Le mardi 13 avril 2021, la chambre d’accusation du tribunal militaire a rendu public son délibéré qui met en accusation 14 personnes dans le dossier Thomas Sankara et ses douze collaborateurs tués au sein du conseil de l’Entente. Les appréciations sont diverses sur ce procès à venir dont la date n’a pas été communiquée, qui vient sur le tard et qui bouleverse le calendrier politique par le renforcement d’une option que certains écartaient du volet de la réconciliation.
Le temps a été long, les plus sceptiques n’y croyaient plus, mais l’horizon semble enfin s’éclaircir pour que justice soit faite. Et c’est une bonne chose, pour les parents des victimes, pour notre pays et pour l’humanité. Depuis que des jeunes trentenaires ont pris le pouvoir dans la nuit du 4 août 1983, un certain nombre de comportements contraires au respect de la vie se sont installés dans les mœurs politiques de notre pays.
La prise du pouvoir du capitaine Blaise Compaoré le 15 octobre 1987 dans un bain de sang a depuis fait du pays, le royaume de spectres, de disparus, d’assassinés, et du Conseil de l’entente, là où se trouve le Mémorial Thomas Sankara, un endroit sinistre où beaucoup de braves fils du pays sont entrés dans le monde des ombres. Des morts qui n’ont pas encore eu une sépulture digne.
Des personnes décédées dont les dépouilles n’ont pas été remises à leurs familles. Lesquelles familles ne connaissent pas les tombes des défunts. Des morts, dont on n’a pas encore fait le deuil, parce que les parents, les amis, la famille, la société burkinabè ignorent les conditions de leur départ de notre monde. Ces « morts ne sont pas morts », « ils sont parmi nous » et ont hanté nos vies et la politique de notre pays.
Nos croyances ancestrales, nos valeurs exigent la vérité sur ces crimes, pour qu’on leur dise adieu, et qu’ils puissent enfin reposer en paix. Le futur procès sera un moment douloureux, où le deuil pourra se faire par l’annonce de la vérité. La justice militaire devrait prévoir une équipe de soutien psychologique pour les familles des victimes du 15 octobre 1987 qui assisteront au procès.
Écrire au fronton des palais présidentiels la valeur sacrée de la vie
Cette mise en accusation est une bonne nouvelle. La justice de notre pays, avec notre peuple vient de faire un pas important dans la lutte contre l’impunité. C’est un sursaut contre le slogan des tueurs de l’époque qui disaient « tu fais, on te fait », traduit en français facile, on te fait, c’est on te tue, et ils ajoutaient pariant sur l’avenir, et il n’y a rien. C’est là qu’ils se sont trompés, même, si c’est 34 ans après, le pays refuse de laisser ces crimes impunis, il faut saluer cet effort.
Ce jugement à venir sera une catharsis pour tous. La justice a plusieurs fonctions et juger les crimes du 15 octobre 1987 est une leçon et un héritage que l’on va donner à notre jeunesse. Les leçons sur la valeur sacrée de la vie, sur l’importance de l’amitié, et la relativité des opinions politiques entre autres sortiront de ce procès. On ne devrait pas prendre la vie de quelqu’un pour des divergences de vue politique.
Éteindre les lampes de la vie de treize camarades pour prendre le pouvoir ne devrait plus se faire dans ce pays. Et comment comprendre que ce n’est pas légitime et juste de le faire, si ceux qui l’ont fait ne sont pas jugés ? Réclamer justice n’est pas un cri de vengeance, c’est un devoir moral et éthique auquel notre peuple ne s’est pas soustrait. C’est la justice qui sauve la société et la préserve. C’est elle qui sanctionne les comportements interdits, et ce faisant, enseigne et dissuade de les faire, pour protéger la société.
Des accusés absents du pays
Hyacinthe Kafando, et l’ancien président Blaise Compaoré seront probablement les grands absents du procès. L’un a dirigé l’équipe meurtrière du conseil de l’Entente, l’autre est le cerveau et le principal bénéficiaire de l’assassinat de son prédécesseur. Ils peuvent choisir de ne pas faire face à leurs responsabilités, sous prétexte qu’ils ne font pas confiance à la justice de leur pays.
Et pourtant le tribunal militaire offre des conditions d’un procès équitable par le respect du contradictoire, la présence d’avocats, la présomption d’innocence, la possibilité de recours et la proportionnalité des peines, etc. Gilbert Diendéré qui est un ancien client de ce tribunal et qui fait partie des mis en accusation peut en témoigner.
Mais en refusant de venir s’expliquer et de réfuter les éléments qui les accusent, nos deux exilés perdent non seulement une chance de prouver leur innocence, mais ils sont coupables de lâcheté, surtout pour celui qui a exercé les plus hautes fonctions à la tête du pays. Accepter de venir dire publiquement la vérité, est une des conditions qui peut ouvrir la porte de la réconciliation. Mais comment convaincre de sa bonne foi, de son innocence et de sa sincérité, si on refuse de dire ce que l’on a fait et de demander pardon ?
Juger les crimes du 15 octobre 87 et la réconciliation
Ce travail de mise en accusation de l’ancien président Blaise Compaoré vient éclairer ce que certains espéraient de la réconciliation nationale. Ceux qui s’étonnent que la justice avance, alors qu’on parle de réconciliation, étaient les mêmes qui nous disaient que la réconciliation n’était pas une entente entre politiciens pour échapper à la justice. Veut-on d’un arrangement entre vivants au détriment de ceux qui sont partis, sous prétexte qu’ils sont morts, qu’ils ne peuvent bénéficier d’une justice commutative, ou d’une réparation quelconque ?
C’est le lieu pour nous de réfléchir sur notre conception de la justice, de mettre des balises sur le chemin des hommes politiques dans leur action envers leurs concitoyens quand ils sont au pouvoir. Juger le dossier Thomas Sankara, c’est offrir à notre jeunesse et au monde, ce que la communauté politique de notre pays a fait de laid, d’immonde et d’injuste. Par le procès, par la justice, nous exposerons aussi à la face du monde que nous pouvons produire et donner du bonheur aux différents membres de la société. En ce sens que la société, le pays tout entier aura déclaré que ce n’est pas juste et bien de prendre la vie de son prochain par l’intermédiaire des juges, qui examinent et prononcent leur sentence au nom du peuple.
Le sang de l’icône africaine ne sera plus sur les mains de tous les Burkinabè
Après la mort de Thomas Sankara, voyager à l’étranger avec le passeport burkinabè vous attirait la vindicte langagière de vos hôtes. Le pays était traité de criminel et tous ses habitants avec. Des Burkinabè se sont vus chassés de bars à Harlem (New York) par le tenancier et les clients. Le procès va laver cette opprobre imméritée en jugeant les assassins.
Si Thomas Sankara était célèbre par son action, sa mort a décuplé son pouvoir de fascination. Les circonstances de cette mise à mort restées longtemps inconnues, racontées à voix basse, ou par des témoins qui se cachaient, en ont fait une « scène historique » plus intense, plus dramatique qu’une fiction, que des dramaturges et des scénaristes auraient pu inventer. Un jeune et beau président charismatique tué par des soldats à la solde de son « frère et ami », qui plus est, était son second, celui par qui, il est arrivé au pouvoir. Éliminé seulement quatre ans après avoir pris le pouvoir et voulu tout changer comme le roi Christophe (d’Aimé Césaire). L’histoire reste à écrire, le procès devrait établir la vérité sur les circonstances, les rôles et attributions des différents protagonistes dans cette page sombre de l’histoire du pays.
Sana Guy
Lefaso.net
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