Il est mort le vendredi 5 février 2021 à Abidjan. Il venait de fêter ses 81 ans. Il y avait près de dix ans qu’il n’était plus une personnalité politique majeure de la République de Côte d’Ivoire. Mais il en aura été, pendant près de quarante ans, une des têtes d’affiche, présent dans tous les régimes qui auront été en place. Avec un principe de base : « Demeurer dans le sillage du pouvoir pour mieux se repositionner ».
Laurent Dona Fologo était né le 12 décembre 1939 à Péguékaha, dans le « Grand Nord » de la Côte d’Ivoire, non loin de Sinématiali. Etudes secondaires à Dabou avant de rejoindre l’université d’Abidjan au début des années 1960 puis le Centre international de l’enseignement du journalisme de l’Unesco, à Strasbourg, et enfin l’Ecole supérieure du journalisme de l’université catholique de Lille de 1962 à 1964.
En 1964, Fologo a vingt-cinq ans. Il reviendra à Abidjan après quelques stages dans la presse française. D’emblée, il sera nommé rédacteur en chef du quotidien gouvernemental Fraternité-Matin. Cinq ans plus tard, il en devient le directeur général adjoint. Nommé au comité directeur et au bureau politique du PDCI en 1970, il entre au gouvernement en 1974 comme ministre de l’Information (tout en demeurant DGA de Frat-Mat !).
Quand il était étudiant à Lille, il avait fait la connaissance d’une jeune française originaire de la région : Danièle Lamerand. Ils se sont mariés et ont eu trois enfants (Muriel, Christelle et David). De ce mariage
« mixte », Félix Houphouët-Boigny va faire la vitrine de sa politique de
« dialogue » avec l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. En septembre 1975, le couple franco-ivoirien y effectuera une visite officielle, accompagné de Balla Keïta (qui, lui, parlait allemand, langue germanique proche de l’afrikaans).
Fologo sous Houphouët
Laurent Dona Fologo entrera donc au gouvernement à 35 ans. Il y fera une longue carrière. Ministre de l’Information de 1974 à 1978, il sera, par la suite, ministre de la Jeunesse, de l’Education populaire et des Sports (1978-1986) puis ministre de l’Information, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports (1986-1989). Il quittera le
gouvernement le lundi 16 octobre 1989. La Côte d’Ivoire était en crise, économique et sociale. Houphouët-Boigny tentera de sauver les meubles. Avec le concours d’Alassane D. Ouattara, lui aussi un homme du « Grand Nord », bientôt nommé Premier ministre. La vieille garde se retrouvera sur la touche. Le nom de Fologo sera évoqué pour être ambassadeur en France ou en Afrique du Sud. Ce ne seront que des rumeurs. Fologo va se retrouver administrateur-gérant du magazine Voix d’Afrique, financé, la première année, par Houphouët-Boigny et Mobutu. Ce sera une expérience de courte durée.
Fologo ne restera pas inactif, politiquement, pendant cette période. Il sera le
« porte-parole du candidat Félix Houphouët-Boigny, planteur à Yamoussoukro », tout au long de la campagne en vue de la présidentielle du 28 octobre 1990.
Houphouët battra Laurent Gbagbo à la présidentielle mais Fologo sera battu lors des législatives du 25 novembre 1990 dans son fief de Sinématiali. Cela ne l’empêchera pas d’obtenir le 14 avril 1991, après bien des négociations menées par Houphouët et Ouattara, le poste de secrétaire général du PDCI dont la création avait été décidée lors du IXè congrès de l’ex-parti unique en octobre 1990. Un PDCI au sein duquel les « rénovateurs » s’opposaient aux « caciques ».
Fologo sous Bédié
Le 7 décembre 1993, Félix Houphouët-Boigny meurt. Laurent Dona Fologo va mener la bataille pour une application stricte de l’article 11 de la Constitution face à Philippe Yacé et à ceux que l’on présentait alors comme « ouattaristes ». Henri Konan Bédié deviendra président de la République. Alassane D. Ouattara démissionnera de la primature. Dans le nouveau gouvernement, Fologo décrochera un titre de ministre d’Etat ; il était chargé de l’Intégration nationale. Il sera le directeur de campagne de Bédié en 1995 puis sera nommé, en 1996, ministre d’Etat chargé de la Solidarité nationale.
Conservant pendant toute cette période son poste de secrétaire général du PDCI, il se retrouvera en première ligne pour la campagne de la présidentielle de 2000. Le régime Bédié était alors dans le collimateur de la communauté internationale. A cause de l’ivoirité prônée par le régime et perçue comme une exclusion ; à cause d’une utilisation frauduleuse des fonds de l’Union européenne. Les grèves et les manifestations vont se multiplier ; la presse sera mise au pas ; des journalistes seront emprisonnés.
L’image de la Côte d’Ivoire se dégradait. Mon magazine, édité à Paris, fera sa cover sur « l’agonie du système Bédié ». La réplique sera immédiate : les numéros en vente en Côte d’Ivoire seront saisis par les forces de l’ordre. Fologo viendra à Paris s’en expliquer avec moi. Il me tiendra, ce jour-là, un discours modérateur, conciliateur, jouant de son passé journalistique et des relations que nous avions pu nouer, sur le terrain ivoirien, depuis une dizaine d’année. Son discours sera bien plus radical les samedi 11 et dimanche 12 décembre 1999. Il présidait dans la capitale française la Journée du militant organisée par la délégation générale du
PDCI en France. Fologo va cibler Ouattara, candidat à la présidentielle de 2000 au titre du RDR, qui « n’a été ivoirien que 36 mois, quand Houphouët l’a appelé au poste de Premier ministre ». Fologo dénoncera un complot international contre la Côte d’Ivoire orchestré essentiellement par la France, les « faux papiers » de Ouattara, sa fortune (« dont vous vous doutez de l’origine »), son retour récent en Côte d’Ivoire (« Il est l’homme politique le moins connu du pays »), son refus de reconnaître sa nationalité de Burkinabè (« Il n’y a pas de honte à être burkinabè »). Deux semaines plus tard, Bédié sera renversé par des militaires et s’exilera en France.
Fologo sous Gueï
Laurent Dona Fologo va passer un sale moment entre les mains des militaires. Face à la politique menée par le général Robert Gueï, le PDCI risquait l’implosion.
Fologo en était toujours le secrétaire général et assumait l’intérim de la présidence du parti (le président en titre était Henri Konan Bédié). Mais sa position était fortement contestée. D’autant plus qu’il était mis en cause dans plusieurs dossiers politiques (dont « l’affaire Vléï » : Fologo aurait fait corrompre un magistrat burkinabè pour qu’il délivre un certificat de nationalité burkinabè au nom d’Alassane D. Ouattara) et financières (des comptes bancaires numérotés à la BIAO Investissements dirigée par le beau-frère de Bédié). En août 1999, le PDCI parviendra, cependant, à se mettre d’accord sur le nom d’un candidat à la présidentielle 2000. Ce ne sera pas Bédié ni Gueï mais Emile Constant Bombet dont la candidature sera finalement invalidée. Fologo disait alors : « Nous devons sauver notre parti qui n’a pas la culture de l’opposition. Nous devons demeurer dans le sillage du pouvoir pour mieux nous positionner en vue des échéances ultérieures ». Finalement, le PDCI appellera au boycott de la présidentielle du 22 octobre 2000.
Fologo sous Gbagbo
Laurent Gbagbo au pouvoir, le PDCI de Laurent Dona Fologo va retrouver des raisons d’espérer. Son ancrage national était assuré depuis plus d’un demi-siècle. Les nouveaux « rénovateurs » du PDCI vont mener campagne contre le « général » (c’est ainsi que Fologo était appelé au sein du parti) ; « Il faut balayer Laurent Dona Fologo et son équipe », disaient-ils). Fologo va durer encore un peu. A la tête du PDCI, il va développer une ligne « cohabitionniste » selon les uns,
« collaborationniste » selon les autres.
Le coup de grâce sera donné à Fologo par Henri Konan Bédié. L’ex-chef de l’Etat, en exil en France depuis 1999, va revenir en Côte d’Ivoire le 15 octobre 2001 afin de participer au Forum national de la réconciliation. Bédié disait avoir les mains propres. Et laissait entendre que Fologo avait les mains sale : il lui avait fallu survivre au coup d’Etat militaire, à la transition de Gueï, à l’accession au pouvoir
de Gbagbo, faire face aux « rénovateurs » qui mettaient en cause la gestion de Bédié, s’affirmer comme un homme lige du nouveau régime en se montrant intransigeant vis-à-vis du RDR de Alassane D. Ouattara et plus encore de Ouattara lui-même.
Fologo sera pris au piège de ses contradictions. On ne peut pas être dedans et dehors. Il lui faudra aller plus loin encore dans la rupture au sein de son propre parti. Le 1er mars 2002, il présentera son programme en vue d’accéder à la présidence du PDCI face à Bédié. Il tentera alors d’expliquer pourquoi il soutenait l’action de Gbagbo. Fologo ne voulait pas, disait-il, être dans le camp de « ceux
qui veulent détruire la Côte d’Ivoire », son objectif étant « le redressement du pays en cette période de marasme économique et politique », soulignant que le coup d’Etat du 24 décembre 1999 avait des causes qu’il fallait bien prendre en compte. Il va obtenir la présidence du Conseil économique et social des mains des Gbagbo mais pas celle du PDCI qui sera reconquis par Bédié.
La tentative de coup de force militaire du 18-19 septembre 2002 va lui permettre de rebondir sur la scène politique ; il va être, à Lomé, l’interlocuteur des
« mutins ». Si Gbagbo avait choisi pour défense son régime un homme du « Grand Nord » qui n’était ni un élu du parti présidentiel ni un membre de son gouvernement, c’est qu’il entendait n’être lié en rien à la négociation qui avait lieu sous les hospices de Gnassingbé Eyadéma. Le mandat de Fologo était explicite : il portait exclusivement sur les revendications corporatistes des « mutins » : amnistie et réintégration dans les forces armées ivoiriennes. Rien de plus. Pas question d’aborder la dimension politique de la rébellion.
En avril 2003, pensant avoir un avenir présidentiel, Fologo va lancer (officieusement) son Rassemblement pour la paix (RPP). Il estimait être le plus consensuel des hommes politiques ivoiriens. Il adoptera même, pour ses costumes, le bleu qu’affectionnait Félix Houphouët-Boigny. Il ira jusqu’à organiser une
« manifestation de brassage » visant au « métissage de la population » affirmant qu’il fallait parler d’intégration plutôt que d’immigration. Il fera une grande tournée en France pour y rencontrer des personnalités politiques. Il me donnera rendez-vous à Paris au bar du Lutétia. De Bédié, il me dira : « Il ne méritait pas qu’on le soutienne. Il n’est pas travailleur. Il n’est pas rassembleur. C’est un égoïste. J’ai coupé les ponts avec lui dès qu’il a été élu président du PDCI ». Il oubliait, sans doute, qu’en 1970, quand il était rédacteur en chef de Frat-Mat, il avait proclamé que Bédié « était la meilleure copie de Félix Houphouët-Boigny ». Il le redira en 1992 lors d’un meeting politique à Dimbokro et le réaffirmera dans le quotidien sénégalais Le Soleil en 1993. Au sujet de Ouattara, il me dira : « J’ai tenu à le féliciter en août 2002 lorsque le gouvernement d’ouverture a été formé. Mais il ne m’a rien dit de ce qui se préparait alors [il s’agissait, bien sûr, du coup de force des 18-19 septembre 2002]. Il ne pouvait pas ne pas être au courant ». Il
ajoutera : « Je ne sais pas s’il est fondamentalement convaincu par son engagement politique mais, en 1992, il visait déjà la présidence de la République avec l’aide de Philippe Yacé. Il me l’avait confié alors ».
Fologo avait servi Houphouët et Bédié tout en étant redevable à Ouattara d’une évolution notable de sa carrière politique. Je voulais savoir pourquoi, désormais, il servait Gbagbo. « C’est, me dira-t-il, qu’il est dépositaire de l’œuvre réalisée par Félix Houphouët-Boigny et qu’il faut l’aider à sauvegarder cette œuvre ». Il m’affirmait être toujours membre du PDCI mais ne plus y avoir de responsabilité et n’avoir pas rejoint le FPI. Il n’affichait pas d’empathie pour le chef de l’Etat mais prenait systématiquement sa défense : « Gbagbo subit les événements ; il ne les impulse pas ». Pour Fologo, pas de doute, les Burkinabè étaient « impliqués » dans l’affaire du 18-19 septembre 2002, et si Balla Keïta (qui avait des relations exécrables avec Fologo) avait été assassiné, à Ouaga quelques semaines avant ces événements, c’est « parce qu’il savait trop de choses et se répandait en propos revanchards au téléphone ». C’est alors que les « rebelles » auraient décidé son
« exécution ». Des « rebelles » au sein desquels, selon Fologo, deux tendances
« clientélistes » s’affirmaient : une tendance Gueï et une tendance Ouattara. Fologo ajoutait : « Mais chacun pouvait rouler pour son propre camp ».
Ce mardi 1er juillet 2003, au bar du Lutétia, Fologo me dira encore que « Gbagbo s’arme non pas pour affronter les rebelles mais pour les dissuader de relancer le
conflit. Gbagbo a été élu président de la République : il n’a pas été renversé. Il sait que la solution à la crise est politique et non pas militaire. Si la paix revient, c’est Gbagbo qui, à nouveau, gouvernera, car c’est lui le chef de l’Etat. Par deux fois, par l’action des rebelles puis à Marcoussis, il a bien failli perdre le pouvoir, mais il est parvenu à sauver l’essentiel. Certes, avec plus de 4.000 militaires en Côte d’Ivoire, la pression de la France est forte, mais cette pression ne s’exerce, en fait, sur personne ». Par ailleurs, il mettait dans le même sac les « rebelles » et les
« Jeunes Patriotes ». Et il s’insurgeait contre le fait que des « rebelles » ayant « du sang sur les mains » aient pu accéder à des postes gouvernementaux à la suite de Marcoussis. Il digérait mal que leur leader, Guillaume Soro soit ministre d’Etat ;
« En Côte d’Ivoire, cela a une signification ».
Fologo prétendra avoir fait du CES, qu’il présidait, « un haut lieu de la résistance » au lendemain des 18-19 septembre 2002. C’est pourquoi il s’était imaginé en chef de parti politique national, « un grand parti », le 2è ou le 3è dira-t-il. Mais le RPP, lancé officiellement le 20 mars 2004 sera une coquille vide dont l’impact n’ira pas au-delà du clientélisme, pour ne pas parler d’opportunisme politique, de ses dirigeants.
Fologo sous Ouattara
Président du CES, Laurent Dona Fologo était une personnalité majeure de la République de Côte d’Ivoire. Il soutiendra tout naturellement la candidature de Laurent Gbagbo lors de la présidentielle de 2010, son parti, le RPP, étant membre de La Majorité présidentielle (LMP), bannière sous laquelle se présentait Gbagbo. Convaincu que la communication était la clé de l’action politique, il se fera le propagandiste sans nuance de Gbagbo, au-delà même de la présidentielle.
Dans un étonnant entretien publié par Le Monde dans son édition datée du 19 janvier 2011, alors que la guerre des chefs faisait rage à Abidjan et que Alassane D. Ouattara et ses soutiens étaient retranchés à l’Hôtel du Golf, Fologo dénoncera
« une partie de cache-cache qui commence à desservir Alassane Ouattara », « un scandale » qui « coûte extrêmement cher ». Fologo racontera les mêmes antiennes au sujet de Ouattara : « Il est arrivé en Côte d’Ivoire en 1990. Fin novembre 1993, une quinzaine de jours avant la mort du président Houphouët-Boigny dont il était le premier ministre, il m’a fait venir comme secrétaire général du parti. Il m’a dit :
« Le président est très mal en point. S’il meurt, que fait-on ? ». Je lui ai répondu :
« Mais on applique la Constitution ! ». Elle prévoyait que le président de l’Assemblée nationale termine le mandat. Il a tout fait pour la contourner afin de prendre le pouvoir et, à partir de là, les choses sont devenues difficiles ».
Fologo dénoncera également une « animosité presque féroce de la France envers Laurent Gbagbo », mettant en cause la proximité passée entre Jacques Chirac (instigateur de Marcoussis) et Félix Houphouët-Boigny. Pour Fologo, pas de doute : « Quoi qu’il en soit, si Nicolas Sarkozy vient chercher M. Ouattara pour le mettre dans le fauteuil de M. Gbagbo, je ne suis pas sûr qu’il y restera plus d’une
semaine ». Il demandait alors « que l’on revote », le vote n’ayant « été ni sincère ni démocratique ».
Quatre mois jour pour jour après la publication de cet entretien par Le Monde, le 19 mai 2011, Fologo perdra la présidence du CES. Pourtant, en avril 2011, au lendemain de la capture du couple Gbagbo, il avait été avec Paul Yao N’Dré, Mamadou Koulibaly, Philippe Mangou, etc. parmi ceux qui étaient venus dire à Ouattara qu’ils attendaient de sa part « pardon et réconciliation ».
A la présidence du RPP, Fologo prônera une « opposition de maturité, de responsabilité et de sérieux, tout comportement qui exclut la haine, l’arrogance, le mépris, le refus du dialogue et de la politique de la chaise vide ». Mais Fologo devra se rendre à l’évidence : le temps de son engagement politique était passé. En 2015, il quittera définitivement la scène politique. Ce qui lui permettra de se réconcilier avec ses adversaires d’hier avant de quitter la scène tout court.
Jean-Pierre Béjot
La Ferme de Malassis (France)
8 février 2021
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