Il est dur de constater que, depuis 2008, le pays des hommes intègres a essayé de mettre un peu d’ordre dans les rémunérations des grands serviteurs de l’État. Non seulement cette volonté ne passe pas chez les premiers concernés mais en plus c’est une idée qui n’est pas partagée publiquement par les partis politiques et leurs militants. Quelles sont les causes de ce refus persistant et obstiné de la majorité des ministres de se voir appliquer le décret 2008-891/PRES/PM/MEF du 31 décembre 2008, alors qu’ils aiment à se présenter comme des patriotes qui viennent au gouvernement par amour de leur pays et de ses hommes et non pour les ors de la République ?
Le Centre d’information, de formation et d’études sur le budget (CIFOEB) vient de mettre sur la place publique la rémunération des ministres et des « trop perçus » qu’ils auraient empoché. On peut parier que l’information ne dépassera pas le cap des publications médiatiques. Elle glissera comme de l’eau sur les costumes des ministres pour vite sécher dans l’indifférence générale.
On se souvient que, lors du grand débat vite avorté sur la remise à plat des salaires des fonctionnaires avec dans le viseur la suppression des fonds communs, les syndicats avaient demandé que ce débat soit étendu sur la répartition des ressources de l’État en général pour voir les proportions du gâteau que chacun prend. De débat, il n’en eût point. Pas de suppression des fonds communs non plus. La ministre qui jouait à la sankariste en se présentant comme celle qui veut offrir de l’eau à tous et non du champagne à certains ne semblait pas elle-même avoir renoncé au champagne. Et les choses ont repris leur cours normal.
Les ministres veulent être des serviteurs de l’État, sans s’oublier eux-mêmes
Chez-nous, la politique est une arme de conquête du pouvoir et de la richesse. Faire de la politique, c’est pour avoir la gloire, le pouvoir et la richesse. Et c’est pourquoi, l’argent prend de plus en plus de place dans la conquête du pouvoir. C’est un investissement qui peut rapporter gros, puisqu’une fois au pouvoir on peut prétendre à un salaire conséquent. Le salaire des ministres est de 1 155 000 FCFA. C’est peut-être une broutille diront certains.
Mais cette somme représente 33 mois de SMIG (34 644 FCFA en 2019), soit plus de deux ans et demi de travail pour l’ouvrier. Mais nos ministres ne sont pas satisfaits du décret qui fixe ce montant. On va nous expliquer que tel ministre qui vient de telle institution internationale avait un salaire de 10 000 000 FCFA, ou que tel enseignant de l’université avait 6 000 000 Fcfa. À cette cadence, c’est l’exception qui devient la règle. Avec une telle pagaille dans la rémunération, quel est le principe qui fait l’égalité des ministres ?
Pouvez-vous avoir une collégialité dans ce gouvernement, où chacun a négocié son salaire, sa part du gâteau ? Qui est celui qui arbitre ces contrats d’embauche et sur la base de quels textes ? Quel sentiment d’équité peut se dégager de cette gestion ? On entend des commentateurs dire que les ministres qui sont payés plus, le sont sur une base légale. Mais dans ce cas, pourquoi le gouvernement n’est pas transparent sur ces autres textes qui contredisent le décret ou le complètent ?
S’il y a une base légale à ce traitement différentié, il faut la publier tout comme le décret a été publié. C’est le gouvernement qui serait en faute par son silence qui présente les autres comme des fautifs alors qu’il n’en est rien. Quoiqu’il en soit, la balle est dans le camp du gouvernement, et qu’il se rappelle du dicton qui dit « qui ne dit mot consent ». Sur la base du long silence passé on peut dire qu’il faudrait mettre fin à ces arrangements qui n’honorent ni ceux qui les pratiquent ni ceux qui en bénéficient, et se rappeler qu’être appelé au plus haut niveau de l’État, fait de vous un serviteur de tous et particulièrement des plus humbles.
On peut trouver une excuse sociologique qui explique cette conception qui associe pouvoir politique et fortune économique. Celle de la conception traditionnelle du pouvoir qui est prégnante dans la société, où le « naam », donne accès à tout. Cet atavisme culturel persiste dans l’imaginaire populaire encore. Au Faso, nous sommes en République. Mais les dirigeants ne se voient pas comme des serviteurs de l’État, mais des princes, des « naaba », des rois soleil, qui doivent avoir plus de privilèges et de prestige, plus d’honneurs et d’argent que ceux grâce à qui, et pour qui, ils sont au pouvoir.
La rémunération, est le premier des avantages où ils ne veulent rien concéder. Ne me parlez pas d’amour de la patrie. J’aime bien mon pays mais j’aime aussi l’argent, et c’est même un sacrifice que je fais pour ma carrière en venant au gouvernement, semblent-ils penser. Ce n’est pas une opinion individuelle, c’est un non-dit au niveau des partis. Pour preuve et à notre connaissance, aucun des partis politiques ne s’est engagé à respecter ce décret, où à baisser le montant du salaire des ministres dans leurs programmes politiques ou les promesses de campagne lors des dernières élections couplées présidentielle et législatives.
Le Burkina Faso, n’est pas la Suède, où les politiciens ne veulent pas se servir en allant au gouvernement. Ils mettent un point d’honneur à être transparents sur tout ce que l’État leur donne. On ne demande pas à nos ministres de conduire eux-mêmes leurs véhicules comme au pays de Olaf Palme, mais d’être transparents.
Le document du CIFOEB qui circule sur les réseaux sociaux n’a pas pris en compte les salaires des membres du nouveau gouvernement. Le document révèle les salaires de 20 ministres des précédents gouvernements. Le nouveau gouvernement constitué après la réélection du président du Faso compte 33 ministres, dont trois ministres d’État.
Il manque des informations sur certains postes ministériels. Il est difficile d’obtenir ces informations qui devraient pourtant être publiques, consultables en un clic de souris, parce que c’est un devoir de transparence nécessaire dans l’utilisation des fonds publics que nos responsables devraient accepter.
Le débat sur le décret numéro 2008-891/PRES/PM/MEF du 31 décembre 2008 portant rémunération du Premier ministre, des présidents d’institution et des membres du gouvernement ne doit pas être vu et entendu comme une réclamation de la baisse des salaires des ministres.
Ce débat est plutôt une revendication de la transparence. Car les revenus des ministres contribuent aussi au développement de l’économie nationale. C’est une exigence de transparence et de la fourniture des informations au public. Lors du compte rendu du Conseil des ministres du 16 avril 2020, pour participer à la mobilisation des ressources pour la lutte contre le Covid-19, le président du Faso a décidé de céder six mois de salaire, le Premier ministre quatre, les ministres d’État deux et les autres ministres un mois.
Le compte-rendu ne dit pas où ces versements sont faits, si ce sont des retenues à la source. Comment alors vérifier que ces braves et généreux ministres qui ont battu le tam-tam pour dire qu’ils vont donner, ont effectivement donné ? C’est le hic quand on parle d’argent, la transparence n’est pas toujours de mise. Et cela ne concerne pas les ministres seulement : au Burkina, nous aimons tous afficher des signes extérieurs de richesse, mais montrer sa feuille de paie, personne ne le veut. C’est cette mentalité qu’il faut changer, quand on a des pudeurs, on évite de se faire payer par les fonds publics car vous devrez montrer patte blanche.
Sana Guy
Lefaso.net
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