Les derniers soubresauts pendant la campagne et lors de l’élection du Président, des huit (08) membres du Comité Exécutif de la CAF et des sept (07) membres africains au Conseil de la FIFA, à la 43ème Assemblée Générale élective le 12 mars 2021, nous ont permis de (re)voir les incohérences et comportements « moyenâgeux » des dirigeants africains, ceux du football en l’occurrence. Notamment, leur propension à développer des pratiques des plus fâcheuses, des plus révoltantes, voire des plus affligeantes dans la gouvernance du football africain.
Maintenant que cette « forfaiture » est actée et consommée par l’ensemble des amoureux du ballon rond africain, nous avons aujourd’hui suffisamment de recul pour analyser froidement leurs errements et tâtonnements dans le pilotage du sport roi africain et les conséquences que ce déni d’éthique et de démocratie va engendrer. Et surtout de voir comment leurs attitudes et comportements révèlent un manque de maturité, de leadership et leur propension à ne regarder que leur nombril, c’est-à-dire leurs intérêts égoïstes au détriment du développement conséquent et inclusif du football africain.
En effet, l’élection du Président et des membres des instances de direction de la CAF a montré comment le Président de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), Gianni Infantino, est arrivé, avec une aisance déconcertante, à instrumentaliser et à embrigader les candidats au poste de Président de la CAF pour leur imposer, malgré quelques semblants de résistance, sa volonté de mainmise sur la CAF.
Pour cela, il a parcouru, avec ses sbires (le Congolais Veron Mosengo-Omba, Directeur des Associations de la FIFA et le Suédois Mathias Grafstrom, Secrétaire Général Adjoint de la FIFA), les Palais présidentiels des pays africains les plus influents dans le football africain pour convaincre les Présidents (et leurs ministres en charge du sport) « d’obliger » les Présidents des fédérations nationales de football à voter « son » candidat. Lequel d’ailleurs, malgré sa surface financière indéniable, manque visiblement d’expérience dans la gouvernance des instances de direction d’une fédération nationale et de la CAF.
Mais, qui étaient les quatre (04) candidats ?
Le Sud-Africain, Patrice Motsepe (59 ans), Propriétaire du Club des Mamelodi Sundowns de Pretoria, 9ème fortune d’Afrique (et donc ne chercherait pas à s’enrichir par la présidence de la CAF), finalement « élu » par acclamation que d’aucuns considèrent comme une nomination, était considéré par certains présidents de fédérations nationales comme un homme de parole, de principes et doté d’un grand sens moral et surtout était le candidat du Président de la FIFA.
Dans son plan d’action, « Construire le football africain pour qu’il soit le meilleur du monde », il ambitionnait investir dans le développement et la croissance du football dans chaque pays africain et établir des partenariats et des parrainages avec le secteur privé, ainsi qu’avec d’autres partenaires potentiels. Et aux yeux d’Infantino, il serait, « the right man at the right place » . Et pour certains, un président n’ayant pas de lien avec la gouvernance précédente, avec un profil de businessman, de bon gestionnaire, capable de sortir l’instance d’une situation financière difficile, et dont l’image n’est pas bonne ».
L’Ivoirien Jacques Anouma (70 ans), ancien Président de la Fédération Ivoirienne de Football (2002-2011) et ancien membre du Comité Exécutif de la FIFA, déjà candidat défait en 2013 par Issa Hayatou et qui tentait sa dernière chance, car touché par la limite d’âge, avait un programme porté vers l’amélioration des résultats des nations africaines sur la scène mondiale.
Le Sénégalais Augustin Senghor (56 ans), Président de sa fédération depuis 2009, maire et Patron de l’US Gorée, siégeant au Comité Exécutif de la CAF, était un candidat respecté de tous, pour son action dans le monde du football sénégalais et africain.
Le Mauritanien Ahmed Yahya (44 ans), homme d’affaires, Président de la Fédération Mauritanienne de Football et benjamin des candidats, considéré comme un proche du sortant, Ahmad Ahmad et réputé être un homme apprécié par la FIFA et son président, proposait le développement des revenus de la CAF et le football féminin dans son programme. Il avait l’avantage d’avoir, grâce à son management, permis à la sélection des Mourabitounes de gagner plus de 100 places au classement FIFA et de participer à sa première CAN en 2019.
De ses quatre (04) candidats, les trois (03) derniers étaient de la zone ouest africaine. Mais, comment comprendre qu’ils n’aient pas pu s’entendre pour qu’un d’entre eux soit le porte-drapeau de la zone et ainsi profiter au moins des seize (16) voix des fédérations de l’Union des Fédérations Ouest-Africaines (UFOA) pour espérer être élu, et finalement accepter se saborder pour soutenir le Sud-africain ?
Pourquoi ont-ils accepté l’offre d’Infanto et de Motsepe à Rabat, pilotée par Fouzi Lekjaa, le Président de la Fédération Royale Marocaine de Football (FRMF), accompagné par la Fédération Egyptienne de Football, avant l’élection du 12 mars (pacte acté par un procès-verbal paraphé, selon lequel ces trois (03) candidats s’aligneraient derrière Motsepe) ? L’ont-ils réellement fait au nom de l’unité dans le football africain (comme prêché par le Président de la FIFA) ou l’ont-ils fait pour leurs propres intérêts, notamment être premier et deuxième Vice-présidents (Augustin Senghor et Ahmed Yahya) et Conseiller spécial du Président (Jacques Anouma) ?
Comment comprendre que ces trois (03) candidats, des plus méritants selon certains acteurs du foot africains, qui vilipendaient des pratiques « pas trop démocratiques », fassent subitement volte-face le 6 mars à Nouakchott, une semaine avant l’élection, pour prôner l’union sacrée, et de dire que « l’essentiel, c’est de remettre la CAF sur les rails. » et d’admettre que la « sagesse africaine » devait prévaloir ? C’est à ne rien comprendre de cette « gymnastique intellectuelle » de ces dirigeants du football africain qui sont arrivés, en l’espace d’une semaine, à « rendre l’impossible possible », comme le savourait Gianni Infantino, au sortir de cette « messe » de dupes dans la capitale mauritanienne. Ce qui est sûr, Infantino est l’homme qui fait et défait les Présidents à la CAF. Ahmad Ahmad et Issa Hayatou ne diront pas le contraire. Motsepe est au moins prévenu. Qu’il ne soit pas étonné que dans deux ou trois ans, il y ait des histoires de corruption qui sortent des mains magiques d’Infantino.
A l’analyse, il nous semble que la politique politicienne a prévalu, malgré que la CAF et la FIFA soient promptes à sanctionner les pays où le politique avait des bisbilles avec les fédérations africaines (comme dernièrement le cas du Tchad qui a été suspendu des éliminatoires de la CAN 2021, qui se jouera cette année 2022), au nom de la sacro-sainte indépendance des instances nationales du football africain.
Et sans état d’âme aucun, ceux-ci, la FIFA en tête, passent allègrement par ce canal du politique pour imposer leur volonté et ainsi fouler aux pieds la règle établie. Quel recul démocratique , voire une atteinte sans précédent à l’éthique dans la gouvernance du football africain ? Quelle jurisprudence ont-ils créée pour demain ?
Quelle conséquence dans la gouvernance du foot africain ? Devrions-nous interpréter cette alliance subite comme une « alliance de circonstance » pour partager le gâteau ou une réelle « alliance pour propulser le football africain au sommet mondial », comme le souligne le nouveau Président, Motsepe ? Comment croire à ces dirigeants sportifs et ne pas avoir l’impression qu’ils ont sacrifié le foot africain sur l’autel d’ambitions personnelles, financières surtout ?
Après ce qui s’est passé à Rabat ce 12 mars, comment peuvent-ils nous convaincre que ce « pacte de sang » était uniquement fondé sur leur volonté de mettre quelqu’un de nouveau, qui ne soit pas impliqué dans l’ancienne direction qui a plombé les finances et la gouvernance de la CAF, pour attirer de nouveaux sponsors, des investisseurs et donner une plus belle image de la CAF ? Permettez-nous de douter de leur bonne foi.
Ce marché de dupes, magnifié par ces derniers comme une alliance de sagesse, résistera-t-il longtemps aux égo des uns et des autres ? Combien de temps durera ce deal juteux ? Ne vont-ils pas se marcher sur les pieds ? Motsepe aura-t-il le temps pour se consacrer à la CAF au détriment de ses affaires ? Réussiront-ils à renflouer les caisses de la CAF, par les talents d’homme d’affaires de son Président ?
Pourront-ils impulser le développement du football africain par les compétences en management du football par les deux Vice-présidents et le Conseiller spécial ? Quelle place aura Infantino dans la prise de décisions à la CAF ? Quel avenir du foot africain au regard des intentions manifestes du Président de la FIFA de dicter ses réformes dans l’organisation de la CAN (organisation quadriennale au lieu de biannuelle) ? Quelle place pour le football africain dans le football mondial (nombre de places réservées aux équipes africaines à la Coupe du Monde ou intégration de cadres africains dans les instances de la FIFA) ?
La suite nous laissent perplexes quand on voit, dès le départ de la mandature de Motsepe, que Infantino a marqué déjà son territoire par son ingérence dans la nomination du nouveau Secrétaire Général de la CAF, Véron Mosengo-Omba, ancien Directeur de la division Associations membres de la FIFA, son vieil ami. D’ailleurs, en rappel, cette mise sous tutelle de la CAF par Infantino date de depuis longtemps, avec l’accession et l’éviction de Ahmad Ahmad à la tête de la CAF et la présence de la Secrétaire Générale de la FIFA, la Sénégalaise Fatma Samoura, au siège de la CAF au Caire, pour donner la voie à suivre.
Une fois de plus, l’Afrique a abandonné son chemin pour l’éclat trompeur du chemin d’à-côté. Pourquoi dénier leur intégrité pour profiter grassement d’éventuels subsides ? Comme le dit un proverbe africain, le mensonge donne des fleurs, mais pas de fruits. Alors patience, car comme on le sait, même si la nuit dure longtemps, le jour finit par arriver.
Au regard des faits, des doutes subsistent, et non des moindres, quant à la capacité de nos dirigeants à s’assumer et à tracer notre propre destin. Surtout quand on constate le silence coupable, le manque criard de prise de décisions constructives sur des questions très importantes dans la gouvernance et l’assainissement du football africain.
En effet, quelques temps après leur « partie de distribution maladroite de postes juteux », l’on a vu qu’ils ont manqué de tact, de fermeté et d’équité lors des éliminatoires de la CAN 2021. Le nouveau Président de la CAF, avec ses « nouveaux amis », fraîchement élus le 12 mars 2021, et les Présidents des fédérations nationales, sont restés tous amorphes et bouches cousues face à la décision de la Fédération Française de Football (FFF) et de ses clubs d’élite (Ligues 1 et 2) , se basant sur la circulaire de la FIFA liée à la pandémie du Covid-19, de ne pas libérer les footballeurs professionnels des pays hors Union Européenne (ceux d’Afrique notamment) pour la trêve internationale FIFA.
Même si par la suite des dérogations ont été accordées (voyages aller-retour des joueurs professionnels africains par de vols privés pour participer aux éliminatoires de la CAN 2021), cette restriction a grandement joué sur les performances des équipes nationales africaines ayant dans leurs effectifs des contingents en Europe, car ayant impacté leurs préparations (les coaches ayant été soumis à un terrible casse-tête pour élaborer leurs listes et peaufiner des systèmes de jeu, puisqu’ils s’appuyaient sur de nombreux joueurs évoluant dans les championnats européens notamment).
Comme se questionne si bien Frank SIMON, talentueux journaliste sportif à France Football et fervent défenseur du football africain, l’Afrique n’a-t-elle pas manqué l’occasion de se faire entendre d’une seule voix face à ce texte qui, de facto, tendait à affaiblir le potentiel de nombreuses sélections ? Cet épisode, qui nous rappelle celle des années 1980 , illustre bien ce que l’on redoutait par rapport à la mainmise d’Infantino sur les nouveaux dirigeants de la CAF. Pensez-vous qu’Infantino oserait prendre ce genre de décision face aux dirigeants de l’UEFA (Europe), de la CONCACAF (Amérique du Nord) ou de l’AFC (Asie) ? Nous ne le croyons pas !
Mieux, l’on a constaté une incapacité d’assumer leurs responsabilités et un manque de professionnalisme certain dans la gestion de certains matches lors des éliminatoires de la CAN 2021. En effet, on a vu des scènes insolites et inacceptables et qui sont restées jusqu’aujourd’hui sans réaction et décision ferme des dirigeants de la CAF. Lors du match Sierra Leone-Bénin, on a vu des footballeurs coincés dans un bus, à l’entrée du stade, pendant des heures, sans pouvoir rentrer dans le stade pour jouer leur match, comme quoi quatre (04) des meilleurs joueurs béninois seraient positifs au test Covid-19 à leur arrivée en Sierra-Léone, alors qu’ils étaient testés négatifs, au départ de Cotonou.
Et la CAF n’a trouvé d’autres solutions que le report du match en juin prochain pendant la trêve internationale. Quel laxisme ? Et cela devient de plus en plus récurrent et sans sanction conséquente, quand on a en mémoire l’épisode des joueurs gabonais qui ont dormi à même le sol durant plusieurs heures à l’aéroport de Banjul pour le match Gambie-Gabon le 16 novembre 2020.
Pire, lors du match Côte d’Ivoire-Ethiopie comptant pour la 6ème et dernière journée des éliminatoires de la CAN 2021, la CAF a trouvé le moyen de mettre un ivoirien comme quatrième arbitre. Et comme par enchantement, les Dieux de football ont fait qu’à la 81ème minute du match l’arbitre central du match, le Ghanéen Charles Benle Bulu, a été atteint d’un malaise et devait être remplacé par ce 4ème arbitre ivoirien, pour terminer le match. Et comme cela n’est pas possible, conflit d’intérêts oblige, l’on a assisté à une fin de match des plus rocambolesques, montrant une image dégradante du foot africain.
Ces faits, des plus fâcheux, ne nous incitent pas à croire en la capacité des nouveaux dirigeants élus de créer les conditions d’un vrai changement dans la gouvernance de la CAF et de poser les jalons d’un véritable développement du football africain, pour tutoyer le sommet du foot mondial. Rien que des déclarations foireuses, sans réelle prise de responsabilités, ni d’actions concrètes pour bannir ces genres de pratiques à répétition. Quelle honte !
Les amoureux du football africain n’ont que leurs yeux pour pleurer face à ces errements et tâtonnements récurrents, et ne peuvent que se morfondre dans leur désir de voir le football africain gagner des galons dans le gotha du football mondial. Demain n’est pas la veille. Comme quoi l’Afrique n’a que des dirigeants qu’elle mérite.
L’on se demanderait parfois, avec amertume d’ailleurs, si nos dirigeants ne manquent pas véritablement de maturité ! En effet, comment pourront-ils par un leadership éclairé insuffler une dynamique nouvelle et gagnante à notre sport roi ? Indéniablement, notre football a besoin d’une nouvelle race de dirigeants, jaloux de leur intégrité, respectueux de valeurs, visionnaires, éminemment compétents, créatifs et portés par un sacerdoce, le développement durable du sport roi africain.
Footballistiquement vôtre.
N. Ousmane S. Bodo
Ancien international de football
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