On ne compte plus les démissions du parti fondé par Blaise Compaoré, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Il s’illustre ces derniers temps par les « bastons » entre jeunes du parti, les querelles, les suspensions toujours autour du nom de Blaise Compaoré, de son retour et de la réconciliation. Le moins que l’on peut dire c’est que le CDP est dans le creux de la vague, sur une mer agitée.
Le week end dernier, (06/11/2021) a vu la naissance du parti du dernier Premier ministre de Blaise Compaoré, Luc Adolphe Tiao, qui propose une offre politique à lui avec le Rassemblement patriotique pour le développement (RPD). Que devient le CDP avec tous ces départs et tous ces partis qui sortent de ses entrailles ? Les leçons de l’insurrection ont-elles été tirées par le camp défait ?
Est-ce une question de management de l’actuel homme fort du parti qui crée les défections ? Le CDP ne ferait-il pas mieux d’abandonner Blaise Compaoré et son bilan et chercher à reconstruire un parti qui ne vit pas sur son nom, sa réhabilitation et son retour ?
La chute de Blaise Compaoré et sa fuite du pays lors de l’insurrection en 2014 a été le début d’un processus de délitement continu dans les rangs de l’ancien parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès. C’est une gentillesse de le dire ainsi, on pourrait remonter le processus à la démission des pontes du Mouvement populaire pour progrès (MPP). Avec la fuite du président fondateur et de bon nombre de ses associés, il y a eu un vide organisationnel et idéologique, puisque le premier responsable du parti avait accompagné le président déchu dans son exil. Avec le recul, cette fuite désordonnée a aussi contribué à affaiblir le parti.
Sans direction politique du parti, Léonce Koné a eu le courage et l’audace au moment où il n’était pas donné à tout le monde de dire à la face du monde que moi aussi j’y étais, je travaillais avec l’ancien dictateur, de porter les restes du parti déchu, d’être l’âme et le porte-parole des vaincus qui refusent d’être réduits au silence.
Ils installeront un directoire en 2014-2015 et une commission ad hoc en 2016-2017 pour faire renaître le CDP de ses cendres. Ils reconnaîtront l’erreur d’avoir voulu modifier la constitution et ils demanderont pardon pour les victimes de l’insurrection.
Est-ce la proximité de l’insurrection qui les a empêchés de couper les ponts avec Blaise Compaoré et de le laisser choir dans la poubelle de l’histoire ? Cette ultime loyauté envers un dirigeant qui les a abandonnés est à l’œuvre aujourd’hui et le poids du président d’honneur et ses choix sont pour beaucoup dans la dégringolade du CDP, des départs, et des partis qu’il enfante.
Les exilés d’Abidjan n’ont pas fait une fleur aux résistants
Léonce Koné, avec Mahamadi Kouanda n’ont pas apprécié l’offre publique d’achat du parti par l’homme d’affaires Eddie Komboïgo. Blaise Compaoré et son petit frère n’ont pas reconnu le mérite de ceux qui se sont battus pour leurs idées, leur passé politique, malgré l’adversité et ont fait confiance à un tire au flanc qui, quand le coup d’État est arrivé, a pris également la poudre d’escampette comme celui qui l’a fait roi. Ce qui a accrédité les soupçons de légèreté et d’incapacité de ceux qui ne voulaient pas de lui à la tête du parti.
Mais le clan Compaoré en exil a trouvé son homme de confiance, il le laissera briguer en 2020 encore la candidature présidentielle, ce qui va accentuer le processus de défiance et de démissions du CDP. Le parti n’a pas réussi à cicatriser les plaies de la bataille interne pour le contrôle du parti. Et Eddie Komboïgo n’a pas cherché à amadouer ses adversaires et à les rassembler autour de lui. Ceux-ci se retrouveront avec le candidat Désiré Kadré Ouédraogo qui va être obligé de créer son parti pour porter sa candidature à la présidentielle.
Au final, après les élections, même si le CDP est le premier parti de l’opposition, chef de file de l’opposition, c’est un parti en décomposition qui n’a pas encore fini de faire sa mue. Le CDP sera-t-il le parti d’Eddie Komboïgo, ou le parti de tous ceux qui se réclament de Blaise Compaoré, veulent son retour au pays sans jugement dans le cadre de la réconciliation ? Les dernièress bagarres entre jeunes du CDP sonnent l’ultime combat entre les partisans d’Eddie et ceux qui l’accusent d’avoir abandonné la cause de leur chef Blaise Compaoré qui même absent est jugé pour l’assassinat du président Thomas Sankara.
Préserver son avenir et ses intérêts
Les gens qui ont quitté le CDP sont légion : Boureima Badini le challenger malheureux à la tête du parti, Salia Sanou qui nous promettait Djamila à la succession de son père, Mahamadi Lamine Koanda qui proclamait son statut de membre fondateur de l’officine CDP, qui a aussi été obligé d’aller voir ailleurs en fondant un parti à lui, Kadré Désiré Ouédraogo parce qu’ils voulaient, tout comme Eddie, être président du Faso.
Ceux qui n’ont pas fait du bruit et sont partis comme Jérome Bougma, l’ancien ministre de la sécurité, et les nombreux qui ne font pas de vagues mais qui ne fréquentent plus le CDP. Et enfin, last but not least, Luc Adolphe Tiao qui a quitté pour créer son parti, porté sur les fonts baptismaux le 6 novembre 2011.
Le constat est clair, depuis sa chute du pouvoir, le CDP se bat plus contre ses propres démons que contre le pouvoir. Eddie ne devrait pas trop faire le fier avec ses habits de chef de file de l’opposition, car son magistère n’a apporté que deux députés de plus par rapport à 2015. Le parti passant de 18 à 20 députés, soit une progression de 11%.
Si on compare au score du chef de file de l’opposition en 2015, l’UPC avait 33 sièges, soit un différentiel de 65% par rapport au CDP aujourd’hui. Les multiples départs et créations de parti n’ont pas pour unique raison Eddie Komboïgo, la perspective d’un retour gagnant du CDP a été écarté en 2020, chaque responsable évalue sa situation propre et recherche les solutions à même de le préserver et de mieux garantir ses intérêts, ce que certains reprochent à Eddie.
Le CDP, en refusant de débattre de la question de l’héritage de son fondateur et de comment s’en libérer, a oblitéré son avenir en le liant à celui d’un exilé qui a pris une nouvelle nationalité et ne veut pas rendre de comptes à la justice de son pays.
Le congrès en préparation du CDP devrait, pour le parti et son avenir, couper le cordon ombilical qui le lie au néo-ivoirien. Ainsi Eddie ferait sur le tard ce que son ami Léonce Koné a toujours dit : « Un parti comme le CDP n’est pas le parti d’un seul homme »
Sana Guy
Lefaso.net
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