Trente millions d’euros, c’est le montant des pertes de trading que l’homme d’affaires burkinabè, Inoussa Kanazoé, dit avoir subies sur un de ses comptes suisses à la suite d’un séquestre de trente mois ordonné par le Ministère public de Genève. Une demande d’indemnisation sèchement rejetée.
Proche de François Compaoré, le frère de l’ancien président burkinabè, Blaise Compaoré, Inoussa Kanazoé a fait fortune dans l’import-export de denrées alimentaires, le pétrole et le ciment. Il possède notamment la Cimenterie du Faso (CimFaso), partenaire du Suisse Holcim à travers sa filiale Socimat. Une success-story qui ne serait pas, selon Jeune Afrique sans « zones d’ombre ». « Selon certaines indiscrétions, note l’hebdomadaire, l’origine de cette réussite fulgurante est à chercher du côté du Nord ivoirien, où il aurait été le principal fournisseur des rebelles en produits de grande consommation ».
Ce qui est certain, c’est qu’en avril 2017, l’horizon s’est s’assombri pour l’entrepreneur. À la suite d’investigations sollicitées par l’un de ses ex-associés, Inoussa Kanazoé est arrêté et placé en détention préventive au Burkina Faso. C’est ce qu’indique un arrêt rendu le 6 mai 2021 par la Chambre pénale de recours de Genève. Les autorités de Ouagadougou le soupçonnaient alors de « faux et usage de faux en écriture de commerce, fraude fiscale, abus de confiance aggravé et blanchiment de capitaux ».
Au cœur de l’affaire apparaissait la société genevoise MIXTA Négoce, dont Inoussa Kanazoé se serait servi pour surfacturer à CimFaso des matières premières nécessaires à la fabrication du ciment.
Un an plus tard, cette procédure pénale s’est conclue par un non-lieu. Selon le journal d’investigation Courrier Confidentiel, ce classement aurait cependant été annulé en février 2019 en raison de « charges suffisantes des chefs de complicité de blanchiment et de complicité de faux en écriture de commerce » et Inoussa Kanazoé aurait été renvoyé devant la Cour d’appel de Ouagadougou. Contacté par Gotham City, son avocat sur place, Salifou Dembélé, n’a pas répondu à nos questions concernant l’état de cette procédure.
Accusé de blanchiment d’argent et d’escroquerie
Dans le sillage de ces accusations, la Suisse s’est également intéressée à l’homme d’affaires. Au cours de l’été 2017, le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) a alerté le Ministère public de Genève au sujet de comptes détenus par Inoussa Kanazoé auprès de trois établissements bancaires, qui abritent alors près de 33 millions de francs. Il ne pouvait donc être exclu que « tout ou partie des fonds déposés ou ayant transité sur les comptes désignés aient pu provenir de ces surfacturations ».
Le Ministère public séquestre les comptes suspects et met en prévention Inoussa Kanazoé pour « blanchiment d’argent et escroquerie, voire corruption d’agents étrangers ». Cette instruction pénale sera plus tard étendue à l’un de ses anciens associés, ainsi qu’à une des sociétés de ce dernier, active dans le négoce de carburant.
Le parquet soupçonne alors les deux hommes d’avoir, entre 2012 et 2016, conclu des contrats avec deux entreprises étatiques au Burkina Faso et au Nigéria « en les trompant astucieusement sur les quantités livrées et/ou les prix facturés/payés », générant un bénéfice illicite versé sur un compte suisse. Et d’ajouter qu’« ils avaient possiblement corrompu certains employés de ces entités étatiques pour parvenir à leurs fins ».
Entraide « très difficile » avec le Burkina Faso
Cette enquête genevoise n’a toutefois rien donné. La procédure a été classée en novembre 2020, comme le confirme le Ministère public de Genève à Gotham City. Un arrêt rendu le 4 décembre 2019 par la Chambre pénale de recours de Genève explique que malgré « une situation opaque, rendant possiblement suspects certains mouvements intervenus sur la relation bancaire concernée, […] aucun élément du dossier ne permet de considérer qu’une partie de l’argent débité […] au profit (in)direct du recourant pourrait provenir de tromperies astucieuses […] rendues possibles grâce à de potentiels actes corruptifs ».
Surtout, la Cimenterie du Faso – partie potentiellement lésée – n’a pas porté plainte, et « il n’apparaît pas non plus que de quelconques procédures auraient été ouvertes au Burkina Faso et au Niger en rapport avec les charges sus-évoquées ». Sans compter que « l’entraide avec le Burkina Faso est qualifiée de très difficile par le Département fédéral de justice et police ».
Mais pour Inoussa Kanazoé, l’histoire ne s’arrête pas là. L’homme d’affaires estime avoir subi un « important dommage économique et commercial » du fait du séquestre long de deux ans et demi ordonné sur ses comptes suisses. L’un de ces comptes, en particulier, dédié au trading de devises et abritant l’essentiel de ses actifs helvétiques, aurait selon lui été privé de juteux bénéfices, à hauteur d’un million d’euros par mois, en raison notamment du débouclage par la banque de ses positions.
Demande d’indemnisation rejetée
Le Ministère public de Genève a rejeté sèchement sa demande, expliquant que « le lien de causalité entre la procédure pénale et les pertes alléguées n’était pas établi ».
Inoussa Kanazoé n’a pas été plus chanceux lors de son recours auprès de la Cour de justice de Genève. Le 6 mai 2021, la chambre pénale de recours lui a rétorqué qu’il avait pris « des positions risquées sur le marché des changes, à hauteur de 400 millions de dollars sur une ligne de crédit de 40 millions, et a réalisé des profits variables pendant trois ans, alors que les fonds qu’il a initialement transférés sur ledit compte s’élevaient à 20,5 millions d’euros et que sa valeur était, au moment du séquestre, de 27,3 millions de francs ».
« Le séquestre d’une somme, fût-elle importante, n’est pas de nature à produire des gains hautement spéculatifs, réalisés sur des marges dont l’appel demeure incertain et le recourant ne saurait tirer argument des avis qu’il a sollicités pour prétendre au paiement d’un profit moyen sur plusieurs mois alors qu’il est constant que l’activité boursière à laquelle il se livrait est volatile et connaît des performances par nature fluctuantes ».
« Dans ces circonstances, on ne saurait admettre que, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, une fortune serait censée doubler en deux ans et demi ».
Et de conclure : « L’absence de profit dont se plaint le recourant et les charges financières qu’il a été conduit à supporter sont la conséquence des dénonciations faites au Burkina Faso, dans le cadre des relations commerciales opposant des hommes d’affaires locaux auxquels il appartenait et c’est à ce contexte que revient la causalité de cette situation. Le dommage, s’il existe, en est issu […] ».
Le jugement de la Cour de justice de Genève ne mentionnait pas le nom des avocats suisses d’Inoussa Kanazoé, que nous n’avons donc pas pu contacter.
Source : 4Suisse.com
(https://www.4suisse.com/actualite/un-magnat-burkinabe-reclamait-30-millions-dindemnites-a-la-suisse/ )
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