Réconciliation nationale : « Peut-on juger le dossier de l’insurrection sans Roch Kaboré et les OSC ? », s’interroge Mousbila Sankara
Ancien détenu politique, ambassadeur du Burkina en Lybie sous la Révolution, Mousbila Sankara a sans doute beaucoup à retracer de l’histoire, surtout politique, du Burkina et de ses hommes. Observateur de la vie nationale, et bien que prenant parfois la résolution de ne plus piper mot sur ces sujets à polémique, M. Sankara ne peut parfois s’empêcher de se laisser aller à ce qu’il pense être un devoir, car engageant la vie de la ‘‘nation ». « Si nous parlons, c’est pour vous les enfants… Il ne faut pas qu’on vous lègue les fruits de notre irresponsabilité, notre lâcheté, notre malhonnêteté et de notre méchanceté », se désole-t-il. Par cet entretien à bâtons rompus qu’il a bien voulu nous accorder à cet effet, l’ex-pensionnaire du fameux « Conseil » aborde les contours de la réconciliation nationale.
Lefaso.net : Comment appréciez-vous le démarrage du processus de réconciliation nationale avec le ministre Zéphirin Diabré ?
Mousbila Sankara : On note que la question de la réconciliation était une promesse électorale de Roch Kaboré et qu’il a effectivement engagé le processus après sa réélection. Il a créé un ministère qu’il a confié à Zéphirin Diabré. Mais je constate avec amertume depuis la mise en place de l’institution, de ce que j’appelle des intrigues. Voyez-vous, au Burkina, quand on met en place une commission ad hoc ou qu’on érige un ministère pour résoudre un problème, chacun croit que c’est à lui qu’on doit faire appel et une fois que ce n’est pas lui, il développe ce qu’il avait en intrigues pour faire échouer celui qui a été nommé. Ça, c’est dans l’ADN de nous Burkinabè. Malheureusement, quand on a nommé Zéphirin (Diabré), l’intrigue-là s’est traduite sur le terrain par diverses formes. C’est l’exemple de ceux-là qui sont allés au parc animalier de Blaise Compaoré pour commencer à vouloir nourrir ses animaux, commencer à nettoyer.
Pensez-vous que ces intrigues dont vous parlez, sont constituées d’actes organisés ?
Je constate seulement que ce sont des actions d’intrigants. Le gouvernement a choisi quelqu’un pour mener la politique de la réconciliation. A partir de ce moment, si quelqu’un à quelque chose entrant dans le cadre de la réconciliation, il doit se déplacer pour aller voir la structure et faire ses propositions, sans tapages. Mais au lieu de cela, on fait une association pour aller nourrir les animaux du parc animalier de Blaise Compaoré ou pour dire qu’on prépare son retour. Non, il faut remettre les choses entre les mains de celui qui a été désigné, c’est lui qui coordonne et qui sait quel acte poser et à quel moment. Qui a envoyé ces groupes ? Est-ce un acte de pression ? Est-ce un acte de sabotage ? En tous les cas, c’est que j’appelle intrigues ; c’est pour dévaloriser le succès éventuel de Zèph (Zéphirin Diabré) et cela n’est pas une bonne chose. Dans ce pays, on a trop d’intrigues et ce n’est pas du tout une bonne chose.
Quand on a nommé Maître Bénéwendé Stanislas Sankara (ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Villes)…, c’est pendant qu’il cherchait ses marques qu’on arrête des maires, comme si c’est hier que ce qu’on leur reproche s’est passé. Je ne sais pas si ça arrange Zéphirin Diabré ou Me Sankara que des gens viennent prendre des charges qui leur reviennent pour régler. Voyez-vous quelqu’un prendre son cheval à la place du ministre de la Sécurité pour aller au Sahel, discuter avec un supposé terroriste ? Qu’il aille voir ! C’est donc une action de fayot que nous sommes en train de voir.
Il y a par exemple cette association (l’organisation de la société civile : le Conseil d’information et de suivi des actions du gouvernement, CISAG, ndlr) qui est sortie dire que tous ceux qui ont été indemnisés à la Journée nationale du pardon ne doivent plus être pris en compte dans les dossiers du processus de réconciliation en cours. C’est léger comme réflexion. Quand on veut s’engager dans ce genre de questions, il faut s’entourer d’un minimum d’informations. A l’indemnisation, les gens n’étaient pas logés à la même enseigne, selon que l’on avait ou non la faveur des hommes forts du moment. C’est plus compliqué qu’on ne le pense.
La question de la réconciliation est tellement lourde et sérieuse qu’on ne doit pas la laisser traîner de la sorte aux mains de n’importe qui. Si ce n’est de l’intrigue donc, les responsables de cette organisation devraient savoir que si la Journée de pardon avait été la solution, aujourd’hui, on ne parlerait pas de ces dossiers. Sans compter que même par rapport à ces indemnisations, il y a eu beaucoup de réclamations ; certains ont pris, d’autres l’ont fait à moitié (en relevant qu’ils ne sont pas satisfaits sur tel ou tel aspect) tandis qu’une autre catégorie a refusé. Si aujourd’hui, il y a des problèmes de réconciliation ou de cohésion sociale, c’est que les dossiers supposés résolus avec la Journée nationale du pardon (2001) ne sont, en réalité, pas réglés.
Il faut éviter de décréter. Laissez celui à qui le travail est confié déposer son travail et ceux qui ont des apports le font ensuite. J’aurais souhaité que ce soit celui chargé de la réconciliation, le gouvernement, qui écoute les gens (ceux qui ont été concernés par la Journée nationale du pardon) ; ceux qui ne sont pas satisfaits, qu’on prenne leur plainte, si c’est faisable, il répond ; si ce n’est pas faisable, on leur explique clairement pourquoi. Mais que ce soit une association qui fait ce genre de déclarations…, c’est ce que j’appelle des tirs au flanc. Si c’était des propositions, on part les remettre à qui de droit, sans tapages et vous expliquez vos propositions.
Je vous donne l’exemple du frère d’un monsieur (nous tairons les noms). Nous avons passé ensemble quatre ans en prison. Pendant les tortures, ils ont cassé une glande. On était obligé de le castrer pour le soigner. Le chirurgien qui l’a soigné était contraint de faire venir ensuite un psychologue, parce que le monsieur était au stade où il voulait se suicider. La victime est toujours-là, vivante. On lui a versé quelque chose (indemnités), comme ce gendarme qui s’est vu enlever un œil (il vit toujours) et qui était en son temps un grand sportif dans un club de la place (nous tairons l’identité). Pensez-vous que ceux-là ont le même ressentiment que moi qui ai subi des sévices…, mais qui n’ai pas été amputé d’une partie de mon corps ?
Donc, quand une préoccupation est posée, laissez un monsieur comme celui-là discuter de son problème, c’est lui seul qui vit la profondeur de sa douleur, permettez-lui et donnez-lui l’occasion de s’exprimer pour se vider, ne mettez pas de barrières.
Lors d’une interview en 2020, vous suggériez de la retenue de la part des uns et des autres sur cette question de réconciliation …
Tout à fait ! Et c’est ce que je craignais-là qui est arrivé. Il faut que les gens tiennent compte du fait qu’il faut écouter les autres. Aussi, il faut que Zéphirin Diabré se libère d’un problème culturel ; puisque pour le Mossi, le Bissa ne doit pas le gouverner. C’est une opinion qui est aujourd’hui réelle. Or, quand Zéphirin Diabré parle de cohésion sociale et de vivre-ensemble, c’est que nous devenons tous républicains. C’est bien, mais ce n’est pas avec des missions de ce genre qu’on peut aplanir cela. Il ne faut donc pas qu’il se fixe sur cela, parce que c’est une opinion qui est déjà faite. Mais ce sont des questions qui doivent être réglées par des institutions de la République, pas avec des structures éphémères.
Je vais à une réunion, quelqu’un se lève et dit qu’il n’a aucun problème avec qui que ce soit, mais seulement il n’y a plus de zone de pâturage. Ça, c’est pourtant un problème du vivre-ensemble qui est posé, qui doit être résolu par les institutions de l’Etat. Les zones sont bien définies, dont une partie pour les habitations, les activités commerciales, agricoles, le pâturage, etc. Il ne faut donc pas que ce soit l’éleveur lui-même qui soit obligé de lutter pour avoir sa zone de pâturage.
Ces dispositions d’organisation de l’espace existent pourtant !
Oui, mais ça ne tient plus parce que ça demande de la discipline. Ce que les gens ne peuvent plus faire. Pourtant, il faut que cette organisation soit appliquée. Donc, il faut que les choses soient organisées. Par exemple, parlant de la défense, j’ai vu dernièrement l’émir de Djibo, avec d’autres responsables, dire qu’il faut désarmer les VDP… C’est un langage que des gens comme lui ne doivent pas tenir.
A défaut, qu’il aille jusqu’au bout, en expliquant qu’on les démantèle, mais eux, responsables des zones, s’organisent pour suppléer et assurer la sécurité. Il n’y a pas de problème en cela, c’est un marché. Mais on ne peut pas venir démanteler sans remplacer. Ils oublient que c’est parce que ceux-là (VDP) sont là maintenant que lui peut y aller et s’arrêter pour parler. Ça, ce sont des tirs au flanc ; parce que Maurice Yaméogo a dit un jour que si vous rencontrez quelqu’un avec lequel vous avez un différend et il vous dit que si ce n’est pas à cause de votre bâton, il allait vous taper, c’est qu’il faut bien saisir votre bâton. Cela est significatif. Donc, il faut avoir de la lucidité dans le traitement de certains dossiers.
Ne doit-on pas circonscrire la matière qui doit être prise en compte par le processus de réconciliation nationale ?
C’est déjà délimiter dans le temps. Pour les questions, il faut dire qu’il y a beaucoup de problèmes et il faut les prendre tous en compte. Le vrai problème, c’est la méthode qu’il faut savoir trouver. Dans un processus, il y a la circonscription du domaine, la matière et ce qu’on attend à la fin (ce que les militaires appellent le but de la manœuvre) : où sommes-nous, que voulons-nous et comment faire pour l’atteindre ? On ne peut pas brûler des étapes, il faut toujours se resituer. Très souvent, les gens sautent toutes les étapes et vont aux moyens, de sorte que c’est mélangé. Et comme ce n’est pas bien balisé, tout le monde croit qu’il peut tout faire.
- Mousbila Sankara
La réconciliation se mérite, ce n’est pas une question d’argent. Ceux qui ont des biens des autres, qu’ils les restituent simplement. Des gens ont tué pour avoir des grades, avoir des positions socio-professionnelles, on leur arrache ou on les laisse jouir des fruits de leurs forfaits ? Il y a actuellement un élu (dont nous tairons l’identité), il était en son temps adjudant. Quand nous étions en détention au Conseil, qu’est-ce que ce monsieur ne nous a pas montré comme misère ? Les familles envoyaient la nourriture, il faisait parfois trois jours avant de nous la remettre. La nourriture pourrissait. Tous ceux-là, et ils sont nombreux, jouissent des fruits de leurs actes. On fait comment ?
La question, ce n’est pas l’indemnisation matérielle ; il y a des gens qui veulent simplement recouvrer leur honneur et leur dignité. C’est tout ! Sinon des gens n’auraient pas demandé le franc symbolique. Je connais par exemple un militaire qui est, du fait de notre détention, resté au bas de l’échelon ; tous ses amis sont montés en grade le laisser. Alors que ce dernier était un passionné de l’armée et il disait aux gens que lui ne voulait rien d’autres que des galons ; il dit qu’il est venu dans l’armée pour cela, pas pour l’argent parce que son père était riche, il était un grand commerçant à Bobo-Dioulasso. Voyez-vous, quand on parle, c’est de tout cela ; ce monsieur n’a pas besoin d’argent, il a simplement besoin de recouvrer sa fierté d’avoir ses grades honnêtement.
D’aucuns voient en la sortie d’organisations de la société civile, une manœuvre d’hommes politiques dans ce processus. Est-ce votre observation également ?
C’est parce qu’on les laisse faire. C’est l’exemple que je prenais avec le ministère de la Sécurité, n’importe qui ne peut pas se lever pour dire qu’il part au Sahel pour discuter avec qui que ce soit. C’est l’autorité, le gouvernement qui peut le faire. Il faut éviter le cafouillage, les actes de sabotage. On a une autorité, qui a été élue avec son programme et qui est en train de déployer sa politique. S’il y a des suggestions sur cette question sensible de la réconciliation, il faut éviter les tapages et les sabotages. Il y a des voies à suivre pour faire des propositions.
Comment faire la réconciliation pendant que les attaques continuent et au même moment, ceux qui attaquent, selon les autorités, ne sont pas connus ?
C’est un faux problème et c’est très grave comme déclaration, de dire qu’on ne connaît pas ceux qui nous attaquent. Par exemple, nous sommes assis ici, quelqu’un vient nous chasser, on ne peut pas dire qu’on ne sait pas qui c’est. Même si on ne l’a pas reconnu tout de suite, comme on sait où on nous a chassés, si on refuse de partir et qu’on revient sur nos traces pour vouloir réoccupation notre place, on saura qui c’est. On sait d’où on nous a chassés, on a fermé nos écoles, nos hôpitaux…, c’est avec ceux-là qui l’ont fait qu’il faut discuter ! Ce d’autant qu’ils ne sont pas venir chanter et répartir, ils occupent parfois ces endroits. On sait même ce qu’ils nous ont pris.
A partir de ce moment, si on veut les reconnaître, on se prépare, on repart pour occuper notre place et s’ils refusent, on s’affronte et si on est fatigué, on s’assoit et on discute. Il faut que les deux parties aient intérêt à la négociation pour qu’on négocie. Donc, ceux qui profèrent qu’on ne sait pas qui nous attaquent doivent faire attention, parce qu’on sait d’où on nous a chassés. Il faut que les gens approfondissent les réflexions avant de les exprimer.
Zéphirin Diabré a donc du pain sur la planche !
Oui ! C’est le plus gros chantier. Sa tâche aurait été facile s’il n’y avait pas les tirs au flanc.
Le président s’est projeté sur six mois, est-ce tenable ?
Ça, c’est la communication politique. Maintenant, c’est à lui de voir ce qu’il faut mettre dans les six mois-là pour que ça devienne quelque chose. Sinon, certaines situations peuvent même trouver des solutions avant les six mois, mais les actions qu’il faut pour que les gens soient d’accord qu’effectivement, nous sommes sur la bonne voie, ce ne sont pas des actions simples. Six mois, ce n’est pas peu, mais à condition que les directives soient claires.
Vous suggériez également qu’on mette en place un comité de sages sous la tutelle du ministère de la Réconciliation au lieu de laisser le processus être piloté par un politique !
Ce que Roch Kaboré aurait pu faire, c’est de prendre le rapport du Collège des sages et voir qu’est-ce qui n’a pas été mis en œuvre et/ou qu’est-ce qui a été moins fait et ce qui reste à faire. C’est important, parce que cette structure est, à l’époque, allée loin. Si vous laissez ça et que vous reprenez, les gens ne sauront plus ce qu’il faut dire. Donc, il faut une commission pour revisiter le rapport du Collège des sages, voir dans l’application ce qui n’a pas été bien fait, ce qui a été rejeté dans les recommandations, pourquoi n’a-t-on pas pu mettre en œuvre des décisions, etc.
Mais, tout cela dépend de ce que veut le président, ce n’est pas clairement défini : une réconciliation nationale demande à être expliquée. Par exemple, au plan politique, aucun parti n’est suspendu. Ceux qui sont à l’extérieur, tout le monde est d’accord qu’on ne les a pas chassés, mais ils ont ‘‘cherché » leur vie. Mais pourquoi ont-ils cherché leur vie ? Parce qu’ils savent ce qui est arrivé à leurs prédécesseurs. Maintenant, est-ce qu’avec une commission beaucoup plus spécifique, on n’aurait pas pu approcher ces personnes-là pour résoudre leurs problèmes, au lieu de laisser des initiatives pêle-mêle à chacun ?
Donc à chaque type de problème, un comité spécifique ?
Tout à fait ! De petites initiatives autour de comités, logés dans le cabinet du président du Faso ou du ministère de la Réconciliation nationale. Vous les envoyez auprès de personnes qui vivent les problèmes : untel, vous avez le téléphone de X, si vous pouvez le lui remettre, remettez-lui et c’est fini. Pour Blaise (Compaoré), c’est encore plus simple : tu es là-bas, mais on sait quels sont ceux qui t’y ont envoyé et ceux qui y sont avec toi. Souhaiterais-tu revenir seul ou avec d’autres personnes qui y sont avec toi ?
Au cas où tu ne pourrais pas parler du cas de tout le monde, quel est ton propre cas et quelle garantie souhaiterais-tu avoir ? Et pour plus de confiance, nous traitons entre notre ambassadeur en Côte d’Ivoire et celui de la Côte d’Ivoire au Burkina et tu rentres, sous la garantie de moi, président Roch Kaboré. Ce sont des choses simples à faire. Pour le cas de Zida (Yacouba Isaac), c’est encore plus simple. On l’écoute, ton histoire-là, c’est quoi ? Si c’est la question des sous-là, comme c’est moi qui veux que tu rentres, on s’arrange pour que tu soldes (au cas où ce qu’on te reproche est vrai) parce que nous voulons que ça serve de leçon. C’est une simple question de communication et ça doit se passer dans son cabinet à lui (président du Faso).
C’est maintenant que Roch Kaboré doit enfiler sa tunique de ‘‘chef de famille », dira-t-on donc !
Ah oui ! Ce n’est pas quelqu’un d’autre, encore moins un parti politique, qui peut faire ce travail. Et il ne faut pas qu’il oublie qu’une fois que Blaise (Compaoré) est là, s’il reprend son CDP et s’il y a des élections, le CDP va les battre. Donc, on doit régler toutes ces questions. En tout cas, je n’aurais pas agi comme ils le font. C’est l’administration qui a créé les problèmes, qu’il soumet à la résolution de la même administration. Non, lui, il est au-dessus de tout, c’est lui qui doit régler tout cela. Il faut des missions ciblées, individuelles. En ce moment, le ministre Zéphirin (Diabré) reste dans sa mission, mais comme mission d’approche. Quand viendra le moment de la décision, quelqu’un d’autre va affiner. Les problèmes ne sont pas les mêmes, ils sont particuliers. Les problèmes ne sont pas simples, ils ne peuvent pas être confiés à une administration.
La question du foncier est posée comme un élément à résoudre pour aller à la réconciliation et à la cohésion sociale. Est-ce réaliste ?
C’est cela même qui risque de sauter. Les gens n’ont pas tort quand ils disent que c’est une bombe à retardement. Ceux qui ont agi pour créer la situation actuelle, ne sont d’autres que des prête-noms, des parents et amis du pouvoir en place et on demande à toi, Me Sankara, de régler cela. Comme si on lui disait : viens frapper mon parent, viens frapper mon ami, viens frapper mon prête-nom. Est-ce qu’ils vont accepter regarder maître Sankara secouer la termitière ? Si maître ne se trouve pas des garanties pour cela, tel que je le connais, ça peut le pousser à démissionner et ses détracteurs (même ceux qui lui ont confié la mission) vont prendre cela pour dire voilà, on t’a confié telle mission-là, tu as fait quoi ?
Je connais Me (Sankara), tout comme je me connais moi-même, c’est la famille, nous avons un degré de fierté que si on ne fait pas attention, on l’assimilerait à l’orgueil. Ce qui n’est pas compatible avec les concessions. Il faut qu’il sache donc doser ce qu’on appelle le ‘‘Burkindi » (intégrité) pour que ce ne soit pas vu comme de l’orgueil ; parce qu’il sera difficile à lui de voir un dossier qui doit être transmis au Parquet et qu’on lui dit de laisser. Ça va être compliqué. Donc, je crains qu’un matin, il ne dépose sa démission alors qu’il a quand même contribué à faire asseoir le pouvoir en place (donc, il est comptable).
C’est compliqué parce que dans le foncier, il n’y a pas de demi-mesure. Les quelques maires qu’on a pris-là, chacun à combien de parcelles ? Quelqu’un qui prend 100 parcelles à Ouagadougou, un autre prend deux ou trois parcelles à Pama, on emprisonne celui de Pama et on laisse ceux de Ouagadougou en train de circuler allègrement… Ça ne va pas. C’est tout cela que Me Sankara doit résoudre, alors qu’il n’y était pour rien. L’Assemblée nationale a fait sortir un rapport sur le foncier qui a épinglé des maires et des personnalités. Veut-on dire que toute l’Assemblée nationale ment ? Sinon, pourquoi n’agit-on pas alors ? Il faut que le président (du Faso) prenne son bâton de pèlerin.
Certains pensent que Zéphirin Diabré a mal entamé sa mission en privilégiant les organisations de la société. Est-ce votre avis ?
De toute façon, il fallait qu’il commence quelque part. Maintenant, qu’est-ce qu’il attend de chacun, c’est cela le plus important. Par exemple, moi j’aurais voulu que le premier voyage de Zéphirin Diabré soit chez Blaise Compaoré. Mon fils, le climat que nous déplorons n’est pas sain, il a été alimenté par des responsables politiques connus (qu’on peut même nommer). Alors, commencez par voir quelle est leur influence aujourd’hui sur le terrain ou sur les individus ! C’est très simple ! On a des gens aujourd’hui, quoi que vous les haïssiez, leur parole porte, elle a un impact.
Cette question de réconciliation est sérieuse, ce ne sont pas des affaires à régler dans les journaux ou par les tapages des organisations de la société civile. Non ! Ce sont des affaires qu’on règle loin des regards, discrètement, tard dans la nuit. Donc, à sa place, mon premier voyage, c’est d’aller voir les responsables des partis politiques capables de faire mouvoir les choses, les chefs militaires, etc. Comme on le dit, quand un Satan entre chez toi, tu ne le vois pas et tu ne sais pas qui sait, tu pries, Dieu te viendra en secours et il va ressortir.
Mais s’il y a trois ou quatre Satans, il faut que toi, tu deviennes le quatrième ou le cinquième Satan, sinon, tu ne peux plus. Qu’est-ce que je veux dire par-là, que si c’est parmi nous, politiciens, qu’est née la division-là, il faut qu’elle soit résolue politiquement. Mais si c’est quelqu’un qui vient de l’extérieur, toute la nation peut s’unir pour aller contre celui-ci. Ce que la nation demande de faire-là, c’est dans ce second schéma, alors que nous sommes en présence du premier, c’est-à-dire que c’est interne. La cohésion sociale, elle est interne.
Aucun pays, aucun homme extérieur n’est venu faire quoi que ce soit, c’est entre nous-mêmes. C’est à nous donc de nous lever pour affronter les choses en face. Il y a des Burkinabè qui se posent la question de savoir si nous devons négocier avec les terroristes. Mais oui ! Si le fusil n’a jusque-là pas pu régler, c’est que le fusil n’est pas la solution. Commençons d’abord par savoir d’où vient le problème. Le problème vient des manœuvres que nos hommes politiques ont mises en place pour avoir et conserver le pouvoir. Ils veulent une démocratie où ce sont eux qui gagnent toujours.
Chacun chante la démocratie, tout en sachant qu’il y a la possibilité de prendre le pouvoir de force. C’est cela la réalité du Burkinabè ; il accepte la situation actuelle, en attendant de s’organiser pour revenir prendre les choses de force. Le Burkinabè n’est pas démocrate. Pas du tout. En démocratie, une fois que tu échoues, tu suis la volonté de la majorité. Mais ici, une fois que tu échoues, tu cours entrer dans le syndicat, en passant par les OSC, pour empêcher l’autre de travailler et pouvoir dire qu’il a échoué. Tu m’empêches de travailler et tu me dis que j’ai échoué. Comment ? En démocratie, une fois on a choisi l’individu et le programme de société, on laisse la latitude à celui qui a été choisi d’appliquer son programme pour lequel il a été élu. Le Burkinabè n’est pas un démocrate, il attend simplement le moyen de pouvoir parvenir à ses fins, il ne faut pas qu’on se leurre. C’est pourquoi souvent certains haussent le ton, d’autres serrent les vis, etc. Aujourd’hui, tout concourt à rendre la politique malsaine.
Quand vous observez, tout pouvoir vient par une attitude de trahison ; le Front populaire (que je n’aime pas du tout) est venu suite à une trahison entre les premiers responsables Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Par la suite, ils ont coopté les gens, au point qu’à un moment, on frôlait le parti unique avec l’ODP/MT, aujourd’hui CDP. Puis, c’est dans le CDP qu’il y a eu encore l’explosion pour chasser Blaise (Compaoré) et ceux-ci là sont-là au pouvoir. Ça, c’est une certitude. Le CDP aux mains d’Eddie Komboïgo n’est pas le CDP aux mains de Blaise (Compaoré). Je suis sûr que ce n’est pas un parti extérieur qui va leur créer des problèmes, mais plutôt un problème à l’interne. C’est ainsi, c’est dans leur ADN. Ce ne sont pas des démocrates.
Chez nous ici, quand on est battu, on cherche à gâter. La preuve aujourd’hui en est qu’on parle de corruption dans les élections passées. Au Burkina, le plus difficile c’est de faire ; si tu fais, le reste, il n’y a rien. Sinon, si on était sérieux, on pouvait sanctionner jusqu’à la dissolution des partis qui s’adonnent à de telles pratiques et même retirer le mandat de ceux qui sont élus par cette voie. Malheureusement, on est malhonnête, l’intégrité a disparu. La preuve, on croit aujourd’hui que ceux qui parlent de corruption sont des aigris. Mais attendez, la corruption électorale, c’est la ploutocratie, ce n’est pas la démocratie.
J’aurais voulu ne plus parler de ces choses-là, parce qu’à chaque fois j’en parle, je déborde et c’est comme si je prends position contre tel ou tel autre camp ou individu. On parle de jugements des dossiers Thomas Sankara et de l’insurrection populaire ; au niveau de Sankara (Thomas), on ne voit que Blaise Compaoré et pour l’insurrection populaire, c’est Zida on voit. Mais attendez, peut-on juger le dossier de l’insurrection sans Roch Kaboré ? Peut-on juger le dossier de l’insurrection sans les OSC (organisations de la société civile) qui ont poussé au meurtre et tous ceux-là qui ont bénéficié des fruits ? Il faut qu’on voie les problèmes en face. Quel est le militaire que vous allez arrêter parce qu’il aurait tiré sur quelqu’un les 30 et 31 octobre 2014 ? C’était sous l’impulsion de qui ? Avant l’exécution, il y a eu conception ; qui sont les concepteurs ? On a vu des gens revendiquer fièrement l’insurrection populaire qui a fait des morts. Alors, quelle est la responsabilité de chacun ? Qui a poussé qui au meurtre ?
Même pour le dossier Thomas Sankara, Roch Kaboré était où ? Ce sont eux qui étaient les chefs de parti ULC-R, dont on sait être, entre autres, les encadreurs du Front populaire. Il faut avoir le courage d’affronter les problèmes, c’est tout. Sinon, si on s’amuser à ruser avec des questions, qui sont de sérieux problèmes, ça va nous revenir à la face. Raison pour laquelle je m’interroge aujourd’hui, lorsque j’entends parler de ce qu’ils appellent tryptique vérité-justice-réconciliation. Ces gens-là voient-ils vraiment les choses ainsi ? Parce que si tel est le cas, ceux qui nous gouvernent doivent d’abord passer pour s’expliquer sur un certain nombre de questions. Donc, si on commence, il faut qu’on aille jusqu’au bout, chacun va assumer. C’est clair et net. L’histoire est-là, on la connaît et il y a des gens qui ont tout suivi, depuis plusieurs décennies. On ne peut pas faire de sélection dans le tryptique vérité-justice-réconciliation, sinon le remède sera pire que le mal.
Entretien réalisé par Oumar L. Ouédraogo
(oumarpro226@gmail.com)
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