Dadis Camara et les fantômes du 28 septembre
Alors qu’il est acculé par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui exige un calendrier pour le retour des civils au pouvoir, le colonel Mamadi Doumbouya a marqué un gros coup dans sa volonté de réconcilier les Guinéens. La semaine dernière, le tombeur d’Alpha Condé a réussi à faire revenir au pays, ses devanciers à la tête de l’Etat, le capitaine Moussa Dadis Camara et le général Sékouba Konaté, respectivement en exil au Burkina Faso et en France.
Mieux, il est parvenu à les réconcilier, le samedi 25 décembre 2021, au palais Mohamed V de Conakry. Une démarche pour le moins inédite, puisque cela faisait plus de dix ans, que Camara et Konaté, éloignés par des divergences, ne s’étaient plus revus et parlé. Les deux personnalités avaient conduit ensemble la transition, suite au coup d’Etat perpétré en décembre 2008 après le décès de Lassana Conté, avant que le sort décide autrement. Dadis Camara était le président de la junte militaire à l’époque et Sékouba Konaté, le numéro 2.
Après la tentative d’assassinat du premier, le 3 décembre 2009 et son évacuation pour des soins au Maroc, c’est le second qui a pris la tête de la transition jusqu’à l’élection de Alpha Condé en fin 2010. Si la brouille entre ces deux anciens militaires n’impactait pas véritablement la vie publique en Guinée, leur rapprochement sert indéniablement les intérêts du pays. Ils restent des leaders d’opinion écoutés et respectés par leurs partisans au sein des populations civiles et dans l’armée.
Le colonel Doumbouya a donc fait un pas important dans le renforcement de la paix et de l’unité nationale dans ce pays qui a connu des régimes autoritaires ou dictatoriaux. Si l’initiative du président du Comité national de rassemblement pour le développement (CNRD) est à saluer, il peut aussi donner lieu à des spéculations. On le sait, le commandant des forces spéciales est en train de renforcer ses assises et son leadership dans l’armée.
En octobre 2021, Doumbouya a envoyé une quarantaine de généraux à la retraite (des proches d’Alpha Condé et de Sékouba Konaté en font partie) pour s’entourer désormais d’hommes de main. Cette réconciliation pourrait bien profiter à Doumbouya qui affiche une volonté de rassembler la « grande muette » autour de sa personne. Elle pourrait surtout l’aider à prévenir d’éventuels conflits dans les rangs, Camara et Konaté y comptant encore des relais, malgré ces années passées hors des casernes.
C’est de bonne guerre ! Tout geste pouvant consolider la paix et le vivre-ensemble au pays de Sékou Touré est à encourager. Toutefois, nombre de Guinéens craignent que cette réconciliation n’influe sur le dossier du massacre de civils, le 28 septembre 2009 à Conakry, lors d’une manifestation de l’opposition contre le régime de Dadis Camara.
Cette affaire, qui avait fait plus de 150 morts et occasionné des viols sur une centaine de femmes, avait débouché sur une inculpation de l’ancien président de la Transition et d’autres officiers en 2015. Dadis Camara a toujours clamé son innocence dans ce dossier, mais seule la justice est à même de situer les responsabilités.
A peine rentré au bercail, il s’est dit favorable à la tenue d’un procès qui serait, selon ses propres termes, un « ouf de soulagement » pour les familles des victimes, le peuple guinéen et la Communauté internationale. Dans l’attente depuis 12 ans, les organisations des Droits de l’Homme et les proches des victimes espèrent que le retour de Dadis Camara va donner lieu à l’organisation effective d’un procès.
La justice guinéenne y travaille manifestement avec l’appui de la Cour pénale internationale (CPI) qui a récemment rappelé aux autorités, la nécessité de juger les personnes accusées dans l’affaire. En la matière, le colonel Doumbouya est visiblement dans une bonne disposition d’esprit. Il a participé à la commémoration du 12e anniversaire du massacre du 28 septembre 2009 au stade de Conakry.
Une présence qui a été perçue, comme un signal fort, dans la volonté de faire la lumière sur cet évènement malheureux. A moins de jouer à un faux jeu, le colonel Doumbouya ne devrait pas travailler à bloquer la machine judiciaire pour une raison ou pour une autre. L’homme fort de Conakry sait mieux que quiconque, que la vérité et la justice sont des étapes indispensables à la réconciliation nationale à laquelle il tient tant…
Kader Patrick KARANTAO
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