Ceci est une tribune libre du Caucus des Cades pour le Changement. Né dans le contexte de la lutte contre la modification de l’article 37 de la constitution de la 4ème République sous l’ancien régime, le Caucus regroupe des personnalités et des cadres d’obédiences politiques diverses et des hommes et des femmes sans appartenance politique. Cette organisation fait ici une analyse de la situation nationale et propose des solutions susceptibles de conduire notre pays vers la paix et la consolidation de la démocratie.
Depuis le drame d’Inata, le Burkina Faso, notre chère patrie, traverse une crise profonde, laquelle a imposé des changements majeurs sur le plan politique et la prise d’un certain nombre de décisions au niveau du pouvoir exécutif. De ces décisions, celle qui a le plus polarisé l’attention de nos compatriotes est sans conteste la nomination de Monsieur Lassina ZERBO au poste de Premier Ministre, nomination suivie de la composition d’un gouvernement « resserré » comme l’avait souhaité le Président du Faso.
C’est dans ce contexte, également marqué par une recrudescence des attaques terroristes de plus en plus violentes dont le massacre récent de plus de 40 volontaires pour la défense de la patrie (VDP) dans le Lorum, que le Caucus des Cadres pour le changement (3C), conformément à sa mission d’interpellation, livre ici sa lecture de la situation nationale et fait une appréciation de la gestion de la crise.
Une situation sécuritaire, humanitaire et alimentaire préoccupante
Depuis 2016, notre pays fait face à une crise sécuritaire sans précédent, caractérisée par des attaques terroristes tous azimuts. L’ampleur et l’étendue des déplacements forcés de populations provoqués par l’escalade de la violence ont entraîné une dégradation sans limite de la situation alimentaire et humanitaire. En effet, on estime actuellement à 2,86 millions le nombre de Burkinabè en situation d’insécurité alimentaire. Le nombre de morts est estimé à plus de 2000 personnes civiles et militaires. Cette situation nationale qui ne cesse de se dégrader a un impact négatif sur le développement socio-économique dont une des conséquences directes est l’augmentation de la vie chère pour les populations.
A la suite de l’attaque d’Inata, une détérioration du climat politique est venue se greffer à la crise humanitaire et sécuritaire. En effet, des voix se sont élevées pour réclamer la démission du Président Roch Marc Christian KABORE. La colère légitime de la population, reconnue par le Chef de l’Etat lui-même, ne devrait en aucun cas être un facteur qui fragilise davantage la cohésion nationale, sans laquelle il serait encore plus difficile de venir à bout de ce terrorisme.
En réponse à cette colère populaire, le Président du Faso a, dans une déclaration solennelle, promis au peuple burkinabè :
une réorganisation des forces armées ;
la formation d’un gouvernement resserré ;
le lancement d’une opération mains propres (lutte contre la corruption).
La réorganisation de l’armée
Après le drame d’Inata, le Président du Faso a reconnu officiellement qu’il existait d’énormes dysfonctionnements dans l’administration de l’Armée. C’est la première fois qu’il fait cet aveu, alors que des voix bien renseignées dénonçaient cet état de fait depuis la première attaque terroriste en janvier 2016.
En six ans de gestion du pouvoir d’Etat, le Président Roch Marc Christian Kaboré a gratifié notre pays de quatre (04) ministres de la Défense, dont lui-même. Dans le même temps, il a nommé trois (03) Chefs d’Etat-Major généraux des Armées et autant de ministres de la Sécurité.
Malheureusement, toutes ces décisions successives ont été sans effet puisqu’on ne peut que constater qu’il existe toujours des dysfonctionnements graves qui peuvent produire un drame comme celui d’Inata, où nos soldats ont été abandonnés sans ration alimentaire.
Qu’est-ce qui n’aurait donc pas marché ?
En hypothèses, on pourrait avancer ceci :
soit le Président du Faso ne choisit pas les personnes les mieux indiquées pour occuper ces fonctions ;
soit la structure de notre système de défense et de sécurité est tellement mauvaise que toute compétence est condamnée à échouer ;
soit ces deux cas de figure à la fois.
Dans tous les cas, la responsabilité première d’un tel échec incombe au Président du Faso lui-même.
Savoir choisir les hommes et savoir imposer les réformes qui améliorent le fonctionnement des structures sont l’essence même du commandement.
Parce que le Burkina est un pays où le parcours et les compétences des individus sont connus, le choix fait par le Président Kaboré de confier à certaines personnes les fonctions les plus éminentes de notre appareil de défense et de sécurité a laissé pantois les Burkinabè.
Même en temps de paix, on ne confie pas les ministères de la Défense et de la Sécurité d’un pays à des gens qui brillent par leur carence, a fortiori en temps de guerre. Cette démarche procède certainement d’un calcul politique cynique connu des chefs d’Etat africains qui préfèrent parfois confier les responsabilités non pas à ceux qui peuvent, mais à ceux qui ne gênent personne.
Là où il y a dysfonctionnements, il y a forcément mauvaise gestion. C’est l’autre face du problème de notre armée. Si le Président Kaboré veut réussir à sortir le pays du bourbier actuel, ce chantier de la bonne gouvernance et surtout au sein de l’armée, doit être pour lui une priorité.
Le Gouvernement resserré
L’une des annonces du Président du Faso qui a retenu l’attention est celle de la formation d’un Gouvernement resserré. Suite à cela, M. Lassina Zerbo a été chargé de former et de diriger la nouvelle équipe gouvernementale. Dans la traduction de cette annonce en actes, nous avons compris que l’ambition était de se doter d’un Gouvernement avec moins de départements ministériels que le précédent.
Se référant à tout ceci, le Caucus des Cadres pour le Changement s’est d’abord posé la question de savoir si le Président du Faso a fait le bon diagnostic. La réponse à la situation dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui réside-t-il dans un Gouvernement resserré ? Est-ce vraiment cela que les Burkinabè attendaient ?
Le Caucus reste dubitatif. Les Burkinabè veulent voir très rapidement des victoires sur deux fronts :
le front sécuritaire ;
le front de la lutte contre la corruption.
Certes, dans un certain contexte, il est toujours bon de ne pas avoir un Gouvernement pléthorique. La fusion de certains ministères est de ce point de vue une expérience intéressante à observer.
Toutefois, au regard de la situation d’urgence que vit le pays, le Caucus émet des doutes sur l’efficacité de cette stratégie de gouvernement « resserré ». Le risque de lourdeur administrative est grand alors que la célérité est requise. Les nouvelles fusions des ministères vont nécessiter du temps et des moyens financiers pour réorganiser l’administration centrale, régionale et provinciale. Par exemple, le Caucus a du mal à comprendre comment, dans le contexte actuel, on peut surcharger le ministre de la Sécurité avec des questions d’administration territoriale alors qu’il ne dispose même pas d’un ministre délégué pour s’occuper du volet sécuritaire ?
Un Gouvernement resserré est une réponse organisationnelle et managériale. Mais est-ce suffisant comme réponse à cette crise ? Où est la réponse politique ?
Tout le monde sait que la gestion d’une crise passe aussi par une réponse politique. Et en général, elle consiste pour le pouvoir qui est embourbé, à élargir sa base politique en faisant une ouverture. C’est un théorème classique de la vie politique. Quand on observe l’architecture du Gouvernement actuel, on constate plutôt le contraire :
le Gouvernement repose essentiellement sur les trois principales forces politiques de l’APMP : le MPP, le NTD, l’UPC et l’UNIR/PS. Aucune ouverture n’a été faite en direction d’autres forces au sein de l’APMP. Comme par le passé, les partis non parlementaires de l’APMP sont encore royalement ignorés, alors qu’ils sont utiles dans cette période de crise que traverse le pays.
la distribution au sein même du MPP fait penser à un recentrage. L’aile que l’on dit être de Simon Compaoré a été évincée.
Aucune force de l’opposition ou de la société civile n’est associée
Finalement, on se demande sur quelle base politique élargie ce Gouvernement repose ? Pourrait-il compter sur toute l’APMP et même tout le MPP ?
Dans ce contexte de crise que nous vivons, il était tout à fait possible d’apporter simultanément une réponse organisationnelle et une réponse politique, de resserrer au plan du nombre total des ministres, tout en élargissant la base politique du Gouvernement en y incluant une plus grande diversité politique. L’un n’excluait pas forcément l’autre si le Président du Faso tient tant à un Gouvernement « resserré ».
Il faut craindre que l’exécutif ne soit pas suffisamment soutenu face aux secousses prochaines qui pourraient survenir vue la démobilisation qui s’observe au sein de l’APMP et du MPP.
Autre question qui interpelle, c’est le profil du nouveau Premier ministre. Il appartient au cercle restreint de nos compatriotes qui ont exercé de hautes fonctions à l’international. Le Caucus ne remet nullement en cause ses compétences dans son domaine. Mais l’expérience de M. Paul Kaba Thiéba est encore fraîche dans la mémoire des Burkinabè. Parachuté dans les mêmes conditions, il a littéralement survolé sa fonction.
La nomination du nouveau PM dans un pays où les cadres locaux ne sont plus habités par le complexe des cadres ayant servi à l’international, a surtout frustré les cadres du MPP dont nombreux sont des technocrates chevronnés qui en plus, ont réussi à prendre de l’épaisseur politique.
Au sein du MPP, certains ne se gênent même plus pour critiquer le Président Kaboré, et s’étonnent que, depuis son élection en 2015, il n’ait pas pu trouver un cadre de son parti au niveau local pour diriger le Gouvernement.
Interrogé sur la question, le Président du Faso a lui-même surpris l’opinion, en déclarant que le nouveau PM peut apprendre rapidement, tout en reconnaissant l’urgence de la situation. Pourquoi perdre du temps avec quelqu’un qui va venir apprendre avant d’agir dans une situation d’urgence alors que dans son propre parti il y a des cadres chevronnés qui l’accompagnent depuis la création du MPP et qui, toute considération partisane mise à part, sont suffisamment outillés pour l’emploi ?
A moins que, comme le susurrent certains, l’obsession de 2025 dicte de ne pas nommer un cadre du MPP qui pourrait, le moment venu, avoir des ambitions et contrarier ainsi les plans de succession bâtis actuellement dans les secrets.
Opération mains propres
Dans son adresse, le Président du Faso a annoncé le lancement d’une « opération mains propres ». Cette annonce est encourageante et le Caucus la salue.
Paradoxalement, c’est un domaine où le caractère novice du Premier ministre peut être un atout, s’il n’est pas conduit sur des chemins qui ne lui sont pas familiers.
Les Burkinabè sont impatients de voir cette opération se mettre en marche. Si d’ici la fin du premier trimestre de 2022, rien de concret n’est fait, la tension risque de monter d’un cran.
Le Gouvernement est d’autant plus attendu de pied ferme que beaucoup de nos compatriotes doutent de la sincérité du Président du Faso dans cette affaire. Leur scepticisme est fondé sur le fait qu’une véritable opération mains propres dans le Burkina d’aujourd’hui, va immanquablement impliquer certains de ses proches.
Pour le Caucus, cette opération mains propres doit débuter par un audit minutieux des dépenses militaires depuis la première attaque terroriste. Le contribuable burkinabé a dépensé des sommes énormes pour équiper et entretenir notre armée. Il est en droit de savoir comment cet argent a été utilisé.
Commencer cette opération mains propres au niveau de l’armée aura pour effet de rassurer nos compatriotes et de remonter le moral des troupes au moment où nos soldats meurent affamés au front.
La voie de l’espérance et de la paix
Cette analyse critique ne devrait pas être perçue comme si la crise sécuritaire était sans issue. C’est pourquoi, le Caucus des cadres pour le Changement se démarque des appels à la sédition et à la remise en cause des fondements de la République. Il est possible d’emprunter la voie de l’espérance et de la paix pour le Burkina Faso. Aussi, nous préconisons :
1- Pour accélérer l’opération mains propres et concrétiser la lutte contre la corruption, il importe de mettre en place des tribunaux spéciaux pour le traitement diligent des crimes économiques. Cela permettra aux magistrats de disposer des moyens spécifiques pour accélérer les jugements afin de sortir la justice du discours récurent des « dossiers qui suivent leurs cours ».
Ces jugements renforceront la confiance entre les gouvernants et les citoyens qui ont le sentiment d’une impunité totale au sein de l’Etat. Dans ce sens, faire un audit des Comptes des Forces de Défenses et de la Sécurité (FDS) par une mission parlementaire ou par l’ASCE-LC donne des gages de sincérité à la population qui a le sentiment que le secret défense est un passe-droit pour une gestion opaque des ressources publiques mises à la disposition des Armées.
2- De soutenir pleinement et accélérer le processus de réconciliation nationale car la réconciliation nationale est le socle de base pour une sécurisation durable du territoire. Le Caucus a le sentiment que le ministre en charge de la réconciliation nationale ne bénéficie pas d’un soutien suffisant de l’équipe gouvernementale pour accomplir sa mission. On constate un silence troublant des autres ministres sur la question.
Issouf Ouédraogo
Responsable de la communication
du Caucus des Cadres pour le Changement