Les témoins cités par le parquet militaire ont continué à faire leurs dépositions devant le tribunal militaire ce 1er décembre 2021 dans le cadre du procès Thomas Sankara et ses douze compagnons. Il s’agit du Professeur Serge Théophile Balima, Michel Toé et le journaliste Gabriel Tamini sur les événements du 15 octobre 2021.
A la barre, l’enseignant-chercheur en communication à la retraite, chargé de communication à la présidence du Faso, sous Thomas Sankara au moment des faits dit avoir constaté le caractère désertique à la présidence à son arrivée le 15 octobre 1987 à 15h. Il aurait été appelé vers 16h par le président Sankara l’invitant dans son bureau pour parler d’un article de presse d’un organe de l’extérieur intitulé ‘’LE CAPITAINE THOMAS SANKARA SUR LE CHEMIN DE SEKOU TOURE ‘’. Sur cet article, il avait fait un commentaire et Thomas n’était pas du tout d’accord avec lui et voulait l’envoyer à Dakar en mission pour voir les premiers responsables Sénégalais parce que le journal était édité à Dakar.
Étant au bureau avec le président Thomas Sankara, il a reçu deux coups de fil. Le premier coup de fil est venu d’une dame qui lui disait: « Thomas, tu es où ? Il faut te sauver, on va te tuer ». « Sankara lui a dit: on se voit ce soir. On en reparlera ». Et Le deuxième coup de fil était du Conseil qui lui disait que les gens sont là et que c’est lui qu’ils attendaient pour commencer. « Il a dit qu’il arrive et il est sorti. Et quelques minutes après j’ai entendu un tir mais je pense que c’était un tir en l’air qui à mon avis était une alerte pour dire qu’il arrive », a déposé le témoin Balima devant la barre du tribunal.
Après ces coups de feu, il a décidé de rentrer. Quand il est sorti de son bureau à la présidence pour rentrer, les mains en l’air, il a vu des militaires tout poussiéreux qui avaient pris position autour de la présidence. Arrivé à la maison, sa femme l’informe que Arba Diallo a appelé et qu’il a dit que le matin du 15 octobre 1987, il y a eu une information qui a passé invitant les civils de ne pas venir à la présidence dans la soirée.
En plus, il est aussi revenu sur des informations que le chef de Zoungrantenga, Naaba Tigré lui a livrées le 3 octobre 1987. « Il m’a dit que ses voyants sont venus lui demander si c’est vraiment Sankara qui parlait (le 2 octobre à la cérémonie), que si c’est lui, il n’avait pas son âme avec lui et qu’il faut qu’il fasse un grand sacrifice » a souligné le Professeur Serge Théophile Balima. Mais le chef lui a confié qu’il a fait un sacrifice pour qu’il ne soit pas tué dans son village.
Le Professeur Serge Théophile Balima©infoh24
Le 16 octobre 1987, après les événements, à en croire le Professeur Serge Théophile Balima, Blaise Compaoré a envoyé des soldats le chercher pour lui dire de continuer de s’occuper des relations avec la presse internationale. « Il m’a dit j’imagine dans quel état tu es, tu es bouleversé tout comme moi » a-t-il confié à la barre. Pour le témoin « il a eu vraiment une sacrée chance. Si ça c’était passé à la présidence j’allais y rester », a laissé entendre le témoin qui se rappelle qu’un jour Hyacinthe Kafando, en parlant à d’autres personnes, a dit: « si vous touchez à un cheveu du chef (Blaise Compaoré), on va exploser la présidence ».
Durant son passage à la barre, l’ancien proche collaborateur est revenu sur la personnalité morale de Thomas Sankara et les valeurs qu’il incarnait. Selon Pr Balima la vie ici-bas n’intéressait pas Thomas Sankara, contrairement aux autres. « Les attributs du pouvoir n’intéressaient pas Sankara. Il avait contribué à désacraliser le pouvoir. Il ne voulait pas être un président comme tous les autres présidents africains. Thomas Sankara ne s’intéressait pas à la vie ici-bas. Le président Thomas Sankara était à la fois le modèle, l’exemple, l’incarnation de la vertu et était un travailleur qui ravissait la vedette aux autres chefs d’État » a souligné le témoin Serge Théophile Balima.
Des dirigeants étrangers ont joué un rôle, dans ce qui s’est passé le 15 octobre 1987 selon Pr Serge Théophile Balima
Pour le témoin, des éléments sur plusieurs sorties confirment cette thèse. A cet effet, Pr Balima a évoqué l’explosion de « l’engin » explosif dans la suite que devait occuper Thomas Sankara, à Yamoussoukro. Et surtout la rencontre avec des sultans, au cours de laquelle, Thomas Sankara s’est adressé à ses interlocuteurs en ces termes : « Vous êtes tous des musulmans ici, vous devez tous détester le diable, alors que vous êtes tous entre les mains du Diable, les Américains ».
L’autre fait qu’il a évoqué, se rapporte à la visite de Thomas Sankara en France, au cours de laquelle, il a été accueilli par un conseiller du président Mitterrand. Sankara n’a pas apprécié la démarche, quand bien même, précise le témoin, il a été expliqué que dans la tradition française, à part les visites d’État, les choses se passaient ainsi.
Malgré ses explications de la diplomatie française, Thomas Sankara a boudé le dîner offert par son hôte, et ce, après que les autres présidents (dont Félix Houphouët-Boigny) aient patienté pour l’attendre. Selon le Pr Serge Théophile Balima, cette position a dû heurter les autres présidents qui pourraient ne pas comprendre qu’un « cadet » se fasse tant désirer.
L’ancien chargé de communication à la présidence du Faso se rappelle aussi que lors d’une mission, Thomas Sankara a interrompu un tête-à-tête avec Félix Houphouët-Boigny pour sortir les inviter (lui et son binôme) dans la salle où avait lieu l’aparté.
La barre du tribunal©infoh24
« Arrivés sur place, ils constatent une mallette avec de l’argent, offert par Félix Houphouët-Boigny. Thomas Sankara qui voulait ainsi les prendre pour témoins leur fit savoir, en langue nationale, qu’il (Félix Houphouët-Boigny) pense ainsi l’avoir, mais qu’il ne pourra pas. Et Houphouët-Boigny lui a dit : si vous ne changez pas, on va vous changer. Thomas Sankara avait compris cela au sens figuré ; il m’a dit que tu vois, il veut me convertir, mais il ne pourra pas. Je lui ai dit que moi, je comprenais sa déclaration au sens propre ; c’est-à-dire que si vous ne changez pas, il va vous remplacer » a relaté le Pr Serge Théophile Balima.
Après Serge Théophile Balima, ce fut le tour du témoin Michel Toé, le frère de Fidel Toé.
Avant de verser sa déposition, Toé Michel a tenu à rappeler au tribunal un fait qu’il juge grave. Il a fait savoir au juge que le jour où il est parti prendre son dossier de citation à comparaître à la gendarmerie en tant que témoin, dès qu’il est arrivé à la maison, son téléphone a sonné. C’était un certain Abel Palenfo qu’il a connu par l’entremise de Jean-Pierre Palm qui l’a appelé, dit-il. Au bout du fil, d’après Michel Toé, il a dit ceci : « Il faut qu’on se voit ».
Il se souvient alors lui avoir dit qu’il était déjà à la maison et qu’il ne pouvait plus sortir tout en proposant à son interlocuteur de le rejoindre s’il veut le voir. Finalement, ils ont décidé de se voir. Le jour du rendez-vous, se souvient-il, Abel Palenfo lui a fait savoir lors de cette rencontre : « Le colonel (Jean-Pierre Palm) n’est pas content de toi ». « Je lui ai dit que j’ai juste fait une déposition, rien de plus » a souligné Michel Toé à la barre. Pour lui, il était important de relever cette tentative d’ « intimidation » au juge avant de commencer.
Le tribunal militaire©infoh24
En effet, Toé Michel au moment des faits était étudiant et il venait d’avoir un poste de délégué médical dans une société privée. Il y a une dame qui venait régulièrement voir son patron. C’était la copine de Jean-Pierre Palm, selon lui. Un jour, se souvient-il, son patron lui a demandé s’il pouvait trouver du travail pour la dame. Effectivement, quelque temps après il a trouvé du boulot pour la dame à en croire Michel Toé. Cependant, il fallait qu’elle soit, formée et il avait pris l’initiative de le faire. À chaque séance de leur formation se rappelle-t-il, Jean-Pierre Palm venait assister.
En plus de cela, explique Michel Toé, son emploi de délégué médical le conduisait par moment à l’infirmerie du premier ministère. C’est ainsi, à l’entendre, que lui et Jean-Pierre Palm se sont connus puisqu’il partait à la présidence, il passait par moment saluer Jean-Pierre Palm qui lui proposait du café même souvent. « C’est ainsi que nous nous sommes familiarisés jusqu’à ce qu’il me fasse confiance », relate Michel Toé.
Les deux grandes confidences de Jean-Pierre Palm après le coup d’État, entre 1997-1998 livrés à Michel Toé
Selon Michel Toé, la première confidence, c’est que Jean-Pierre Palm lui a avoué qu’ils avaient prévus attraper son frère, Fidèle Toé, ministre du Travail, de la Fonction et de la Sécurité sociale après les faits et le faire avouer à la radio que Sankara préparait un coup le 15 octobre 1987 à 20h contre Blaise Compaoré et que cela a échoué.
Des avocats de la partie civile©infoh24
La deuxième confidence : « Jean-Pierre Palm m’a avoué qu’il y avait deux commandos qui devaient faire le coup contre Thomas Sankara. Le premier Commando était dirigé par Hyacinthe Kafando et s’il échouait le coup, un deuxième commando devait intervenir et terminer le travail. Ce deuxième commando était dirigé par lui (Jean-Pierre Palm) », relate Michel Toé.
Jean-Pierre Palm, appelé à la barre par le procureur pour une confrontation avec le témoin a nié tout en bloc avant de dire que « les Toé ont un problème avec moi, ils pensent que j’ai arrêté Andrey Bounou Ky, leur parent. C’est une sorte de vengeance qu’il font », explique Jean-Pierre Palm au juge. Mais Michel Toé a maintenu ses propos et fait savoir que cette affaire n’est pas liée avec son neveu André Bourou Ky.
A la suite de Michel Toé, le témoin Gabriel Tamini était à la barre
L’ancien journaliste de la radio nationale, membre du l’Union communiste burkinabè (UCB) et aussi membre du Conseil national de la révolution (CNR), au moment des faits, Gabriel Tamini était à la barre en tant que témoin.
Dans son récit « le 15 octobre 1987, il était à son domicile quand les tirs ont commencé. Il tergiversait entre fuir pour survivre ou rester. Quelques instants après, pendant qu’il cherchait la solution, il a vu un véhicule qui venait de garer devant sa porte. Et c’était feu Salif Diallo avec un chauffeur. Et l’arrivée de Salif était pour lui une opportunité de fuir surtout avec son aide » relate-t-il.
Un aperçu du tribunal©infoh24
A bord du véhicule, sans savoir où on le conduisait, il a demandé à Salif Diallo ce qui s’est passé ? Ce dernier répond en disant qu’il y a eu des tirs au conseil de l’Entente et que Thomas Sankara est mort. Feu Salif Diallo le conduit, à en croire le témoin, directement chez Blaise Compaoré. « Son domicile ressemblait à un camp militaire à leur arrivée et tous les trois chefs de révolution y étaient. (Blaise Compaoré, Henri Zongo et Boukari Jean Baptiste Lingani). De chez Blaise, ils sont allés à la radio nationale où il est resté pour aider à faire pour les déclarations parce qu’il connaissait la maison. Et Il serait resté à la radio jusqu’au lendemain » a soutenu Gabriel Tamini.
Le témoin Gabriel Tamini©infoh24
Suite à ce récit, le parquet militaire est revenu sur ses rapports avec Thomas Sankara. Selon Tamini, il ne reconnaît pas avoir eu des embrouilles avec Thomas Sankara en dehors du 4 juillet 1987, confie-t-il, où Thomas Sankara aurait refusé de le saluer après une réunion. Réunion au cours de laquelle, des contradictions sur plusieurs points, auraient été évoquées par son organisation (UCB).
Après le parquet, ce sont les avocats de la partie civile ont creusé avec des questions pour aller au fond. Et ils ont constaté qu’avec les incohérences du témoin Gabriel Tamini, il doit être retenu comme accusé. Et les avocats ont introduit une requête au tribunal. Mais le tribunal n’a pas suivi la demande et Gabriel Tamini reste toujours comme un témoin dans ce procès.
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