Zalissa Tiemtoré. A la fois femme et homme. Père et mère. Depuis plus d’une année, elle s’invite dans les localités de Koubri (environ une dizaine de kilomètres au Sud de Ouagadougou, ndlr) ou de Loumbila (environ une trentaine de Kilomètres au Nord de Ouagadougou, ndlr) pour charger de la marchandise, des légumes ou des feuilles d’aubergine sauvage (Koumvando en mooré, ndlr) pour nourrir les Ouagavillois. Le vendredi 22 et le samedi 23 janvier 2021, une équipe de Burkina 24 a décidé de suivre Zalissa Tiemtoré.
6h50 min. Le vendredi 22 janvier 2021. Le vent frais du petit matin montre son nez. Courageux sont ceux qui s’aventurent dehors sans une protection digne d’une zone enneigée. Nous débouchons dans le domicile de Zalissa Tiemtoré à Yamtenga, un quartier non loti situé dans la périphérie Sud de la capitale burkinabè, Ouagadougou.
Zalissa nous donne des reposoirs, le temps de finaliser les travaux domestiques déjà entamés. La cour familiale s’est déjà vidée de ses habitants. Nous profitons pour mieux connaitre celle avec qui nous passerons la journée. Née en 1980, Zalissa Tiemtoré est originaire de Tanlarghin, localité du département de Saaba, dans la province de Kadiogo.
« La cour n’est pas à nous, c’est pour ma belle-sœur … »
Le dialogue débute en français avant que le mooré ne s’invite. Zalissa ne se sent pas à l’aise avec la langue de Molière. Entre les bruits du choc des plats et des casseroles, Zalissa faisant la vaisselle, nous confie sa vie. « J’ai eu le certificat d’étude du primaire (CEP). Mais par manque de moyens, je n’ai pas pu continuer », argue-t-elle pour fuir la langue du Blanc. Malgré son obtention du diplôme sanctionnant la fin de l’enseignement primaire élémentaire, elle n’aura pas la chance d’aller plus loin.
La suite. Zalissa n’a pas échappé à la destinée infligée à la plupart des jeunes filles de son âge vivant en milieu rural. Son rêve de devenir infirmière vient de s’évaporer. « Mes parents m’ont donnée en mariage à un homme ». Issa Ouédraogo. C’est le nom de celui à qui le destin de Zalissa a été lié pour le meilleur et le pire. Un mariage religieux quand elle avait environ 17 ans. Le couple décide après de rejoindre la capitale burkinabè.
La vaisselle est propre après une dizaine de minutes. Zalissa, vêtue d’un simple tee-shirt blanc contre le froid, se relève et prend la direction de la maison. Il faut balayer l’intérieur et se mettre en route. Dans la cour de la famille, deux maisons érigées en banco dont une inachevée sans toit trônent. Celle qui accueille la famille est mal en point. « La maison est défectueuse, le toit est perforé et l’eau coule pendant l’hivernage. Le mur est fendu de l’intérieur. Aussi, la cour n’est pas à nous, c’est pour ma belle-sœur qui vit maintenant au village », décrit Zalissa qui a déjà fini le balayage.
Zalissa est prête. Pour cette sortie, elle décide de faire le trajet Ouagadougou-Koubri-Ouagadougou pour s’approvisionner en Koumvando. L’avant-veille, le mercredi 20 janvier, notre vendeuse de Koumvando a fait une chute. Heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. « J’ai seulement eu mal à la hanche », avoue-t-elle. Mais cet accident a induit un repos forcé, le jeudi, pour la jeune dame. C’est donc pleine d’énergie que Zalissa enfourche sa moto rouge le vendredi pour attaquer la Route nationale 5 (RN5).
Tout comme Zalissa, elles sont nombreuses ces femmes à réveiller tôt le matin, pour rejoindre les périphéries de la ville de Ouagadougou pour s’approvisionner en légumes, en fruits et autres produits de consommation pour nourrir les Ouagavillois. Il n’est pas rare de les croiser avec de gros paniers attachés derrière leur moto, une ou des sacs pleins de marchandises à l’avant ou, parfois, des plats remplis de fraises ou autres fruits, en équilibre sur leur tête. Ces amazones de notre temps, parfois malgré elles, bravent tous les dangers allant des agressions physiques aux accidents pour apporter de quoi subvenir aux besoins de leur famille.
Des artères serpentés et imprévisibles de son quartier non-loti, Zalissa débouche d’abord sur une station-service. Elle fait déverser 1 000 F CFA de carburant super 91 dans le réservoir de sa moto de marque Cryton Yamaha assez amortie. De là, le départ pour Koubri, plus précisément à Napagting-Gounghin, est amorcé. Elle démarre. Nous aussi. Smartphone suspendu à un stabilisateur en main, nous suivons Zalissa également à moto pour immortaliser chaque instant.
Ainsi, de Yamtenga en passant par la voie ‘’usine de poussière de Karpala’’ pour rejoindre la RN5, Zalissa, sans casque sur la tête, s’est recouvert d’un léger voile fleuri, seul rempart pour affronter la fraicheur de ce mois de janvier. 40 Kilomètres/heure. Vitesse moyenne. Zalissa part à la recherche de sa pitance. [Suivez la vidéo].
Vidéo – De Yamtenga à Napagting-Gounghin, le combat de Zalissa pour nourrir sa famille
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Avant de choisir de nourrir les Ouagavillois, Zalissa a exercé d’autres petits métiers avant et pendant sa vie de couple. D’abord en qualité d’aide-ménagère lorsqu’elle a été contrainte d’abandonner les bancs. Ensuite, après avoir convolé en noces avec Issa Ouédraogo, elle a travaillé dans une usine de fabrication de filets en fer avant de s’essayer dans le nettoyage. La mauvaise expérience l’amène afin à entreprendre, d’autant plus que la vie n’a pas été tendre.
Le soir, à 16h15min, Zalissa est de retour dans son domicile. Comme une sorte de pénitence, ni une goutte d’eau encore moins une poignée de nourriture n’a franchi la gorge de cette dame depuis notre première rencontre tôt le matin jusqu’au retour chez elle.
Il est temps pour nous d’échanger de nouveau sur sa vie de famille. Là, le visage de Zalissa change. Il est parcouru d’une tristesse palpable. Son regard devient vide. Son sourire s’éteint. La peur d’en parler ? Les souvenirs sont-ils si douloureux ? Nous le savions. En 2018, Zalissa a perdu son mari. Assise dans la chaise en plastique de couleur blanche, les doigts de Zalissa s’entrechoquent. La tête penchée sur son épaule gauche, elle lève les yeux vers le ciel. Derrière elle, Abdoul Fatas Ouédraogo, le troisième enfant de la famille s’affairait, dans le recoin de la maison, à finaliser un poulailler.
Une interpellation de la mère et l’enfant quitte aussitôt le champ de notre caméra pour se réfugier sous l’ombre de la maison inachevée. Zalissa nous redonne son attention pour parler de son mari. Nous sommes gênés de faire revivre tant de souvenirs, mais il faut en parler.
Issa Ouédraogo était charbonnier. Après son décès suite à une longue maladie dont le traitement a épuisé les ressources surtout financières de la famille, c’est le début du veuvage pour Zalissa. Cette mère de 40 ans, avec 4 enfants, est désormais seule face aux caprices de la vie. Il a fallu trouver une source de revenus assez stable pour faire vivre la famille. Malgré la sensibilité du sujet, Zalissa prend courage pour s’exprimer. L’index droit frottant son arcade sourcilière gauche, elle se lance.
« Il est décédé de l’hépatite », murmure-t-elle d’abord. Un long silence s’installe. Il est pesant. « Après son décès, notre situation est devenue difficile », relance-t-elle tout en frottant toujours son arcade sourcilière gauche, puis un court rire. Le lourd silence revient. « Humm… ». Silence encore. Notre regard esquive celui de Zalissa. La douleur de perdre cet être cher semble être insurmontable. Mais la réalité est là. Implacable. Il faut y faire face. Vivre. Mais c’est difficile.
« Hum …», recommence-t-elle péniblement avant de se lancer enfin. « On s’entraidait dans la gestion de la famille, mais ce n’était pas facile. Actuellement, je suis seule. Ce sont des problèmes sérieusement. Il arrivait que nous n’ayons pas à manger. Parfois, lors du mois de Ramadan, nous profitons de l’aumône. Aussi, mes belles-sœurs qui sont au village nous envoient des vivres par moment », mâchonne Zalissa. Cette situation de précarité a d’ailleurs conduit deux des enfants, le premier et la seconde, à abandonner les classes.
La désormais veuve est dans l’obligation de retrousser encore plus ses manches afin de subvenir aux besoins de sa famille, d’où sa reconversion dans le commerce des feuilles et légumes. Et la solidarité des voisins aidant, Zalissa a eu une bouffée d’air. En effet, un voisin immédiat, Yousoufou Nikiema, décide d’accueillir et prendre sous son aile, les deux premiers enfants de la famille. L’ainé, un garçon, accompagne le voisin en qualité d’aide-maçon. La seconde, qui a élu domicile chez le voisin-bienfaiteur, apprend la couture.
« J’ai décidé de prendre son premier fils avec moi pour être manœuvre et j’ai envoyé sa petite fille dans une école de couture », témoigne le voisin. Il a dépeint un bon voisinage avec la famille bien avant le décès de Issa Ouédraogo. Pour M. Nikiema, si une chose peut résumer la vie de sa voisine, c’est « la combativité ». « Elle mène un combat positif. Si elle était une autre femme, elle allait replier dans sa famille. Mais avec ses petits moyens, elle pourra s’en sortir », narre le voisin. Les mêmes éloges sont également sortis de la bouche de Jean Marie Ilboudo, le jardinier chez qui Zalissa se ravitaille.
Vidéo – Les encouragements de Jean Marie Ilboudo le jardinier
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Conscients de leur situation, les deux derniers enfants de la famille, toujours inscrits à l’école mettent les bouchées doubles pour réussir à l’instar de Abdoul Fatas Ouédraogo. Agé de 16 ans, il fait la classe de troisième cette année dans un établissement privé de Ouagadougou. Celui qui rêve devenir « entrepreneur », loue les efforts de sa mère. « Ce qu’elle fait, c’est dur », convient-il.
Abdoul Fatas dit n’avoir pas encore accompagné sa mère pour chercher la marchandise, mais va « parfois » au marché pour l’aider à vendre afin de pouvoir payer sa scolarité. « C’est maman qui paye ma scolarité », confesse le jeune homme. En plus de sa petite sœur qui est en classe de CE1, Zalissa débourse ainsi près de 110. 000 F CFA par an. Cette somme, la vendeuse de Koumvando la tire essentiellement de son commerce.
Cette journée du vendredi 22 janvier 2021 a été riche en couleurs, en émotions et en enseignements. Mais le travail n’est pas terminé. Il faut revenir le lendemain samedi pour accompagner Zalissa au marché. « Vous revenez demain aussi ? », se demande Zalissa dès l’information reçue. « Oui oui », rétorquons nous. « Woo aya (rires) ! », lance-t-elle avec étonnement. Après les salamalecs d’usage, nous laissons Zalissa avec sa maison. Rendez-vous est convenu pour le lendemain.
Samedi 23 janvier 2021. Il est 4h50min. Notre hôte nous accueille à la porte dès que le bruit de notre engin s’éteint. Nos regards se croisent. Zalissa sourit et nous lance un ‘’nin waongo’’ (bonne arrivée, ndlr). Elle est déjà prête. Comme d’habitude, le programme du matin n’a pas changé. Il n’est pas question de dormir comme un loir. Prière. Vaisselle. Toilette des enfants. Les travaux avancés mais pas terminés, Zalissa démarre pour le marché. Nous la suivons. Il est 5h passée.
Sur la voie en réfection menant au marché, sans phare, Zalissa monte sur un gros caillou. Un combat s’installe pour éviter d’embrasser le sol. Arrivée enfin au marché, il est 5h30 min. Le froid est torride. Déjà, une vingtaine de femmes se font remarquer dans le marché. Toutes des commerçantes. Elles s’affairent à déballer les sacs et à mettre en tas, les différents condiments. Denise Zoungrana est une des voisines de Zalissa. Elle est déjà là depuis 4h30 min. Sous son hangar, elle propose des choux et, comme Zalissa, des feuilles d’aubergine sauvage.
Pour Denise, il n’y a pas d’heure fixe pour vendre, vu la concurrence. « Il faut sortir tôt seulement », conseille-t-elle. Cette commerçante a loué la bravoure de sa voisine. « Zalissa est une femme sincère et elle est battante », confie-t-elle.
Le temps passe. Au compte-goutte, les clientes, surtout, emplissent le marché. 6h15 min. Le « touraaga » (première cliente, ndlr) de Zalissa apparaît. Une dame vendeuse de nourriture. Elle est venue acheter des feuilles pour la sauce. Elle est servie. 1 000 F CFA sont déjà dans l’escarcelle de Zalissa.
Peu à peu, le marché est bondé de femmes et d’hommes. Les interpellations et autres cris prennent place. Le calme et le silence du matin ont disparu. Au fur et à mesure, les autres boutiques s’ouvrent aux clients. Le cocktail issu du mélange des multiples senteurs fouettent peu à peu nos narines déjà agressées par le vent de la veille. Un rhume n’est pas loin. Le cache-nez nous aide à nous protéger d’autant plus que nous sommes en période de Covid-19. Mais cette maladie semble être jetée aux oubliettes dans le marché de ‘’El Nour’’. Ni Zalissa ni ses voisines ni la plupart des clients ne portent de masque.
«… obsolète et tombe fréquemment en panne »
Aujourd’hui, les clientes se sont déchainées sur l’étale de Zalissa qui s’est vidé avant 8h. Sur la bâche étalée à même le sol, il n’y a plus de Koumvando en vente. Après le décompte, la vendeuse de Koumvando a 9 000 F CFA dans son réticule. Il faut déduire les dépenses. 5 000 F CFA d’achat des deux sacs de Koumvando chez Jean Marie plus 1 000 F CFA de carburant donnent 6 000F CFA. 9 000 F CFA moins 6 000 F CFA égale à 3 000 F CFA. Zalissa Tiemtoré rentre chez elle dès 9h avec cette somme en poche. Un bénéfice ? Zalissa n’est pas formelle. Elle doit composer avec l’amortissement de la moto qui « est obsolète et tombe fréquemment en panne », explique-t-elle.
A peine arrivée à son domicile, Zalissa prépare encore sa bécane pour un autre voyage. Napagting-Gounghin de Koubri accueillera encore notre héroïne. Et le cycle de la recherche de la pitance recommencera.
Ignace Ismaël NABOLE et Akim KY (Stagiaire)
Burkina 24
Source : Burkina24.com
Faso24
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