Vie constitutionnelle au Burkina : « Que faire aujourd’hui si le Mogho Naaba, le Dima de Boussouma ou…, décidait d’être candidat à la présidentielle ? », pose Pr Albert Ouédraogo
2 juin 1991 – 2 juin 2021. La Constitution du Burkina a 30 ans. Une vie qu’acteurs civils, politiques et spécialistes des institutions de bonne gouvernance ont, par un dialogue démocratique, explorée ce mercredi 2 juin 2021 à Ouagadougou, sur initiative du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), en collaboration avec l’association Racines et l’ambassade de Suède.
« 30 ans après le renouveau démocratique : comment repenser les institutions à partir de nos valeurs culturelles ? ». C’est autour de ce thème central que les trois panélistes, Pr Albert Ouédraogo, président de l’association Racines pour la promotion et réhabilitation des traditions orales ; Dr Luc Marius Ibriga, enseignant en droit et contrôleur général de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption ; et le juriste et ancien ministre en charge de la Culture, Abdoul Karim Sango, ont planté le décor par des exposés sur des sous-thèmes. A la modération, l’enseignant-chercheur en communication et journalisme, Pr Serge Théophile Balima, membre du Conseil d’administration du CGD.
Dans son intervention, avec en ligne de mire les réalités traditionnelles, l’enseignant de littérature orale africaine, Pr Albert Ouédraogo, a relevé que la Constitution du Burkina, même si elle est écrite par des Burkinabè, a des sources exogènes. Elle est inaccessible par plus de 75% des populations (étant écrite non seulement en Français, mais également dans un français soutenu, qui n’est pas accessible à tous ceux qui sont instruits). Les tentatives de traduction ne sont non plus pas allées loin, observe-t-il, avant d’estimer que cette situation explique comment la Constitution peut être violée sans que cela n’émeuve les populations.
Vue de participants, avec au premier plan, des leaders traditionnels.
Dans son analyse, l’ancien ministre des Enseignements secondaire et supérieur a relevé que des acteurs majeurs manquent à la Constitution de la IVe République. Il relève à titre d’illustration que l’Armée n’y est pas suffisamment prise en compte, alors que c’est la catégorie qui viole la Constitution. « On n’a jamais vu de coup d’Etat civil », affirme-t-il. Un autre acteur ignoré, poursuit-il, ce sont les autorités coutumières et religieuses (qui ont pourtant géré les sociétés avant l’avènement des pouvoirs modernes).
Le président de l’association Racines préconise que l’on intègre donc dans la Constitution, les pouvoirs traditionnels et coutumiers (en tenant compte des ethnies du Burkina). De l’avis d’Albert Ouédraogo, la chefferie est à l’aune de son temps, il faut en faire une institution de la République.
« A trop banaliser la question de la chefferie par rapport à la démocratie, c’est la laisser se frayer elle-même son chemin… », avertit-il, précisant que les chefs exerçaient déjà dans la politique, même si cette politique n’était pas partisane (elle était une politique rassembleuse). « Il urge donc de mettre en place des soupapes qui puissent permettre aux chefs de rester en dehors de la politique », plaide Albert Ouédraogo.
« Les Constitutions (africaines) ne constituent pas une référence »
D’où la nécessité de lui trouver un statut (qui lui confère des avantages et des obligations), pour éviter que la chefferie ne se mêle de la politique partisane. « Que faire aujourd’hui si le Mogho Naaba, le Dima de Boussouma…ou décidait d’être candidat (à la présidentielle, ndlr) », soumet Pr Albert Ouédraogo, précisant ici qu’à ce stade, la loi n’interdit pas à ces chefs de se constituer candidats. « Si on refuse, c’est gâté ; si on accepte, c’est gâté », alerte le panéliste avant de lancer : « Voilà pourquoi nous devons anticiper », avertit-il donc.
Sur tout autre aspect, M. Ouédraogo se demande comment le président du Faso peut, à la fois, être garant de la Constitution et celui-là à qui revient l’initiative de son changement. D’ailleurs, il suggère que le président du Faso jure sur ses ancêtres et valeurs traditionnelles, en lieu et place de la formule en vigueur.
« Pratique constitutionnelle au Burkina, forces et faiblesses ». C’est sous cet angle que Luc Marius Ibriga a fait son exposé, en se posant et en répondant à une série de questions, dont celles de savoir s’il y a un usage respectueux de la Constitution, comment est-elle perçue par les acteurs, est-elle bien protégée au Burkina Faso, etc. ?
Dans son développement, M. Ibriga a fait ressortir que les valeurs véhiculées par les Constitutions en Afrique ne sont pas des valeurs typiquement africaines. Donc, elles ne constituent pas une référence, à même d’emporter l’adhésion du plus grand nombre de citoyens.
De g.à.d : Albert Ouédraogo, Luc Marius Ibriga, Serge Théophile Balima et Abdoul Karim Sango.
Supprimer certaines institutions, opter pour le suffrage universel indirect …
Comme en réponse à une des préoccupations soulevées par son prédécesseur, Luc Marius Ibriga a informé que les chefs traditionnels ont émis la volonté de ne pas être constitutionnalisés (travaux de la nouvelle Constitution en gestation, ndlr), répondant que ce qui est dit dans la Constitution de la IVe République leur suffit, à savoir qu’ils sont des citoyens comme tout autre.
Quant à Abdoul Karim Sango, il est intervenu sur les forces et faiblesses de la démocratie burkinabè, en rappelant que depuis les années 90, le Burkina a, à l’image de beaucoup d’autres pays, adopté la démocratie libérale. Il est ensuite revenu sur les critères d’existence d’une démocratie, avant de revenir sur des acquis en matière de démocratie et des insuffisances de ce régime au Burkina.
Au sortir d’un regard critique sur les 30 ans de démocratie, l’enseignant et homme politique propose que le suffrage universel direct soit remplacé par le suffrage universel indirect (comme cela se fait aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud où le président est élu par le Parlement) ; la limitation du nombre de partis politiques ; l’institutionnalisation de la chefferie traditionnelle. Aussi suggère-t-il la suppression de certaines institutions (Médiateur du Faso, Conseil économique et social) pour les remplacer par une deuxième Chambre (comme a voulu le faire Blaise Compaoré, même s’il l’a voulu, dit-il, à ses propres fins) « pour des analyses plus raffinées ». Il préconise également que les lois aient un ancrage culturel.
Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net