y a beaucoup de choses. Il est le seul ministre dont le statut échappe en partie aux critères de l’ordre interne à l’Etat. Une fois nommé, il devient le chef de la diplomatie. Ce n’est pas le président du Faso qui est le chef de la diplomatie burkinabè, c’est bien lui. Aujourd’hui, tous les ministères ont une dimension internationale, mais lui seul ne s’occupe que d’affaires internationales. C’est donc lui qui cordonne toutes les interventions extérieures des autorités burkinabè.
Il lui revient ainsi de donner de la cohérence et de la cohésion à l’action internationale de notre pays. Alors que les services extérieurs des autres départements ministériels sont repartis sur le territoire national, dans les départements, les provinces et les régions, tous les services extérieurs du ministère des Affaires étrangères sont placés dans la sphère internationale, à l’étranger. Ce sont les ambassades, les postes consulaires et les représentations permanentes auprès des organisations internationales.
Vous ne le savez certainement pas, mais jusqu’à la fin des années soixante et le milieu des années soixante-dix, en Haute-Volta, seul le ministère des Affaires étrangères avait un secrétaire général. Il avait un statut fixé par décret. C’est quelque chose que les gens ne savent pas. Soit dit en passant, à part quelques départements ministériels, en France, il n’y a pas de secrétaires généraux dans les ministères.
Interview réalisée par O.L.O
Lefaso.net
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