Difficultés d’accès aux crédits agricoles par les femmes : Des chercheurs proposent des pistes de solution, dont un fonds de garantie
« Contraintes de crédit, productivité agricole et bien-être des ménages au Burkina Faso : une perspective-genre ». C’est sous ce thème qu’un groupe de chercheurs ont présenté ce mardi 6 juillet 2021 à Ouagadougou, les résultats d’une étude sur les déterminants des contraintes de crédit au niveau des femmes et l’impact de ces contraintes sur la productivité et les conditions de vie des ménages, notamment ceux dirigés par des femmes.
L’étude a concerné toute l’étendue du territoire, pour une base de données de 10 000 ménages.
Selon Dr Habi Ki, enseignante-chercheur à l’Université de Ouahigouya, membre de l’équipe de chercheurs, l’objectif général est de voir comment l’accès des femmes aux crédits peut améliorer la productivité et, par là, le bien-être de la famille.
L’enseignante-chercheur confie que l’étude a surtout intéressé les femmes chefs de ménage, parce qu’ayant plus de capacité de décision par rapport aux femmes dans le ménage.
Dr Habi Ki
« Quand elle est chef de ménage, c’est elle qui décide ; le crédit a plus d’impact. Mais quand elle est dans le ménage, sous la couple de quelqu’un, l’utilisation de crédit peut être un peu compromise. C’est pourquoi, nous avons aussi proposé qu’elle soit autonomisée dans l’utilisation du crédit. D’où l’idée de l’assurance agricole ; puisque, pour accéder au crédit, il faut que souvent le mari se constitue en garantie. Du coup, elle n’est plus libre », relève-t-elle.
Vue partielle de participants, suivant la présentation
Elle situe sur les catégories autour desquelles s’est articulée l’étude. « Il y a celles-là qui n’ont pas accès aux crédits, parce qu’elles n’en demandent même pas (dans leur tête, elles ne peuvent pas en avoir). D’autres y ont accès tandis qu’il y a une catégorie intermédiaire, c’est-à-dire celles qui ont demandé, mais n’ont pas eu. On a vu que c’est avec cette dernière catégorie qu’il faut miser pour avoir de bons résultats. Si elles ont accès aux crédits, ça pourrait produire de bons résultats, améliorer la productivité. (…). Il faut que le crédit soit utilisé pour ce pour quoi il a été donné. C’est dire donc qu’il faut que les femmes aient aussi une autonomie dans la gestion du crédit. Avec la collaboration des membres du ministère en charge de l’Agriculture, notamment la Direction générale de la promotion de l’économie rurale, on s’est rendu compte qu’il y a des programmes qui sont déjà en œuvre pour accompagner ces femmes-là : la Banque agricole du Faso et le Fonds de développement agricole. On a vu qu’à ce niveau-là aussi, il fallait jouer surtout sur celles qui avaient accès et les accompagner avec une éducation financière ; parce qu’il ne sert pas de donner seulement l’argent, il faut les accompagner dans la gestion du crédit dans la mise en place de leurs projets », explique Habi Ki.
Un autre aspect dont il faut également tenir compte, c’est le détournement de crédit, ajoute-t-elle, rassurant que la simulation donne de bons résultats, donc un impact positif sur la vie des ménages.
Dr Yaya Ky, présentant les résultats de l’étude.
Valoriser les chercheurs et les résultats de leurs travaux
Selon Dr Habi Ki, l’entrave à l’accès des femmes aux crédits s’explique par plusieurs facteurs, dont le manque de la garantie, l’accès à l’information (soit elles n’en ont pas, soit elles n’ont pas l’information juste), l’autonomie dans la décision de prise de crédit.
Le directeur général de la promotion de l’économie rurale, Dr Abdel Aziz Ouédraogo, présidant la cérémonie de présentation des résultats, pense que pour pouvoir lever ces contraintes, il faut effectivement entreprendre des actions (la mise en place d’un Fonds de garantie avec un quota-femme d’environ 60%, la mise en place de l’assurance agricole, l’éducation financière). De son avis, il est important que les décideurs puissent prendre en compte ces éléments.
Le directeur général de la promotion de l’économie rurale.
« Nous félicitons cette équipe de jeunes chercheurs, qui ont eu l’idée d’associer à cet atelier de présentation des résultats, ceux qui sont dans la pratique ; parce qu’effectivement, on a toujours reproché le fait que les résultats de la recherche ne sont pas toujours exploités, valorisés. Mais le fait que ceux qui sont dans la pratique aient été associés à cette restitution est une très bonne chose.
Effectivement, une chose est de faire de la recherche, une autre est de pouvoir effectivement mettre les résultats de la recherche à la disposition des décideurs, mais une autre chose est aussi de pouvoir donner les moyens nécessaires à ceux qui mènent la recherche pour qu’ils puissent effectivement mettre ces résultats à la disposition des décideurs. Il est important que tous ces problèmes soient résolus », exprime Dr Abdel Aziz Ouédraogo, précisant que c’est un sujet majeur et très important pour les décideurs.
A en croire Dr Ouédraogo, au-delà de cette étude, il y a beaucoup d’autres qui sont menées dans le secteur agricole sur plusieurs autres aspects (amélioration des rendements, organisation du monde rural…) et qui sont dans des tiroirs. D’où sa suggestion à l’ensemble des chercheurs de partager les résultats, en collaboration avec le ministère de l’Agriculture, aux fins d’amener les décideurs à mieux les utiliser. Il appelle également les décideurs à valoriser les chercheurs, à les écouter et que les décisions puissent s’aligner sur les résultats des recherches.
Cartographie de la situation
En effet, en 2014, plus de 93% des femmes burkinabè exerçaient dans le secteur agricole, mais seules 5% avaient accès au crédit. « Au Burkina Faso, les ressources sont inégalement réparties entre les travailleurs, et c’est l’agriculteur qui a la plus faible part », expose le responsable de l’équipe de chercheurs, Yaya Ky, pour qui, le secteur agro-sylvo-pastoral, halieutique et faunique emploie plus de 80% de la population active. Le secteur contribue également à hauteur de 27,9% dans la formation du PIB (2020) et à plus de 33,37% aux recettes d’exportation (données 2019 du ministère de l’Agriculture). Malgré l’importance de ce secteur, l’incidence de pauvreté en milieu rural reste très élevée, à 47,5% (Institut national de la statistique et de la démographie, 2015).
Le manque de ressources financières limite l’accès des agriculteurs aux intrants et aux équipements de qualité, et donc leur productivité. Les contraintes d’accès au crédit agricole sont encore plus fortes pour les femmes. En 2014, alors que 93,5% des femmes exerçaient dans le secteur agricole, seulement 5% d’entre elles avaient accès au crédit (données 2014 et 2015), poursuit-il dans l’exposé du rapport.
De g.à d. : Dr Yaya Ky (chef de l’équipe des chercheurs, auteurs de l’étude), le directeur général de la promotion de l’économie rurale et Dr Habi Ki.
La politique sectorielle de production agro-sylvo-pastorale adoptée par le gouvernement en 2018 vise à remédier ce problème en soutenant le développement du secteur. Cette politique ambitionne de porter le taux d’accès au crédit bancaire de 17,4% en 2015 à 35% en 2026, et le taux de couverture des crédits agricoles à plus de 45% en 2026.
En 2018-2020, dans le cadre du projet PEP (Pathnership for economic policy : Partenariat pour la politique économique), une équipe de chercheurs locaux a donc réalisé un projet d’étude collaborative visant à renseigner les initiatives du gouvernement en lien avec cette problématique, et notamment pour appuyer la mise en œuvre de mesures favorisant l’accès des femmes agricoles au crédit bancaire.
Le projet avait deux composantes, à savoir d’une part une étude scientifique pour mesurer l’impact des contraintes d’accès au crédit sur le bien-être et la productivité des ménages agricoles, en fonction des différents niveaux de contraintes de crédit et, d’autre part, une évaluation des avantages et inconvénients des déférentes options de politiques disponibles pour l’action gouvernementale par rapport à l’enjeu de l’accès des femmes au financement agricole.
Il ressort de l’étude que l’option la plus efficace pour promouvoir l’accès des femmes aux crédits agricoles au Burkina serait de mettre en place un fonds de garantie, assorti d’un « quota-genre » de 60% en faveur des femmes et d’un programme d’éducation financière (tel qu’envisagé par les agents du ministère de l’Agriculture). De plus, afin de maximiser l’impact du financement sur le bien-être des ménages bénéficiaires, toute intervention visant l’inclusion financière devrait être orientée de manière à favoriser le financement des femmes agricoles ayant déjà fait une demande de crédit qui a été refusée.
O.L
Lefaso.net