Tribune │Le Burkina Faso confronté à « une panne générale de leadership », selon Maixent Somé
Dans cette tribune exclusive accordée à Faso7, Maixent Somé, analyste politique, fait un diagnostic de la situation sécuritaire au Burkina Faso.
Sept ans après l’insurrection, le Burkina Faso est encore et toujours à la croisée des chemins, et fort démuni face à la crise sécuritaire qui l’accable.
– Manque de leadership au MPP et partant, à l’APMP.
– Crise de leadership au CDP, principal parti de l’opposition dont le congrès est une fois de plus devant les tribunaux…
– Dé crédibilisation totale des OSC, y compris Le Balai Citoyen qui ne mérite pas ce sort. Mais, c’est ainsi. Le Burkina lynche ses héros de leur vivant, pour mieux les sanctifier et les célébrer après leur mort !
Aucun leader naturel n’arrive à émerger et à fédérer autour de lui. Et nous sommes dans une impasse pourtant prévisible depuis 2015…
Mais trop occupé à ses petites affaires et à ses petits calculs, personne n’a voulu voir venir et se préparer en conséquence.
On est restés dans les analyses à périmètre constant.
Les élections se jouant sur qui a le plus grande force de frappe financière, il fallait raccrocher ses wagons à une grosse locomotive…
Or toutes ces locomotives sont à vapeur à l’ère des TGV électriques !
Et puis, il y a ceux qui ont voulu créer leur petite startup politique en espérant se faire racheter…
« Le Burkina lynche ses héros de leur vivant, pour mieux les sanctifier et les célébrer après leur mort ! »
Que de cécité ! Que d’aveuglement ! Que de manque de vision ! Que de manque d’ambition !
Si les Burkinabè ne sont pas sortis lors de cette manifestation du 27 novembre, cela ne veut pas dire qu’ils n’adhèrent pas aux causes. Mais il y a une forme de lassitude et de fatalisme.
Lors de l’émission «Débat de presse» du 28 novembre réunissant les journalistes Abdoulaye Barry, Bouréima Ouédraogo, Albert Nagréongo et Boukary Ouoba, Abdoulaye Barry a parfaitement résumé la situation.
« Il y a un certain nombre d’éléments qui expliquent pourquoi les gens ne sont pas sortis.
La première, c’est le leadership crédible qui puisse fédérer l’ensemble des énergies au niveau national pour aboutir à une véritable révolution, parce que c’est ce que réclament les Burkinabè.
Le deuxième élément, les Burkinabè en ont peut-être marre. Parce qu’il y a un problème de crédibilité qui se pose.
En 2014, ils sont sortis pour donner leur poitrine aux 14.5 (mitrailleuses) au rond-point des Nations Unies, pour chasser la garde prétorienne de Blaise Compaoré, et prendre l’assemblée nationale, chasser Blaise Compaoré après 27 ans de pouvoir.
C’était une conviction. Ils sont sortis parce qu’ils avaient véritablement besoin d’un changement pour leur pays.
Mais à l’arrivée, on s’est rendu compte que la transition a été la plus grande arnaque politique de l’histoire du Burkina Faso.
Des gens qui sont sortis pour lever le poignet de Thomas Sankara et qui ont transféré des dizaines de milliards hors du pays en l’espace de 12 mois !
Ils doivent être poursuivis par la mémoire de Sankara !
La mémoire de Thomas Sankara doit les hanter jour et nuit pour qu’ils demandent pardon au peuple.
Ils ont fait sortir des dizaines de milliards sous le couvert des temples. Là aussi, on met la religion là-dedans pour la corruption.
Des organisations de la société civile ont violé le peuple à ciel ouvert. Ils ont abusé de la bonté du peuple.
Ils ont mobilisé les gens. Les gens sont sortis. Et lorsqu’ils ont pris le pouvoir, des gens qui ne pouvaient même pas s’acheter un vélo de 80 000 FCFA, circulent des voitures V8… Comme on le sait maintenant, c’est 96 millions les V8.
Ca veut dire qu’aujourd’hui, on a une colère nationale qui est là, mais les gens ne veulent pas sortir parce qu’il n’y a pas une image crédible qui puisse fédérer et porter sur ses épaules la colère nationale.
Mais le président du Faso doit être à l’écoute parce qu’il est désormais seul. Cette crise doit lui donner, je veux dire, c’est une chance pour lui, mais c’est la dernière chance pour lui. »
On ne saurait mieux décrire la situation actuelle de notre pays. Notre pays est au bord du gouffre, et aucune solution ne pointe à l’horizon.
«𝘓𝘦 𝘷𝘪𝘦𝘶𝘹 𝘮𝘰𝘯𝘥𝘦 𝘴𝘦 𝘮𝘦𝘶𝘳𝘵, 𝘭𝘦 𝘯𝘰𝘶𝘷𝘦𝘢𝘶 𝘮𝘰𝘯𝘥𝘦 𝘵𝘢𝘳𝘥𝘦 𝘢̀ 𝘢𝘱𝘱𝘢𝘳𝘢𝘪̂𝘵𝘳𝘦 𝘦𝘵 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘤𝘦 𝘤𝘭𝘢𝘪𝘳-𝘰𝘣𝘴𝘤𝘶𝘳 𝘴𝘶𝘳𝘨𝘪𝘴𝘴𝘦𝘯𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘮𝘰𝘯𝘴𝘵𝘳𝘦𝘴», disait Antonio Gramsci.
Dans ce contexte, les politiciens et les “OSC” qui se savent incapables d’arriver au pouvoir dans les conditions institutionnelles normales, mais aussi et surtout tous ceux qui ont des intérêts mafieux à protéger rêvent d’immobilisme, ou alors de putsch ou d’insurrection ramenant les militaires au pouvoir.
« Ils ne se demandent pas comment le RSP avec ses 1 500 hommes pourraient arriver au bout d’un phénomène que les armées de trois pays, appuyées par les 5 000 hommes de Barkhane, la Task Force Takuba, et l’Africom ont du mal à éradiquer »
Or, le double exemple malien (Sanogo, Goïta) montre clairement que abattre les institutions au motif que l’on estime qu’elles sont mal incarnées, voire pas incarnées du tout, c’est la pire des solutions car cela revient à abattre le dernier rempart qui nous sépare du chaos !
Il faut bien avoir à l’esprit que l’armée est restée au pouvoir au Burkina Faso de janvier 1966 à octobre 2014…
Or le phénomène terroriste ayant coïncidé au Burkina avec la chute du régime Compaoré, beaucoup le lient au départ de l’armée du pouvoir, et plus particulièrement à la dissolution du RSP.
« Mais il faut vraiment que le Président s’émancipe du MPP et de l’APMP »
Ils ne se demandent pas comment le RSP avec ses 1 500 hommes pourraient arriver au bout d’un phénomène que les armées de trois pays, appuyées par les 5 000 hommes de Barkhane, la Task Force Takuba, et l’Africom ont du mal à éradiquer !
Contrairement aux apparences médiatiques et des réseaux sociaux, le PF (Président du Faso) a la sympathie de la majorité des Burkinabè, y compris de ceux qui critiquent de bonne foi et sans arrière-pensées politiciennes.
Mais il faut vraiment qu’il s’émancipe du MPP et de l’APMP. Il n’a plus d’enjeux de réélection. C’est son entrée dans l’histoire qui se joue maintenant.
Il est le premier président civil du Burkina en situation de passer démocratiquement et pacifiquement le pouvoir à son successeur, et de prouver ainsi que l’armée au pouvoir n’est pas une fatalité !
Le premier en 60 ans !
Mais si ça continue comme ça, il arrivera un moment où même la crainte du saut dans l’inconnu n’arrêtera plus les gens !
Le pouvoir MPP est aveugle parce qu’il est obsédé par la peur de subir la revanche de ses amis d’hier.
Le vrai danger est ailleurs. Le vrai danger, c’est le mécontentement et la désespérance, mais aussi et surtout le sentiment de trahison de l’esprit de l’insurrection du peuple burkinabè, et non de quelques centaines de nostalgiques d’un passé à jamais révolu !
Sa chance, pour le moment en tout cas, c’est que chacun ressent plus ou moins clairement l’absence d’une alternative crédible et immédiatement disponible.
Mais si ça continue comme ça, il arrivera un moment où même la crainte du saut dans l’inconnu n’arrêtera plus les gens !
Dans la mise en œuvre de ce qu’il appelle lui-même un changement de paradigme, le PF doit avoir à l’esprit cette sentence de Thomas Hobbes (Léviathan 1651) à partir duquel on fait remonter la naissance de l’État moderne :
« Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est la guerre de chacun contre chacun. »
Maixent SOMÉ
L’article Tribune │Le Burkina Faso confronté à « une panne générale de leadership », selon Maixent Somé est apparu en premier sur Faso7.