Dr Jacques Somda, chef de programme de l’UICN au Burkina Faso : « L’humanité ne peut se développer en détruisant la nature »
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a tenu le Congrès mondial de la nature du 3 au 11 septembre 2021, à Marseille, en France. Dans cet entretien, le Chef de programme de l’UICN au Burkina Faso, Dr Jacques Somda, revient sur les sujets abordés au cours de cette quadriennale consacrée à la protection de la nature.
Sidwaya (S) : De quoi a-t-il été question au cours du Congrès mondial de la nature, organisé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), du 3 au 11 septembre 2021, à Marseille, en France ?
Dr Jacques Somda (J. S) : Le congrès qui vient de finir s’est intéressé, entre autres, aux thèmes suivants : · Accélérer l’atténuation et l’adaptation pour faire face au changement climatique ; · Conserver l’eau douce pour préserver la vie ; · Gérer les paysages et les territoires pour la nature et les humains ; · Soutenir les droits et assurer la gouvernance efficace et effective ; · Optimiser les systèmes économiques et financiers pour la durabilité ; · Faire progresser le savoir, l’apprentissage, l’innovation et la technologie. Comme vous pouvez le voir, le congrès mondial pour la nature de 2021 met un accent particulier sur les relations entre la nature et l’homme, qui déterminent la voie du développement économique. En d’autres termes, l’humanité ne peut se développer en détruisant la nature, car c’est de la nature que l’humanité tire l’essence de son développement. Par conséquent, le développement durable tant recherché passe nécessairement par la conservation et la valorisation équitable de la nature et des ressources naturelles.
S : Ce congrès a-t-il fait l’état des lieux de la nature, des urgences- climats et de la biodiversité, à l’échelle mondiale ?
J.S. : Le congrès de la nature vient d’établir que l’humanité a atteint un point de bascule. En effet, les urgences du climat et de la biodiversité ne sont pas distinctes l’une de l’autre, mais bien plutôt deux aspects d’une même crise. Des activités humaines insoutenables pour la planète continuent d’aggraver la situation, menaçant non seulement la survie de l’humanité mais aussi la possibilité même d’une vie sur Terre. L’humanité et la nature ne peuvent pas être dissociées. L’humanité fait partie intégrante de la nature et dépend d’elle pour sa vie et ses moyens de subsistance. Il ne faut donc pas que la recherche effrénée de développement économique conduise à des hausses de températures et à des pertes de biodiversité. Si les activités humaines conduisent l’humanité à basculer dans le changement climatique et la perte de la biodiversité, alors l’humanité subira une déséconomie totale avec comme conséquence ultime, la perte de la vie sur terre. En définitive, la « réussite » économique ne saurait plus se faire aux dépens de la nature.
S : Qu’en est-il de la situation de la nature, de la biodiversité en Afrique, au Burkina Faso ?
J.S. : L’Afrique et le Burkina Faso ne font pas des exceptions à la situation de point de bascule atteint à l’échelle mondiale. Alors que l’Afrique et le Burkina Faso sont classés comme des économies sous- développées ou en voie de développement, les tentations sont grandes pour une accélération de la croissance économique à travers l’industrialisation et l’exploitation des ressources minières à outrance. Les participants au congrès mondial de la nature, tout en reconnaissant le droit des populations africaines en général et du Burkina Faso en particulier de disposer de leurs ressources naturelles pour améliorer leur développement économique, attirent leur attention de ne pas répéter les erreurs des pays développés. Il existe aujourd’hui des approches de développement économique qui n’affectent pas négativement la nature. Le Burkina Faso est signataire de la convention pour la diversité biologique, et cela engage toutes les couches de la société. C’est pourquoi, les participants au congrès dans le manifeste qui a été adopté par acclamation appellent à mettre fin à la perte de la biodiversité en s’engageant en faveur d’un cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020 qui soit transformateur, efficace et ambitieux. A travers ce manifeste, le congrès appelle les gouvernements, le secteur privé, les Organisations non gouvernementales (ONG), les organisations des Peuples autochtones et les organismes communautaires à prendre des mesures qui réduisent radicalement les causes de la perte de biodiversité et poussent au changement transformatif dans tous les secteurs.
S : Le Burkina Faso était présent à ce congrès, quel message a-t-il livré au reste du monde ?
J.S. : Le Burkina Faso a pris une part active au congrès mondial de la nature. En plus des Membres de l’UICN, le Burkina Faso a été représenté par son ministre de l’Environnement, de l’Économie Verte et du Changement climatique, M. Siméon Sawadogo. Le ministre Sawadogo a participé, entre autres, à un dialogue de haut niveau sur le thème « Lutte contre le changement climatique, la dégradation des sols et le développement humain dans la Grande Muraille verte ». Dans son message, le ministre a souligné l’intérêt et l’urgence d’investir dans les zones arides et subsahariennes. Il a insisté sur la nécessité de plus d’engagement politique, d’allocation adéquate des ressources au niveau national et international, de la participation inclusive des communautés locales et du secteur privé et la coordination intersectorielle efficace. Il a invité tous les acteurs à aller résolument à l’action en vue d’accélérer la mise à l’échelle des bonnes pratiques de gestion durable des terres dans la Grande Muraille Verte.
S : Quelles sont les grandes conclusions de ce congrès mondial de la nature de l’UICN ?
J. S : Le Congrès de l’UICN s’est concentré sur trois thèmes principaux : le cadre de conservation de la biodiversité post 2020, à adopter par les parties à la Convention des Nations unies sur la biodiversité ; le rôle de la nature dans la reprise mondiale après la pandémie de COVID-19 ; et la nécessité de transformer le système financier mondial et les investissements directs en projets qui profitent à la nature. En conclusion, le Congrès de l’UICN a exhorté les gouvernements à mettre en œuvre une récupération fondée sur la nature après la pandémie de COVID-19, en investissant au moins 10 % des fonds mondiaux de récupération dans la nature, et a adopté une série de résolutions et d’engagements pour faire face d’urgence aux crises liées au climat et à la biodiversité.
S : Des engagements ont-ils été pris à l’issue de cette rencontre mondiale ?
J. S : De nombreux engagements ont été pris au Congrès mondial de la nature de 2021. En plus des résolutions qui ont été votées pour interpeller les différents acteurs sur leurs rôles respectifs en matière de conservation de la nature, un manifeste a été adopté par acclamation des délégués présents au congrès. En effet, le Congrès de l’UICN a reconnu que nous avons une nature, un futur et s’est engagé, entre autres, à : · Respecter et tirer parti des perspectives et des capacités d’agir de tous les citoyens. Il s’agit d’inclure toutes les parties prenantes et en particulier la population locale et marginalisée dans la conservation de la nature afin de préserver leurs droits aux ressources naturelles et de promouvoir des investissements en faveur de la nature ; · Mettre fin à la perte de la biodiversité en s’engageant en faveur d’un cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020 qui soit transformateur, efficace et ambitieux. Il s’agit, dans cet engagement, de travailler à une meilleure connaissance des écosystèmes transformés et à une mobilisation accrue des partenariats ; · Faire face aux risques et impacts de l’urgence climatique. Il s’agit de réduire de façon urgente les émissions des gaz à effet de serre et d’optimiser la réponse mondiale en faisant en sorte que tous agissent et que tous soient en mesure d’agir contre le changement climatique.
S : Le congrès a appelé les Etats à mener des réformes systémiques. De quelles réformes s’agit-il ?
J.S. : Les réformes systémiques dont parle le Congrès concernent aussi bien les systèmes économiques que les systèmes de gestion de la nature. En effet, jusqu’à récemment, ces deux systèmes ont été considérés de façon isolée, laissant croire qu’on ne peut pas faire du développement économique sans détruire la nature. Or les expériences montrent aussi que faire du développement économique au détriment de la nature, c’est détruire le système économique lui-même, puisque la destruction de la nature aura un retour dans le système économique. Il faudra donc réformer les systèmes de façon intégrée si l’objectif est d’atteindre un développement durable. Le congrès appelle donc les Etats à œuvrer pour une transition vers une économie respectueuse de la nature. Et cela est possible, en modifiant les pratiques économiques, que ce soit dans la production ou la consommation des produits. Il faut également faire en sorte que la gestion de la nature génère le développement économique et cela est possible à travers la promotion des emplois verts.
S : L’impact de la pandémie de la COVID-19 sur la biodiversité et le climat et les mesures pour y faire face ont-ils été abordés au cours de ce Congrès mondial de la nature ?
J.S. : L’impact de la pandémie de la COVID-19 n’a pas été un thème particulier du congrès. Mais, il est évident que cela a impacté d’abord l’organisation et la participation au congrès. Certains acteurs principaux n’ont certainement pas pu faire le déplacement de Marseille à cause des restrictions sanitaires imposées par la pandémie. Cela a certainement réduit l’accès aux connaissances, technologies et expériences en matière de conservation de la nature. Sur le terrain, la COVID-19 a également réduit les revenus tirés de la conservation de la nature en limitant le nombre de touristes dans les zones à haute valeur de biodiversité. Dans ces zones qui ont été désertées du fait de la COVID-19, des agents de conservation de la nature ont perdu leurs emplois.
S : Peut-on dire que le congrès a atteint ses objectifs ?
J.S. : Le congrès a atteint ses objectifs malgré la situation imposée par la pandémie de la COVID-19. Ainsi, nous avons enregistrés 9 200 participants dont 3 500 participants en ligne. Toutes les activités inscrites au Forum et à l’Assemblée générale des membres ont été exécutées de façon efficace et efficiente, que ce soit en présentielle ou en ligne. En termes de résultats, l’Union a élu un nouveau bureau qui sera présidé par M. Razan Al Mubarak. Plus de 1 500 membres de l’UICN ont adopté 148 résolutions et recommandations qui seront mises en œuvre au cours du programme quadriennal 2021-2024, également adopté.
S : Quels sont les grands chantiers de l’UICN à l’horizon 2030 ?
J. S : Les grands chantiers de l’UICN à l’horizon 2030 sont consignés dans son programme quadriennal dénommé « Nature 2030 ». Ce programme a été élaboré sur la base du consensus scientifique croissant qui indique que la nature est essentielle à l’existence humaine et à une bonne qualité de vie. Il renforce la vision de l’Union qui est « un monde juste qui valorise et conserve la nature ». Il est structuré autour de cinq domaines de résultats à savoir : l’humanité, les terres, l’eau, l’océan et le climat.
S : Au niveau national, quels sont les défis que l’UICN compte relever ?
J.S. : Au niveau du Burkina Faso, l’UICN se déploiera sur quatre des cinq domaines. Ainsi, l’UICN contribuera aux politiques et stratégies nationales en lien avec le changement climatique, la gestion durable des terres, la gestion intégrée des ressources en eau et la gouvernance effective et efficace de la nature et des ressources naturelles. Pour relever ces défis, l’UICN renforcera sa collaboration avec les autorités centrales, décentralisées, la société civile, le secteur privé, les populations locales et les partenaires technique et financiers du Burkina Faso. Et ceci conformément aux résultats du congrès mondial de la nature qui vient de prendre fin à Marseille, France.
Interview réalisée par Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com
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