Concentré dans les zones non loties de Wendou, Yanrala et Petit Paris dans la ville de Dori, chef-lieu de la province du Séno, le nombre de Personnes déplacées internes (PDI) s’accroît quotidiennement. Outre les multiples défis existentiels, des centaines d’entre elles n’ont toujours pas accès aux installations sanitaires les plus élémentaires. Dans les rares infrastructures d’assainissement qui existent, le manque d’hygiène et la qualité des ouvrages laissent à désirer…
Aissata ne veut pas déféquer dans la nature
Au bloc C du camp de déplacés de Wendou (à l’Ouest de Dori), Awa Maïga ne dispose pas de latrines à proximité de sa tente. Filiforme, le foulard impeccablement noué sur la tête, la quadragénaire, bouilloire en main, vient de faire ses besoins dans la nature. Lorsque, nous l’accostons devant son gourbi, elle tente de s’éclipser. Pourquoi, n’utilisez-vous pas les toilettes pour vos besoins ? Ne sont-elles pas propres ou à votre convenance…? Harcelée de questions, elle finit par lâcher : « je n’ai pas de toilettes depuis deux ans et je n’ai personne pour m’en construire ». Malgré notre instance, elle ne dit plus mot. Situés dans la zone non lotie, au secteur 7 dans le camp de déplacés de Wendou, des abris estampillés « UNHCR » s’étendent à perte de vue. Malheureusement, ce « gigantesque » camp où plus de 5 000 âmes y ont trouvé refuge est caractérisé par la rareté ou la quasi-absence de toilettes par endroits. Ce mardi 12 octobre, le soleil a achevé son ascension vers le zénith. Sous une chaleur de plomb, Assétou Dianda, venue d’ Arbinda, est en pleine discussion avec ses codéplacées. Au centre de leurs préoccupations : l’épineuse question des toilettes. La voix pleine de tristesse, la peau blanchie par les nuages de poussière qui enveloppent régulièrement Wendou, elle n’est pas contente de parcourir fréquemment un demi-kilomètre pour se soulager. « Sentir le besoin de se soulager est un moment de tourmente pour moi et chacun de mes 10 enfants. Nous sommes obligés d’aller vers les personnes qui disposent des toilettes. C’est très indisposant », confie-t-elle. Malgré ce calvaire, dit-elle, elle n’est pas prête à se livrer en spectacle aux passants pour faire ses besoins dans la nature.
Une toilette pour plusieurs ménages
L’insuffisance et l’inaccessibilité aux latrines sont de véritables préoccupations des PDI, explique, la représentante des PDI de Wendou, Roukiatou Sow. Au 31 août 2021, la province du Séno comptait 114 904 PDI. Disséminées dans les zones non loties de Wendou, Petit Paris et Yanrala, elles sont confrontées à un manque criant d’infrastructures d’assainissement. « Les latrines sont insuffisantes. Le nombre de déplacés qui en disposent est largement inférieur à ceux qui n’en ont pas », confirme le responsable des PDI de Petit Paris (secteur 1), Souleymane Kiéni. Pour changer la donne, confie-t-elle, des organisations humanitaires ont érigé des latrines pour soulager le calvaire des populations. Awa Dicko, 44 ans, fait partie des chanceux qui ont accès à des latrines de qualité. Mais le hic, elle les partage avec 30 autres personnes. Avant son érection, c’était la tourmente pour la vieille Dicko et les siens. « Avant, les enfants déféquaient n’importe où et les mouches paradaient partout, avec des maladies dont nous ignorons l’origine. Nous les adultes, ce sont les nuits que nous nous soulageons dans la brousse », se remémore la vieille Dicko. Mais, la construction des toilettes par un « bon samaritain » a sonné le début de leur soulagement. Finies les défécations à l’air libre et les sempiternelles questions sur comment faire ses besoins. «Je m’en réjouis.
Mais une seule toilette pour 30 personnes, c’est vraiment insuffisant. Imaginer quatre ménages qui partagent les mêmes latrines, c’est tout un problème », susurre, Awa Dicko, la rescapée des attaques terroristes d’ Arbinda. Malgré, ce nombre pléthorique, dit-elle, c’est une nécessité d’y faire leurs besoins. « Le W.C est plein à cause de la forte fréquence d’utilisation. Mais faute de moyens pour le vider, nous continuons de l’utiliser. Maintenant, nous craignons que cette seule toilette soit la source de maladies pour nous et la vingtaine d’enfants qui l’utilisent », lance Awa Dicko. Venue de Belhonta à quelques encablures d’ Arbinda, même si, Pendo Dicko est obligée de partager les mêmes toilettes que des dizaines de personnes, elle se réjouit de ne plus déféquer dans la nature depuis deux années. L’air apaisé, elle confie : « Se soulager dans les toilettes m’a permis de préserver ma dignité. Aujourd’hui, je suis heureuse que les passants ne puissent plus jeter leur regard sur moi pendant mes besoins. Sincèrement, c’était gênant et humiliant ».
Un manque d’hygiène
Certaines toilettes ne sont pas hygiéniques.
Si, se soulager n’est plus un problème pour des centaines de PDI, l’entretien des rares toilettes existantes est une équation à multiples inconnues qu’il faille résoudre pour les déplacés. L’hygiène et assainissement dans des toilettes restent à désirer. Dans certaines, les eaux ruissèlent en dehors des toilettes. Les fosses pleines débordent, par endroits . Les urines déversées hors du trou stagnent créant des nids de moustiques et de microbes. En somme, la saleté, les mauvaises odeurs, le manque d’intimité…sont les dénominateurs communs à ces latrines. Conséquence, d’autres préfèrent les bouder. Les toilettes de la famille de Alaye Dicko sont pleines à craquer. Dans le cocktail d’excrétas humains de couleur noirâtre baignent des centaines d’asticots observables à l’œil nu. Rencontrée à sa sortie des toilettes, même si, elle avoue avoir peur de ces microbes, Aissata (9 ans) ne veut pas déféquer dans la nature. Elle avance : « Papa nous a dit de toujours faire nos besoins dans les toilettes. Il dit que cela protège contre les maladies ». « Les toilettes sont pleines et nous n’avons pas d’argent pour les vider. Nous craignons qu’elles ne soient source de maladies pour nous.
Même une petite pluie suffit à inonder la dalle et elles débordent. Ensuite, on voit apparaître de petits insectes dans le tas de déchets et les enfants tombent malades», confirme Alaye Dicko, « réfugié » à Wendou depuis deux années. Si, les latrines sont partagées avec les déchets qui puent, elles peuvent devenir si sales que les gens recourent à la défécation à l’air libre, regrette-t-il. Alors, pour la représentante des PDI de Wendou, Roukiatou Sow, le défi à relever est la sensibilisation au bon usage et à l’entretien des toilettes. « Certaines personnes ne les utilisent pas bien parce que dans leur village, ils ne connaissaient même pas de latrines. Là, il faut une sensibilisation pour les amener à bien utiliser celles existantes », estime-t-elle. Pour y parvenir, Alaye Dicko et des PDI se sont constitués en comité. Avec ses pairs, il s’évertue à sensibiliser au bon usage et au nettoyage des toilettes. « Nous sensibilisons les PDI qui disposent de toilettes à les laver, les garder propres pour que l’hygiène y règne. Tous les trois jours, nous lavons soigneusement les toilettes. Contrairement au début de nos sensibilisations, les gens déféquaient autour des tentes. Les excrétas humains avec des odeurs nauséabondes étaient exposés pêle-mêle avec les risques d’attraper des maladies. Vraiment, nous sommes très heureux que les gens utilisent les toilettes », affirme Alaye Dicko. Grâce à cette sensibilisation, des PDI qui n’avaient pas l’habitude de déféquer dans les toilettes ont compris les bienfaits d’utiliser les toilettes parce que les gens tombaient malades, les mouches paradaient partout, témoigne Alaye Dicko. L’insalubrité des toilettes et la défécation à l’air libre sont des sources de maladies telles que les parasitoses digestives, rappelle, l’infirmier d’Etat au CSPS de Wendou, Olivier Ada. « Si, les selles sont un peu partout à l’air libre, forcément, les mouches vont tomber là- dessus et revenir encore se poser sur les repas. Une fois les repas consommés, on peut attraper une diarrhée et une dysenterie commence », prévient l’infirmier d’Etat. Pour éviter ces maladies, il préconise la construction de nombreuses latrines dans les camps des PDI en les sensibilisant sur leur importance et les dangers de déféquer à l’air libre. Pour le chef du service social de la mairie de Dori, Martin Siani, la municipalité et ses partenaires œuvrent pour la réalisation de toilettes pour tous les ménages afin que l’hygiène y règne.
« Sur ces trois sites de déplacés, des partenaires ont réalisé pas moins de 1 000 toilettes. Mais, elles sont insuffisantes et sont le point de convergence de tous les individus. Avec ce nombre, leur gestion devient une problématique », reconnaît-il. « Vivre sans toilettes est un cauchemar…» Fuyant les violences terroristes à Tougouri dans le Centre- Nord, Mariam Ouédraogo qui a trouvé refuge chez sa sœur ainée dans le quartier non loti de Yanrala, au secteur 5 à la périphérie Est de Dori, dit connaître son importance, mais les moyens lui font défaut pour disposer de toilettes décentes. Depuis deux ans qu’elle y vit avec ses cinq enfants, sa demeure n’a ni douche ni W.C. adéquats. Avec son époux, elle a modelé l’argile pour en sortir des dizaines de briques en terre cuite. Après deux mois de dur labeur, les deux conjoints finissent par bâtir une douche et un W.C. Malheureusement, ces infrastructures de fortune n’ont pas résisté aux premières pluies du mois de juin dernier. « Nous avions encore essayé de creuser une fosse septique. Mais par manque de moyens, les eaux de pluie sont venues boucher le trou », s’indigne t-elle. Depuis lors, cinq plaques de tôles fixées sur six chevrons, soutenues par des briques et sans porte leur servent de douche. Aucun système d’évacuation des eaux usées, même pas de trou. Il s’agit juste de se cacher pour se soulager. Pour leurs besoins, Mariam et les siens sont obligés de demander la permission aux populations hôtes pour accéder à un W.C. «Pour me laver, je me débrouille avec mes enfants dans cet abri. Par humanisme, le voisin de cour a creusé un trou dans son mur qui nous serre de passage pour accéder à chez lui afin qu’on puisse déféquer », déplore Mariam Ouédraogo.
Vivre sans toilettes décentes est une atteinte à sa dignité, estime-t-elle. « Je suis consciente de l’importance des toilettes pour tout homme surtout pour une femme. Mais, je n’ai pas le choix. Si tu as des toilettes à ta disposition, tu es à l’aise pour tous les besoins et à tout moment. Mais imaginez-vous, lorsque, je vais réveiller mon voisin dans la nuit pour demander à occuper ses toilettes, c’est très gênant », déplore-t-elle. Dans la famille d’ Adama Zoungrana, leur toilette s’est aussi écroulée comme un château de cartes dès les premières pluies du mois de juin dernier. Chaque désir de déféquer est devenu un casse-tête pour lui et les onze membres de sa famille. Cet après-midi, du 20 octobre, bouilloire en main, Roukiatou Ouéremi, son époux et sa benjamine Asmao, âgée de 8 ans, reviennent de la cour voisine. D’où venez-vous avec ces bouilloires ? D’un air gêné, sourire forcé, Roukiatou pointe son index sur des tentes logées dans une cour abandonnée. « A cause de sa mauvaise qualité, nos toilettes se sont écroulées depuis 4 mois et chaque jour, c’est le défilé dans les alentours pour nous soulager», informe Roukiatou Ouéremi. Le quinquagénaire Dicko n’a pas pu réinstaller des toilettes. Or, la dalle qui recouvre sa fosse septique de fortune est si fragile que lorsqu’il pleut, les excréments envahissent leurs tentes. Vivre sans toilettes est un cauchemar, estiment les conjoints. « Nous avons sollicité de l’aide pour sa réfection, mais rien jusqu’à présent. C’est un vrai problème. Lorsqu’on part chez quelqu’un, s’il ne te donne pas la permission, tu ne peux pas rentrer. Souvent d’autres refusent et tu es obligé de parcourir des concessions espérant trouver une personne de bonne volonté qui accepte de t’ouvrir les portes de ses toilettes.
C’est honteux, mais, nous sommes obligés de procéder ainsi », pense le chef de famille, Adama Zoungrana, dépité. Pour éviter ces « humiliations », le chef de famille, Dicko n’hésite pas à s’«exiler » dans la nature souvent pour ses besoins. « Depuis deux ans que nous avons trouvé refuge dans cette zone non lotie, nous utilisions régulièrement nos toilettes sans problème et nous sommes conscients de son importance pour notre santé, mais hélas », s’indigne-t-il. Aujourd’hui, son vœu est de trouver une bonne volonté qui va réhabiliter ses toilettes pour préserver la dignité de la famille. Mahida Tall n’a plus envie d’utiliser les toilettes à proximité de sa tente située, à un jet de pierre de chez la famille Dicko, à cause de la mauvaise qualité de l’infrastructure. Les murs, les dalles fissurés…ce sont autant de raisons qui l’ont amené à bouder ses latrines. «Les pluies de septembre dernier ont fissuré toutes les parties de l’infrastructure. Nous sommes sept personnes à l’utiliser, lorsqu’elle était en bon état. A chaque usage, la peur qu’elle s’écroule nous hante », relate-t-elle toute inquiète. Sans ressource financière pour la « réparer », cette peur a contraint Mahida Tall et les siens à abandonner leur toilette. « Au regard de l’importance des toilettes dans la vie d’un homme surtout d’une femme, nous sollicitions de l’aide pour sa réfection », plaide-t-elle. En attendant, un bon samaritain, Mahida Tall et les siens ne comptent pas grossir les rangs de ceux qui défèquent à l’air libre. « Nous n’allons pas bouder les toilettes du voisinage. Tant que le besoin se fera sentir, nous allons toujours les importuner pour faire nos besoins », insiste la jeune femme entre deux éclats de rire.
L’hygiène et l’assainissement, des priorités
Adama Zoungrana : « Les membres de ma famille et moi, nous attendions les nuits pour utiliser ces toilettes ».
Pour le président de la section du MBDHP/section Séno, Hoeffi Dicko, il faut veiller à la qualité des ouvrages sanitaires au profit des PDI. « Souvent, ces toilettes sont mal construites et ce n’est pas parce qu’ils sont dans le besoin qu’il faut leur construire des ouvrages de mauvaise qualité», regrette Hoeffi Dicko. La représentante des PDI de Wendou, Roukiatou Sow, plaide pour que des personnes de bonne volonté puissent songer aux PDI en venant leur construire des latrines. «Il faut suffisamment les sensibiliser à l’utilité et au bien-être des toilettes.
Et je pense qu’elles vont adhérer, car la mentalité est évolutive », est convaincu le président de la section du MBDHP/section Séno. « Les PDI sont dans une situation de vulnérabilité et peut-être la question de l’assainissement n’est pas leur priorité. Si ce n’est pas le cas, cela veut dire qu’il y’a un défi à relever. Alors, si nous ne travaillons pas à les conscientiser que la question de l’hygiène et l’assainissement est prioritaire pour leur santé, nous reviendrons sous d’autres formes pour soigner les enfants…», prévient le chef du service social de la mairie de Dori, Martin Siani. C’est pourquoi il estime qu’il faut œuvrer pour que tous les ménages aient des toilettes. Il explique que dans le plan stratégique d’assainissement de la mairie, il est prévu d’aider les PDI à avoir des toilettes décentes pour protéger leur dignité tout en préservant leur santé. « Sinon, ce sera difficile de leur dire d’utiliser des toilettes qu’ils n’ont pas », reconnaît-il. Pour lui, si la collectivité et ses partenaires arrivent à avoir un nombre suffisant de toilettes pour les ménages de PDI, la sensibilisation pourra soutenir l’action qui s’est matérialisée leur réalisation.
Abdel Aziz NABALOUM emirathe@yahoo.fr
L’article Commune de Dori : les toilettes, une urgence pour les déplacés est apparu en premier sur Quotidien Sidwaya.
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