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Hamed Bakayoko : « Il disait que la révolution du Burkina allait impacter l’Afrique dont son pays », se souvient Louis Armand Ouali

Suite au décès du Premier ministre ivoirien, Hamed Bakayoko, les hommages et témoignages ne tarissent pas. Du citoyen lambda aux hommes politiques en passant par des artistes-musiciens, chacun tient à exprimer ce qu’il retient de celui qui est parti à l’âge de 56 ans de suite d’un cancer du foie. Nous sommes allés à la rencontre d’un homme qui a connu Hamed Bakayoko alors qu’il était étudiant à l’Université de Ouagadougou. 35 ans de relations personnelles, il y a de quoi en savoir plus sur le défunt. Il s’agit de Louis Armand Ouali, un homme politique burkinabè qui, très tôt, « HamBak » a « beaucoup appris à ses côtés ». Lisez plutôt !

Lefaso.net : Comment avez-vous appris le décès, vous qui l’avez connu particulièrement ?

Louis Armand Ouali : Je dois, à la vérité, dire que je ne suis le seul qui a connaissance d’Hamed Bakayoko à la période où il était au Burkina Faso. Comme vous le savez certainement, Hamed Bakayoko a été étudiant pendant quatre ans à l’Université de Ouagadougou, d’abord à l’Institut math physiques (l’ex IMP) et ensuite à la faculté de médecine où il est resté jusqu’à sa troisième année avant de regagner son pays.

Evidemment, je n’ai pas le monopole de la connaissance de l’homme de cette période, puisqu’il a été étudiant et j’étais beaucoup plus âgé que lui. Donc tous ceux qui ont été à l’IMP et ont fait la médecine avec lui peuvent porter témoignages de cette partie de sa vie.

Nous avons eu 35 années de relation ininterrompues. Pour tout vous dire, je partais à Abidjan, à son invitation, au moins deux fois par an. Et la dernière fois que je l’ai vu, c’était le 7 janvier 2021. Pour répondre directement à votre question, j’ai suivi la situation de bout en bout. Donc j’étais informé très tôt de la disparition du Premier ministre ivoirien, ministre d’Etat, ministre de la défense que vous connaissez : Hamed Bakayoko.

Pouvez-vous revenir sur votre rencontre ? Comment l’avez-vous connu ?

J’ai connu Hamed Bakayoko dans un cadre politique parce que Hamed Bakayoko a un leadership dont peuvent en parler ceux qui ont fait les différents collèges en Côte d’Ivoire avec lui, qui remonte à la nuit des temps. Dès le collège, il avait un engagement qui l’avait amené au-devant de beaucoup d’activités comme beaucoup de jeunes de sa génération. Il a été président des structures estudiantines alors qu’il était encore au lycée.

Pour moi, c’est dans le cadre politique en ce sens qu’en 1985 et 1986, ce sont des années de la révolution démocratique et populaire, la révolution du 4 Août. Et Hamed [Bakayoko] était déjà le président de l’association des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire en Haute-Volta et au Burkina Faso, puisque notre pays a changé de nom. Dans cette association, c’était des milliers d’élèves et étudiants, surtout des élèves parce que tout élève en Côte d’Ivoire qui ne réussissait pas au probatoire ne pouvait pas passer en terminale.

Du fait de cette limite, tant dans les établissements (lycée privé, collège privé, établissement d’enseignement public) de Ouagadougou, de Bobo-Dioulasso et d’ailleurs, vous avez beaucoup d’élèves de Côte d’Ivoire et un nombre assez d’étudiants.

Il faut restituer la vérité quand vient l’heure de parler. C’est un élève de Saint Joseph qui est venu faire son baccalauréat (la terminale) en 1984 parce que n’ayant pas réussi au probatoire en Côte d’Ivoire : monsieur Hamed Cissé, qui par la suite est devenu fondateur de Moov en Côte d’Ivoire. C’est donc par l’intermédiaire d’Hamed Cissé, qui habitait chez moi, que j’ai connu Hamed Bakayoko.


Quand il me l’a présenté, c’était les années les plus difficiles de notre pays du fait de la révolution. Monsieur Hamed Bakayoko qui habitait dans une maison confortable a choisi de venir habiter dans les dépendances de la villa que j’occupais avec son ami Hamed Cissé, secrétaire général de leur mouvement pour que nous puissions continuer à avoir ces entretiens sur la vision que nous avons d’un pays comme le Burkina, d’un pays comme la Côte d’Ivoire. Il avait la volonté d’apprendre. J’étais en ce moment, un de ceux (il y en a d’autres) qui ont contribué au renforcement de sa conscience patriotique et panafricaniste.

Donc ce que je retiens de l’homme, c’était cette période. Il avait un intérêt très poussé, il s’intéressait à tout, il voulait tout comprendre. Il voulait bénéficier du peu que j’ai appris à la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et avant cela, à l’Union générale des étudiants voltaïques. Il tenait absolument à comprendre ce qui se passait au Burkina Faso, parce qu’il disait que la révolution du Burkina allait impacter l’Afrique dont son pays. C’est dans ce contexte que nous sommes restés très proches.

Racontez-nous des anecdotes sur la manière dont avez mené la révolution au Burkina Faso.

La révolution étant ce qu’elle était, j’étais arrêté en 1986 pour une première fois et surtout en 1987. J’étais militant du Parti africain de l’indépendance mais j’ai été arrêté pour mes idées syndicales. En réalité, c’était pour mes idées politiques mais j’étais membre du bureau de la Confédération syndicale voltaïque devenue Confédération syndicale burkinabè dirigée par un de nos aînés, Soumane Touré. Dans le cadre de cette structure où j’étais le secrétaire général adjoint, nous avons été arrêtés et détenus dans les permanences CDR (Comité de défense de la révolution).

En août 1987, Hamed Cissé et surtout Hamed Bakayoko ont refusé de retourner en Côte d’Ivoire durant les vacances, attendant qu’on libère celui qu’il considérait dorénavant comme un de ses aînés, un de ses pères, surtout quelqu’un capable de renforcer sa conscience patriotique. Ils sont restés. J’ai été libéré mais malheureusement, il y a eu le drame de 15 octobre 1987.

Quels sont vos points communs que vous avez pu détecter en lui ?

La Côte d’Ivoire est un pays qui a un parcours tout à fait différent du nôtre. C’est un pays côtier, qui a des ressources agricoles très importantes (café, cacao), des ressources minières importantes, la mer, etc. Donc, les idées de gauche ont porté fruit en Côte d’Ivoire parce que le président Laurent Gbagbo et autres sont des hommes qui ont incarné les idées de gauche.

Mais dans le mouvement étudiant que j’ai connu Hamed Bakayoko dirigé, très peu, vivant au Burkina Faso, s’intéressaient à l’action de la relation à travers le Comité de défense de la révolution. A travers toutes les idées que professait le capitaine Thomas Noël Isidore Sankara, il a montré un intérêt très important pour comprendre tous ces phénomènes sociaux. Hamed Bakayoko était quelqu’un de très curieux, qui cherchait à comprendre, qui a compris que la révolution du 4 août 1983 allait, pendant des décennies, impacter la vie des êtres humains.

Le deuxième élément que je retiens d’Hamed Bakayoko, déjà à cette époque il avait le partage comme qualité fondamentale, mais je le comprendrais plus tard. Lorsqu’on m’avait libéré, après que j’ai été admis prisonnier d’opinion d’Amnesty International, je suis allé en Côte d’Ivoire (en 1987) après leur [Hamed Bakayoko et Cissé] retour pour saluer leurs parents et j’ai connu le père d’Hamed Bakayoko. En l’écoutant, j’ai compris qu’il avait inculqué à son fils cette qualité importante dans un monde qui devenait de plus en plus individualiste : la nécessité d’être généreux ; partager les idées, l’action et tout ce qu’on possède avec les autres. J’ai écouté des témoignages des jeunes et des artistes. Un monsieur a dit que son neveu, qui était élève au Burkina Faso, était décédé.


Le président des élèves de Côte d’Ivoire, Hamed Bakayoko, a raccompagné le corps jusqu’au village pour l’enterrement. Il est Bété. Et il dit que chez les Bété, leurs parents avaient dit à l’époque que ce monsieur là a un grand cœur, il ne faut jamais l’abandonner. Donc la générosité, la proximité, la simplicité…, parce qu’il estimait que plus vous êtes grand, plus Dieu vous élève et vous impose d’être proche des autres. Voici quelques-unes des qualités qu’il avait déjà et il a essayé de les cultiver.

La dernière fois que vous l’avez vu c’était en janvier dernier. Comment était-il ? Présentait-il des signes de fatigue ?

Je l’ai vu le 7 janvier [2021] à son bureau, à la Primature d’Abidjan, il n’avait aucun signe. Mais là, je pense qu’il faut voir avec les médecins, car ce sont vous les journalistes qui avez écrit qu’il avait un cancer foudroyant, rapide, etc. Il n’avait aucun signe qui montrait qu’il était malade. Hamed Bakayoko était sportif, s’il y avait des signes quelconques, je l’aurai su. J’ai rencontré un homme spirituel bon, mentalement bien, psychologiquement bien et sportivement en grande forme.

En 20 ans (2000-2020), il a connu une ascension assez importante. Vous qui l’avez connu, qu’est-ce que vous avez tiré comme leçon de l’homme ?

J’aime cette diversion, la publicité [de cette société d’assurance] : « On est jamais leader par hasard ». A part les royaumes et des droits divins, l’honnête homme, dès son enfance manifeste des qualités de leadership. S’il les renforce, avec l‘aide de Dieu évidemment, il aboutit nécessairement à ces fonctions-là. Ce parcours ne me surprend pas.

J’étais à Abidjan, assistant la mère, les sœurs et les frères d’un ami de longue date qui était décédé. Je suis resté pendant un mois à Abidjan. Hamed est venu me voir. Il m’a dit : « Grand frère, j’ai appris beaucoup de chose avec vous mais je souffre de voir que l’œuvre de Houphouët, malgré ses limites et tout ce qu’on peut lui reprocher, est remise en cause. Je veux créer un journal pour contribuer à atteindre ce que vous nous avez enseigné : la prise de conscience. Je veux créer un journal pour qu’on fasse la part des choses entre les limites et les erreurs de Félix Houphouët Boigny, et ce qu’il a fait de grand et beau pour son pays, l’Afrique et le monde ».

C’était la guerre en Irak et il y avait deux missiles : Le Scud (Russie) et Le Patriote (USA). Il m’a dit : « Grand frère, j’aimerais prendre une des deux dénominations de ces missiles pour mon journal ». En souriant, je lui ai dit : « Comme tu es devenu un libéral, prends Le Patriote parce que Le Scud, c’est nous les gauche ». Voilà comment il a créé le journal « Le Patriote » et il est devenu un grand patron de presse en Côte d’Ivoire.

Donc il avait déjà le leadership. Mais « vanité des vanités » comme il aime le dire en citant le chanteur Alpha Blondy. Si vous ne cultivez pas, si vous ne renforcez pas, si vous ne consolidez pas vos connaissances, votre destin peut se jouer autrement. Je dois avouer que je n’ai pas été surpris parce que Hamed sera passé par toutes les phases.

Quels étaient ses défauts, selon vous ?

En général, vos défauts sont issus de vos qualités. Je me souviens d’une émission à la télévision ivoirienne où on demandait à des jeunes, qui avaient 15-20 ans, quel est l’homme ou la femme qu’ils souhaiteraient rencontrer et une jeune, à l’époque où il était ministre des NTIC, a dit Hamed Bakayoko. Il est allé chez elle. Et lorsqu’il vient chez vous, c’est comme s’il était chez lui ; il n’y a pas de différence. Or, l’action politique est une action difficile. Dans le milieu des artistes, ils ont témoigné qu’il était un homme généreux. C’est très important, mais en même temps, cela crée des limites. Si vous ne respectez pas ces limites, vous pouvez créer d’autres types de problèmes parce qu’il est clair que Hamed a vécu une vie très proche des gens mais des gens ne l’aimaient pas. Il n’est pas Dieu ; l’homme n’est pas 10 mais 9.


J’ai vu dans une relation avec quelqu’un qui ne l’aimait pas. J’ai participé à leur discussion mais plus tard, la personne m’a dit : « Non, je m’étais trompé ». Quels sont ses défauts ? Je préfère ne pas en parler. Je retiens qu’il a vécu utile pour sa famille biologique, son pays et les jeunes.

Beaucoup pensent qu’il était bien placé pour réussir la mission de la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire. Partagez-vous cet avis ?

Je partage les faits. Les analyses doivent se baser sur des faits, je crois que c’est un des principes cardinaux de votre métier. Au sortir de l’élection présidentielle [d’octobre 2020] de Côte d’Ivoire, Hamed Bakayoko a pris à bras le corps le dialogue politique qui a permis à quasiment toute la classe politique d’aller aux législatives qui viennent de se dérouler. La réponse est « Oui ». Les images et les paroles sont là pour prouver qu’effectivement il a estimé que son pays a traversé une zone de turbulence terrible et qu’il était de son devoir de réunir au tour de la même table la génération qui le précédait, sa propre génération et la génération des jeunes.

Comment voyez-vous la politique ivoirienne après sa disparition, au regard de tout ce que vous venez de raconter ?

Un de nos auteurs a dit : « Chaque génération doit découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir ». Lui, il a fait pour lui, comme on le dit de manière triviale. Il revient à la génération actuelle, aux générations plus jeunes d’engager le combat patriotique sur le modèle d’Hamed et d’autres pour permettre à leur pays d’avoir un avenir. Parce que même dans une famille, votre arrière-grand-père a fait ce qu’il a pu, son fils (votre grand-père) a fait ce qu’il a pu, il a donné naissance à votre père qui a fait ce qu’il pouvait et vous, vous continuez l’œuvre.

Eh bien, l’œuvre va continuer et le meilleur hommage que la jeunesse, les anciens, les hommes, les femmes, la population de Côte d’Ivoire peut rendre à Hamed Bakayoko au cours de cette semaine, c’est que véritablement, le flambeau qu’il a porté très haut, qu’ils puissent le porter encore très haut pour le bonheur des populations de Côte d’Ivoire, pour le bonheur des populations africaines.

Propos recueillis par Cryspin Laoundiki

Lefaso.net

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