Terrorisme au Burkina : «On ne peut pas traiter le problème de l’armée séparément du reste de la gouvernance du pays»(Maixent Somé)
Les attaques terroristes au Burkina Faso continuent de plonger le Burkina Faso dans le désespoir. Pires, elles sont devenues plus meurtrières tant pour les forces de défense et les civils. Quelles sont les raisons qui justifient cet échec malgré tous les moyens mobilisés par le gouvernement burkinabè contre cette guerre. Pour appréhender les raisons de cette incapacité, l’équipe de l’InfoH24 a eu un entretien avec un expert des Tics et passionné de l’analyse politique, Maixent Somé. Lisez !
L’InfoH24 : Présentez-vous à nos lecteurs
Maixent Somé : Je m’appelle Maixent SOMÉ. Comme beaucoup de Burkinabè de ma génération, j’ai fait mes études primaire et secondaire au Burkina Faso (Plus précisément à Bobo-Dioulasso). Puis, après un bref passage de deux ans à l’UO, le temps de faire un DEUG et de préparer le concours d’entrée en Grande École, je suis parti en France pour des études supérieures.
D’abord en informatique, puis en mathématiques appliquées. A la fin de mes études, je suis rentré au Burkina pour entreprendre. Mais je me suis vite aperçus que certains anciens amis, désormais au pouvoir, n’avaient pas oublié nos différends politiques à l’UO (1986)1987) ne voyaient d’un très bon œil mon retour au pays. Et puis, à vrai dire, le pays n’était pas encore prêt pour les TICs. Et comme dans le cadre de mon troisième cycle, j’avais déjà créé une entreprise en France, j’y suis reparti et m’y suis installé.
C’est dire qu’il n’y a pas de lien direct entre mon métier, mon parcours, et ma passion pour l’analyse politique. Je n’ai pas fait Sciences Po. Voilà pourquoi je ne mets jamais mon parcours académique en avant dans le débat public.
Pourquoi au Burkina Faso, au Niger, en matière de protection des populations, on peine toujours ? Selon vous qu’est-ce qui explique cela ? Dites-nous les raisons qui expliquent cette détérioration ?
Vous oubliez le Mali, épicentre de cette crise sécuritaire dans votre question. Les explications sont nombreuses. D’abord, nous n’avons jamais bâti des armées pour faire face à ce type de guerre asymétrique, mais également aux guerres conventionnelles. Souvenez-vous des deux guerres qui ont opposé notre pays au Mali… Nos armées étaient un peu comme notre haute administration : un débouché professionnel plutôt enviable dans un contexte de chômage de masse.
Ensuite, les PAS (Programme d’Ajustement Structurel) du FMI et de la Banque Mondiale dans les années 80-2000 ont complètement démantelé et désarmé nos États. Notamment en matière d’éducation, de santé, de Défense, d’infrastructures, de services publics plus globalement. C’est ce que nous payons aujourd’hui.
Connaissez-vous les effectifs de l’armée Burkinabè ? Ils sont estimés à 11 200 hommes (armée de terre 6 400, force aérienne 600, gendarmerie 4 200). Pour assurer la sécurité de 21 768 685 de personnes, sur 274 200 km². Le tout avec peu de moyens aériens et de moyens de surveillance électronique….
Et je vous épargne la répartition entre officiers, sous-officiers, et hommes de rang ; ainsi que tous les autres problèmes de gouvernance, de cohésion de l’armée, mais également de cohésion entre l’armée (les FDS en général) et les populations…
Le rattrapage nécessaire ne peut pas se réaliser en quelques années. Surtout si dans le même temps, on pense que toutes les autres priorités sont aussi prioritaires que la sécurité ! La guerre n’a rien à voir avec les films d’Hollywood.
Il y a longtemps certains experts disaient que notre armée monte en puissance mais ce que les citoyens observent sur le terrain est contraire. C’est quoi exactement le problème de nos armées. En particulier celle du Burkina Faso?
Une chose est d’acheter beaucoup de matériel à l’armée et de prodiguer des formations aux soldats, une autre est de les motiver au combat. On nous raconte que les terroristes ont une puissance de feu redoutable. Mais les vidéos de propagande de ses terroristes que nous voyons, ainsi que les images des matériels saisis lors de nos opérations militaires et celles de Barkhane prouvent que ces terroristes ne sont pas mieux équipés que nos armées, loin s’en faut ! Ce qui fait la différence, c’est la stratégie et la détermination au combat.
L’expert des TICs et passionné de l’analyse politique, Maixent Somé
Pourquoi les attaques se sont démultipliées et sont devenues plus barbares ?
Pour répondre à cette question, il faudrait être en contact avec les stratèges de ces groupes terroristes. Cela dit, il y a deux éléments nouveaux dans la région :
La fin de ce que les spécialistes ont appelé l’exception sahélienne. C’est-à-dire la fin de la paix séparée entre AQMI/JNIM et EIGS qui se combattent désormais pour le contrôle du territoire et des populations.
Par ailleurs, les méthodes des deux groupes sont très différentes. AQMI/JNIM a un projet politique et de gouvernance et évite de s’en prendre aux populations civiles afin de les gagner à sa cause. Ce qui n’est pas le cas de l’EIGS qui est un groupe plutôt nihiliste…
On a ainsi attribué dans un premier temps le massacre de Solhan à l’EIGS, d’autant plus qu’AQMI/JNIM a rapidement publié un communiqué le dénonçant, niant toute responsabilité, et apportant son soutien aux familles éplorées. Chose plutôt rare dans une zone où les attaques sont rarement revendiquées… Puis, on a découvert par la suite que c’est une Katiba « indisciplinée » d’AQMI/JNIM qui avait perpétré ce crime odieux… Preuve que chez ces groupes terroristes aussi tout n’est pas maitrisé !La situation au Mali a évolué. Les autorités de la transition malienne ont accepté des négociations sans préalable ni lignes rouges avec QMI/JNIM. Ces tractations sont en cours et, tout en maintenant une pression militaire sur les autorités maliennes, ils ont réduit la pression au Mali. Ce qui leur permet de transférer des troupes au Burkina, au Niger et à la frontière ivoirienne pour mettre la pression sur les gouvernements de ces pays afin de les contraindre à emprunter la voie que les autorités maliennes.
Ce que ces groupes veulent au-dessus de tout, c’est le départ des forces occidentales, seules capables de cibler et d’abattre leurs chefs, mais également de leur infliger de lourdes pertes. Après, ils aviseront. Ils savent que nos États sont faibles et divisés. Ils ont de l’argent, et savent très bien instrumentaliser la religion !
Sommes-nous toujours au stade de manque de matériels de guerre ? Si oui le budget de l’armée a été augmenté ? Sinon où se situe le problème alors ?
Beaucoup ont été faits en termes de budget et de matériel pour l’armée. Sauf peut-être en matière d’armée de l’air. Mais une force aérienne ne se construit pas en 5 ans. Il y a aussi les mauvaises habitudes, la corruption, les dysfonctionnements, le manque de cohésion de l’armée. Si la quantité et la qualité du matériel militaire suffisait pour gagner une guerre, l’armée Rouge puis l’US Army n’auraient pas perdu en Afghanistan… Pour ne prendre qu’un seul exemple.
Où se situe le problème ?
On ne peut pas traiter le problème de l’armée séparément du reste de la gouvernance du pays. Nous avons les mêmes maux dans l’armée que dans le reste de l’administration et de la société. Nous devons tous nous remettre en cause. Nous ne pouvons pas vivre et fonctionner en temps de guerre comme nous le faisons en temps de paix. Or, c’est ce que nous faisons !
Qu’en est-il du moral des hommes sur le terrain ?
Quel serait votre moral à leur place ? Auriez-vous envie de vous battre et de mourir pour le Burkina Faso ? Auriez-vous envie de vous battre si vous aviez le sentiment que vos chefs et le reste du pays ne sont pas solidaires dans ce combat avec vous ?Je ne sais pas…
Quel est le problème de notre pays dans cette lutte selon vous ?
Nos ennemis ont un projet, des objectifs clairs et partagés ; une stratégie hybride et agile, et la détermination pour les atteindre. Tout ce que nous, nous n’avons pas !
Comme la menace est globale, que faut-il faire ?
Think global, act local. C’est ce que les groupes terroristes font. Une stratégie globale, et des actions locales. C’est ce que nous devons faire également. Il faut traiter les aspects géopolitiques, internationaux, sous régionaux, et prendre des mesures nationales en cohérence avec cela.
Savez-vous par exemple qu’est la nature réelle de notre alliance stratégique avec la France dans cette guerre ?L’avons-nous définie ? En avons-nous débattu au parlement et au gouvernement ? L’assumons-nous afin d’en tirer le meilleur parti ?Je ne sais pas.
Pour mieux me faire comprendre sur cette question, avons-nous conscience de ce que notre pays possède comme avantage dans cette affaire du Sahel ? Pourtant la crise actuelle du convoi du matériel militaire français, de la Côte d’Ivoire (port maritime) à Gao (hinterland sahélien), révèle quelque chose de très importante, un avantage comparatif dont tout dirigeant du Burkina Faso devrait avoir connaissance, à défaut d’en être spécialiste.
Que peut-on faire pour sortir le pays de cette situation ?
Commencer par nous regarder en face, et nous décider enfin à assumer ce que nous voulons ! La stratégie qui consiste à désigner des coupables et à remplacer des hommes ne mène nulle part ! Combien de ministres de la Défense et de ministres de la sécurité avons-nous eu en six ans ? Combien de Chefs d’État-major de l’armée ? Qu’est-ce que cela a changé sur le terrain ?
Et à présent, certains nous disent qu’il faut changer de président et mettre en place une nouvelle transition…. C’est une folie ! Nous avons une crise de gouvernance. Nous n’avons ni crise politique ni crise institutionnelle ! La stabilité et la légitimité démocratique (quoi qu’on en pense) des institutions, c’est bien la seule chose qui nous protège encore du chaos et de l’effondrement !
Quelles sont les solutions que vous préconisez ?
Que le président commence par faire un discours sur l’état de la nation. Un discours de vérité. Un discours courageux. Et qu’il prenne des mesures fortes pour montrer que ce ne sont pas que des mots. Informés de la situation réelle du pays, j’ai la naïveté de croire que les Burkinabè auront le ressort nécessaire pour avoir un sursaut national. Je regarde avec commisération comment l’énergie et l’engagement de cette jeunesse sont gaspillées dans des actions aussi spectaculaires que puériles, voire contre-productive. Bien canalisé, c’est une force extraordinaire !
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