Politique

Assimi Kouanda meurt en exil : Le meilleur islamologue du pays « tué » par la politique

Le dernier patron du CDP avant l’insurrection est mort le 1er juin 2021 dans une clinique d’Abidjan. Celui qui a pris la succession de Roch Marc Christian Kaboré à la tête du parti présidentiel en 2012, s’en est allé sur un malaise subit. On l’apercevait dans les fêtes aux côtés de son patron tombé en 2014, suite à l’insurrection populaire et qui a fui le pays avec une bonne partie de son staff dirigeant.

C’est connu, l’exil est une prison hors sol. Pour qui a aimé son pays et sa terre natale, être coupé de son cordon ombilical, être obligé de vivre loin du placenta qui t’a nourri en tant qu’embryon est une mort lente. Tout le monde sait que nous Burkinabè, on considère le placenta comme un être vivant et on l’enterre comme il se doit chez nous, et nous vivons avec ses restes.

Assimi Kouanda n’a-t-il pas supporté cette séparation avec cette partie de lui-même qu’est son pays ? Durant son exil, il a eu la douleur de perdre sa maman et n’a pas pu venir lui dire adieu. Qui était cet homme d’une rondeur affable et souriante que la politique rendait parfois agressif, ce qui était un rôle de composition pour lui ? Qu’était-il allé chercher dans cette galère, ce fils d’imam à la piété reconnue et qui était un des grands historiens nationaux, spécialiste de l’islam de notre pays ? Nous vous proposons un petit voyage rétrospectif sur l’aventure intellectuelle d’Assimi Kouanda qui est la meilleure face de la médaille de ce politicien.

Assimi Kouanda, quand il a pris la tête du CDP, a été pris par certains comme quelqu’un qui n’était pas du sérail. Or il n’en était rien. C’est un ancien militant des structures révolutionnaires, membre de l’inter CDR. Son compagnonnage avec Blaise Compaoré doit dater de cette période et il travaillait patiemment à la base, avant d’être porté à la lumière. Sauf erreur, le CDP s’est laissé voler la vedette par la NAFA qui demande le rapatriement de son corps. Encore un trébuchement de la tête du parti qui a dû perdre le réseau avec Abidjan.

Laissons de côté la politique qui n’est pas, quoi qu’on dise, ce que Assimi Kouanda a fait de mieux dans sa vie. Parlons plutôt de ses recherches en histoire sur l’islam de notre pays. Il était parmi les meilleurs dans le domaine et la politique encore l’a empêché de parvenir au sommet de la hiérarchie universitaire. Assimi Kouanda s’est intéressé à l’islam, parce qu’il est aussi un Yarsé. Il porte un sondre (patronyme) de Yarse : Kouanda, Sakandé, Dabo, Dera, Bagnyan, Guira, Guiré, Sanfo, Sissao, Bikienga, Sana, entre autres. Les Yarsé seraient venus du Mandé avec l’islam et le commerce comme viatiques et se sont progressivement assimilés aux mossis dont ils parlent la langue. Ils n’ont pas adopté leurs fétiches et sont restés musulmans. Celui qui en parle le mieux chez nous c’est celui qui s’est éteint sur la ville lagunaire. Et comme c’était un enseignant, outre le don de la parole, il avait aussi celui de l’écriture.

Quelques notices bibliographiques portant son nom

Il a contribué à l’ouvrage collectif sur la Tijâniyya, Une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique, publié en 2005 avec le texte « La Hamawiyya et les changements toponymiques au Burkina, par Assimi Kouanda ». Autre ouvrage collectif auquel il a contribué Marabouts et missionnaires catholiques au Burkina à l’époque coloniale (1900-1947) avec l’article Le temps des marabouts (1997).

Le Burkina entre révolution et démocratie, 1983-1993 l’Ouvrage collectif sous la direction de René Otayek, Filiga Michel Sawadogo et Jean Pierre Guingané, paru en 1996, 390 pages, ISBN 2-86537-702-4 aux Edition Karthala 22-24 boulevard Arago 75013 Paris, la contribution de Assimi Kouanda est toujours actuelle puisqu’il a étudié : La lutte dans l’occupation et le contrôle des espaces réservés aux cultes à Ouagadougou.

Dans Islam et Islamismes au sud du Sahara c’est son texte Les conflits au sein de la communauté musulmane du Burkina, par Assimi Kouanda qui paraît en 1999 dont une première version est parue en 1989 sous le titre Les Conflits au sein de la communauté musulmane : 1962-1986. En 1988 il a publié L’Etat de la recherche sur l’Islam au Burkina. Le travail qui lui a ouvert les portes de la recherche est sa thèse de 3e cycle, soutenue en1984 à l’Université Paris 1 : Les Yarse : fonction commerciale, religieuse et légitimité culturelle dans le pays moaga.

En 2003 par « La religion musulmane : facteur d’intégration ou d’identification ethnique. Le cas des Yarse au Burkina Faso », in Jean-Pierre Chrétien et Gérard Prunier (di.), Les ethnies ont une histoire, éditions Karthala, 2003, pp. 125-134 (ISBN 9782811137212 Assimi poursuit son travail de recherche et de publication.

Ces quelques exemples pour montrer que c’est une perte très importante pour le pays. Assimi Kouanda est une victime de plus de la faible valorisation du travail intellectuel et scientifique dans notre pays qui fait que nos cerveaux succombent aux sirènes de la politique et se mettent au service des hommes de pouvoir, le plus souvent des militaires dans notre pays. Le pays perd un islamologue qui aurait eu sa pierre à apporter dans le grand courant de pensée et de réflexion pour la réconciliation et la lutte contre l’extrémisme violent. On peut le détester pour ses choix politiques, mais reconnaissons sa fidélité qui est allée jusqu’au bout de sa vie à un homme, Blaise Compaoré qui n’avait plus d’avenir et que chacun pensait qu’il le précèderait de l’autre côté.

Sana Guy
Lefaso.net




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