Le Burkina Faso va mal. Très mal. Non pas tant du fait d’une conjoncture politique apathique depuis la fin de la « transition » – qui est le fait, tout autant, de la classe politique au pouvoir que de celle dite d’opposition – que de la pression qu’exercent sur les populations, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, des groupuscules qui relèvent tout autant de la voyoucratie et du meurtre organisé que d’un terrorisme international vecteur d’un islamisme radical.
La faillite des hommes politiques burkinabè est, aujourd’hui, telle que le président Roch Kaboré a été chercher, pour assumer la responsabilité de premier ministre, un scientifique, certes brillant, mais qui a passé l’essentiel de sa carrière à l’étranger. La vie à Ouaga va lui paraître bien plus douloureuse qu’à Vienne, capitale de l’Autriche où il séjournait depuis près de vingt ans !
Si on veut savoir où en est, actuellement, le Burkina Faso, c’est à Abidjan, capitale de la République de Côte d’Ivoire, qu’il faut se rendre. Si, en 2010, j’écrivais que, pendant la décennie 2000-2010, il valait mieux être Burkinabè qu’Ivoirien, il faut bien reconnaître que depuis 2011 la donne a changé. Et les gouvernements en place à Ouaga depuis la fin de la « transition » semblent avoir passé l’essentiel de leur temps à présenter leurs condoléances à la population burkinabè. Sans rien faire d’autre. C’est en tout cas ce que laisse entendre Téné Birahima Ouattara, frère du chef de l’Etat ivoirien, par ailleurs ministre d’Etat en charge de la Défense. Il l’a dit, voici quelques jours, devant les sénateurs membres de la commission des affaires économiques et financières : « C’est avec le Burkina que nous avons quelques difficultés actuellement ». Ouattara évoque « des hommes », « des populations peulh […] qui font des incursions en Côte d’Ivoire » pour « piller » les régions du Nord du pays mais aussi, pour certains d’entre eux, « installer un mode de vie et une pensée ». Tout en précisant qu’il n’entend « pas aller trop loin sur cette question », il a remarqué : « Nous ne sommes pas des populations qu’ils peuvent transformer facilement ». Manière très elliptique de souligner que la Côte d’Ivoire est touchée désormais par les exactions des « terroristes » – il finira par employer le terme – mais aussi de renvoyer la responsabilité de cette situation du côté de Ouaga où le phénomène ne parvient pas à être endigué et où les populations accepteraient un nouveau « mode de vie et de pensée ».
Echec des technocrates
Depuis l’accession au pouvoir de Roch Kaboré, à la fin de l’année 2015, deux personnalités ont assumé la fonction de premier ministre : Paul Kaba Thiéba, un banquier, pendant trois ans (janvier 2016-janvier 2019) et Christophe Dabiré, un économiste qui avait été ministre sous l’ancien régime, pendant le même laps de temps (janvier 2019-décembre 2021). Ni l’un ni l’autre n’auront laissé penser qu’ils étaient en mesure de changer la donne sécuritaire et, du même coup, économique et sociale. Il faut bien reconnaître que depuis son élection Roch Kaboré n’a pas semblé plus déterminé dans son action ; la vie politique burkinabè, plus encore vue de l’extérieur, est apparue particulièrement atonique en tous domaines, en roue libre quand il lui fallait s’équiper de chenilles. Et le fait de constater que l’opposition politique (CDP en tête) n’a pas fait mieux ne saurait consoler tous ceux qui souffrent, au Burkina Faso, au quotidien, de l’impéritie de la classe politique (plus de 2.000 morts, dit-on, dans des attaques et des attentats depuis 2015 !).
Un inconnu dans la maison
C’est dans ce contexte, et à la suite de « l’affaire d’Inata » (plusieurs dizaines de militaires tués par les djihadistes ou portés « disparus ») que Roch Kaboré a été chercher à Vienne, capitale de l’Autriche, son nouveau premier ministre : le docteur Lassina Zerbo. Pas encore sexagénaire (il est né le 10 octobre 1963 à Bobo-Dioulasso), rien d’un politique mais tout d’un scientifique, un géophysicien qui a fait, jusqu’à présent, une brillante carrière internationale loin de Ouaga et loin de l’Afrique, n’a pas vécu la « Révolution » ni le « Front populaire », ni la « Rectification », ni les années Compaoré (1987-2014), ni l’implication de Ouaga dans la crise ivoirienne (1999-2011) puis dans la crise malienne (2012-2014), ni les « mutineries » de 2011, ni « l’insurrection populaire » de 2014, ni la « transition » et la tentative de coup d’Etat de 2015, ni les années Kaboré (depuis 2016). Il n’a été acteur (et pas même spectateur) d’aucuns des événements majeurs qu’a connu le Burkina Faso depuis quarante ans !
Mais s’il est un inconnu dans la maison, Lassina Zerbo est une figure emblématique de la diaspora intellectuelle africaine dans le monde. Le magazine Forbes ne s’y est pas trompé. Le président français Emmanuel Macron non plus. Et les Nations unies l’ont consacré.
La géophysique, rien que la géophysique
En 1988, Lassina Zerbo était à Caen ; il y obtiendra une licence en géologie fondamentale et appliquée. L’année suivante, en 1989, il rejoindra l’université Jussieu, à Paris, pour un master en géophysique. Son doctorat en géophysique, il l’obtiendra en 1992 à l’université Paris XI, à Orsay, dans le Sud de la capitale française. Il va alors faire de la recherche à Ottawa (Canada) puis à Tucson, en Arizona (Etats-Unis). Puis, il va rejoindre le groupe minier BHP Minerals Exploration, à Herndon, en Virginie (Etats-Unis) et ensuite l’Anglo American Prospecting Service comme géophysicien principal pour l’Afrique de l’Ouest d’abord puis l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Est ensuite. En 2001, il s’installe en Afrique du Sud, à Maccauvlei (célèbre notamment pour son golf), au sud-est de Johannesburg : il est directeur divisionnaire principal pour la géophysique en Afrique et conseiller technique du vice-président exploration de l’Anglo American Plc. En 2001, pendant son séjour en Afrique du Sud, il obtiendra un diplôme sur la gestion des conflits et la diplomatie.
La préservation de la paix et de la sécurité
Changement de cap en novembre 2004. Il rejoint Vienne comme directeur de la division du Centre international de données (CID) au sein de la Commission préparatoire de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (Otice). Le 23 octobre 2012, il sera élu par acclamation, avant même un troisième tour, au poste de secrétaire exécutif de cette institution du système des Nations unies avec 41 voix sur 71. Il était le candidat de l’UA et de la Cédéao et Blaise Compaoré et Djibrill Bassolé s’étaient beaucoup investis pour sa nomination à un poste où il y avait quatre autres candidats. Il prendra ses fonctions le 1er août 2013.
Le 13 janvier 2014, il sera élu personnalité de l’année 2013 de Arms Controle Association, une ONG US, l’emportant face à huit autres nominés. Il s’agissait de reconnaître « ses actions significatives dans la réduction des menaces liées aux armes les plus dangereuses », notamment en Chine et en Corée du Nord. Le 9 janvier 2015, Zerbo sera élevé au rang de commandeur de l’ordre national burkinabè par le président Blaise Compaoré. Il sera ainsi distingué pour « le travail abattu en faveur de la préservation de la paix et de la sécurité internationale ».
« Si cette distinction m’est faite dans le cadre de la paix et de la sécurité, a-t-il déclaré ce jour-là, je demande au tout-puissant que la paix et la sécurité règnent au Burkina et que nous restons dans un monde d’harmonie ». Il faut bien reconnaître que sa demande n’a pas été, jusqu’à présent, entendue.
En août 2017, il sera fait « citoyen d’honneur de la ville de Hiroshima » et en 2018 il recevra l’Award for Science Diplomacy de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS).
Nucléaire vs machette
Sa nomination à la primature est donc une surprise. Lassina Zerbo est un scientifique sans appartenance politique connue, n’ayant jamais exercé de mandat électoral, ni de fonction gouvernementale. Plus encore, il a été coupé de la réalité du terrain burkinabè pendant plus de trois décennies. Il revendique un « leadership transformationnel, innovant et polyvalent », de « l’énergie et de la passion », « une vaste expérience de l’exercice de la diplomatie multilatérale et du management », « une parfaite compréhension du contexte politique international ». Il dit encore avoir une réelle « capacité à diriger, motiver et habiliter ses collaborateurs à se dépasser pour atteindre des objectifs ambitieux » et un « sens aigu de la responsabilité et de la transparence dans l’allocation des ressources ».
Autant de qualités exceptionnelles. Il lui reste à démontrer que le management d’une institution internationale des Nations unies peut préparer efficacement au management d’une équipe gouvernementale confrontée à une situation sécuritaire, diplomatique, économique, culturelle, sociale particulièrement dégradée. Il lui faudra, cependant, dans le même temps, ne pas laisser penser que les politiques burkinabè sont désormais incompétents et inutiles et que la technocratie peut se passer de démocratie. Le nucléaire international, qui relève des Etats, n’a pas les mêmes motivations que les individus qui, au nom d’intérêts particuliers ou d’une idéologie radicale, manipulent les machettes et jouent avec les allumettes.
Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
11 décembre 2021
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