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30e anniversaire de la Constitution du Burkina Faso : « La Constitution est un document sacré qu’on peut retoucher, mais avec des mains propres », souligne le Pr Augustin LOADA

La Constitution du Burkina Faso adopté le 2 juin 1991 a 30 ans, battant ainsi le record de longévité dans notre pays depuis son indépendance en 1960. Que retenir de ses 30 ans ? Ce document a-t-il vraiment révolutionné la vie politique nationale ? A-t-il vraiment un sens dans un pays à majorité analphabète ? Faut-il passer à la Ve République ? Autant de questions que nous avons posées au Pr Augustin Loada.

Le 2 juin 2021 marque les 30 ans du retour du Burkina Faso à un Etat de droit avec l’adoption d’une constitution ; quels sentiments cela vous inspire-t-il ?

Le mot qui me vient spontanément en tête est celui de résilience ! La Constitution du 2 juin 1991 est assurément celle qui a battu le record de longévité depuis l’indépendance avec 30 ans d’existence contre 6 ans pour la Constitution de la 1e République, 4 ans pour la 2e République et moins de 3 ans pour la 3e République. Cette longévité, on la doit en partie à la longue stabilité du régime du président Compaoré mais aussi à l’attachement du peuple burkinabè à un certain formalisme démocratique. Quant à la qualité de ce processus constitutionnel, il y a encore beaucoup de travail à faire pour que les promesses et engagements contenus dans notre Constitution deviennent tangibles, se traduisent par un Burkina meilleur !

Depuis lors, la Constitution a connu plusieurs évolutions ; quel bilan pouvez-vous nous en faire ?

Effectivement, parler de résilience de la Constitution, implique quelques adaptations au contexte. La Constitution, c’est un document sacré qu’on peut toucher et retoucher mais avec des mains propres, nettes et irréprochables ! Elle peut être adaptée, révisée mais pour le bien commun, et non pour le bien d’un seul ou d’une oligarchie. En 30 ans d’existence, la Constitution actuelle a, en tout cas, été plusieurs fois modifiée :

En janvier 1997, notamment pour supprimer la clause limitative du nombre de mandats présidentiels figurant dans l’article 37 de la Constitution ;

En avril 2000, notamment pour rétablir la clause limitative supprimée 3 ans auparavant, instituer le quinquennat présidentiel en lieu et place du septennat, supprimer la Cour suprême au profit des trois juridictions supérieures en place (Conseil d’Etat, Cour de cassation, Cour des comptes) en sus du Conseil constitutionnel ;

En janvier 2002 pour supprimer la Chambre des représentants ;

En avril 2009 pour assurer une meilleure répartition des compétences en matière de contentieux électoral entre les juridictions administratives et le conseil constitutionnel, et surtout pour sanctionner le phénomène du « nomadisme politique ».
En mai 2012 pour consacrer la possibilité et les modalités d’une prorogation du mandat des députés

En juin 2012 divers changements ont été apportés à la Constitution notamment : i) la constitutionnalisation de la chefferie traditionnelle, du genre et de certaines valeurs républicaines et éthiques ; ii) la redéfinition des conditions d’éligibilité à la fonction présidentielle ; iii) la désignation du premier ministre au sein de la majorité ; iv) la création d’un Sénat ; v) la réforme du Conseil constitutionnel avec un réaménagement de sa composition, du mode de désignation de ses membres et de son président, la modification des conditions de saisine par les parlementaires, l’introduction de l’exception d’inconstitutionnalité et la reconnaissance d’un pouvoir d’auto-saisine ; vi) la constitutionnalisation du Médiateur du Faso et du Conseil Supérieur de la Communication ; vii) l’octroi d’une amnistie pleine et entière aux anciens chefs d’Etat du Burkina Faso pour la période allant de 1960 à 2012.

La révision de novembre 2013, elle, a institué le Sénat mais comme chacun le sait, ce Sénat n’a jamais fonctionné en raison de l’opposition que cette réforme a suscitée

Enfin, la dernière révision est celle faite par le Conseil national de la Transition le 5 novembre 2015, qui a, entre autres, verrouillé toute possibilité de réviser l’article 37 de la Constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels.

Pour moi, toutes ces révisions ont contribué à bonifier la Constitution de 1991, même si certaines d’entre elles ont été controversées.

Le passage de l’Etat d’exception à une constitution a-t-il vraiment révolutionné la vie politique ?

Est-ce que le passage d’un régime d’exception à un régime constitutionnel révolutionne la vie politique ? Je dirai oui et non. Oui parce que l’intérêt d’un régime constitutionnel c’est que la Constitution sur laquelle il repose définit les droits et devoirs des gouvernants et gouvernés et que leur transgression doit en principe être sanctionnée par un juge indépendant, du moins en théorie. Dans un régime d’exception, vous n’avez pas ces garanties, même théoriques. Vous pouvez donc être à la merci de l’arbitraire et aux abus des gouvernants ou des plus puissants.

Mais une chose est sûre : les régimes politiques africains, qu’ils soient constitutionnels ou non-constitutionnels, reposent sur la même matrice : l’autoritarisme et/ou le patrimonialisme, même si les degrés varient en fonction des périodes et des pays. En outre, il ne faut confondre la Constitution avec ce que l’on appelle le constitutionnalisme, c’est-à-dire la garantie que l’exercice du pouvoir est effectivement encadré par des règles de droit, en particulier constitutionnelles, sous le contrôle effectif d’un juge crédible. Or, trop souvent en Afrique, et le Burkina n’y échappe pas, nous avons des constitutions sans constitutionnalisme, parce que nous avons des régimes hybrides, c’est-à-dire des régimes constitutionnels qui se comportent comme des régimes d’exception ou des régimes autoritaires avec un habillage démocratique.

Il est question aujourd’hui de passer à une cinquième République, est-ce nécessaire ? Quelles sont les limites de la Constitution actuelle qui pourraient justifier cela ?

Franchement, plus le temps passe, plus je m’interroge. Nous avons un projet de Constitution supposée plus belle que la Constitution de juin 1991 et dont l’adoption devrait consacrer le passage à la 5e République. Dans le contexte post-insurrectionnel, ce passage était censé marquer une rupture d’avec la gouvernance d’avant, celle que nous avons connue sous le président Compaoré, et donc symboliser une ère nouvelle. Mais la fenêtre d’opportunité ouverte par l’insurrection s’est refermée sans l’adoption d’une nouvelle Constitution.

Après 2015, le président Kaboré a concrétisé en partie sa promesse de faire élaborer une nouvelle Constitution. Effectivement, un projet a été élaboré par une commission constitutionnelle consensuelle il y a bientôt 4 ans. Mais pour son adoption, la commission a proposé au Chef de l’Etat la tenue d’un référendum, parce que dans notre mentalité de Francophones c’est cette voie royale conforme à l’idéal démocratique qui s’impose. Pourtant, tout le monde sait très bien que l’enjeu d’un tel référendum constituant est moins son adoption que le taux de participation des électeurs, et qu’il y a des Constitutions « démocratiques » comme celle des Etats-Unis ou de l’Allemagne qui n’ont jamais été adoptées par référendum pour des raisons d’ordre contextuel.

Il se trouve que cette voie idéale qui a été proposée au Président du Faso est actuellement impraticable dans le contexte sécuritaire et économique en cours dans notre pays. Résultat, l’on se retrouve aujourd’hui devant un dilemme : faut-il mettre à mort une Constitution trentenaire qui continue de faire ses preuves, qui s’est bonifiée au fil des révisions, au profit d’une Constitution en théorie plus raffinée, mais qui se retrouve aujourd’hui dans les tiroirs ? La question est d’autant plus posée que l’expérience montre que si les institutions comptent, la qualité des acteurs qui animent ces institutions compte autant, sinon davantage. Or, sur ce plan, il y a beaucoup à redire.

Dans un pays à majorité analphabète, pensez-vous que les Burkinabè se sont vraiment approprié la Constitution et l’Etat de droit qui va avec ?

Là encore ma réponse ne peut être qu’ambivalente. La Constitution et l’Etat de droit semblent avoir été appropriés par une minorité, instruite, urbaine, comme on a pu le voir lors des mouvements protestataires qui ont précédé l’insurrection d’octobre 2014 ; encore qu’une partie des acteurs ne comprenaient pas grand-chose aux enjeux.

En revanche, pour la grande majorité de nos compatriotes, en particulier ceux qui vivent en milieu rural, la Constitution est quelque chose d’abstrait. Il y a donc beaucoup d’efforts et de travail à faire aussi bien par l’Etat que par les acteurs non-étatiques pour « descendre » la Constitution au niveau du peuple. Cela doit se faire par un travail de vulgarisation, d’information, d’éducation afin que ce peuple-là s’approprie les droits et devoirs sociaux, économiques et culturels au même titre que les droits civils et politiques proclamés par la Constitution.

Chaque année, je constate que des Burkinabè sont invités par l’Ambassade du Danemark au Burkina à la « fête de la constitution » qui est une fête nationale marquant la fin de la monarchie absolue dans leur pays. Ce serait une bonne chose que nous aussi nous ayons notre fête nationale de la Constitution chaque année non seulement pour la célébrer, mais aussi pour la « populariser », l’ancrer davantage au niveau du peuple.

Interview réalisée en ligne par C. Paré
Lefaso.net

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