Lutte contre le terrorisme au Burkina: L’appel des présidents Jean-Baptiste Ouédraogo et Michel Kafando
Pour venir à bout du terrorisme et réussir la réconciliation nationale au Burkina Faso, les anciens chefs d’État, Jean-Baptiste Ouédraogo et Michel Kafando invitent, entre autres, dans cet écrit, les Burkinabè « à se mettre au-dessus de leurs divergences politiques et idéologiques, à transcender leurs polémiques stériles, improductives, infécondes, inefficaces, démobilisatrices et démoralisantes, à bannir leurs empoignades inutiles et partisanes, bref, à abandonner tout ce qui pourrait fragiliser toute réponse efficace à apporter à cette menace pesante ».
En raison de la situation dramatique que traverse notre pays, de nombreux sujets d’intérêts divers, s’invitent dans le débat public. Parmi ceux-ci, la thématique de la réconciliation s’impose comme un leitmotiv majeur, attribuant à ce terme une connotation magique.
Si cette perception fait de la locution « réconciliation nationale » l’expression la plus usitée dans le débat actuel, l’objectivité commande que ce terme reste, dans le contexte courant, juste un vocable chargé d’espoirs. Il doit être, ainsi que nous l’espérons, ce tremplin indéniable du processus qui assurera résilience et survie à notre communauté nationale. Cependant, il ne peut l’être qu’à la condition que cette réconciliation soit mise en œuvre pour la cause que nous défendons, à savoir, préserver l’intégrité de notre territoire et promouvoir le développement de notre nation. Dans cette optique et dans le contexte qui prévaut, on doit considérer la réconciliation non pas comme une option, mais comme un cap décisif, comme un seuil significatif.
Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les vicissitudes qu’a connues le Burkina Faso, anciennement Haute Volta. L’histoire de notre pays, malgré les indéniables efforts de construction déployés, a été négativement marquée au triple plan physique, politique et social.
– Physiquement, son territoire a été démantelé avant d’être rétabli, en 1947, dans ses frontières de 1919, grâce à l’action de patriotes dont la mémoire collective semble ignorer qu’ils ont existé ;
– politiquement, il a connu et souffre encore des stigmates indélébiles des clivages politiques rythmés par les différents régimes qui se sont succédé ;
– sur le plan social et économique, le Burkina Faso figure toujours parmi les pays pauvres et endettés.
En somme, notre pays continue de vivre sous la pesanteur des différents chocs qui l’ont progressivement conduit à une situation qui a fini par dégénérer en crises multiformes : violences, incivismes, insécurité etc., lesquels sont désormais aggravés par la pandémie de la covid-19 et plus tragiquement par la crise sécuritaire.
Nous constatons, nous qui sommes octogénaires aujourd’hui, qu’il n’est question de réconciliation nationale que depuis si peu de temps. En effet jusqu’en 1999 la question ne s’était jamais véritablement posée.
Notre pays a été secoué par les soubresauts de deux guerres inutiles et infondées, et a connu de nombreux changements de régimes dominés par les putschs militaires successifs sans qu’il fût question de réconciliation nationale.
Nous avons connu la Révolution dont les idéaux n’étaient pas partagés par tous, mais cela n’a jamais appelé à une réconciliation nationale.
Après la Révolution, nous avons vécu la Rectification dont les visions n’ont finalement pas débouché sur une démocratie irréprochable. Le régime de la 4ème République qui en est issu, a révélé aussi des tares. Nous n’en voulons pour preuve que les troubles survenus après l’assassinat de Norbert Zongo et de ses co-suppliciés le 13 décembre 1998.
La sourde lutte pour l’alternance politique qui s’en est suivi, s’intensifiera et s’amplifiera jusqu’à induire, en fin de compte, l’insurrection populaire des 30 et 31 octobres 2014 dont les suites sont connues.
Mais de toutes ces situations regrettables, quelle leçon avons-nous tirée ? Que retenons-nous de tous ces événements ? Quelles réponses sont données aux crimes de sang ? Des crimes économiques où en est-on ? Des repentances qu’en dit-on ? Des réparations qu’en est-il ? Les différentes responsabilités, les a-t-on situées ?
La première fois qu’il fût question de réconciliation nationale, c’était en 1999 avec le Collège de Sages. Cet organe a été créé, dans la tempête, pour trouver une réponse à la réprobation générale manifestée suite à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et pour faire face à l’urgence et à la nécessité du moment. Ce drame abject aura eu le mérite de réveiller la conscience nationale jusque-là oublieuse, en lui rappelant la longue liste des crimes de sang et des crimes économiques, perpétrés soit individuellement, soit collectivement par des citoyens de notre pays.
Malheureusement, les efforts du Collège de Sages n’atteindront pas le but qui était de parvenir au pardon, à travers une repentance authentique et une réparation intégrale. À preuve, la « journée du pardon » du 30 mars, instituée à cet effet, semble désormais dans les oubliettes.
La roue de l’Histoire ne s’arrêtera pas pour autant, puisque d’autres événements viendront alourdir la série des crimes et des exactions, en rallongeant sa liste et rendant plus nécessaire et plus urgent que jamais, cette quête de réconciliation nationale. Elle l’est, d’autant plus, du fait que depuis le 15 janvier 2016, un phénomène nouveau est venu souligner cette exigence : l’attaque djihadiste perpétrée sur le boulevard Kwamé N’KRUMAH (Splendid Hôtel et Capuccino). Toutes choses qui vont révéler, entre autres, la gravité des antagonismes régionaux et communautaires, notamment dans le nord du pays, à l’instar de ceux tristement illustrés à Yirgou. Cette situation atteste aussi bien d’une épouvante qui nous vient de l’extérieur mais également d’un terrorisme endogène au sujet desquels certaines voix estiment, à tort ou à raison, que la négociation fait partie de l’équation.
Pour sûr, il nous faut regarder toute cette réalité en face et nous persuader qu’il s’agit d’une guerre de longue haleine.
Les anciens chefs d’État, à la lumière de ce constat accablant qui, ici, n’est qu’ébauché, (chacun ayant en mémoire aussi bien les espoirs déçus que les détails douloureux des plaies indues), lancent un appel pressant à tous les patriotes pour qu’ils adhèrent pleinement aux décisions qui seront prises par le chef de l’État, en qui la confiance du peuple a été largement réaffirmée lors de la présidentielle du 22 novembre 2020.
Parmi ces décisions, l’état d’urgence décrété dans 14 des 45 provinces, les régions concernées par la mesure étant la Boucle du Mouhoun, le Centre-Est, l’Est, les Hauts-Bassins, le Nord et le Sahel, où la situation sécuritaire se dégrade quotidiennement, a montré ses limites. Aussi, recommandons-nous de renforcer la stratégie. Par exemple, étant donné la gravité croissante de la menace, serait-il utopique de décréter l’état de siège dans les zones où cela pourrait s’avérer nécessaire ?
De telles dispositions, inscrites dans la Constitution, visent, entre autres, la détermination de bouter hors de nos frontières les forces hostiles, et doivent permettre au Burkina Faso, de jouir de la pleine possession de son territoire et de réussir, pour la nation, la réconciliation intégrale qui est l’indispensable ferment de notre cohésion sociale et la condition essentielle de la réalisation de tous nos succès escomptés.
En toute responsabilité, nul ne doit permettre que l’effort immense du Gouvernement, désormais renforcé par le Ministère d’État chargé de la réconciliation, ainsi que l’apport des personnes de bonne volonté, qui ont permis des avancées indéniables, soient comptés pour perte et profit. S’il en était ainsi, cela déboucherait sur des objectifs inachevés, sur un grand espoir déçu et sur la hantise que le boulet de la dégradation sociale plombera, pour longtemps encore, l’élan victorieux qui doit mener notre nation au développement auquel il a droit.
Notre pays reste menacé, à un point tel, que si nous restons impassibles et irresponsables, plutôt préoccupés que nous sommes, par nos égos et nos querelles de clocher, nous en perdrons le contrôle.
Par contre, si nous nous montrons solidaires, conscients et responsables devant l’histoire, que nous resterait-il à faire ? Sinon à nous unir dans une synergie irrésistible pour annihiler courageusement cet ennemi aux visages multiples, au lieu de périr ensemble et misérablement, faute de consensus !
Notre bravoure légendaire nous commande donc, de réagir avec courage, dignité, fierté et détermination, à l’exemple de nos ancêtres !
Toutefois, la bonne réaction ne se conçoit que dans la cohésion. La cohésion ne se féconde que dans la réconciliation. Il faut donc le déclic salutaire qui consacrera, le plus tôt possible, cette réconciliation nationale.
Ce déclencheur ne peut être provoqué que par une décision forte, nourrie par un patriotisme conquérant ! Il n’y a pas d’autre alternative ! Il n’y a pas d’autre espoir ! Il n’y a pas d’autre issue !
La décision de donner corps à une telle réaction doit concerner tout burkinabé où qu’il se trouve. Cette décision doit être un cri de ralliement appelant un sursaut de tous les patriotes. Cette détermination doit être collective.
En tout état de cause, le Burkina Faso, aujourd’hui, n’a aucunement besoin de divisions, de stigmatisation et de fractures sociales mais de cette paix et de cette unité qui sont les gages indispensables de notre victoire collective.
Les anciens chefs d’État, lancent donc, un appel à tous les patriotes, de tous les bords politiques, pour que, toutes et tous, nous soyons parties prenantes de ce sursaut impérieux, en vue de libérer notre pays de l’emprise de l’obscurantisme barbare et violent qui nous assaille. Car, contre ces attaques sans discrimination, qui gonflent sans cesse le nombre des déplacés internes autant qu’elles nous endeuillent sans répit, face à cette adversité féroce, nous devons développer une riposte imparable ! Pour ce faire, nous devons nous sentir tous concernés et y aller tous solidaires.
Ce sera, ainsi, une démonstration éclatante de notre volonté commune. Une telle solidarité constituera la meilleure preuve d’affection que nous avons pour ceux qui ont offert leur vie pour la Patrie, pour ceux qui sont mutilés sur le champ de bataille ainsi que pour tous ceux qui ont été arrachés à l’affection de leurs proches.
Pour ce faire, les anciens chefs d’État, invitent tous les fils et toutes les filles du Burkina à se mettre au-dessus de leurs divergences politiques et idéologiques, à transcender leurs polémiques stériles, improductives, infécondes, inefficaces, démobilisatrices et démoralisantes, à bannir leurs empoignades inutiles et partisanes, bref, à abandonner tout ce qui pourrait fragiliser toute réponse efficace à apporter à cette menace pesante.
Une telle dynamique doit pouvoir enseigner à toutes et à tous, les vertus :
– de la repentance qui doit précéder la demande de pardon et qui est avant tout, une détermination individuelle ;
– du pardon ;
– de la réparation.
Tout cela doit être effectué selon des modalités qui seront consensuellement arrêtées.
Dans ce sens et pour ce faire, les anciens chefs d’État souhaitent que ces difficiles mais importantes étapes s’inscrivent dans l’agenda confié au Ministre d’État chargé de la réconciliation, qu’elles soient coordonnées et gérées, en collaboration avec les structures compétentes comme le Comité National d’Orientation et de Suivi (CNOS), en des actes étudiés, concertés et conçus pour être appliqués en fonction des moyens de l’État. Ainsi, elles seront plus diligemment mises en œuvre, grâce au concours des personnes ressources et à la sollicitude des autorités politiques compétentes qui, ainsi que nous le croyons, seront mues par l’obligeance générale et imbues des intérêts supérieurs de la Nation. Le tout pourrait aboutir à une déclaration solennelle du chef de l’Etat.
Les anciens chefs d’État, recommandent qu’il soit diligenté, au profit de l’humanité souffrante des victimes, tout processus utile à l’apaisement des cœurs et ce, sur la base incontournable du triptyque « Vérité-Justice-Réconciliation » que s’efforce de traduire en actes le Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale (HCRUN) et qui, antérieurement, a été prôné par la Commission de Réconciliation Nationale et des Réformes (CRNR) et par le Collège de Sages.
Les anciens chefs d’État, recommandent qu’avec le concours de la jeune génération, nous tournions, ensemble, cette page critique de notre Histoire et que nous reléguions au passé, tout ce qui nous divise, tout ce qui fait obstacle à l’unité nationale et nous empêche d’aller à l’essentiel : le développement de notre pays.
Les anciens chefs d’État, invitent les acteurs de la scène politique, surtout les plus jeunes, à se réinventer et à s’investir, pleinement, dans une nouvelle forme de politique plus humaniste, plus pragmatique, plus productive et plus contributive, dans le contexte d’une idéologie de développement participatif, toutes les autres idéologies ayant montré leurs limites.
En effet il est aisé de constater que les crises qui font le lit de l’incohérence politique et qui fragilisent notre tissu social, naissent du fait que la plupart des acteurs ne savent pas, ou ne savent plus, quel type de société, ni quelle forme de gestion, il convient de proposer au peuple. Ce qui les pousse, bien souvent à leur corps défendant, à contraindre le peuple plutôt qu’à le convaincre. Sinon, comment comprendre et expliquer l’existence ou la persistance d’une telle multiplicité de partis politiques à l’heure où il est donné à tout le monde de s’exprimer librement ?
Par-delà les inimitiés et les rancunes, par-delà les vengeances et les représailles, toutes tenaces, mais qu’il convient de blâmer avec courage et hauteur de vue, les anciens chefs d’État appellent à tirer leçon des carnages qui, comme ceux de Solhan et de Boungou, et de tant d’autres qui les ont suivis ou précédés.
Ces traumatismes effarants interpellent la conscience nationale et invitent chacun et chacune à davantage de solidarité, à davantage de fraternité, en vue de consolider l’unité, la cohésion et la résilience collective, gages fondamentaux du succès des conquêtes escomptées.
C’est, avec la promesse que des garanties de non-répétition des erreurs du passé seront actées, et unis avec les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) et avec les Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP), dont l’abnégation et le sacrifice appellent respect et considération, que nous forgerons, dans une paix durable, le développement auquel aspire légitimement notre peuple depuis toujours.
Pour finir, les anciens chefs d’État lancent un appel à la grande famille des médias, afin que celle-ci, actrice majeure de l’échiquier national et maillon capital du retissage du tissu social, continue d’améliorer son rôle pédagogique et fédérateur, au profit de l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux engagés pour le développement de notre pays.
Pour parvenir à la sécurité sur toute l’étendue du territoire, à la paix et à la gestion harmonieuse de notre pays, à travers bonne gouvernance et devoir de redevabilité, le tout en faveur d’un peuple réconcilié avec lui-même, la route, nous le savons, ne sera pas sans embuches. C’est pourquoi le réalisme nous commande de sortir des logiques partisanes pour faire du combat global, non pas celui d’un parti, mais celui du pays tout entier. C’est à ce prix que nous ferons de nos espoirs légitimes les réalités prochaines de notre Nation.
Paix et prospérité à notre Patrie, le Burkina Faso !
Ouagadougou, le 15 octobre 2021
Jean-Baptiste OUÉDRAOGO Michel KAFANDO
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