« Manger dehors » à Ouagadougou, dans des « restaurants par terre » (surnom donné aux restaurants de rue) ou dans les kiosques de quartiers est chose courante. Des habitudes quotidiennes à hauts risques sanitaires au regard des conditions d’hygiène de ces lieux de restauration. Les habitués de ces restaurants de fortune sont majoritairement les jeunes, issus des quartiers non viabilisés, vivant très souvent sous le seuil de pauvreté. Pris dans un engrenage, ces citoyens se sont quelques peu résignés à « faire avec » l’offre qui est à leur portée, sans grand égard pour ce qui pourrait bien leur arriver. « Aujourd’hui c’est aujourd’hui, demain on verra ». Pourtant les vers intestinaux véhiculés par l’insalubrité notamment en consommant des aliments ou eau souillés sont la cause de plus de 100.000 décès à travers le monde.
100 F CFA, le plat de riz avec de la sauce ou de haricot (niébé)! Même si le menu n’est guère varié dans les « restaurants par terre » qui pullulent dans les coins de rue de Ouagadougou, le moins que l’on puisse en dire est qu’ils sont à la portée de bon nombres de Ouagavillois.
Ces restos sont même un «mal nécessaire» selon Dramane SANA, étudiant en géographie de l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou. Comme lui, ils sont des milliers d’étudiants à recourir aux restos par terre pour trouver de quoi subsister. «C’est difficile, pour des gens comme nous qui vivent seuls, de se passer des restaurants universitaires et des kiosques », explique Dramane.
Les clients de ces lieux sont bien informés des risques pour leur santé liés notamment aux vers intestinaux. Parfois, situés à coté de caniveaux infestés d’eaux usées, de dépotoirs sauvages d’ordures, de toilettes publiques, l’hygiène y est la chose la moins partagée entre les ustensiles, les mains des tenanciers et les meubles. Certains sont ambulants avec la nourriture mal couverte, à la merci de la poussière et autres.
Même quand ils souffrent de maladies liées aux vers intestinaux après avoir fréquenté une gargote, les clients n’ont d’autres choix que d’y revenir. C’est le cas d’Herman BASSIERE, animateur social, qui en a fait les frais en piquant à la fois des ascaris et une fièvre typhoïde il y a quelques années, alors qu’il habitait Zorgho (une localité du centre du Burkina). Il se rappelle comme hier de ses tourments.
« J’ai eu plusieurs fois des vers dans mon ventre. Mais la première fois que cela m’est arrivé, j’ai eu la fièvre, des constipations et des maux de ventre… Quand ça arrive je ne peux plus travailler. Et le docteur m’a dit que c’est certainement dû à l’eau que je buvais à l’époque et des aliments crus que je mangeais ».
En plus du manque de moyens financiers, le manque de temps pour se faire des plats fait-maison constitue un motif de plus pour se restaurer «par terre». « Surtout pour les célibataires», témoigne Aboubacar Zida qui reconnait néanmoins que « bricoler rapidement un repas à la maison est mieux que de manger tous les jours dehors, parce qu’à la maison, il y a une maitrise de l’hygiène ».
Vendeuse de nourriture au bord de la route, Bibata Yanogo, la quarantaine, voit d’un autre œil son « commerce social ». Ses clients sont principalement les élèves des lycées environnants, qui viennent se restaurer à midi avant de retourner en classe et les commerçants des environs.
« Les gens disent que nous ne sommes pas propres. Moi en tout cas je fais l’effort de garder mon lieu de vente propre. Mais j’avoue que c’est difficile. Le coût de la vie est cher. Nous vendons nos plats à partir de 100 francs. Les bénéfices ne sont pas assez consistants pour investir continuellement dans l’assainissement », confie-t-elle.
Le mode opératoire de ces « tueurs silencieux »
Par le mode de vie, de nombreuses personnes hébergent les vers intestinaux dans leur organisme. La contamination se fait par voie orale et transcutanée. Docteur Thierry Kiswendsida Guiguemde, médecin parasitologue, au centre hospitalier universitaire pédiatrique Charles De Gaulle à Ouagadougou explique que les vers plats et ronds comme les ascaris, les ankylostomes, et les anguillules sont très répandus dans les pays en voies de développement. Mais au Burkina Faso, le Schistosoma mansoni est le ver intestinal le plus fréquent au sein de la population, ajoute pour sa part le Dr Mamoudou Cissé, Parasitologue, chercheur au centre Muraz, une institution nationale de recherche pour la santé à Bobo – Dioulasso.
D’après le Dr Guiguemde, les vers intestinaux sont des « tueurs silencieux » au regard de leur mode opératoire. Ils sont partout dans la nature (sur les aliments, sur les sols, dans la poussière etc.) sous forme d’œufs. On peut les avoir pendant 05 à 10 ans dans l’organisme sans manifester de signes particuliers. Ils s’y développent, grossissent en taille et pondent de nouveaux œufs qui se retrouvent dans les selles. Le phénomène de multiplication des vers bouche les intestins et provoquent des complications nécessitant souvent des interventions chirurgicales.
Les répercussions socioéconomiques insoupçonnées de cette maladie tropicale négligée
La frange jeune de la population est la plus exposé aux vers intestinaux. Il s’agit des enfants d’âge préscolaire (1-5 ans) et d’âge scolaire (6-15 ans) et des jeunes de 16-25 ans. Le taux de la prévalence de l’infestation au ver intestinal « Schistosoma mansoni » au Burkina Faso était de 26,2% chez les enfants d’âge scolaire en 2013 tandis que sa prévalence chez les enfants d’âge préscolaire était de 81,1% en 2020, détaille le parasitologue chercheur Dr Mamoudou Cissé.
Les répercussions sont très grandes mais « négligées ». Selon les parasitologues consultés, les vers intestinaux sont l’une des causes de la malnutrition chez l’enfant, qui a une répercussion sur sa croissance et sa capacité de réflexion. Cela joue sur son rendement scolaire. Dans le train-train quotidien, la jeunesse est largement exposée. Alors que, ces parasites fragilisent le système immunitaire permettant à d’autres maladies de s’implanter dans le corps humain, précise Dr Guiguemde.
Ce qui entraine une augmentation du nombre de malades et des dépenses sanitaires. Cet état des faits a des incidents socioéconomiques non des moindres, à l’échelle familiale, communautaire et nationale. Selon une étude sur la caractérisation du système de transmission et impact socioéconomique de la schistosomiase dans la vallée du kou (Province du Houet), les pertes économiques quotidiennes dues à l’infestation à Schistosoma mansoni sont estimées à 14 600 FCFA/jour chez les pêcheurs et à 22 000 FCFA/jour chez les commerçants. Cette maladie négligée accentue la vulnérabilité socioéconomique de la population déjà assez pauvre. Surtout en milieu rural et dans les bidonvilles.
Des résistances encore plus dangereuses pour la santé
Le déparasitant le plus utilisé aujourd’hui au Burkina Faso est l’albendazole. Mais d’après Dr Guiguemde, cette molécule est inefficace contre les protozoaires parmi lesquels les amibes, responsables de l’amibiase intestinales. « Ces protozoaires peuvent causer l’amibiase hépatite qui peut aboutir à une cirrhose et cancer de foie » souligne le parasitologue.
L’hygiène individuelle et collective, une obligation pour venir à bout des vers intestinaux
Les vers intestinaux subsistent dans les pays à faible taux d’assainissement et d’accès à l’eau potable. Au Burkina Faso, 70% de la population défèquent à l’air libre, 24% n’ont pas accès à l’eau potable, le taux d’assainissement est de 23% (Wateraid Burkina). Un confort pour les parasites.
Pour arriver à bout de ce fléau sanitaire, chaque individu devrait faire l’effort de respecter l’hygiène corporelle, manger sain, assainir son cadre de vie. Au niveau étatique, il faudrait tenir compte de la transversalité du WASH dans les politiques publiques par l’amélioration des taux d’accès à l’eau potable et à l’assainissement.
Harouna Drabo
Source : Burkina24.com
Faso24
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