J’ai passé le discours de politique générale (DPG) de M. Lassina ZERBO, le tout nouveau premier ministre du Burkina Faso, à la moulinette de l’analyse sémantico-énonciative. L’exercice n’est pas simple sur un discours un peu court.
✅ Sur le plan formel
Je dirai d’abord que c’est un discours délivré sous un style plutôt narratif et dynamique, actionnel (usage massif de verbes d’action : 67,9% de verbes d’action contre 18,2% de verbes d’état, 13% de déclaratifs et 0,8% de verbes dits performatifs).
Ce récit dynamique est agrémenté d’un usage marqué des modalisations dites d’intensité (43,6% de la palette de modalisations) qui confèrent au discours une tonalité dramatique. Mais cette dramatisation langagière se veut adossée à des réalités qui se veulent objectives ou supposées telles (usage significatif d’adjectifs objectifs 59,4% contre 29,8% d’adjectifs subjectifs et 10,8% d’adjectifs numériques).
Le premier ministre s’implique fortement dans son discours en le prenant en charge par l’usage significatif des pronoms personnels à la première personne du singulier (Je, me, moi… => 25,5% des pronoms personnels). Mais ce « JE » n’oublie pas de s’amplifier en un « NOUS » de totalisation, d’identification politique (Nous => 21,7% des pronoms personnels).
Sur ce plan formel, je dirai donc que le DPG de M. Lassina ZERBO n’est pas différent de ceux de ses prédécesseurs Paul Kaba THIEBA et Christophe DABIRE (Voir mes articles sur KACETO.NET).
✅ La cartographie ci-jointe permet de se faire une idée sur l’univers des références sémantiques du DPG du premier ministre ZERBO, leurs interrelations et leurs articulations avec quelques verbes saillants.
Notons les défis les plus structurants :
des « défis sécuritaires » auxquels le gouvernement, l’Etat, la Nation et le peuple burkinabè font face (références notamment aux FDS/VDP et au soutien qu’on leur doit, aux attaques et à la guerre que nous imposent des terroristes sans foi ni loi) – –
des « défis de droit et de gouvernance » : références aux défis de consolidation de l’Etat de droit et de justice pour tous (on pense en particulier à nombre de lourds dossier judiciaires en attente), à la lutte contre la fraude et la corruption, à la bonne gouvernance, etc. ;
des « défis de paix, de réconciliation nationale » (y compris par la « négociation » avec les brebis galeuses si les conditions s’y prêtent, pour les ramener à la maison commune), de « cohésion sociale et d’union » ;
des « défis de résilience ». Notons que c’est la première fois que, sous la présidence Roch Marc Christian KABORE, un premier ministre inscrit clairement ce type de défi au coeur de son projet d’action politique. Ce n’est donc pas anodin. Pour rappel, la « résilience » définit la capacité à surmonter les chocs traumatiques. C’est une force morale qui fait qu’on ne se décourage pas devant les coups durs, qu’on ne se laisse jamais abattre et qu’on continue d’avancer, de mordre la vie à pleine dent malgré tout. L’UNISDR (United Nations International Strategy for Disaster Reduction) définit la résilience comme « la capacité d’un système, une communauté ou une société exposée aux risques, de résister, d’absorber, d’accueillir et de corriger les effets d’un danger (…), notamment par la préservation et la restauration de ses structures essentielles et de ses fonctions de base » ;
des « mesures, des dispositions et des actions » à mettre en place pour répondre aux défis évoqués ;
et bien entendu des « défis de mobilisation de fonds (défis financiers), notamment à travers le PNDES » (Plan National de Développement Economique et Social) ;
des « défis économiques et commerciaux » (économie, commerce, industrie, mines, production, productivité, achat, coût, prix, etc.) ;
des « défis sociaux de base » (eau, électricité, santé, éducation, service public, routes, etc.).
Notons que dans la dynamique du discours, l’insistance sur les deux derniers types de défis arrivent après l’instance sur tous les autres types de défis précités. Et tout se tient ainsi que le montre la cartographie sémantique et ses interrelations.
Notons aussi que le premier ministre ZERBO a tendance a utilisé significativement plus les possessifs de la première personne du singulier (« Je possessif » = « mon » ; « ma », « mes »…) et du pluriel (« nous possessif » = « notre », « nos »…). En particulier, relevons deux types d’expressions structurantes : L’expression-type « mon gouvernement » ET l’expression-type « notre pays / nation / peuple » … « nos compatriotes / concitoyens / populations ». Ses prédécesseurs utilisaient les mêmes expressions, mais la forme « mon gouvernement » est beaucoup plus présente dans le DPG de M. ZERBO que dans le dernier DPG (février 2021) de son prédécesseur DABIRE (Sur les occurrences des formes de la première personne du singulier, l’expression « mon gouvernement » occupe 45,33% dans le DPG du PM ZERBO contre seulement 22,95% dans le DPG du PM DABIRE).
Il faut savoir que le possessif de la première personne du pluriel (« notre, nos… ») inscrit la dimension d’une responsabilité collective et donc politique. Ici, il s’agit de faire du triptyque « peuple, nation, pays » une propriété commune. C’est une constante largement partagée dans le discours politique.
En revanche le possessif de la première personne du singulier (« Mon, ma, mes… ») confère au rapport de possession une valeur morale qui laisse supposer qu’il existe une relation de « supérieur » à « inférieur’. Dès lors, faut-il voir dans l’insistance d’usage de l’expression « mon gouvernement » une volonté à peine subliminale du premier ministre ZERBO d’exercer pleinement son autorité sur son gouvernement qui devrait totalement se soumettre ? Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement ZERBO, vous voilà prévenus.
SAWADOGO, Consultant Text Mining, Text Analytics, Analyse sémantique – Kaceto.net.
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