Dans les villes de Bobo-Dioulasso et de Banfora, certains hommes et femmes s’illustrent dans la transformation et la commercialisation de la peau de bœuf. Cette activité exercée non sans difficultés, est devenue la principale source de revenus pour ces acteurs. Immersion dans l’univers du business de la peau de bœuf qui nourrit des centaines de familles dans la cité du Paysan noir et la ville de Sya.
Dimanche 29 août 2021. Il est presque 12 heures. Un groupe de personnes, majoritairement des femmes, assis sous un hangar entre de grands feux de bois à l’entrée d’une cour d’habitation au secteur 3 de Banfora, larmoyant par moment sous l’effet de la grande fumée, s’attellent à griller la peau de bœuf. « Cela fait une quarantaine d’années que ces femmes et hommes s’adonnent à cette activité de transformation de peaux de bœufs », lâche Ibrahim Traoré, notre guide, le regard tourné vers ceux-là qui ont fait de ce travail, leur gagne-pain depuis des lustres.
A quelques encablures du premier site, Yaya Traoré, petit-fils de celle-là qui a été la pionnière dans l’exportation de la peau de bœuf du Burkina Faso vers la Côte d’Ivoire, selon les confidences de notre guide, se donne à la même activité avec l’aide d’une dame qu’il a embauchée. Sur le troisième site, aussi important que le premier, mais un peu excentré du quartier, Ibrahim Traoré laisse entendre que des déplacées internes de la cité du Paysan noir y venaient épauler les tenanciers des lieux moyennant un salaire journalier. « Mais elles n’ont pas pu tenir pendant longtemps parce que le travail était dur pour elles », confie un jeune d’une vingtaine d’années ayant requis l’anonymat et se refusant à tout autre commentaire en l’absence du maître des lieux. Au secteur 8 de Banfora, quartier Dianabamba, Djata Ouattara, veuve, s’investit depuis une dizaine d’années dans l’activité pour subvenir aux besoins de sa famille. « Nous mouillons la peau sèche pendant au moins une nuit. Ensuite, nous la passons à feu doux après l’avoir découpée en petits morceaux. L’étape suivante consiste à passer ces petits morceaux sur des braises en prenant le soin de bien les étaler à l’aide des morceaux de bois », détaille Mariam Tou. Elle poursuit que les poils sont par la suite grattés et les morceaux lavés et conditionnés dans des sacs de 100 kilogrammes avant d’être exportés en Côte d’Ivoire.
L’intégration de la peau par contrainte
Dans sa tenue d’écolier, bâton en main, Dramane Sory donne un coup de main à sa génitrice pendant les vacances.
La sexagénaire Yolé Sory, l’une des pionnières de la transformation de la peau de bœuf à Banfora dit avoir hérité cette activité de sa belle-mère dans les années 1980. « Au début, c’était uniquement les pattes et les têtes que nous travaillions pour la consommation en famille avant de passer à la commercialisation avec les passagers de la gare ferroviaire », conte-t-elle les débuts de cette activité qui a pris de l’ampleur au fil des années. La sexagénaire poursuit que leur fournisseur a refusé, à un moment donné, de leur livrer les pattes et les têtes des bêtes sans la peau ; ce qui les a contraints à joindre la peau aux pattes et aux têtes. Des pattes et des têtes, Yolé Sory et sa belle-mère ont donc joint, par la force des choses, l’activité de la peau. Les promotrices de la transformation de la peau dans la cité du Paysan noir ne savaient pas quoi en faire jusqu’à ce qu’une sœur de sa belle-mère, qui faisait le commerce de fruits et légumes entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, leur propose d’essayer ce trafic, selon dame Sory. « Au début, on prenait la peau parce que le fournisseur l’exigeait, mais on la jetait après. Un jour, la sœur de ma belle-mère, ayant constaté que l’on jetait la peau, nous a proposé de la tanner et lui remettre pour l’exportation en Côte d’Ivoire. Ce que nous avons accepté. La première livraison d’un sac a été en putréfaction parce qu’il n’y avait pas de preneur. Mais sous l’insistance et la persévérance de la sœur, nous n’avons pas baissé les bras jusqu’à ce qu’on ait des clients », explique la sexagénaire, soulignant que les débuts n’ont pas du tout été faciles. C’est en 2005 que Larissa Ouédraogo, au secteur 33 de Bobo-Dioulasso, a débuté l’activité de transformation de la peau de bœuf. D’une peau par jour, qu’elle avait du mal à écouler, dame Ouédraogo et sa centaine d’employés en grillent désormais des centaines quotidiennement, dans un espace vide en face de son domicile.
Le sac de 100 kg vendu
entre 150 000 et 200 000 F CFA
Des sacs de 100 kilogrammes pour la Côte d’Ivoire.
Cette activité partie du néant est devenue la principale source de revenus de nombreux Bobolais et Banforalais de nos jours. En effet et à titre d’exemple, Dramane Sory, élève en classe de 1re D, soutient sa mère, Yolé Sory, dans le travail de la peau de bœuf depuis le bas-âge. Pendant les vacances scolaires, il s’occupe avec cette activité, afin de contribuer aux frais de sa scolarité et avoir son argent de poche. Avec la transformation et la vente de la peau de bœuf, Mariam Tou confie prendre en charge sa famille même si elle refuse de dévoiler son gain mensuel moyen. « Le sac de 100 kilogrammes est livré du côté de la lagune Ebrié entre 150 000 et 200 000 F CFA », laisse-t-elle entendre, ajoutant qu’elle peut se procurer une vingtaine de sacs, le mois, en fonction de la disponibilité de la matière première. Au regard de l’importance et des avantages de la transformation de la peau de bœuf, de nombreux acteurs, selon Mariam Tou, s’y sont lancés dans la ville de Banfora.
L’impact des crises sanitaire et sécuritaire
« Ayant constaté que nous parvenions à gagner notre pain quotidien dans l’activité, de nombreux acteurs s’y sont invités », a soutenu Dame Tou. « Au début, nous nous procurions la peau à moins de 1 000 F CFA. Mais l’engouement et le nombre grandissant des acteurs ont fait monter les enchères. La peau est actuellement acquise entre 5 000 et 6 000 F CFA. Même à ce prix, le produit se fait rare », témoigne Yolé Sory. Aux premiers moments, Mme Sory s’approvisionnait à l’abattoir de Banfora. « Lorsque l’activité s’est développée, nous avons étendu nos sites d’approvisionnement jusque dans les villages environnants, dans les autres régions telles que le Sahel, le Centre-Nord, le Nord et même dans les pays voisins comme le Mali et le Niger », note-t-elle. L’approvisionnement dans les régions du Sahel et du Centre-Nord, du Nord, au Mali et au Niger est freiné par les crises sanitaire et sécuritaire au point que les acteurs n’arrivent pas à se procurer les quantités souhaitées, aux dires de Mariam Tou. Outre le problème d’accessibilité et de surenchère de la matière première, cette activité se mène dans des conditions d’hygiène et d’assainissement peu recommandées.
« Cette activité est salissante. L’eau que nous utilisons pour mouiller les peaux dégage des odeurs, gênant ainsi les voisinages vu qu’elle est menée au centre du quartier », a reconnu Mariam Tou. Des propos corroborés par le responsable de la promotion de la santé au district sanitaire de Banfora, Stéphane Mossé. « L’activité de transformation de la peau de bœuf n’est pas du tout encadrée. Les conditions d’hygiène alimentaire ne sont pas respectées par les acteurs. L’environnement n’est pas adapté à l’activité en plus du fait que ces hommes et femmes sont exposés aux flammes et à la fumée ; des facteurs nuisibles à la santé », indique M. Mossé. Pour pallier cette question d’hygiène et d’assainissement, les acteurs ont émis le vœu d’avoir un site loin de la ville et des équipements adaptés afin d’éviter d’importuner les voisinages avec les odeurs nauséabondes des eaux usées. « Nous avons été interpelés à plusieurs reprises par les services communaux à la suite des plaintes des voisinages qui sont souvent dérangés par les odeurs. Mais n’ayant pas un site approprié, nous n’avons pas le choix, vu que cette activité est notre principale source de revenus depuis des années », se désole Mariam Tou qui sollicite auprès des autorités communales, un site où ils pourront exercer leur activité sans « déranger personne ».
Des sites adaptés pour le travail de la peau
Le cri du cœur des travailleurs de la peau de bœuf a eu un écho favorable. « Nous sommes bien au courant de cette activité menée depuis des années dans notre ville. Il est donc de notre devoir d’accompagner ses acteurs pour leur épanouissement. Pour le moment, nous avons trouvé un site provisoire pour les caser. Il reste à déterminer les conditions de leur installation et les autres aménagements afin qu’ils ne soient pas dans les quartiers et éviter certaines nuisances », a confié le maire de la commune de Banfora, Aboubacar Héma.
Conscients des conditions peu hygiéniques de leur activité, les acteurs de la transformation de la peau à Banfora, à l’image de Mariam Tou, ont sollicité et obtenu un site bien approprié.
Il renchérit qu’il est même intervenu auprès d’une structure de microfinance qui a financé une des associations de transformation de la peau de bœuf. Le bémol, selon le bourgmestre de la cité du Paysan noir, c’est que certains acteurs ne sont pas disposés à rejoindre ce site provisoire préférant rester devant leurs domiciles. Mais des pourparlers sont engagés, selon le maire, avec les commerçants de petits ruminants déjà installés sur ce site provisoire pour dégager de l’espace pour les acteurs de la peau. « Ceux qui ne pourront pas avoir de la place sur le site provisoire seront installés sur le site du nouvel abattoir », rassure M. Héma. Le problème de financement et d’accès aux crédits sont les autres difficultés des acteurs de la transformation de la peau de bœuf. « L’activité requiert que l’on ait des moyens financiers afin de nous ravitailler en matière première. Malheureusement, nous n’avons pas assez de fonds. Nous lançons ainsi un appel aux bonnes volontés à nous assister afin que nous puissions mieux développer cette filière peau », lance Yolé Sory.
Kamélé FAYAMA
L’article Transformation de la peau de bœufs : une activité lucrative à encadrer est apparu en premier sur Quotidien Sidwaya.
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