[Tribune] – Collectif pour le renouveau africain : « À quoi servent les sommets France-Afrique ? »
Sommet Afrique-France du 8 octobre 2021 à Montpellier en France : le Collectif pour le renouveau africain (CORA), mène la réflexion sur sa lutte anti-impérialiste.
Le CORA qui réunit plus de cent universitaires, spécialistes des sciences sociales et naturelles, historiens, écrivains, médecins du continent et de sa diaspora, organise des rencontres d’échange et de partage dans le cadre du sommet Afrique-France du 8 octobre 2021 à Montpellier sur le devenir du continent, de son rapport avec le monde, particulièrement la France.
Le Collectif pour le Renouveau Africain (CORA), en initiant ce projet, réitère sa détermination à aller jusqu’au bout de ses objectifs majeurs : être un collectif d’intellectuels panafricains reflétant la diversité régionale et linguistique du continent et de sa diaspora et ouvert à un large éventail de ressources humaines et de pratiques épistémiques ; favoriser une culture de solidarité, d’échanges constructifs et de participation active au service des populations africaines ; produire des recherches de qualité, en recommander les résultats le plus largement possible aux décideurs politiques, aux institutions nationales et régionales, aux organisations internationales, à la société civile et aux médias, et soutenir leur mise en œuvre ; agir en tant que sentinelle par rapport à la situation actuelle du continent africain et de ses institutions, en mettant à disposition des idées et des connaissances spécialisées en faveur d’un changement qualitatif dans la vie des Africains.
À quoi servent les sommets France-Afrique ? Cette question provocatrice avait été soulevée par Thomas Sankara lors du Sommet de Vittel en octobre 1983. Devant une presse française sur la défensive, le chef d’État et leader révolutionnaire burkinabè avouait ne pas avoir de réponse satisfaisante tant il était évident, selon lui, que ce type de rencontre n’était pas le cadre le plus approprié pour parler des problèmes africains. Malgré les critiques de Sankara, les chefs d’État francophones, rejoints progressivement par leurs homologues du reste du continent, continuent de sacrifier à ce rituel, rebaptisé sommet « Afrique-France », sans doute pour conjurer les représentations ordinairement peu flatteuses associées à la « Françafrique ».
En lieu et place d’une politique étrangère classique, la France a longtemps mobilisé le registre des injonctions dans son ancien empire. À commencer par la Conférence de Brazzaville (1944) qui avait été tenue sans la présence d’Africains alors qu’elle était censée discuter de l’avenir de l’Afrique dite française. Depuis, pour l’Afrique francophone, la France demeure le pays privilégié où se discutent la démocratie (La Baule 1990), les questions sur la sécurité (Sommet de Pau du 13 janvier 2020), le financement du développement (Sommet de Paris sur le financement des économies africaines de mai 2021), etc. D’ailleurs, presque toutes les résolutions de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur l’Afrique francophone sont ou influencées ou parrainées par la France.’’
Ces relations asymétriques sont de moins en moins tolérées par les populations africaines comme l’ont démontré les attaques contre les intérêts économiques français lors du soulèvement populaire de mars 2021 au Sénégal, et la contestation populaire de la présence militaire française au Mali. En marge de ce que les officiels français et médias mainstream qualifient tendancieusement de « sentiment antifrançais », Paris subit, dans son « pré carré » africain, la concurrence économique de la Chine, mais également la rivalité militaro-diplomatique d’autres puissances comme la Russie, notamment en République centrafricaine, ou la Turquie. Ce contexte suscite, côté français, un sentiment de perte de contrôle ainsi qu’une certaine anxiété au sujet de l’avenir du continent.
Le fait est que les dispositifs traditionnels de maintien de l’hégémonie impériale ont aussi montré leurs limites. Les interventions militaires dont la principale, Barkhane, ne peuvent être gagnées : en plus d’être ruineuses, elles deviennent de moins en moins populaires auprès des opinions publiques africaines. C’est sans doute de cette manière qu’il faudrait lire la « fin » — en fait la réorganisation — de la force Barkhane au Mali. De même, le fossé se creuse de plus en plus entre une minorité dirigeante soutenue par Paris et les aspirations de leurs peuples.’’
C’est au regard à la fois des nouveaux défis auxquels la France fait face sur le continent africain et de l’inadaptation de ses méthodes d’intervention traditionnelles qu’il faut lire les improvisations de l’actuel gouvernement français, et notamment l’élargissement de son cercle d’alliances à la « société civile ».
Dire que la politique africaine de l’actuel gouvernement français garde ses vieux lambris dorés est un truisme. Il suffit de penser par exemple à la succession dynastique et militaire que Macron a adoubée avec le récent coup d’État au Tchad. La politique africaine de Macron arbore toutefois un cachet spécifique que l’Institut Montaigne, un think tank marqué à droite, désigne, dans un rapport daté de septembre 2017, par le vocable anglais de restart.
Sur le plan formel et rhétorique, le restart consisterait pour Paris à abandonner ses inhibitions en adoptant un discours qui « lève les tabous » ainsi qu’une stratégie plus « franche ». Ce souci de redorer l’image de la France en Afrique explique quelques récentes ouvertures « symboliques » : le projet de restitution de certains biens culturels, la reconnaissance à mots couverts de la responsabilité de la France durant le génocide des Tutsi du Rwanda, la « facilitation » de l’ouverture des archives coloniales en Algérie et celles relatives à l’assassinat de Thomas Sankara, etc.
Sur le fond, le restart fait le pari d’un « afro-réalisme » dont les entrepreneurs et start-ups français seraient les fers de lance : « [Le] discours de restart doit libérer les énergies et favoriser l’accès des entreprises françaises aux marchés africains », souligne l’Institut Montaigne. Parallèlement aux soutiens politiques traditionnels, l’influence économique acquiert une importance renouvelée. C’est là sans doute l’une des motivations ayant présidé à la mise en place du Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) en 2017, une structure consultative composée de personnalités principalement issues du monde des affaires.’’
Le sommet Afrique-France de Montpellier va formellement consacrer l’alliance entre le régime de Macron et une certaine « société civile » africaine taillée sur mesure pour donner l’illusion qu’il serait à l’écoute des populations africaines et de leurs intellectuels. Face à l’illégitimité des dirigeants d’Afrique francophone, traditionnels alliés de la France, il a pu sembler astucieux d’ériger une « société civile » néo-impériale ayant vocation à servir de bouclier face au « sentiment antifrançais » en progrès sur le continent et aussi à valider, par omission ou par conviction, des options économiques néolibérales comme solutions aux problèmes africains.
Le profil de l’intellectuel africain « fréquentable » pour l’Élysée et le Quai d’Orsay concerne d’une part ceux qui n’ont pas d’objections manifestes vis-à-vis du déploiement de la logique néolibérale à l’échelle du continent. Il inclut d’autre part ceux qui, comme Achille Mbembe, distinguent leur démarche de l’anti-impérialisme et, même, n’hésitent pas à proposer que la France organise une « grande transition » destinée à installer la démocratie en Afrique centrale. Œuvrer nolens volens à effacer voire à aseptiser la tradition intellectuelle critique africaine nourrie aux deux mamelles du panafricanisme et de l’anticapitalisme est une formule qui a souvent fait florès pour les intellectuels africains en quête de notoriété en Occident….
Au-delà des faux-semblants de Montpellier, la bonne nouvelle est que la lutte pour une « seconde indépendance » est portée sur le plan intellectuel par des initiatives panafricanistes comme le Rapport Alternatif sur l’Afrique (RASA) et le Collectif pour le Renouveau Africain (CORA). Publiée en mai 2021, la première édition du RASA a pour titre Les souverainetés des sociétés africaines face à la mondialisation. Lancé en avril 2021, CORA rassemble une centaine d’intellectuels de toutes disciplines, des arts aux sciences exactes. Comme le souligne son Manifeste, il œuvre, dans le respect de la diversité linguistique, à « l’émergence d’une Afrique véritablement indépendante et souveraine avec comme horizon l’éclosion d’une authentique éthique humaniste marquée du sceau de la solidarité universelle. » Comme le soutenait Frantz Fanon, la responsabilité de l’intellectuel africain doit se comprendre comme une responsabilité tournée vers la libération du continent.’’
‘’….En vérité, il y a quelque chose de déstabilisant dans la facilité avec laquelle les chefs d’État du « pré carré » revêtent le boubou de laquais de la France ou de pions qu’elle déplace quasi distraitement sur l’échiquier de sa politique étrangère. Pas un seul n’a eu un sursaut d’orgueil et contesté à Emmanuel Macron le droit de modifier seul et à sa guise un rendez-vous figurant en bonne place dans le calendrier international.
En fait, leur mise à l’écart est une sanction politique : suspectés d’encourager en sous-main les ennemis de la France, ils ne méritent même plus qu’on leur parle. Mais voilà : ces chefs d’Etats africains ont beau être ce qu’ils sont, nous avons beau les détester, le fait est que nous nous sentons humiliés de les voir ainsi piétinés. Le traitement dégradant qui leur est infligé, au vu et au su de tous, ne peut que raviver une négrophobie – mais peut-être devrait-on parler d’afrophobie – qui a tendance à devenir presque universelle. Cela dit, ne ressemblons-nous pas, nous autres intellectuels africains, bien plus que nous voulons l’admettre à nos présidents ?
Si le sommet de Montpellier nous embarrasse tant, c’est aussi parce qu’il nous met brutalement en face de cette cruelle vérité. Que Macron ait cru pouvoir décider tout seul du jour, du lieu, des modalités et des acteurs de la joute verbale à venir est la preuve qu’il tient pour quantité négligeable des intellectuels africains francophones qui ne lui ont jamais fait ombrage. C’est Achille Mbembe lui-même qui rapporte avec une surprenante candeur cette audience à l’Élysée au cours de laquelle son illustre hôte se fait presque suppliant : « On ne me met pas assez la pression ! Mettez-moi la pression ! » En somme, c’est le maître qui se plaint que l’esclave ne râle pas assez…
… Beaucoup refusent de se laisser impressionner par ces décisions, y subodorant de vulgaires manœuvres de diversion. Ils ont sans doute raison de soutenir que c’est le moins que Macron pouvait faire. Mais il l’a fait. Au-delà du contexte général et des probables motivations politiciennes du futur candidat à sa propre succession, personne ne peut lui dénier la paternité de gestes assez forts en eux-mêmes. Le petit bémol, c’est qu’on aura tout de même relevé qu’aucun de ces dossiers ne porte sur les questions brûlantes de l’heure. Rwanda. Algérie. Patrimoine africain ancien. Cela signifie qu’il ne s’agit nullement pour Paris de lâcher prise aujourd’hui et maintenant mais d’exorciser les fantômes de son passé colonial et de son présent néocolonial…’’
Le CORA
L’article [Tribune] – Collectif pour le renouveau africain : « À quoi servent les sommets France-Afrique ? » est apparu en premier sur Faso7.