La 27e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) prévue du 27 février au 6 mars 2021 ne pourra se tenir à bonnes dates. Et pour cause, le gouvernement burkinabè a décidé lors du Conseil des ministres du vendredi 29 janvier 2021 de son report. Cependant avec le gap financier que connait le comité d’organisation, Lefaso.net est allé à la rencontre du délégué général du FESPACO, Alex Moussa Sawadogo, pour avoir les raisons de ce report et les désagréments que cela engendre.
Lefaso.net : Comment se porte l’institution FESPACO ?
Alex Moussa Sawadogo : Je voudrais d’abord vous dire merci, merci pour l’invitation que Lefaso.net nous fait. L’institution FESPACO qui a 50 ans se porte très bien. Vous savez que le FESPACO, au-delà du festival lui-même, est une institution qui porte 2 à 3 grandes entités. On a le festival en tant que tel, ensuite nous avons la cinémathèque et un centre de documentation. En plus de ça, notre mission c’est de contribuer à la promotion des films burkinabè, africains et de sa diaspora. C’est aussi de pouvoir être en contact direct avec nos partenaires qui chaque année, chaque édition continuent à nos soutenir pour que le FESPACO garde son envergure depuis sa création.
Au-delà de la biennale, quels sont les chantiers sur lesquels le délégué général du FESPACO travaille ?
Au-delà de la biennale, nous travaillons sur la cinémathèque africaine. C’est le cœur, c’est là où se trouve tout le trésor du cinéma africain et de sa diaspora. Il est important pour nous de pouvoir préserver, conserver et archiver ce trésor pour que les enfants d’aujourd’hui et de demain puissent retrouver tous les films dont ils auront besoin un jour. C’est le lieu aussi, lorsqu’un chercheur, un universitaire ou un cinéphile qui est à la recherche d’un film, pourra le retrouver.
C’est aussi ce centre de documentation qui est très important et le FESPACO depuis sa création a organisé pas mal de colloques, de rencontres internationales professionnelles et tout ça c’est un grand trésor culturel cinématographique qu’il faut préserver dans de très bonnes conditions pour les générations futures et les travaux de recherches.
Ouagadougou est la capitale du cinéma africain, cependant le 7e art a du mal à décoller au pays des Hommes intègres. Quelles explications donnez-nous à cela ?
C’est une grande question, elle devrait être posée au directeur du cinéma et de l’audiovisuel du Burkina. Mais de mon avis, le Burkina Faso au-delà de la biennale continue à faire la fierté du cinéma africain et dans le monde. On a eu une génération qui a démontré qu’un pays comme le nôtre, malgré ses ressources faibles, a la capacité, l’intelligence de produire des grands films qui répondent aux besoins du public.
Si la situation actuelle est difficile, cela est dû à des décisions plus au moins inadaptées aux attentes des réalisateurs. Je dirai que pour décoller, il faut que les producteurs, réalisateurs, les scénaristes parlent de la même voix. Présentement, on dispose d’une association, d’une fédération. Ces entités doivent proposer quelque chose. Nous avons par exemple la plateforme « ouaga film » qui travaille en dessous pour le développement du cinéma. Vous savez que pour faire un film, tous les maillons de la chaine de production devraient être respectés. Sinon, nous avons des hommes et des femmes qui ont la capacité de faire décoller le cinéma burkinabè. Il faut simplement les aider à faire un travail de développement, car ce développement est très capital.
- Le délégué général, Alex Moussa Sawadogo, assure que le report du festival n’est pas à cause d’un gap financier.
Le clou de la production, c’est au niveau du développement. Nombreux sont les films burkinabè qui ont toujours obtenu des financements de l’extérieur, notamment des pays européens. Il faut aussi qu’une décision soit prise politiquement. A ce niveau, on a senti une volonté politique pour la production des films il y a deux ans.
La décision prise par le chef de l’Etat a permis à beaucoup de réalisateurs de finir leurs films dans de très bonnes conditions pour être présents au FESPACO. Récemment, on peut noter l’aide avec la situation de la pandémie. Il faut à mon humble avis, la mise en place d’un fonds pour le cinéma burkinabè pour qu’il puisse décoller à l’instar de celui du Sénégal, du Nigéria ou du Maroc.
Le Conseil des ministres du 29 janvier a décidé du report du FESPACO qui devait se tenir du 27 février au 6 mars 2021. Comment avez-vous accueilli cette décision et quelles sont les implications que ce report engendre ?
J’ai accueilli cette décision avec un pincement au cœur, mais la décision est tout à fait compréhensible et responsable. On voit la situation du covid avec surtout la recrudescence de la pandémie qui sévit dans le monde et qui fait des ravages. Il est important qu’un festival comme le FESPACO pense à la santé de sa population, de ses spectateurs, du public et des professionnels du cinéma et prendre une telle décision n’est pas facile. Mais c’est d’abord préserver la santé de ces hommes de cinéma et des festivaliers pour continuer plus tard à avoir des films que nous aimons.
Il faut bien sûr ajouter qu’au-delà de la décision du report du festival, c’est aussi la situation de ses réalisateurs. Vous savez que pour faire un film africain, on a besoin au minimum de 2 à 3 ans pour avoir un film de qualité. La situation du covid a eu un gros impact sur ces films, surtout que le cinéma africain est en coproduction avec l’Europe. Pour la production des films, il était difficile pour que ces producteurs aillent dans ce continent pour finaliser leur film.
La survenance de cette pandémie crée un véritable handicap. Un événement de l’envergure du FESPACO repose d’abord sur la qualité des productions, car c’est la production artistique qui fait la beauté et la renommée du festival. Il est important qu’on vienne au FESPACO pour voir de bons films. D’autre part, le report du festival permettra aux producteurs de peaufiner leur film sans pression dans de très bonnes conditions.
Le report malheureusement engendre des désagréments et nous sommes les premiers à le déplorer. Mais, pour nous, nous pensons que c’est important la santé des populations. Nous reconnaissons que beaucoup d’hôtels, d’agences de voyage, de restaurateurs avaient coché la date du festival dans leur agenda.
Au niveau des festivaliers, nous pensons que c’est aussi l’amertume, mais ils seront compréhensifs. Toutes les activités annexes au festival seront impactées, mais il est nécessaire de reporter le festival pour avoir le maximum de personnes à ouaga que de faire un festival où nous aurons moins de personnes et ces activités annexes ne profiteraient à personnes. Il est toujours bon d’aller plus vite que possible, aussi lentement que nécessaire.
Est-ce que la véritable raison de ce report n’est pas pour masquer le gap financier de 800 millions de FCFA ?
Je peux vous dire et vous rassurer que cette raison est archi fausse. Même la décision qui vient d’être prise à un mois de la 27e édition est loin de là. Nous savons les difficultés qui ont été créées lors de la dernière édition du FESPACO, mais je vous rassure que c’est loin de là. La preuve, le comité d’organisation travaillait d’arrache-pied pour respecter les délais qui lui étaient impartis.
- Le délégué général, Alex Moussa Sawadogo, déçu du report, mais comprend la décision
Si ce n’est pas un problème financier, comment avez-vous comblé le gap des 800 millions ?
Je dirai que nous tendons de combler. Vous savez qu’une telle somme ne se règle pas sous un coup de bâton magique, ce sont des négociations avec nos partenaires en essayant de pouvoir revoir nos dépenses à la baisse, de faire attention à certaines poches financières afin de pouvoir couvrir ces dettes.
La 27e édition devrait se tenir dans pratiquement un mois. Dites-nous à quel stade de l’organisation vous étiez et combien d’oeuvres étaient déjà enregistrées dans les différentes catégories ?
Comme tout festival, juste après le dernier, on commence l’organisation du prochain. Les préparatifs étaient déjà basés sur les appels à films, c’est-à-dire les inscriptions des films. Ensuite un travail de sélection de films candidatés, puis le grand travail relationnel entre les partenaires et le FESPACO. Vous savez que ces partenaires sont très importants pour la tenue de ce festival et toutes les négociations étaient entreprises à ce niveau-là.
Pour les films inscrits à la date du 15 décembre 2020 qui était la limite de l’appel à films, qui a été prolongée spécialement jusqu’en fin janvier 2021, nous étions à 800 films inscrits, toutes catégories confondues.
Avec ce report, comment le FESPACO compte-t-il rebondir ?
Le FESPACO va s’adapter dans un premier temps à l’évolution de la pandémie au Burkina Faso, ainsi que dans le reste du monde. Le FESPACO n’est pas annulé, c’est un report. Je voudrais vous rassurer que nous continuons à travailler sur l’organisation du festival en suivant l’évolution de la pandémie.
Dès qu’elle sera sous contrôle, nous pensons que le gouvernement prendra la décision pour la reprogrammation du festival, mais nous espérons fortement tenir le festival en cette année 2021. Pour la décision d’une nouvelle date, il est important de pouvoir concerter nos festivals homologues. Le FESPACO n’est pas le seul festival dans le monde qui a été reporté. Aussi vous savez que le calendrier des festivals, ce sont des dates choisies longtemps en avance.
Au niveau du continent, nous sommes en concertation avec nos partenaires des festivals de Carthage en Tunisie, de Marrakech au Maroc et ceux de l’Afrique du sud, question de prendre une date pour que les festivals ne se chevauchent pas. Parce qu’il est important que les professionnels du cinéma puissent profiter des grands événements cinématographiques qui se déroulent sur le continent.
Propos recueillis par
J.E.Z.
Lefaso.net
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