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Burkina : « Pour moi cette réconciliation nationale est une foire », déclare Colonel Lona Charles Ouattara

Alors que l’expression « réconciliation nationale » est sur plusieurs lèvres et que le ministère en charge de cette question est à pied d’œuvre pour un forum national à cet effet, le militaire à la retraite, colonel Lona Charles Ouattara, qualifie cela d’un trompe-l’œil. C’est le titre de son dernier ouvrage. Dans une interview accordée à Lefaso.net le jeudi 30 décembre 2021, l’homme politique, ancien 2e vice-président de l’Assemblée nationale (VIIe législature, 2016-2020), donne sa lecture de la situation nationale (sécuritaire et socio-politique).

Lefaso.net : Quel commentaire pouvez-vous faire de la situation sécuritaire qui prévaut actuellement au Burkina Faso ?

Lona Charles Ouattara : La stratégie se définissant comme la dialectique de volonté employant la force pour résoudre le conflit, je dirai que la situation dans laquelle nous nous trouvons au Burkina Faso marque la défaite d’une certaine stratégie. Il faut savoir que la stratégie utilisée par Blaise Compaoré pour structurer nos forces armées est celle que la transition a poursuivie. Le gouvernement démocratiquement élu du président Roch Kaboré a poursuivi la même stratégie.

C’est une stratégie qui ne fonctionne pas. Etant donné qu’elle ne fonctionne pas, il vaut mieux la changer parce qu’il n’y a pas qu’une stratégie. C’est en fonction des situations qu’on s’adapte. Pourquoi ? Parce que le format de notre armée est inadapté. Blaise [Compaoré] a adopté un format militaire où ce sont des régiments ou de groupements dit de forces, ce qu’on appelle généralement un groupement tactique interarmes. Ce qui signifie que ces régiments ne sont pas commandés par une grande unité à savoir la brigade militaire, la division militaire, le corps d’armée militaire.

N’étant pas commandés par une grande unité militaire, les régiments ou groupements de force se trouvent déployés de manière isolée sur le terrain, ce qui amène l’ennemi à les réduire plus facilement parce qu’il n’y a pas de manœuvre d’ensemble où deux ou trois régiments s’épaulent pour mener une action. Ça, c’est un format qui ne peut pas nous permettre de vaincre. Il faut le changer forcement. Et je pense qu’il faut que le chef de l’Etat se résolve à réorganiser l’armée.

Suite à l’attaque d’Inata, on assiste à des remaniements dans les garnisons. Est-ce une bonne dynamique ?

Il a changé des chefs militaires à la tête des régions militaires. Il a nommé des lieutenants-colonels. Et j’avais dit que le fait de nommer des lieutenants colonels alors que des régions militaires ne sont pas des commandements opérationnels en tant que tel mais plutôt des espaces administratifs, des espaces de cantonnement d’unités opérationnelles, il se condamne à nommer à la tête de ces unités opérationnelles des plus jeunes que des régions militaires. Conséquence, un autre décret est arrivé et on a vu la nomination des commandants, capitaines à la tête des régiments et groupements de force. C’est un chemin qui n’est pas adéquat pour gagner la guerre.

Vous avez livré une série de contributions dans la dynamique de la lutte, notamment à travers vos livres. Quelle suite a été réservée à votre démarche par les plus hautes autorités, vous qui appartenez à la majorité présidentielle ?

Il n’y a aucune suite ! Ce n’est pas le fait d’appartenir à la majorité présidentielle qui fait que vos idées soient forcement prises en compte. Il y a une hiérarchisation d’appartenance. Il y a des partis politiques qui sont de la majorité présidentielle qui sont plus proches du parti majoritaire, je veux dire le MPP [Mouvement du peuple pour le progrès]. En plus de cela, il y a la personnalité. Je suppose que je suis toujours considéré comme un réactionnaire parce que, depuis le temps de mon promotionnaire Thomas Sankara, j’ai dit non à la révolution parce que je reste persuadé que l’immixtion de l’armée dans la scène politique est négative pour la discipline, la bonne cohésion de l’armée et son caractère opérationnel. Ce qui fait que depuis 1984, j’ai dit non, j’ai refusé d’adhérer à la révolution.


Les gens me perçoivent toujours sous cet angle alors qu’ils ne font pas la révolution eux-mêmes donc je ne suis pas surpris. Toute proposition que vous faites, les gens voient cela comme une menace alors que c’est le pays qui est en train de disparaître progressivement. Les frontières de notre pays sont en train de disparaître progressivement, donc je pense que les idées, quelles que soient les personnes qui les émettent, il faut prendre soin de les discuter et de voir ce qu’on peut prendre dedans. Mais ce n’est pas le cas, malheureusement.

A ce stade, où la situation continue de se dégrader, quelle est, à votre avis, la recette pour faire face au terrorisme ?

Il y a un problème de stratégie. Celle qui est employée jusque-là ne fonctionne pas donc il faut réorganiser l’armée. Il faut une restructuration. Ce n’est pas parce que vous changez de chefs militaires que vous avez réformé. Ne nous voilons pas la face. Un remplacement de chef ne veut pas dire réforme. La réforme, c’est le changement de structure, de fonctionnement donc ce n’est pas à moi de leur dire quelle stratégie adopter. Je ne conduis pas la guerre mais il y a des chemins que les chefs militaires doivent savoir et l’homme politique également. Il faut créer des grandes brigades militaires, des divisions militaires et des corps d’armée. Dans mes différentes propositions, j’avais estimé qu’il fallait que nous ayons un corps dissuasif de l’ordre de 40 000 hommes.

Dans votre dernier livre vous avez également parlé d’une réconciliation nationale en trompe l’œil au Burkina Faso, alors qu’une certaine opinion pense que c’est un passage obligé pour pouvoir mener efficacement la lutte contre le terrorisme. Qu’est-ce qui fonde votre affirmation ?

La réconciliation, oui ! Une réconciliation est toujours indispensable parce que des régimes répressifs, d’exceptions sont passés avant que nous ayons ce régime démocratiquement élu. Depuis le 7 novembre 1982, des régimes d’exceptions et répressifs ont conduit la politique de notre pays jusqu’à la chute de Blaise Compaoré en 2014. A commencer par le CSP1 [Comité de salut du peuple], le CSP2, le CNR [Conseil national de la révolution], le Front populaire à la République de 1991 jusqu’à la chute de Blaise Compaoré. Toute cette partie est clairsemée d’assassinats politiques.

Quand vous parlez de réconciliation nationale, des gens ont été massacrés, des enseignants licenciés pendant cette période. Mais c’est ça la réalité qu’il faut dire. Ensuite, des exécutions des officiers supérieurs, notamment, les Somé Yorian Gabriel, Guébré Fidel, étaient aussi des pratiques sous la révolution. Alors, si on dit de se réconcilier, il faut d’abord parler de la réconciliation entre ces différentes victimes et les bourreaux de ces régimes-là. La plupart de ces bourreaux sont toujours là.

La maison dans laquelle vous êtes aujourd’hui a été confisquée pendant plus de quinze années. J’ai été aussi condamné à mort par contumace juste parce qu’on m’a accusé, sur la base de mensonges, d’être avec les Maliens contre mon pays. Complètement hallucinant alors que j’étais en mission aux Nations unies. Réconciliation, oui mais réconciliation politique, non ! Parce quand vous parlez de réconciliation, personne ne parle des abus sous le CNR ni sous le CSP. Regardez l’actuel procès. On ne parle que de Thomas Sankara, personne ne parle de ses compagnons.


En plus, les initiateurs de cette réconciliation ont dans leur esprit de se réconcilier avec Blaise Compaoré. Mais avant que Blaise Compaoré ne soit renversé, il y a eu plein de morts. Le processus de la réconciliation qui est employé est simplement une construction intellectuelle mais qui se vend auprès des classes populaires, pas avec moi. On s’assoit dans un bureau, on élabore un cadre pour réconcilier. La réconciliation doit être véritable. Dans d’autres pays, la réconciliation est véritable parce qu’il y a eu guerre civile alors que chez nous, il n’y a jamais eu de guerre civile. C’est plutôt une classe politique, qui préventivement, commet des abus contre des citoyens ordinaires. On vous juge contre-révolutionnaire, ce sont des idées. Vous n’avez pas posé d’acte parce que tout simplement vous n’êtes pas révolutionnaire comme eux. Pour moi, cette réconciliation est une foire, c’est un écran de fumée. C’est pourquoi je dis que c’est une réconciliation en trompe-l’œil

Que doit faire donc Zéphirin Diabré pour aboutir au résultat escompté ?

Parfait ! Pour moi, il faut qu’il repense son affaire puisque c’est un processus inventé de toute pièce par lui-même. Ça ne vient pas des cœurs qui sont victimes et de ceux qui ont fait du mal. Pour moi, c’est un débat, une dialectique entre victimes et bourreaux. Si vous n’avez jamais été bourreau, vous vous levez pour aller réconcilier des gens alors qu’il faut considérer toute la chaîne. Donc il faut qu’il repense son processus. Il faut forcément qu’il y ait une sorte de confrontation entre les victimes et les bourreaux d’hier. Cela veut dire qu’il faut la justice. Au sortir de cela, il faut un programme de réparation. Je vous ai parlé de ma maison. Elle m’a été revendue. Ce sont des choses hallucinantes. On n’est pas dans la jungle.

Le problème entre Blaise Compaoré et d’autres, il est libre de rentrer, pour moi. J’étais en exil, je suis rentré et personne ne m’a accueilli. On ne m’a pas construit une maison pour que je puisse rentrer. Qui lui a dit de partir ? En fait ma question, c’est qui l’empêche de revenir ? La réconciliation ne peut se résoudre entre acteurs politiques d’une période donnée. C’est d’abord entre les victimes de la société civile. Pour qu’il [Zéphirin Diabré] réussisse, j’ai dit dans mon livre que le forum ne peut se tenir qu’avec la justice et surtout la justice classique. Nous avons dans notre pays un des meilleurs systèmes judiciaires en Afrique de l’Ouest.

Tout n’est pas parfait mais si vous comparez aux autres pays, notre système judiciaire est l’un des meilleurs. Nous n’avons jamais été désorganisés par une guerre civile. Dans des pays comme le Rwanda, la guerre civile a pratiquement causé un million de morts avec des milliers de bourreaux. Avec de chiffres pareils, le peu de système judiciaire qui était encore sur pied au Rwanda était débordé par le nombre de cas au point où les Nations unies ont créé le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) en Tanzanie. J’y étais parce que j’étais chef des opérations aériennes des Nations unies à l’époque. L’Afrique du Sud, c’était pareil.


Le fait qu’au Rwanda les gens recourent aux procédures gacaca, les tribunaux traditionnels, cela émane du fait que la justice classique est débordée. Les gacaca impliquent deux ethnies. Au Rwanda, il n’y a pas soixante ethnies comme au Burkina. Des intellectuels, au Burkina, parlent de justice transitionnelle et surtout traditionnelle. Vous allez adopter la justice de quelle ethnie pour juger les gens ? Il va falloir normaliser tout cela en un seul système pour pouvoir juger les gens. Je suis Sénoufo. Vous allez demander à la justice sénoufo de juger quelqu’un qui a commis un crime de sang alors que les Sénoufo ne croient pas à la mort en dehors de celle naturelle et par les sorciers ? Frapper quelqu’un physiquement pour le tuer, ça n’existe pas chez nous. Alors que nous avons affaire ici à des assassins qui, simplement parce qu’ils ont peur et pour garantir leur tranquillité au pouvoir, préventivement vous assassinent. Norbert Zongo a été préventivement tué.

L’UPC (Union pour le progrès et le changement) a rejoint la majorité à l’issue des élections de novembre 2020. Peut-on dire que vous avez eu raison très tôt ?

Nous, on a toujours eu raison. Le problème, c’est que c’est une partie de la population qui ne nous a pas compris. Nous sommes partis de l’UPC parce que d’abord à cause de la violence du président de l’UPC. Initialement, nous n’étions pas d’accord avec sa manière de gérer le parti. A partir de là, le connaissant très bien, il nous a vilipendés dans la presse. Nos noms sont apparus comme cela, subitement, en disant que nous étions des taupes de feu Salif Diallo. Les taupes formaient un grand parti de gauche. Je n’ai rien qui s’apparente à un élément de gauche. Je n’ai jamais appartenu à la gauche. Tout ça, c’était pour nous noyer donc nous avons simplement créé un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale (qui était une position transitoire, ce n’était pas une position qui disait que nous étions partis de l’UPC). Mais à partir de là, il a déclenché beaucoup de violences contre nous.

Des domiciles ont été agressés, etc. Finalement, il nous a poussés vers la porte. Et nous sommes surpris de le revoir entrer dans la majorité présidentielle alors qu’au sortir des élections 2015 c’est ce qu’on lui avait demandé : que le parti participe au gouvernement parce que le MPP nous avait aidé à faire tomber le régime de Blaise Compaoré. Il faut l’admettre. N’eut été le MPP, nous étions fatigués. C’est-à-dire que les différentes marches de l’opposition étaient à bout de souffle. Nous avons donc bien accueilli l’arrivée du MPP, ce qui nous a donné beaucoup de flexibilité et d’appui pour qu’on arrive à faire partir Blaise Compaoré. A partir de là, je pense bien qu’on devait pouvoir s’entendre sur une plateforme minimale de gouvernement et cela aurai profité au parti. Mais il a refusé et après ce qui devait arriver, arriva et on le retrouve maintenant dans ce système.

De quel parti êtes-vous aujourd’hui militant ?

Pour l’instant, j’observe. J’étais au MBF [Mouvement pour le Burkina futur] mais là-bas non plus, je ne me sens pas à l’aise.

Interview réalisée par Cryspin Laoundiki
Lefaso.net

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