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Pauvre riche !

Mon voisin est en train de mourir. Non, ce n’est pas celui d’en face, l’autre ; celui du duplex du pan coupé. Le plus nanti du quartier. En fait, depuis deux ans, il trimballe son mal et visiblement, sa destination finale est à portée de main. Il a même été évacué chez ceux qui ont des hôpitaux dignes de ce nom.

Quand il est rentré, il ne ressemblait à rien. Il n’était plus rien, malgré sa fortune intarissable. Il est devenu comme un brin d’allumette ; son regard de fauve dompté donne des cauchemars aux âmes sensibles ; de sa bedaine têtue, il ne reste plus qu’une piètre carcasse et un ventre creux momifié par la souffrance. Quand il marche, il dandine comme une funambule en perte de vitesse.

Il ne ressemble plus à personne. Il n’est à l’image de rien. Même sa propre ombre l’a fui. Les gens racontent qu’il ne tient plus qu’à un fil. C’est triste de connaître quelqu’un qui mordait la vie à pleines dents, s’achever de la sorte. C’est pathétique de voir un homme de sa trempe s’user à petit feu, sans pouvoir s’éteindre. De l’indigénat à la médecine moderne en passant par les faiseurs de miracles, il a fait le tour de la terre.

Les langues fourchues disent qu’il a été touché par un missile cabalistique. Les hommes de Dieu y voient la main du diable. Les sondeurs de mystères sont fermes : l’homme est un loup pour l’homme. Il y en a même qui se sont enrichis sur sa maladie et souhaitent qu’il vivote encore deux jours. En fait, ce voisin n’est pas comme les autres. Il ne s’intéresse à rien ni à personne dans le quartier.

Il vit tranquillement dans sa villa luxueuse avec sa femme et ses trois enfants. Il ne va jamais à un mariage dans le quartier. Il ne prend jamais part à un baptême. Il n’a jamais rendu visite à un voisin malade. Même en cas de décès, il baisse juste sa vitre teintée pour tendre un billet de 5000 F CFA aux pauvres mortels. On ne peut pas compter sur lui. Il ne compte sur personne. Seuls les riches de sa carrure le côtoient.

Il a creusé un forage devant sa porte pour laver ses voitures, arroser ses fleurs et la voie poussiéreuse qui passe devant sa cour. Pendant la saison des coupures d’eau, il chasse les femmes assoiffées qui viennent quémander quelques seaux d’eau. Pendant les délestages, il a menacé de « buter » le fils de Patarbtaalé qui ne faisait qu’apprendre ses leçons à la lueur de ses lampes solaires. L’autre nuit, il a refusé de donner un coup de main à une malade du voisinage.

Le mari de la pauvre l’avait supplié en vain. Le riche homme avait simplement rétorqué que sa V8 n’était pas une ambulance. Avant que l’ambulance du peuple ne hâtât le pas lentement pour arriver, la malade passa l’arme à gauche. Il y a des gens qui vivent en société comme on vit sur une île solitaire. Il y a beaucoup de riches qui pensent que la vie se résume aux liasses et qu’il suffit d’en brandir pour tout avoir. Ces riches sont parfois plus pauvres que le démuni qui tend la main.

On ne peut pas vivre en autarcie en société et être quelqu’un. On ne peut pas vivre avec les autres et fermer son cœur. On ne vit jamais que pour soi. Très souvent, la main qui donne reçoit plus que celle qui reçoit. Le respect que l’on voue aux autres n’est que celui que l’on attend des autres. Le bien que nous faisons aujourd’hui nous reviendra en bien demain.

Chaque acte est un placement à court ou à long terme. Malheureusement, l’argent a fait de nous des esclaves et des ignorants. Ceux qui s’entêtent à penser que l’argent fait le bonheur doivent se raviser. L’argent fait le bonheur si et seulement s’il participe à rendre service aux autres. Il fait le bonheur s’il est sensible aux besoins pressants de l’infortuné qui se lamente.

Il fait le bonheur si celui qui le détient ne vit pas que pour lui seul. Mon voisin est toujours couché ; il est en train de mourir sur une paillasse de liasses. Malheureusement, même sa fortune n’est pas opportune. Les jeunes du quartier lui ont dit de tout faire pour ne pas mourir sinon, il ne sera pas enterré de leurs mains. En attendant, les services de pompes funèbres se bousculent pour avoir le marché de la tombe. Mais si c’est sur terre que l’inhumation aura lieu, il faut craindre que cette même terre n’ait du mal à digérer l’encombrant colis.

Clément ZONGO

clmenzongo@yahoo.fr

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