Luc Marius Ibriga, contrôleur général d’Etat : « Notre rôle n’est pas de juger ou sanctionner »
Contrôleur général d’Etat, Luc Marius Ibriga préside, depuis bientôt sept ans, aux destinées de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption (ASCE-LC). Dans cette interview accordée à Sidwaya, il évoque, entre autres sujets, son avenir à la tête de l’ASCE-LC, les limites juridiques de ladite institution, l’opération ‘’mains propres’’ annoncée par le président du Faso, les solutions pour venir à bout de la corruption au pays des Hommes intègres et in fine, la situation nationale.
Sidwaya (S) : Vous auriez eu l’autorisation des plus hautes autorités pour poursuivre votre mission à la tête de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption (ASCE-LC) malgré votre départ à la retraite, selon certaines informations. Qu’en est-il exactement ?
Luc Marius Ibriga (L. M. I.) : A ce niveau, de nombreuses personnes ne connaissent pas la situation de l’ASCE-LC de manière précise. En novembre 2014, j’ai été nommé à la tête de l’ASCE-LC et à l’époque, il n’y avait pas la loi organique 082 2015/CNT qui est intervenue après. Quand j’ai été nommé, le contrôleur général d’Etat n’avait pas de mandat.
C’est-à-dire qu’il était nommé et à tout moment, le gouvernement pouvait décider de mettre fin à ses fonctions. C’est en 2015 lors de la restructuration de l’ASCE-LC que pour mettre l’institution aux normes des principes de Djakarta, il a été souhaité et inscrit dans la loi que dorénavant, le contrôleur général d’Etat ne sera plus nommé de manière discrétionnaire, mais il sera désigné par le conseil d’orientation de l’ASCE-LC et nommé par le chef de l’Etat.
Et cela pour un mandat unique de 5 ans. Il s’est trouvé que nous avons introduit les différents textes qui ont permis la mise en place du conseil d’orientation, mais il fallait qu’un décret soit pris concernant la procédure de désignation du contrôleur général d’Etat. Ce décret n’a été pris qu’en 2021.
Et c’est donc là qu’on a pu mettre en œuvre la procédure et actuellement, le conseil d’orientation se réunit pour arrêter la liste définitive des trois personnes qui sera transmise au chef de l’Etat pour sa nomination. La procédure de désignation du contrôleur général d’Etat est un appel à candidatures, ensuite il y a une validation des dossiers. Il y avait 38 dossiers qui ont été reçus.
A la validation, il y a eu 17 dossiers qui ont été écartés parce que n’étant pas conformes. Sur les 21, il y a eu un processus de sélection sur des critères que le conseil d’orientation a arrêtés et à l’issue de cette présélection, il ne restait plus que quatre candidats. Ces derniers sont soumis à l’enquête de moralité. Le conseil d’orientation élimine ceux dont les dossiers auraient montré qu’ils ont des faits qu’on leur reproche.
Si ce n’est pas le cas, il y a un entretien avec chaque candidat avant que le conseil d’orientation n’arrête une liste de trois noms à soumettre au chef de l’Etat. Nous sommes actuellement dans la procédure de l’entretien avec les candidats en vue d’arrêter la liste. Pour ma part, je n’avais pas de mandat. Par exemple, si le décret avait été arrêté plus tôt, peut-être que je serais parti au bout de trois, quatre ou cinq ans.
Voilà pourquoi au lieu de cinq ans comme dit la loi, je suis là depuis sept ans. Et c’est pour cela que d’aucuns avaient écrit à un moment donné que je suis hors-la-loi. Ce qui n’était pas vrai. Car, les textes d’application de la disposition de la loi organique 082 n’avaient pas été pris. Et on ne pouvait donc pas pourvoir au poste de contrôleur général d’Etat.
J’espère que d’ici la fin de l’année, l’ASCE-LC aura un nouveau contrôleur général d’Etat qui va continuer la tâche. Parce que la loi organique a été faite pour véritablement assurer l’autonomie du contrôleur général d’Etat par rapport aux différents pouvoirs.
S : Peut-on s’attendre à vous voir continuer votre mission ?
L. M. I. : Non. Car, il aurait fallu que je sois candidat, que j’aie postulé. Mais je ne suis pas candidat. Et cela aurait été à l’encontre de l’esprit de la loi, même si sur le plan formel on pourrait discuter pour dire que la loi n’est pas rétroactive et qu’elle ne me concernait pas. L’esprit de la loi est de faire en sorte que le contrôleur général d’Etat n’ait qu’un seul mandat. Parce que quand vous avez deux mandats ou plus, la tentation est grande de s’entendre en définitive avec ceux qui vous nomment.
Et cela peut compromettre l’indépendance du contrôleur général d’Etat. Je ne suis pas susceptible de continuer ma mission parce que si le contrôleur général d’Etat est désigné, j’irai faire valoir mes droits à la retraite comme je les ai fait valoir à l’université.
S : Vous avez été récemment reçu par le chef de l’Etat, de quoi a-t-il été question ?
L. M. I. : Nous avons été reçus par le chef de l’Etat et nous avons échangé. C’était en même temps avec le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance Ouaga I. Nous avons échangé sur la situation et sur la préoccupation du chef de l’Etat qui veut donner un coup de force à la lutte contre la corruption et l’impunité. Nous lui avons remis un document que nous, autorité supérieure de contrôle d’Etat, avons élaboré de concert avec le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC).
Nous avons interpellé le 18 décembre 2020 les trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. A l’époque, il se trouvait que l’exécutif n’avait pas pu participer à cette tribune d’interpellation. Donc, nous avons une synthèse de cette tribune d’interpellation qui contenait déjà des éléments qui montraient les priorités dans la lutte contre la corruption.
C’est ce document que nous avons remis au chef de l’Etat et avons échangé sur un certain nombre de questions qui concernent l’ASCE-LC, notamment son fonds d’intervention. L’investissement dans la lutte contre la corruption est un investissement rentable. Le chef de l’Etat a promis de nous revoir pour les différentes orientations par rapport à l’action qu’il entend entreprendre dans ce domaine.
S : Selon vous, qu’est-ce qu’il faut faire véritablement pour mettre fin à la corruption au Burkina Faso ?
L. M. I. : Pour lutter contre la corruption, il y a deux trépieds sur lesquels on doit s’appuyer. Il y a d’abord la prévention, c’est-à-dire qu’on doit avoir les moyens pour faire la sensibilisation de masse. Faire en sorte que la culture du refus de la corruption s’enracine dans le comportement social. Cette action suppose que l’on commence par les plus petites générations.
C’est la question de l’introduction ou du renforcement de l’instruction civique à l’école, de parler de la question de l’intégrité aux plus jeunes générations pour qu’elles grandissent avec cette culture du refus de la corruption. Ensuite, deuxième trépied, il s’agit de la répression, de lutter contre l’impunité, d’éviter que les actes de corruption restent impunis. Le problème est que quand vous avez une occurrence de corruption qui n’est pas dénoncée ni punie, cela incite tous ceux qui auraient pu se comporter de manière intègre à glisser vers la corruption.
Il faut donc qu’il y ait la répression pour montrer que la corruption est un danger pour la cohésion sociale, car elle installe l’injustice dans la société. Quand on en bénéficie, on a l’impression que la corruption est une bonne chose. Mais lorsqu’elle vous rattrape, vous vous rendez compte qu’elle crée l’injustice. Ce sont toujours ceux qui sont les plus faibles qui sont les victimes de la corruption.
Au départ, vous pensez que vous pouvez entrer dans le cycle de la corruption parce que ce que demande le corrompu n’est pas important. On vous dit de donner 100 F CFA et vous voyez que vous pouvez donner. Ensuite, on réclame plus, 500 F CFA. Et quand on monte, il y en a qui sont éliminés parce qu’ils ne pourront pas avoir le service.
Et ainsi de suite et vous vous rendez compte qu’à terme, les exigences deviennent trop grandes. Cette injustice fait en sorte que dans la société, les rancœurs se développent et elle devient très fragile. Il suffit simplement de certains éléments pour que la société s’embrase. Donc il faut lutter sur les deux situations : la prévention en rappelant à tout le monde que l’intégrité est le socle de notre cohésion. La répression pour montrer que l’acte de corruption va à l’encontre du bien social et du bien commun.
S. : Dans le sens de la répression, le président du Faso a, dans son message dernier, annoncé une opération ‘’mains propres’’. Quel commentaire faites-vous de cette opération ?
L. M. I. : Il n’est jamais tard pour bien faire parce que de ce point de vue, dans le rapport de l’ASCE-LC, nous avons souligné à plusieurs reprises que l’impunité fait le lit de la corruption. Quand vous regardez au Burkina Faso, nous avons constaté après l’insurrection une baisse de la corruption jusqu’en 2017. Pourquoi cela ? Parce qu’avec l’insurrection, il y avait une nouvelle demande qui a fait jour à savoir que, plus rien ne sera comme avant. Tous ceux qui étaient dans des actes de corruption ont pris du recul pour éviter de tomber sur le coup de la répression.
Ce d’autant plus qu’à l’époque, il y a eu la loi anti-corruption. Il y avait des risques. Mais s’étant rendu compte que la sanction des actes de corruption ne venait pas, il y a eu une remontée de la corruption. Aujourd’hui, sanctionner la corruption, c’est poser un acte qui remet la société dans le bon sens. Et pour nous, il n’est jamais tard. Puisque s’il n’y a pas une opération ‘’mains propres’’ qui amène les uns et les autres à penser que la corruption ne peut pas être un mode d’acquisition ou d’enrichissement, cela veut dire que nous voulons laisser notre société aux mains de ce fléau. En ce moment, nous allons aller vers une société plus injuste et plus violente.
S : Sous la Transition, il y a eu une loi sur le délit d’apparence qui a été votée, mais jusque-là on ne voit pas le décret d’application. Qu’est-ce qui se passe à ce niveau ?
L. M. I. : Là, je ne suis pas d’accord avec vous. Des décrets d’application ont bel et bien été pris. Maintenant, il y a un autre problème qui se pose pour le délit d’apparence. Sinon, vous avez le décret 2016/465/PRES/PM/MJTHB portant fixation du seuil relatif au délit d’apparence qui dit que si votre patrimoine croit au-delà de 5% de vos revenus licites, vous pouvez être poursuivi pour délit d’apparence. Maintenant, le problème qui se pose est de savoir qui poursuivre ?
Est-ce que tout citoyen peut aller le faire auprès du procureur ou bien c’est le procureur qui peut le faire ou encore l’ASCE-LC ? Aujourd’hui, nous savons qu’il est possible pour des citoyens de poursuivre ou de porter plainte pour délit d’apparence d’autant plus que la loi prévoit qu’en cas de dénonciation calomnieuse, vous serez poursuivi aussi pour cela. Maintenant, la question qui se pose est de savoir si le délit d’apparence dit que la charge de la preuve est inversée, c’est-à-dire que celui qui est accusé doit apporter la preuve qu’il n’a pas commis de faute. Il se trouve que le délit d’apparence demande aussi que celui qui accuse fasse des investigations pour pouvoir, au besoin, contredire les justificatifs que les uns et les autres donnent.
Prenons quelqu’un qui est poursuivi pour délit d’apparence et qui vous dit qu’il n’a qu’un terrain à Ouagadougou. Vous n’êtes pas à même d’être certain qu’il a un terrain puisque vous n’avez pas un fichier cadastral fiable. Il dit que sa maison fait 50 millions F CFA. Cela suppose que vous fassiez une contre-expertise pour dire qu’elle ne fait pas 50 millions. C’est cette difficulté qui fait qu’aujourd’hui le délit d’apparence n’est pas beaucoup utilisé.
Il a été utilisé dans le cadre de l’affaire Bouda (Jean-Claude, ancien ministre de la Défense) et nous avons, dans le cadre de la réunion des preuves, vu les coûts que cela pouvait donner pour le Trésor public. Voilà pourquoi nous disons qu’il faut beaucoup de ressources. Et il faut que le délit d’apparence soit associé à un certain nombre d’informations que nous pouvons avoir. Par exemple, si au Burkina Faso on pouvait demander aux impôts ou au domaine de nous donner les situations des propriétés foncières, des propriétés bâties d’une telle personne et qu’à l’instant en cliquant sur l’ordinateur on l’avait, ce serait bien.
La preuve est que nous sommes allés à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique en France, pour voir comment ils travaillent. Ceux qui font leurs déclarations envoient des lettres dans les différentes administrations qui leur retournent les informations et c’est sur cette base qu’ils travaillent pour déterminer si la personne a fait une fausse déclaration ou pas. Or, ici au Burkina Faso, c’est difficile dans la mesure où nous n’avons pas un cadastre formel. De plus, nous avons beaucoup de prête-noms.
On ne peut même pas identifier de façon certaine le propriétaire d’une propriété bâtie. Parfois, on vous dit qu’un tel est propriétaire de tel immeuble et quand vous regardez son activité, il n’est pas susceptible d’avoir ce genre d’immeuble. Cela suppose véritablement qu’au niveau de notre administration et au niveau de la gestion des biens dans notre pays, il y ait une amélioration des méthodes de gestion pour véritablement permettre au délit d’apparence d’être utilisé.
On peut le faire, on peut l’utiliser puisqu’il suffit simplement de calculer les 5%, par rapport au revenu licite. Par exemple, dans l’affaire Bouda, il a fallu prendre le salaire qu’il perçoit en tant que ministre dans une année et de regarder la réalisation qu’il a eu à faire pour savoir que son salaire qu’il reçoit en une année, qui fait autour de 13 ou 14 millions, et, dans le même temps, construire un immeuble de plus de 100 millions F CFA. Cela suppose que vous avez soit pris un prêt bancaire, soit vous avez hérité quelque part. Et si tout cela n’existe pas, vous devez prouver que vous avez reçu des ressources quelque part pour pouvoir le réaliser.
S : On constate qu’en matière de lutte contre la corruption, vous dénoncez des cas de corruption, mais la justice ne répond pas convenablement. Qu’est-ce qui peut expliquer cet état de fait ?
L. M. I. : Je pense que cet état de fait peut s’expliquer par le fait que, la dénonciation faite par un journal suppose que la justice s’en saisisse. C’est vrai qu’avec les nouveaux textes sur la justice et la magistrature, le procureur du Faso peut s’autosaisir. Il n’a pas besoin d’attendre d’avoir des instructions du ministère de la Justice pour le faire. Mais, il reste une disposition qui dit que le procureur a l’opportunité de la poursuite.
C’est lui qui juge s’il est opportun de poursuivre ou pas sauf dans le cas où il est saisi par l’ASCE-LC. Là, la loi 04 dit que quand il est saisi par l’ASCE-LC, il est tenu de poursuivre. Donc, il faut d’abord que le juge soit saisi parce que la dénonciation seule n’entraine pas la saisine. Deuxièmement, les procédures judiciaires, dans un Etat de droit, sont longues. Surtout quand cela concerne des personnes qui ont des moyens et qui sont capables de prendre des avocats.
Ce qui fait que sur des questions de procédures, cela peut durer. Vous avez vu le dossier concernant la Commission de lutte contre la fraude des douaniers qui avaient été arrêtés. Pour une question de procédures, la Chambre de la cour d’appel a annulé la procédure et il fallait recommencer à zéro. Parce qu’il y a un élément important : c’est l’habeas corpus qui dit que toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que l’on apporte la preuve de sa culpabilité. Or quand il y a dénonciation, cela ne veut pas dire qu’il y a culpabilité.
C’est une fois que le juge a tranché que l’on peut dire que la personne est coupable. C’est pour cela que nous prenons toujours le soin de dire que les rapports de l’ASCE-LC ne valent pas culpabilité et que si l’on les utilise, il faut prendre le soin de préserver la présomption d’innocence. Nous réunissons des preuves que nous adressons au procureur. Il lui appartient de saisir un juge.
Parfois, il peut utiliser une procédure plus rapide parce qu’il a des éléments pour faire juger immédiatement, sinon il est obligé de passer par le juge d’instruction qui n’a pas ce seul dossier à traiter. Ceux qui sont dans les pôles judiciaires spécialisés continuent d’occuper leurs fonctions de tous les jours au niveau du tribunal. Vous voyez bien qu’il y a peut-être une surcharge de travail et surtout qu’en matière de justice, c’est la question des personnes qui sont incarcérées qui est prioritaire.
Vous savez tous que la liberté c’est la règle et l’emprisonnement l’exception. Quand il y a des personnes qui sont en détention, leurs dossiers sont prioritaires par rapport aux autres. C’est tout cela qui pose problème et qui a fait en sorte qu’on a créé en 2017 les pôles judiciaires spécialisés. Mais cela suppose qu’il y ait des effectifs pour ces pôles et qu’il y ait un statut parce que ces juges doivent se spécialiser.
Ce qui veut dire qu’ils doivent travailler aux pôles. En ce moment, cela veut dire qu’ils n’ont pas des opportunités comme les autres de devenir président de tribunal ou procureur. Donc, il faut que l’on trace un statut pour que ces personnes aussi puissent évoluer. On a vu des gens qui étaient dans les pôles spécialisés les quitter pour aller être président de tribunal. On a ainsi investi de l’argent pour quelqu’un, le former et il va prononcer des divorces au lieu de traquer les crimes économico-financiers. C’est cela qui explique les problèmes de la lenteur que l’on peut constater dans les traitements des dossiers.
S : Mais, le fait que les procédures ne partent pas jusqu’au bout ne vous décourage pas dans votre tâche de contrôleur ?
L. M. I. : Non ! La loi 082 et la loi 04 ont été aménagées en disant que les délais de prescription courent à partir du moment où l’ASCE-LC est au courant. Vous pouvez commettre quelque chose depuis dix ans et si c’est aujourd’hui que l’ASCE-LC découvre la question, c’est à partir de ce moment que court le délai de prescription. Cela veut dire que ces éléments existent toujours.
Je vous donne un exemple. Sous la Transition, un certain nombre de maires avaient été mis en cause et même détenus pour des questions de lotissement. Mais tous ces dossiers avaient été traités sur la base des rapports de l’ASCE-LC faits avant l’insurrection. Cela veut dire que l’important est que ce travail soit fait. Car, il peut être exploité et c’est cela notre rôle. Notre rôle n’est pas de juger.
L’ASCE-LC n’a pas vocation à sanctionner. Si nous avions à sanctionner, ce serait grave parce cela veut dire que dès que vous êtes dans le collimateur de l’ASCE-LC, nous allons tout faire pour mener une enquête à charge alors que nous devons le faire à charge et à décharge et présenter au procureur les éléments qui permettent au juge de décider si vous devez être inculpé ou pas. Donc, ce travail nous le faisons sur la base d’un certain nombre de principes, du Code de procédure pénal, du Code pénal.
Donc, il y a cette partie investigation et nous avons l’autre partie qui est le contrôle qui alimente l’investigation. Lorsqu’on va regarder ce que font les gestionnaires de l’Etat, nous regardons en fonction des règles que l’Etat s’est lui-même donné : est-ce que vous avez respecté les règles ou pas ? Si vous ne les avez pas respectées, cela constitue une faute de gestion, une infraction.
Si vous n’avez pas respecté les règles, la ressource n’a pas été utilisée, vous l’avez gardée pour vous, cela devient une infraction. Et cette infraction, nous la soumettons au procureur du Faso. Et cette infraction, nous l’envoyons à la Cour des comptes. Cela peut être simplement une faute professionnelle et en ce moment, nous adressons notre recommandation au supérieur hiérarchique en vue de mettre en branle la procédure disciplinaire.
Donc, nous avons trois orientations des résultats des travaux de l’ASCE-LC. Soit, c’est le supérieur hiérarchique ou le ministre, soit la Cour des comptes pour les fautes de gestion, soit le procureur en cas d’infraction.
S : Qu’en est-il des cas de dossiers de contrôle transmis à la justice ? Y a-t-il un suivi ?
L. M. I. : Lorsque vous prenez le rapport général des travaux de l’ASCE-LC produit chaque année, il y a une rubrique intitulée : « Suivi des recommandations et des affaires en justice ». Si vous allez à cette rubrique, vous verrez quelles sont les recommandations qui ont été mises en œuvre et les affaires en justice ou à quel stade se trouve tel ou tel dossier. Actuellement, nous avons pu mener une activité avec les différents tribunaux, pour avoir une base de données sur toutes les affaires, en lien avec la corruption qui ont été traitées par les tribunaux au Burkina.
Cette base de données va être bientôt disponible et permettre aux Burkinabè s’ils le veulent, de pouvoir savoir à quel degré se trouve telle affaire. Nous avons un département qui travaille à suivre la mise en œuvre des recommandations de l’ASCE-LC.
S : Chaque année, l’ASCE-LC choisit un certain nombre de structures pour le contrôle. Comment justifiez-vous de tels choix ?
«Quand j’ai été nommé, le contrôleur général d’Etat n’avait
pas de mandat ».
L. M. I. : Souvent, il y en a qui trouvent que nous exagérons et venons toujours chez eux, alors que d’autres ne sont pas contrôlés. En réalité, nous travaillons sur la base de la notion de risques. Il y a des administrations où le risque est plus élevé. En ce moment, la présence du contrôle permet de minimiser les cas où des irrégularités pourraient être posées. Et c’est pour cela que nous avons proposé (et qui a été accepté) sous la Transition, l’audit n-1. C’est-à-dire chaque année, nous passons en revue la gestion passée du gouvernement sur un certain nombre de points. Nous avions choisi les marchés publics, le carburant, les comptes de dépôt, les régies d’avance…
Lorsque nous avons fait la première année, nous étions surpris par les résultats tant les irrégularités étaient nombreuses. Vous avez même suivi à un moment donné quand on a fait le rapport sur la présidence avec la question du carburant, cela a fait des gorges chaudes. Mais le fait que cela se passe à la présidence chaque année a vraiment permis de diminuer les irrégularités.
Et aujourd’hui, je peux dire que par rapport à 2015, il y a vraiment une utilisation rationnelle du carburant. Puisqu’il est fait obligation que chaque administration tienne un registre d’utilisation du carburant. Ce qui fait que, quand on vient, on peut savoir qui a droit, combien de francs ont été décaissés, etc., et on peut comparer. Sur ce plan, je dirai que les règles que la loi prévoit, ce sont ces règles-là qui sont notre base. Parce que dans notre administration, ce que nous avons constaté, et nous l’avons relevé à plusieurs reprises, on travaille sans manuel de procédures.
On travaille au pifomètre. Lorsque des gens sont épinglés, ils vous disent tout simplement que « c’est comme cela qu’on fait. Moi, je suis arrivé ici, c’est toujours comme cela qu’on a fait ». Donc, on ne se pose même plus la question de savoir si la manière dont nous travaillons est conforme à la règlementation. Et c’est cela. Quand on dit que c’est irrégulier, on ne veut pas dire que la personne a empoché de l’argent.
Si vous faites un marché avec quelqu’un et vous dites que c’est urgent alors que vous n’avez pas révisé votre plan de passation de marché, il y a nécessairement problème. Vous pourriez même montrer ce à quoi a servi l’argent, mais il y a détournement du point de vue de la destination. C’est une faute de gestion et non une infraction. Voilà pourquoi quand on dit, il y a la dette régulière et la dette irrégulière de l’Etat, cela veut dire que c’est la loi elle-même qui dit que quand une activité est réalisée sans avoir suivi les procédures, l’Etat n’est pas engagé.
S : Cette faute est-elle punie par la loi ?
L. M. I. : Cette faute est punie comme une faute de gestion. Et c’est la Cour des comptes qui le fait. Heureusement, la Cour des comptes a, depuis l’année dernière, mis en place la chambre de discipline budgétaire qui est chargée de juger les fautes de gestion. C’est pour cela que tout récemment, l’Etat a mis en place une commission pour l’apurement de la dette irrégulière.
C’est-à-dire qu’il y a des cas où manifestement, l’administration profite de la réalisation. Mais comme la loi a dit que l’administration ne peut pas payer étant donné que cela n’a pas suivi les procédures, il y a un enrichissement sans cause de l’Etat. Quand nous disons irrégularité, cela ne veut pas dire que la personne en a bénéficié, mais que la personne n’a pas respecté les procédures qui sont prévues en l’espèce.
S : Est-ce qu’il n’y a pas lieu de relire les textes concernant les détournements pour dire qu’une dépense peut être affectée pour des cas d’urgence ?
L. M. I. : Oui. Mais en ce moment, il y a une procédure que vous devez utiliser. Vous devez demander une autorisation pour le faire. Et une autorisation vous est donnée pour utiliser cet argent. Mais si vous n’avez pas l’autorisation et que vous le faites, si l’ASCE-LC arrive, elle vous dira que c’est irrégulier. Et il s’agit d’une faute de gestion.
S : Est-ce à dire que malgré l’urgence, il faut attendre obligatoirement une autorisation ?
L. M. I. : L’autorisation peut se faire. Il y a des procédures très rapides qui permettent de le faire. C’est cela qui permet la flexibilité. Compte tenu de la spécificité de l’administration et compte tenu des montants, il y a une possibilité d’utiliser des procédures rapides. Mais si vous voulez engager des sommes très importantes, souffrez que l’Etat prenne aussi des précautions pour ne pas voir des milliards disparaitre. Mais si vous voulez utiliser 1 million F CFA, 500 000 F CFA ou autres, la procédure n’est pas la même.
Il y a des échelons où vous devez demander l’autorisation. C’est pourquoi le plan de passation de marchés établi en début d’année peut être modifié. Et donc, il y a une anticipation. Ce que l’on veut, c’est que nos administrations s’inscrivent dans l’anticipation, c’est-à-dire qu’on a un état de la situation, et on fait un certain nombre de provisions. Par exemple, si la ligne réparation est épuisée avant, il vous appartient de remodifier pour l’alimenter. Mais vous ne pouvez pas simplement engager une dépense parce que de l’argent est à votre disposition.
S : Le REN-LAC a publié récemment un rapport où il est fait cas de corruption électorale lors des élections couplées de novembre 2020. Selon ce rapport, le MPP, le CDP et l’UPC sont en tête de liste. Quel commentaire vous inspire cet état de fait ?
L. M. I. : Au Burkina Faso, sous la Transition, les textes ont été adoptés contre le fait de donner de l’argent, des tee-shirts, etc. Tout cela a été détourné par quoi ? Qu’est-ce que les partis politiques ont fait ? Ils ont choisi des couleurs et leurs militants s’habillent selon ces couleurs. Donc vous avez ici, un contournement de la loi pour donner un certain nombre de tee-shirts.
Alors quelqu’un qui porte un tee-shirt orange, jaune-vert ou n’importe quelle couleur, vous ne pouvez pas dire que ce tee-shirt lui a été donné d’autant plus que vous avez un certain nombre de groupes qui s’organisent pour avoir des tee-shirts qui ont cette couleur, mais qui ne sont pas totalement les mêmes. Des partis ont financé des stations d’essence où les gens sont venus prendre du carburant pour aller aux meetings.
Vous avez également la pratique de la massification des meetings où les cars sont stationnés dans les quartiers périphériques pour amener les gens. Mais tout cela vient du fait que c’est l’encadrement juridique qui est déficient.
Premièrement, au Burkina Faso, nous n’avons pas un texte sur le plafonnement des délits de dépenses des campagnes. Or, l’Etat finance les partis politiques et les campagnes électorales. Alors, s’il n’y a pas de plafonnement de dépenses de campagne, certains utiliseront des moyens dix fois voire cent fois plus que ce que l’Etat leur donne. Vous voyez bien, quand vous êtes en campagne, vous avez toujours cet argument de ceux qui n’ont pas la ressource qui vous disent : « nous, nous allons faire de la campagne de proximité », tout simplement parce qu’ils n’ont pas de moyens pour faire de grands meetings.
Deuxièmement, il n’y a pas de plafonnement de dépenses de campagne, donc le financement public est inutile. Qu’est-ce que vise le financement public? Il vise à instaurer l’équité entre les candidats et permettre à ce que l’argent ne soit pas un élément qui va déterminer l’élection. Mais cela est aggravé par le fait qu’il n’y a pas un encadrement du financement privé des partis politiques. Donc, il y a des partis politiques qui, face aux opérateurs économiques et autres, reçoivent plus que les autres.
On n’a pas mis en place un système qui permettrait l’émergence de mécènes politiques. Ces derniers peuvent financer la campagne politique, mais cela tombe dans une corbeille commune. Et cette corbeille commune est répartie entre les différents candidats et l’Etat en retour vous donne soit des dégrèvements fiscaux, soit un certain nombre d’avantages. En ce moment, personne ne doit quelque chose à l’autre.
Si on veut lutter contre la corruption, il faut que l’on travaille à un plafonnement des dépenses de campagnes et à un encadrement du financement privé. En ce qui concerne l’ASCE-LC, compte tenu du faible nombre limité de contrôleurs d’Etat, elle n’a pas les moyens ou la possibilité de suivre toute la campagne. C’est pour cela que nous avons, en amont, dit aux candidats de justifier la caution des 25 millions F CFA.
Il faut éviter que les gens utilisent l’argent du blanchiment pour être des candidats. Parce que si nous ne faisons pas attention, bientôt, ce sont les mafieux et les trafiquants qui vont être des candidats aux élections. Parce qu’ils ont les moyens.
S : Par rapport à ces cas de corruption électorale, est-ce que l’ASCE-LC a mené des actions auprès des partis politiques incriminés comme le MPP, le CDP ?
L. M. I. : Le rapport est venu après, mais ce que nous avons fait, nous avons demandé à tous les candidats à la présidentielle de justifier la caution des 25 millions et où est-ce qu’ils ont eu les 25 millions pour déposer comme caution.
Nous avons adressé à tous les partis politiques et à l’administration une correspondance concernant l’utilisation des biens publics notamment au gouvernement pour dire que c’est contraire à la loi que d’utiliser les véhicules de fonction ou de faire des missions sous le couvert de l’Etat à des fins de campagnes électorales. Mais le problème qui s’oppose cette année par exemple pour les dernières élections, l’ASCE-LC n’a pas eu les moyens pour faire une campagne d’affichage concernant la corruption électorale. Nous n’avons pas les moyens pour le faire et aujourd’hui si vous prenez l’ASCE-LC, vous avez 25 contrôleurs d’Etat.
S : Le REN-LAC a publié son rapport sur la corruption électorale. Est-ce que l’ASCE-LC s’est-elle intéressée au contenu du document?
L. M. I. : Oui. Le REN-LAC a publié son rapport, mais il y a un juge des élections qui s’est saisi de l’affaire. Puisque ces questions de corruption électorale ont été déposées auprès du juge et le juge de l’élection a considéré que ce n’était pas des infractions à prendre en considération ou qui puissent changer le cours des élections.
C’est cela aussi un des aspects. Parce que quand vous prenez des gens qui mettent de l’essence dans leur moto, le juge vous dira qu’il y a aucune preuve que ce soit quelque chose qui a été financé par un parti politique. C’est-à-dire que si vous voulez convaincre le juge, vous devrez non seulement avoir des photos, mais avoir aussi la déposition du propriétaire de la station pour qu’on sache que c’est tel parti qui a payé pour qu’on serve telle ou telle personne.
Et c’est cela la difficulté. On constate des faits qui, manifestement, sont des faits de corruption. Maintenant, c’est l’administration des preuves parce que les photos et autres ne sont que des commencements de preuve. Donc, il faut qu’il y ait des regroupements et le lien de causalité. C’est-à-dire une relation entre le parti et la station qui donne l’ordre de servir ceux qui vont au meeting. Et c’est cela qui est difficile à établir.
S : Est-ce que cet état de fait n’est pas un handicap pour une gouvernance vertueuse ?
L. M. I. : Bien sûr, il est difficile d’avoir une gouvernance vertueuse dans ces conditions. Car, les opérateurs économiques ne financent pas les partis politiques parce qu’ils les aiment. Ils les financent parce qu’ils considèrent que c’est un investissement qu’ils font et ils attendent un retour de l’ascenseur.
Et donc si nous ne prenons pas le soin de faire en sorte de moraliser cela, il ne faut pas être étonné par la suite que des marchés publics soient donnés à telle ou telle personne. D’ailleurs, il y a un professeur qui disait que les hommes politiques et les présidents en Afrique sont tenus par plusieurs choses. Ils sont tenus par les militants qui disent que ce sont eux qui ont mouillé le maillot pour qu’ils arrivent au pouvoir.
Ils sont tenus par les opérateurs économiques qui ont financé la campagne. Ils sont tenus par les partenaires techniques et financiers qui disent que c’est grâce à eux que les élections ont pu se tenir et autre. Donc, ils n’ont plus de liberté. C’est pourquoi nous devons réglementer tout cela et faire en sorte que les opérateurs économiques ne conduisent pas notre système vers la ploutocratie.
Parce qu’en définitive, ce seront eux qui vont déterminer qui va gagner et non pas le peuple. Et si on gagne les élections par la corruption, ce n’est pas du jour au lendemain que l’on deviendra vertueux. Il y a donc de fortes chances que l’on soit en présence d’une gouvernance teintée de corruption.
S : Manque de moyens de l’ASCE-LC, faible nombre de contrôleurs, etc., est-ce que c’est un manque de volonté politique qui maintient votre institution dans cette précarité ?
L. M. I. : Oui, je dirais qu’à la fin, on est obligé de traduire cela par un manque de volonté politique. Parce que dans les textes de l’ASCE-LC, la loi organique 082 a été adoptée en 2015 et la loi, elle-même avait dit que le gouvernement avait un an pour prendre les décrets d’application et la rendre opérationnelle. C’est-à-dire en février 2017 puisque la loi a été promulguée en février 2016. Nous avions préparé tous les projets de textes et nous les avions remis. Et ce n’est qu’en 2021 que ces textes ont été adoptés. Donc l’organigramme de l’ASCE-LC n’était pas prévu.
Il y avait certains dans l’administration qui disaient : « vous qui dites aux gens d’être en règle et vous-mêmes, vous n’existez pas, parce que vos décrets d’application n’ont pas été pris ». Nous avons commencé à appliquer l’organigramme prévu par la loi alors que le décret n’était pas là. Le statut, le régime juridique applicable au contrôleur d’Etat, aux assistants de vérification et aux enquêteurs n’étaient pas adoptés.
On a lancé plusieurs fois le recrutement du contrôleur d’Etat, mais les gens ne se sont pas bousculés. Parce qu’ils ne savent pas à quelle sauce, ils seront mangés. Donc c’est quelque chose qui nous a un peu plombés dans notre action. En 2014, quand j’arrivais, nous avions 32 contrôleurs d’Etat, aujourd’hui nous sommes à 23.
Dans l’intervalle, il y a des gens qui sont allés à la retraite alors que le plan que nous avions fait c’était qu’à l’horizon 2020, nous devions être à plus d’une cinquantaine de contrôleurs d’Etat, plus d’une vingtaine d’assistants de vérification et plus d’une trentaine d’enquêteurs. Or, aujourd’hui, nous n’avons que des contrôleurs d’Etat et la mise à disposition de trois policiers et trois gendarmes.
Certains pensaient profiter de l’occasion pour revoir la loi organique, car ils trouvaient qu’on avait donné trop de pouvoir à l’ASCE-LC. Et chaque fois dans nos décrets d’application, on voyait des mentions comme la loi doit être réélue, etc. Il y a même certains conseillers qui ont poussé l’outrecuidance jusqu’à dire que le Conseil constitutionnel s’est trompé en déclarant la loi organique conforme à la Constitution.
Il y a eu donc des avis de tripoter la loi organique 082. Mais le problème est qu’on ne pouvait pas passer à l’acte, parce que cela aurait manifestement traduit une volonté de revenir en arrière. Donc, on a utilisé le fait de l’attentisme pour faire en sorte qu’elle n’ait pas sa pleine mesure. Alors que l’ASCE-LC a été invitée à plusieurs reprises par l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) pour présenter la construction de l’ASCE-LC comme étant l’une des agences anticorruption qui soient les mieux imaginées.
Mais, malheureusement, chaque fois que nous rencontrions certains partenaires techniques et financiers, ils nous demandaient quand nous aurons nos textes d’application. Nous leur disions que c’est déposé, peut-être dans les mois prochains. Et c’est quatre mois après que cela a eu lieu.
C’est donc manifestement la traduction d’un manque de volonté politique parce que c’est le gouvernement qui devait prendre ces décrets d’application.
S : Au regard de toutes ces difficultés de fonctionnement, est-ce que vous croyez à l’opération ‘’mains propres’’ lancée par l’Etat ?
L. M. I. : Mieux vaut tard que jamais. Nous disons que c’est une occasion, une chance à saisir par le président du Faso. Si on veut faire une opération ‘’mains propres’’, nous sommes disposés à aller dans ce sens. Nous pouvons établir la liste de tous ceux qui ont fait des malversations pour transmettre au chef de l’Etat. Nous l’avons, certes déjà fait, mais il suffit seulement de réactualiser.
Nous avions en son temps demandé que les noms des personnes qui doivent être nommées soient envoyés à l’avance pour que nous vérifiions si elles ne sont pas sur la liste de ceux qui ont des casseroles. Oui, sinon, vous nommez quelqu’un et il y a une casserole qui sort et on dit qu’on ne le savait pas. Déjà, la personne doit se justifier. Nous avons reçu cela une seule fois.
C’est lors de la nomination du ministre en charge de la culture après la démission du ministre Tahirou Barry du PAREN. Un candidat avait été proposé et quand nous avons vérifié, son dossier n’était pas recevable. C’est après qu’on a pu nommer un ministre qui n’a pas aussi duré.
S : Il nous revient que vous avez tenté, si nous pouvons le dire ainsi, de faire aussi une opération ‘’mains propres’’ au sein de l’armée, mais, vous n’avez pas été soutenus. Qu’est-ce que vous en dites ?
L. M. I. : Non, au niveau de l’armée, ce n’est pas une question d’opération ‘’mains propres’’. C’est la question de la vérification au niveau des contrôles que nous faisons au ministère en charge de la défense puisqu’il est concerné quand nous faisons le « n-1 ». Mais le problème que nous avons, concerne certaines dépenses pour lesquelles le secret-défense est parfois avancé pour justifier un certain nombre de réserves. Nous avons demandé à ce que l’on voit la limite du secret-défense.
On nous dit qu’il y a une limite à nos investigations, mais il se trouve qu’aujourd’hui, après les recherches et autres, qu’il n’y a même pas de textes sur le secret-défense au Burkina Faso. L’ASCE-LC, de par sa nature, devrait avoir une obligation pour connaître un certain nombre de questions. D’autant plus que nous sommes tenus par la confidentialité. Deuxièmement, nous disons et nous l’avons écrit au chef de l’Etat qu’il n’y a pas de fonds publics qui ne puissent pas faire l’objet de contrôle.
Même, les fonds de souveraineté doivent faire l’objet d’un contrôle. Même si ce ne sont pas les structures de contrôle classiques comme l’ASCE-LC ou la Cour des comptes, il doit toujours y avoir un contrôle. En la matière, ce sont des commissions de l’Assemblée nationale, composées des personnes de la Majorité et de l’Opposition qui sont chargées d’ailleurs de faire ce contrôle. Car, on ne peut pas comprendre que de l’argent public puisse être utilisé sans qu’on ait à rendre compte de la gestion.
S : Aujourd’hui, le Burkina Faso fait face au terrorisme et l’armée peine à vaincre l’ennemi. Des voix s’élèvent parce qu’il y a en partie la corruption dans ce secteur, l’argent destiné à l’achat des équipements n’est pas bien utilisé même pour l’alimentation des hommes sur le terrain. Qu’en pensez-vous ?
L. M. I. : Mais bien sûr ! Pour nous, la corruption est au terrorisme ce que l’huile est au feu. Et, nous l’avons prouvé avec la contrebande de carburant. C’est parce que c’est le fait qu’il y a une perte du sens de l’Etat, du bien commun et de la collectivité. C’est le fait que l’on se retrouve dans une culture de prédation et d’intérêt individuel. On ne peut pas faire du trafic de carburant dans des zones terroristes et dire qu’on ne vend pas du carburant aux terroristes.
S : On fait des affaires ?
L. M. I. : On fait des affaires. Alors qu’au Burkina Faso, on sait bien que, selon la loi, il y a une seule structure qui est chargée de l’approvisionnement du Burkina Faso en carburant. On ne peut pas dire qu’on ne fait pas le lit du terrorisme quand on permet à des véhicules sans immatriculation de pouvoir circuler impunément dans la ville de Ouagadougou et après, on va s’étonner qu’il y ait un attentat. C’est en ce moment qu’on va se réunir pour donner de la voix. On prend le temps de contrôler et d’importuner les voyageurs en regardant leurs cartes d’identité.
Ce qui fait d’ailleurs l’objet de rackets. Pendant ce temps, on ne prend pas le soin de contrôler l’intérieur des véhicules parce que ça ne rapporte pas. Donc, le lien terrorisme-corruption est manifeste parce que ces personnes ne peuvent pas vivre là où ils livrent sans pouvoir avoir de la ressource, manger, se déplacer, avoir des munitions, etc. Par rapport, à ce que nous avons vécu, c’est de l’incurie et non pas un dysfonctionnement. Parce qu’il y a une négligence coupable.
Car, on ne peut pas considérer que des informations aient été données sur la situation et qu’on n’ait pas réagi. A moins qu’en termes de sanctions, que ce soit pour une faute que les gens auraient commise et qui fait que la hiérarchie a décidé de les punir. Et même là, en décidant de leur donner à manger, je ne pense pas que ce soit la punition qui convienne. Donc, cela veut dire que la question n’a pas été gérée avec sérieux.
Et, c’est le propre même de la corruption parce que de tels actes ne sont pas punis, ils se répètent. A ce niveau, l’ASCE-LC a, dans les années passées, attiré l’attention de l’autorité sur les questions de primes, parce que nous avons reçu des dénonciations sur les problèmes des primes que nous avons adressées à l’autorité en disant qu’il faut que ces questions soient regardées de près, sinon, cela risque de poser un certain nombre de problèmes. Donc, le lien corruption-terrorisme est manifeste et il n’y a aucun doute.
C’est le fait que nous avons perdu au Burkina Faso le sens de l’Etat qui est important, parce qu’on regarde les comportements des uns et des autres, comme disait l’hyène : « Pourvu que ma mère me mette au monde même si elle meurt, il n’y a pas de problème ».
Donc, c’est cela ! Et, nous oublions que c’est grâce à la collectivité que nous existons. Et le sens de l’Etat étant perdu, chacun ne regarde que du point de vue de sa lorgnette et de ses intérêts. Cela est le fait de la corruption et du laxisme, car la corruption conduit au laxisme. A ce propos, on prend des écarts par rapport à la loi et ce qui est anormal devient normal.
S : La corruption est mauvaise d’où qu’elle se trouve. Mais lorsqu’elle s’installe au niveau de l’armée, la police, la sécurité, l’Etat n’est-il pas en danger ?
L. M. I. : L’Etat est en danger. Surtout, quand vous regardez que dans l’enquête de perception du REN-LAC, sur plusieurs années, ce sont les corps habillés qui sont en tête, il y a de quoi avoir froid au dos. Parce que cela veut dire qu’aujourd’hui, les terroristes peuvent passer entre les mailles du filet, pourvu qu’ils aient de la ressource. C’est tout. Donc, c’est un danger.
C’est un signal d’alerte qui nous est lancé à ce niveau. Et il faut que nous travaillions à faire en sorte que la question de l’argent soit supprimée de la relation entre les citoyens et les corps habillés. Et ça, il y a des exemples. On n’a pas besoin de rentrer dans les détails. Au Rwanda, un policier n’a pas de quittancier. Il tient simplement un appareil qui ressemble à un téléphone portable et lorsque vous commettez l’infraction, on enregistre le nom, les numéros de la pièce d’identité et de la carte grise.
Et vous payez la contravention au niveau du trésor public. Si au bout d’un certain temps, la contravention n’est pas payée, vous serez interpellé. Donc, il n’y a pas question de donner de l’argent au policier. Si l’infraction se passe et que le policier au lieu de taper sur son appareil préfère prendre de l’argent, il y a des caméras au niveau de la police des polices qui filment, et si on vous prend dans ça, vous êtes immédiatement radié des effectifs de la police.
Donc, ce sont des dispositions qu’il faut prendre afin d’éviter que nous ne soyons de plus en plus dans la banalisation de cette corruption. Nous entendons des gens dire que cette corruption de 1000 F CFA ou 2000 F CFA, elle n’est pas importante. Et il faut plutôt regarder plus haut. Mais, il se trouve que cette situation est assez grave, surtout dans la situation actuelle du pays.
Je disais à un jeune gendarme, lors d’une conférence, que si vous prenez 5 000 F CFA avec quelqu’un et que le lendemain, vous entendez que celui qui dormait à côté de vous a sauté sur une mine, parce que vous avez laissé passer le véhicule qui partait poser cet acte, vous l’aurez dans la conscience toute la vie. C’est pour dire que cela va nous rattraper d’un moment à l’autre.
C’est pourquoi, il faut sévir déjà à cette échelle de la corruption. Vous ne pouvez pas accepter que des policiers s’arrêtent derrière le commissariat central de police pour interpeller un nombre important de gens et puis vous n’avez rien (sans rapporter une somme importante dans les caisses du service). Si normalement on prend ce qui doit rentrer dans les caisses de l’Etat, en faisant une statistique, normalement l’Etat devrait se retrouver avec beaucoup d’argent.
Mais où va cet argent ? Et quand on ne sévit pas, cela devient une habitude et ça va en crescendo. Que ce soit les margouillats (démarcheurs, ndlr) qui gravitent autour du palais de justice, que ce soit les gens qui interviennent au niveau de la Direction générale des transports terrestres et maritimes (DGTTM), vous avez des gens qui sont plus forts que les fonctionnaires eux-mêmes qui y travaillent.
Alors, ça devient une habitude et si nous ne faisons pas attention, nous allons aller vers une société d’exclusion, notamment avec ceux qui n’auront pas les ressources pour payer le prix de la corruption. Et à terme, on va arriver à la situation de la violence et de l’explosion.
S : Comment s’opère concrètement le choix des structures à contrôler annuellement ?
L. M. I. : Le choix des structures se fait en fonction des questions des risques et en fonction d’une analyse qui est faite par les contrôleurs d’Etat des différents départements. Par exemple, ils peuvent considérer que les questions concernant la gestion des hôpitaux a défrayé la chronique dans l’année et nécessiterait un contrôle. Donc c’est une analyse faite par l’équipe du Département audit et contrôle (DAC), et c’est sur cette base qu’ils font les contrôles.
Maintenant, le nombre de contrôleurs d’Etat étant réduit, nous devrons nous centrer sur les domaines à risque. Et c’est ce qui fait que la plupart du temps, il y a des gens qui considèrent qu’il y a un acharnement de notre part sur eux. Ce n’est pas un acharnement parce que si ces structures-là ne sont pas contrôlées, cela pose problème. Le problème aussi, c’est que nous aurions pu nous déployer et diversifier, mais cela aurait supposé que les inspections techniques des services soient fonctionnelles.
Or, dans les inspections techniques de service, certains n’ont même pas de budget. C’est quand le ministre veut qu’on fasse un travail que l’on décide de les doter de ressources. Or ces inspections devraient avoir leur budget afin d’élaborer un plan de contrôle à l’intérieur du ministère.
Et c’est pour cela, depuis 2018, nous avons déposé une réforme des corps de contrôle de l’ordre administratif. Mais elle n’est pas encore adoptée. Il s’agit de créer ce que l’on va appeler des autorités ministérielles d’audits internes. C’est-à-dire que c’est un nouvel emploi que nous proposons. Des gens, qui dans les ministères, seront sélectionnés sur la base d’un concours et qui seront formés aux techniques d’audit et de contrôle, et qui dans les ministères, vont être chargés de faire ce contrôle interne afin d’anticiper sur les risques de corruption ou de détournement.
Jusqu’à présent, cette réforme n’est pas encore adoptée. Aujourd’hui, on se retrouve dans une situation où nous avons l’ACSE-LC, qui assure la tutelle des corps de contrôle de l’ordre administratif, et ce corps n’est pas véritablement effectif. On a nommé des gens, mais ils n’ont pas les moyens pour travailler véritablement. Or, c’est cela qui doit permettre d’avoir une anticipation sur les risques, c’est-à-dire l’audit basé sur les risques. Aujourd’hui, comment voulez-vous parler d’audit de performance, si déjà le suivi des procédures n’est pas respecté ?
S : Que répondez-vous à ceux qui disent que vos outils de contrôle ne sont pas aussi efficients ?
L. M. I. : A ce niveau, peut-être qu’ils ont raison. Mais nous travaillons conformément à la loi. Je constate que pour beaucoup de gens, nous leur disons que ce sont des irrégularités, puisque l’argent n’a pas été utilisé à des fins personnelles. Une administration travaille selon des procédures, des règles. Et la loi de finances fixe des règles d’utilisation de l’argent public.
Si vous n’avez pas respecté ces règles-là, nous disons que c’est irrégulier. Nous ne disons pas que vous avez détourné à des fins personnelles, sinon, en ce moment ça devient une infraction. Mais, si vous avez utilisé l’argent public, sans suivre les règles, c’est une faute de gestion. Et vous devrez en répondre.
S : Mais quelle a été la suite de cette affaire ?
L. M. I. : Finalement, la procédure a été envoyée au gouvernement. C’est une faute de gestion. A l’époque, la Cour des comptes n’avait pas encore mis en place la chambre de discipline budgétaire. Mais ce sont des dossiers qui ont été transmis à la Cour des comptes. Il appartient désormais à cette Cour de juger.
S : Pendant les sept ans passés à ce poste, est-ce que vous avez une idée des cas de malversations que vous avez détectés et qui ont permis à l’Etat de recouvrer des fonds?
L. M. I. : Non, je ne pourrai pas vous donner un chiffre de ce que nous avons pu faire. Peut-être qu’on aurait pu le faire si et seulement si le quantum à verser à l’ASCE-LC pour les sommes recouvrées avait été adopté. Normalement, les sommes qui ont été recouvrées grâce aux investigations de l’ASCE-LC, il est prévu dans la loi qu’un certain pourcentage devrait être reversé à l’ASCE-LC ; malheureusement ce décret n’est pas encore adopté. Donc comme ce n’est pas l’ASCE-LC qui fait les recouvrements, mais plutôt l’Etat, alors, nous continuons d’assurer le suivi de recommandation.
Aujourd’hui, si nous prenons l’ensemble de nos rapports, nous pouvons vous établir le niveau de sommes qui devaient être recouvrées. Ces sommes ont-elles été recouvrées ? Oui ou non ? C’est là où le problème se pose. Parce que la recommandation peut avoir été suivie pour l’aspect amélioration de l’administration.
Mais est-ce que la somme a été payée ? Il y a un certain nombre de cas où nous avons la preuve puisque les personnes ont payé au Trésor et nous ont envoyé la quittance de payement. Mais jusqu’à présent, nous n’avons pas fait un état dans la mesure où la procédure d’intéressement de l’ASCE-LC aux sommes recouvrées n’est pas encore adoptée.
S : Malgré vos efforts de lutte contre la corruption, le phénomène perdure. Est-ce qu’intérieurement ça ne vous décourage pas ?
L. M. I. : Non ! C’est ce que je disais tout à heure. Parce que dans la corruption, on doit s’inscrire dans l’idée que la corruption est une lutte de longue haleine. Il s’agit d’un phénomène social. Et plus on baisse la garde, plus elle prend de l’ampleur. C’est comme la maladie. Nous vivons avec des maladies autour de nous. Et à tout moment, nous pouvons tomber malades et nous serons obligés de prendre des produits.
On ne dira pas à un moment donné que nous allons arrêter de prendre les médicaments et j’attends la mort. Parce qu’il s’agit de sauver la société. Si notre société est de plus en plus gangrénée par la corruption, véritablement c’est nous tous qui serons perdants dans la mesure où nous allons aller de plus en plus vers une société mafieuse, violente et dans laquelle les plus faibles vont pâtir.
S : Quel bilan pouvez-vous faire de votre passage à la tête de l’Autorité supérieure de contrôle d’état et de Lutte contre la corruption ?
L. M. I. : Je pense qu’à la tête de cette structure, c’est surtout la mise en place de l’ASCE-LC. C’est-à-dire, faire en sorte que l’ASCE-LC soit effective et que nous puissions avoir une institution de lutte contre la corruption qui soit opérationnelle. Aujourd’hui, on peut dire que nous sommes en train d’arriver à cela avec la prise des décrets d’application.
Certes, il reste encore deux décrets à prendre et j’espère que ces décrets seront pris et qu’avec ce que le chef de l’Etat a annoncé, on aura la facilité de recruter le nombre de contrôleurs d’état nécessaire pour le fonctionnement de l’ASCE-LC.
Ensuite, c’est le fait que nous avons travaillé à faire en sorte que la lutte contre la corruption dissipe la méfiance qui existait entre la société civile et les institutions étatiques. Aujourd’hui, l’ASCE-LC et les organisations de lutte contre la corruption travaillent main dans la main.
A ce jour, on voit le REN-LAC et l’ASCE-LC organiser des activités ensemble. Dans ces activités de sensibilisation, nous associons diverses autres structures avec lesquelles nous avons un dénominateur commun. Nous considérons que le rôle de l’ASCE-LC est de concevoir et de mettre en place des outils de sensibilisation que les organisateurs de la société civile vont utiliser pour faire le travail sur le terrain.
A 23 contrôleurs d’Etat, même si vous voulez couvrir tout le Burkina Faso, vous ne pouvez pas et d’ailleurs ce ne sont même pas tous les contrôleurs d’Etat qui font la sensibilisation puisqu’il y a un département chargé de la stratégie nationale de prévention. On a finalement réussi à faire en sorte à briser cette méfiance et à créer la confiance entre la société civile et l’ASCE-LC.
Aussi, il s’agit de faire en sorte que les citoyens soient plus actifs dans la dénonciation des faits de corruption. Aujourd’hui, il ne se passe pas un jour sans que l’ASCE-LC ne reçoive une dénonciation sur des questions de corruption. Ça veut dire qu’au niveau du corps social, il y a une prise de conscience que la corruption est un danger pour notre société.
Cet élan doit continuer et que nous ASCE-LC devons avoir les moyens de travailler, afin qu’au plus bas niveau (nos enfants), les citoyens grandissent avec cette culture de refus de la corruption.
« Ce sont toujours les plus faibles qui sont les victimes de la corruption ».
S. : Au regard de ce qui a été avancé, que faudrait-il faire concrètement dans un Etat dans lequel la corruption est l’exception et non la règle ?
L. M. I. : Je résumerai cela en trois choses. Premièrement, il faut l’exemplarité, c’est-à-dire que les gouvernants doivent montrer l’exemple. De faire en sorte que leurs comportements et par leurs attitudes, ils montrent leur intransigeance par rapport à la question de la corruption.
Ensuite, il faut que l’impunité soit combattue avec la dernière énergie. On ne peut pas badiner avec l’argent public. Et troisièmement, il faut la prévention. Cela veut dire qu’il faut enraciner dans la société, la culture du refus de la corruption et de l’intégrité. Je prends par exemple des pays nordiques qui sont chaque fois classés parmi les meilleurs pays où la corruption est mineure. Mais, cela vient d’une culture de la société.
Au Burkina Faso, nous avons cet avantage où nous avons dit que notre nom c’est le pays des Hommes intègres. Nous avons déjà un objectif que nous visons. Il faut faire en sorte que l’intégrité du Voltaïque devenu Burkinabè puisse continuer à exister. Vous avez vu que dans notre histoire, l’administration a eu à gérer les élections et un président en exercice a été mis en ballotage.
Aujourd’hui, nous nous mettons à créer des structures partout. On crée la Commission électorale nationale indépendante (CENI) parce qu’on n’a pas confiance à l’administration. Mais, on ne se pose pas la question, quel travail faisons-nous pour que l’administration devienne intègre ?
Nous jetons l’anathème sur l’administration en disant qu’ils ne sont pas intègres et on les met de côté pour créer la CENI. On crée la CENI, on se rend compte que là aussi l’intégrité n’y est pas. Donc, cela veut dire qu’il y a une nécessité de faire en sorte que les jeunes générations grandissent avec la culture de l’intégrité. On a vu dans ce pays que ceux qui ont gouverné ou gouvernent ont bénéficié de bourses et ont pu faire leurs études. Aujourd’hui, on dit que ce n’est pas possible.
Mais, on voit que ce sont les enfants de ceux qui sont les possédants qui vont obtenir des bourses pour aller faire leurs études alors que leurs résultats ne sont pas bons. Pendant ce temps, il y a des enfants des pauvres qui ont de très bons résultats et qui ne pourront pas bénéficier de bourses.
Est-ce que cela est normal ? Nous avons fait un contrôle au niveau du service de l’orientation et des bourses et nous avons fait supprimer cette disposition qui donnait au ministre de l’Enseignement supérieur le pouvoir discrétionnaire de donner des bourses. Parce qu’il avait été attribué des bourses pour des personnes qui sont des cas sociaux qui ont des résultats, le ministre pouvait donner des bourses.
On sait rendu compte que tous ceux qui avaient bénéficié de cela, c’était des gens qui n’avaient pas besoin de la bourse. De ce point de vue, il y a un problème pour la société. Pour cela, il faut que l’impunité soit combattue. Dès qu’il y a faute, on punit. Et c’est pour cela que le risque d’être puni permet de rester dans le chemin. Quand on met la loi et la sanction, c’est comme une serrure.
Il y a des gens à qui cela ne va pas faire peur. Il y a des gens même si vous laissez votre porte ouverte, ils ne vont pas rentrer dans la maison parce qu’ils sont intègres. Il y a ceux-là aussi, nous avons beau mettre des cadenas, ils vont rentrer. Donc, la serrure n’a pas de rôle par rapport au voleur aguerri.
Mais, la serrure est là pour le commun des gens qui passeraient si la porte est fermée. Mais en voyant la porte entrouverte et en voyant que le téléphone est posé, ils seraient tentés de rentrer. Donc, la punition permet au plus grand nombre de considérer qu’il faut marcher droit. Et c’est pour cela que les trois éléments doivent être liés, l’exemplarité parce que si ceux-là qui gouvernent ont l’attitude et le langage, cela irrigue tout le corps social.
Si la sensibilisation et la culture du refus de la corruption sont prégnantes dans nos sociétés, cela permet d’avoir une société qui va refuser la corruption et le contrôle des gouvernants sera très grand. Et enfin, la répression va permettre à ceux qui auraient pu s’égarer de revenir sur le droit chemin.
Je pense que c’est sur ces trois registres que nous devons agir. Aujourd’hui dans la situation où nous sommes la question qui se pose c’est celle de l’exemplarité. Quand on regarde les mouvements de foule et la colère de l’opinion, c’est de dire qu’en haut on ne fait rien. Et c’est pourquoi, on dit qu’en haut on ne fait rien, il faut dégager. Donc, il faut l’exemplarité, la sanction et la prévention.
Le président du Faso a affirmé des choses, maintenant on l’attend au niveau de l’action. C’est ce sursaut patriotique que nous attendions parce que la corruption est un acte antipatriotique.
S : Est-ce que véritablement si le chef de l’Etat avait sanctionné au niveau de son entourage, cela ne pourrait pas dissuader ?
L. M. I. : Raison pour laquelle je dis que la sanction a un effet de dissuasion pour éviter que ceux-là qui seraient tentés de faire comme les autres ne le fassent pas. Il y a dans notre réglementation des dispositions qui permettent de le faire, simplement par application de la loi.
Si vous prenez la loi 081/2015/CNT relative à la fonction publique de l’Etat, il est dit très clairement à son article 166 que si un fonctionnaire est mis en cause dans une procédure judiciaire, il est obligatoirement suspendu. Donc, il suffit simplement d’appliquer les textes. Ce n’est pas parce qu’on aime ou qu’on n’aime pas la personne, c’est l’application des textes.
C’est le manque de pratique institutionnelle qui conduit à ces situations. Quand vous n’avez pas appliqué pour un, il devient difficile d’appliquer pour le deuxième. Donc voilà pourquoi je dis l’exemplarité, la punition pour dissuader et la prévention par la sensibilisation.
S. : Vous êtes un ancien élève du lycée Philippe-Zinda-Kaboré. Qu’est-ce que vous pensez aujourd’hui de sa fermeture ?
L. M. I. : Cela fait un choc dans la mesure où on avait l’habitude de parler du noble Zinda, le grand Zinda-Kaboré. Le fait que cet établissement soit fermé, je disais sur un plateau que tout dépend de ce que nous allons avoir par la suite.
Si c’est une fermeture pour grandir oui, mais si c’est une fermeture pour ressortir moins que ce que le noble Zinda a été, ce serait un échec. Aujourd’hui, on parle d’en faire un lycée scientifique. Je ne sais pas quel est l’impact que cela va avoir, mais ça suppose aussi qu’on a trop dormi sur les lauriers du lycée Zinda.
Dans la mesure où quelque chose qui date du début des indépendances continue d’être le plus grand lycée du Burkina, ce n’est pas normal. Que ce soit le lycée Zinda, que ce soit le lycée Ouézzin de Bobo, ce n’est pas normal. Cela veut dire qu’on a failli quelque part dans la question de l’éducation dans notre pays.
Sinon aujourd’hui, les bâtiments qui sont au lycée Zinda sont de très vieux bâtiments. On voit bien qu’au lycée Mandela, il y a des images qui sont passées dans les réseaux sociaux, on voit même que la dalle n’est plus hermétique et que ça suinte de partout. Si on a fermé pour mettre aux normes et permettre à ce qu’on puisse aller de l’avant, oui ! Mais, si on a fermé simplement pour, comme on dit, casser le thermomètre pour faire descendre la fièvre, là ce serait une erreur.
S : Le Burkina Faso traverse une crise sociopolitique et sécuritaire, quelle solution préconisez-vous pour l’en sortir ?
L. M. I. : Le problème est que nous faisons souvent des analyses à courte vue, parce que nous ne prenons pas en compte le fait que le Burkina Faso est le jeu d’intérêts qui s’est tissé sous le régime Compaoré, mais qui se retrouvent compromis avec l’insurrection et la Transition. Nous n’avons pas mesuré l’effet de nuisance de nos amitiés d’hier. Et aujourd’hui, nous payons le prix des trafics divers qui traversaient le Burkina et qui sont compromis par les changements intervenus au Burkina.
De ce point de vue, des intérêts sont mis en cause et ces personnes vont les défendre. Ensuite, par rapport au développement du terrorisme, on a cru que c’était un épiphénomène. Il y a eu les attentats et on s’est dit que l’on va sécuriser, mais on a oublié la périphérie. Les Burkinabè eux-mêmes ne se sont pas mis dans la posture d’être solidaires de ceux qui ont été les premiers à connaitre cette situation.
Il a fallu que les évènements aillent en s’accélérant pour que nous soyons surpris par cette situation. Mais cela suppose qu’il y ait une mobilisation sociale de tous les Burkinabè pour montrer que nous n’allons pas accepter que des gens prennent notre pays. C’est un sursaut patriotique qu’il faut. J’appelle les uns et les autres à relire les mots du Ditanyè. Nous chantons le Ditanyè, mais nous ne le connaissons pas totalement.
Or, il nous dit que véritablement pour que nous puissions vivre en Burkinabè libres, il nous faut le sacrifice, ce n’est pas pour rien que le Ditanyè se termine par « La patrie ou la mort, nous vaincrons ». Il faut que ceux qui sont en face se rendent compte que ce ne sont pas simplement les Forces de défense et de sécurité (FDS) qui sont mobilisées contre eux, mais l’ensemble du peuple burkinabè. Il faut que le peuple burkinabè entre en résistance.
Cela veut dire que les uns et les autres doivent savoir que nous n’allons pas accepter cette situation. Or, force est de constater que nous ne sommes pas dans cette situation. C’est quand il y a des morts que l’on s’offusque et après plus rien. Nous avons déjà délégué notre défense en pensant que les FDS toutes seules pourraient faire l’affaire alors que non. Dans l’histoire, c’est par la résistance que les peuples qui ont été envahis au départ se sont redressés.
En ce moment, le cordonnier, le chauffeur, l’intellectuel…tous sont des éléments de résistance. Quand le général De Gaulle est parti en Angleterre et a lancé l’appel, c’est sans considération de parti politique.
Car ce débat est mis de côté et il s’agit de défendre la patrie. On a vu le parti communiste main dans la main avec des gens de droite qui étaient dans la résistance. Cela ne veut pas dire que tout le monde va prendre une arme pour aller combattre, mais chacun va poser un acte qui va permettre d’atteindre la victoire.
Cela signifie que nous devons reconstruire le sens de l’Etat, de la collectivité et éviter de considérer que c’est notre intérêt personnel qui prime parce que si la collectivité est remise en cause, notre intérêt individuel ne pourra même pas s’exprimer. Il faut que nous rentrions en résistance et que nous fassions vibrer notre fibre patriotique. Ceux qui meurent pour nous en allant au front, ils ne vont pas revenir, mais ils assument leur mission.
Cela suppose que nous soyons plus regardants sur la gestion de la chose militaire, la gouvernance, pour que les actes soient pris pour faire en sorte que l’on puisse vaincre. Nous devons maintenir la pression citoyenne sur les gouvernants pour qu’ils travaillent pour cela.
S : Certaines opinions estiment que le départ du chef de l’Etat peut être la solution à la crise. Est-ce que vous êtes de cet avis ?
L. M. I. : Non. La preuve est que si le président part, si vous prenez la Constitution burkinabè, vous verrez que les dispositions de l’article 43 disent qu’en cas de vacance du pouvoir, c’est le président de l’Assemblée nationale qui devient président. Cet article donne des précisions, pendant la vacance, il ne peut pas dissoudre l’Assemblée ni le gouvernement ni utiliser les pouvoirs de crises ou les référendums.
Cela veut dire qu’on enlève le président, mais c’est la même majorité qui est là, le même gouvernement et on ne peut pas faire de changement. Si on ne respecte pas cela, on va tomber sous le coup du changement anticonstitutionnel et c’est l’Union africaine, les Nations unies, les partenaires techniques et financiers qui nous tombent dessus. Le départ du président n’est pas une solution au problème. La solution est que nous nous mobilisions derrière le chef de l’Etat.
On devrait voir à la télé, je ne sais pas comment on peut le faire, le chef de l’Etat, le président de l’Assemblée nationale, le chef de file de l’opposition, les chefs traditionnels, religieux s’asseoir et donner la main et dire que le Burkina Faso est en danger. Et que ce faisant, la défense de la patrie est la contradiction principale du moment et le reste on verra après. C’est-à-dire qu’on va taire un certain nombre de considérations, parce que la patrie est en danger.
C’est parce que le Burkina Faso existe que l’on peut faire des compétitions pour être président. C’est cela qu’il faut au lieu de donner des ultimatums d’un mois pour partir. Quand on est un homme d’Etat, on sait que ces questions-là ne se résolvent pas ainsi. Admettons que le chef de l’Etat démissionne et l’opposition prenne le pouvoir. Ceux qui seront de l’opposition devront-ils dire que dans un mois, il faut que leurs problèmes soient résolus ? Mais non !
S : En 2014, à l’issue de l’insurrection populaire qui a conduit au départ du Président Blaise Compaoré, la Constitution n’a pas été respectée.
L. M. I. : En 2014, la situation n’était pas la même. La situation était la suivante : Blaise Compaoré a démissionné. Mais avant sa démission, il a dissout le gouvernement. Quand il est parti, le président de l’Assemblée nationale aussi est parti.
Or la Constitution dit : quand le président du Faso démissionne, c’est le Premier ministre qui saisit le Conseil constitutionnel pour constater la vacance. Il n’y avait pas de Premier ministre, ni de gouvernement ni de président de l’Assemblée nationale. Comment faire ? Je suis convaincu que cela a été fait sciemment. Parce que c’était fait pour que l’on tombe dans le changement anticonstitutionnel du gouvernement. La solution la plus rapide, c’est de mettre la Constitution de côté.
Et c’est l’erreur que les militaires avaient eu à commettre. Heureusement que la société civile a dit non. On ne doit pas enlever la Constitution. Cela a conduit à l’élaboration de la charte qui permet à la Constitution de rester sur place, mais la mélanger avec une transition. Donc ce n’était pas la même situation. Mais si nous voulons le faire cette fois-ci, on ne serait pas dans la même situation et je ne crois pas que la communauté internationale va accepter cela.
Surtout que cela va venir après des situations que nous avons connues au Mali, en Guinée avec tout ce que l’on voit comme attitude. Nous risquons fort. Au lieu de nous occuper des terroristes, nous allons être là, à régler des problèmes internes. Quand nous allons nous réveiller, c’est en ce moment qu’on va se rendre compte que l’ensemble du pays est presque pris.
S : Des institutions telles la CEDEAO et l’Union africaine sont généralement considérées comme des médecins après la mort. Qu’en pensez-vous ?
L. M. I. : Je pense que ces institutions doivent être remaniées pour avoir des structures qui interpellent quand la situation concerne les intérêts des dirigeants. Or quand on regarde ces institutions, elles sont construites sur le fait que ce sont les chefs d’Etat qui décident. Donc si leurs intérêts sont menacés, ils considèrent qu’on ne peut pas faire un coup d’Etat du fait qu’il est illégal.
On ne réfléchit pas pourquoi le coup d’Etat. On dit seulement qu’il est illégal parce que ça permet de préserver leur pouvoir. Mais il y a des comportements qui sont illégaux. L’instrumentalisation de la Constitution l’a décrit dans la charte africaine. Mais les chefs d’Etat ne l’appliquent pas. Cela veut dire que les chefs d’Etats qui modifient la Constitution pour aller à un troisième mandat devraient être rappelés à l’ordre.
Après l’insurrection, la CEDEAO avait mis en place, un comité d’experts qui a fait un travail sur la limitation des mandats dans le cadre de la révision du protocole de la CEDEAO, sur la bonne gouvernance et la démocratie. Je vois qu’aujourd’hui, en décembre, il est question de réviser ce protocole pour essayer d’insérer cette limitation des mandats, à faire en sorte qu’il y ait une norme supranationale par rapport aux constitutions pour qu’on ne puisse pas faire, pas plus de deux mandats.
S’il y a cette norme, peut-être qu’on peut s’appuyer là-dessus. Mais je dirai qu’il faut que dans ces organisations, qu’il y ait un collège de sages dont les décisions s’imposeraient aux chefs d’Etat. S’il n’y a rien au-dessus des chefs d’Etat, ils s’arrangent entre chefs d’Etat. C’est pour cela qu’on dit qu’il y a un club de syndicat de chefs d’Etat (rire…). Vous n’êtes pas crédible, après c’est pour venir dire aux autres pourquoi ils ont fait un coup d’Etat. Alors que ce coup d’Etat n’est pas légitime. Il faut que nous réformions nos institutions ou que nous mettions des règles supranationales qui s’imposent à tous.
S : Votre mot de la fin.
L. M. I. : Je voulais remercier la rédaction de Sidwaya de m’avoir donné l’occasion d’échanger avec elle sur les préoccupations de l’ASCE-LC et certains aspects concernant la situation nationale du Burkina Faso. Je crois que c’est notre engagement de servir notre patrie qui doit nous orienter.
A l’heure actuelle, le sentiment patriotique devrait être l’élément le plus partagé entre les Burkinabè au-delà de toute considération. Si le Burkina Faso va mal, c’est notre bien à tous et il ne faut pas que cela soit par nous, que le pays va disparaitre. Il ne faut pas que nous soyons des vecteurs de corruption pour alimenter le terrorisme et travailler à la disparition du Burkina Faso.
Interview réalisée par la rédaction
L’article Luc Marius Ibriga, contrôleur général d’Etat : « Notre rôle n’est pas de juger ou sanctionner » est apparu en premier sur Quotidien Sidwaya.